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Ronald CREAGH
Etats-Unis - Iran : Discordes et dissonances
Article mis en ligne le 23 août 2006
dernière modification le 26 décembre 2006

La politique internationale de l’Iran ne se résume pas à un fanatisme religieux ni à un combat de coqs entre son Président, Ahmadinejad et celui des Etats-Unis, George Bush. Ne voir que des illuminés, c’est limiter le regard aux quarante dernières années. Rien de tel pour laisser dans un flou artistique deux siècles durant lesquels les grandes puissances se sont appropriées le pays et ses ressources.

Le passé s’en trouve d’autant plus embelli que l’histoire du présent se limite à des allusions : l’occupation de l’Ambassade des Etats-Unis et la prise en otage de son personnel, mais sans recherche des causes ; ou encore la volonté modernisatrice du Shah mais sans mention de la torture dans les prisons.

Une autre oeillère en matière de réflexion consiste à transfigurer les relations mondiales en un match entre vedettes politiques. Le "jeu" international ne se déroule pas comme une bataille entre les princes de ce monde. De multiples intervenants y participent, en plein jour ou à l’ombre, qui à chaque instant changent les donnes.

Les péripéties des rapports irano-américains ne sont pas seulement intéressantes en elles-mêmes. La méthode de leur lecture peut aussi servir à mieux cerner les événements politiques contemporains, c’est-à-dire à retenir cette double exigence : se rappeler de l’histoire longue, avec ses multiples facettes, et ne pas réduire l’actualité à un star système.

Comme l’a dit le Président Clinton, les Etats-Unis doivent porter leur juste part de responsabilités dans les problèmes qui ont surgi dans les relations irano-américaines.

Madeleine K. Albright [1].

Un rappel de quelques-uns des accidents majeurs dans les relations irano-américaines peut donner un certain recul pour saisir les conflits actuels. D’autres études viendront en leur temps : on ne peut faire abstraction des ressources énergétiques, des conflits du Moyen-Orient, de la révolution islamique, de la condition des femmes en Iran ou des otages de Guantanamo. Nous espérons aussi qu’un lecteur, plus compétent que nous, traitera des relations de son propre pays avec l’Iran. Précisons enfin que si l’article insiste essentiellement sur les responsabilités des Etats-Unis plutôt que sur les critiques que l’on peut adresser à l’Iran, c’est parce que ce dernier pays mérite une analyse décapante, qu’il faudra aussi entreprendre, mais surtout parce que le discours dominant est bien celui des Etats-Unis ; et cette nation n’exclut pas une attaque meurtrière, avec les conséquences qu’on imagine. L’Iran n’a pas envahi le moindre pays en 250 ans. Les Américains ne peuvent en dire autant.

Une histoire dominée par la position stratégique

Trois structures fondatrices ont marqué l’Iran. Son ancienneté : deux mille ans de civilisation. Sa position géographique : Au carrefour des grandes régions : entre le Proche-Orient, l’Empire ottoman, l’Inde et l’océan Indien. Ses ressources économiques : quatrième producteur mondial mondial de pétrole et le deuxième exportateur mondial au sein du cartel de l’Opep après l’Arabie Saoudite. D’Alexandre le Grand à nos jours, le contrôle de ce territoire est le terrain perpétuel de rivalités internationales.

Les luttes d’influence entre l’Angleterre et la Russie dominent au dix-neuvième siècle, celle-ci régentant le nord, celle-là le sud, l’une et l’autre contrôlant toutes les ressources du pays. Puis, en 1901, la concession la plus spectaculaire sera celle de la recherche et de l’exploitation du pétrole : un monopole couvrant les cinq sixièmes du pays est gratifié à un Anglais, sir William Knox d’Arcy. Il aboutit à la création de l’Anglo-Persian Oil Company (1909). La Grande-Bretagne, qui possède 53% de la Compagnie, bénéficiera de ce pactole jusqu’à la 2° Guerre mondiale.

Un coup d’Etat anglo-américain

Tandis que, cependant, l’influence américaine commence à se substituer à celle des Britanniques dans le monde, en avril 1951 le Parlement vote à l’unanimité la nationalisation de l’industrie pétrolière et le Dr. Mossadegh, chef de file de cette campagne, devient Premier ministre. Il s’est rapproché du parti Toudeh, de gauche, [2] ce qui effraie l’oligarchie terrienne, l’armée et le shah. Celui-ci désigne un nouveau premier ministre, le général Zâhedi, ancien soutien des Nazis, ce qui provoque un soulèvement. Le Shah s’enfuit en Europe (août 1953).

Les Anglais tentent alors un coup d’Etat, qui échoue piteusement [3]. Ils demandent aux Etats-Unis de refaire cette opération. Le Président américain Truman refuse, mais avec Eisenhower, son successeur, ils obtiennent l’accord. Ils ont habilement agité l’épouvantail communiste.

En effet, l’équipe dirigeante américaine a changé. John Foster Dulles, le nouveau secrétaire d’Etat, - un des principaux promoteurs de la Guerre froide,- prête une oreille favorable à la demande britannique. Avec son frère Allen, qui vient d’être nommé directeur de la CIA, il fomente un coup d’Etat du 15 au 19 août 1953. Le 15, le le monarque Mohammad Reza Shah révoque le Premier ministre, Mossadegh. Des émeutes s’ensuivent et, le 17, de faux militants communistes, payés par les Américains, manifestent contre le souverain pour effrayer la population. Celui-ci s’enfuit d’abord puis revient en Iran sur son avion personnel, qu’il pilote lui-même, comme dans les films de Hollywood. Il destitue Mossadegh et prend le pouvoir. Il n’admet qu’un parti unique et interdit toute opposition : police secrète, - la Savak - prison, interrogatoires, torture, élimination physique. [4] Ainsi, un gouvernement démocratiquement élu est remplacé par une dictature. Et l’administration est lentement pourrie par la corruption.

Les Britanniques sont contraints de partager la manne pétrolière avec d’autres, notamment les Américains. [5] Les montagnes au nord de Téhéran vont devenir des postes de surveillance des missiles soviétiques. Pour que l’Iran devienne le policier du Moyen-Orient, des équipements militaires sophistiqués lui sont envoyés, avec un nombre important de techniciens américains pour s’en occuper. La population se rend compte qu’elle a été manipulée au profit des puissances étrangères .

Le Shah se proclame « Roi des Rois et Lumière des Ariens ». Il organise le développement économique du pays, suscitant un choc culturel qui est perçu par comme une occidentalisation. En effet, il interdit le port du voile, donne le droit de vote aux femmes, ce qui suscite le mécontentement des autorités religieuses, orchestré par haut dignitaire chiite, l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, qui est en exil. La « révolution blanche » du Shah engendre aussi une urbanisation pseudo-européenne qui aboutit à la destruction d’une partie du patrimoine culturel.

La coalition révolutionnaire

Les milieux islamistes organisent dans le pays une société parallèle : banques de prêts aux plus pauvres, instructions dans les écoles coraniques, etc. En 1979, la révolution éclate.Le 12 janvier, le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis Cyrus Vance annonce le départ du Shah : que le Chef de l’Etat voie son départ annoncé par son pays protecteur ne peut que lui porter le coup de grâce. Une telle ingérence révèle son vrai rôle, de n’être que leur chargé d’affaires. Le 16 janvier, il s’enfuit avec sa famille et quelques proches. Son armée, la plus puissante du Moyen-Orient après celle d’Israël, se délite : des sous-officiers se sont joints à la révolution, notamment parmi les cadets de l’armée de l’air, qui entrent en conflit avec la Garde impériale. Deux jours plus tard, le 11 février, l’armée décide de demeurer neutre.

Deux centres de pouvoir se sont instaurés : d’une part des factions libérales, marxistes et laîques ; de l’autre, l’ayatollah Khomeini, l’icône des islamistes, qui est entouré par les « gardiens de la révolution ». [6]

Le souvenir du rôle joué par les Etats-Unis lors du coup d’Etat contre Mossadegh, une certaine gauche antiaméricaine, vont inspirer une action musclée. Le 14 février, un groupe dominé par les Fedayine, de tendance marxiste, envahit l’ambassade américaine. [7] Le personnel est pris en otage. Quelques heures plus tard, les occupants sont délogés sans un coup de feu, sur l’ordre de Khomeiny.

Le Shah en fuite doit aller aux Etats-Unis et l’Ayatollah Khomeiny déclare qu’il n’y voit aucune objection. Mais au lieu de se rendre immédiatement en Amérique, le souverain part d’abord au Caire, puis au Maroc où il séjourne indéfiniment, au point que sa présence devient indésirable. Il demande à entrer aux Etats-Unis pour être soigné dans un hôpital du cancer dont il est atteint : mais entre temps la situation s’est dégradée [8].

Selon William J. Daugherty, Washington souhaite rétablir avec le nouveau régime iranien des relations sinon fructueuses, du moins stables. Dans cette perspective, l’entrée du Shah aux Etats-Unis n’est plus souhaitable, d’autant plus que le 5 mai, le Dr. Ibrahim Yazdi, ministre iranien des affaires étrangères, exprime le désir de voir s’améliorer les relations entre les deux pays. C’est un signe positif. [9] Cyrus Vance, le Secrétaire d’Etat, Warren Christopher, sous-secrétaire d’Etat et d’autres, sans compter le Président, sont hostiles à la venue du Shah.

Mais les rapports de force à l’intérieur du pays vont métamorphoser le paysage iranien. L’une des factions insurgées va l’emporter : cette seconde subversion constituera ce qui a été appelé, sans doute abusivement, « la révolution islamique ». Aux élections de l’Assemblée constituante, tandis que les partis de gauche, les conservateurs et les représentants des minorités appellent au boycott, le Parti républicain islamique de Khomeiny est élu avec 75% des sièges. La nouvelle constitution transforme l’Iran en démocratie théocratique : tout candidat à l’investiture doit être approuvé par les autorités religieuses. En décembre, un référendum donne les pleins pouvoirs à Khomeiny.

Celui-ci est proclamé « Guide de la Révolution », puis « Guide spirituel suprême » . Il contrôle l’armée, les services de sécurité, et dispose du veto dans le choix des candidats à la présidence. Ce sont les clercs autoritaires et rétrogrades qui, désormais, règlent juridiquement jusqu’à la vie intime des couples et répriment toute aspiration émancipatrice.

La demande d’asile du Shah est désormais mal venue. Le Président Carter ne veut rien savoir. Quelques uns des plus hauts dirigeants s’émeuvent, notamment Brzezinski, le Secrétaire à l’énergie, James Schlesinger, ancien ministre de la défense sous Gerald Ford, qui avaient il y a peu téléphoné au Shah pour lui promettre un soutien militaire sans faille. Le 23 février, l’administration américaine décide que bien que l’asile soit accordé, la venue du roi en ce moment est inopportune. Celui-ci, irrité, part le 30 mars pour les Bahamas et fait savoir au monde que l’administration de Carter est responsable de sa chûte.

Néanmoins, Brzezinski, Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’Etat, et le magnat David Rockefeller, tous trois amis personnels du Shah, font le siège du Président. [10] Ils invitent le roi à venir à Mexico. Carter note sur son carnet qu’il ne voit pas l’intérêt à ce que le Shah joue au tennis en Californie plutôt qu’à Mexico, tandis que les Américains d’Iran risquent le pire. [11] Néanmoins, pour des raisons encore obscures, sur la simple affirmation du médecin privé du roi, sans procéder à d’autres vérifications, le Président Carter donne l’autorisation, comme si seuls les hôpitaux états-uniens étaient aptes à traiter le malade. [12] Le Shah entre dans le pays le 22 octobre.

Les apparitions du Grand Satan

Considéré par le peuple comme le pantin des Américains, dont le rôle durant le renversement de Mossadegh est dans toutes les mémoires, l’événement choque l’Iran. Le 1er novembre 1979, l’ayatollah Ruhollah Khomeiny qualifie les Etats-Unis de « Grand Satan » par un décret qui interdit toute négociation directe avec ce pays. Le 4, les étudiants iraniens envahissent l’ambassade des Etats-Unis. Ils demandent que le shah soit remis au pays pour être jugé, et ils réclament le remboursement de milliards de dollars qu’ils l’accusent d’avoir détourné des caisses de l’État. Ils garderont le personnel en otage durant 444 jours [13].

Un mois plus tard, l’Union soviétique envahit l’Afghanistan. Les Etats-Unis sentent que leurs intérêts pétroliers sont menacés [14].

L’opération Eagle Claw

Le 24 avril 1980, Washington tente l’opération « Eagle Claw » pour libérer son personnel. Des hélicoptères atterrissent dans le désert, mais une combinaison de facteurs entraîne le désastre. Les Iraniens trouvent sur les militaires la liste de tous les agents de la CIA en Iran. Cet échec piteux entraînera la victoire de Reagan sur Carter aux élections présidentielles. Le jour où le nouvel élu prend le pouvoir, les otages sont libérés : les négociations ont eu lieu par l’intermédiaire de l’Algérie.

Le coup d’Etat manqué « Nojeh »

Mais déjà, dix jours plus tôt, il semble que les Américains aient donné à l’Iraq le feu vert pour attaquer le régime iranien. Le 14 avril, Brzezinski a déclaré qu’il n’y a aucune incompatibilité fondamentale entre les Etats-Unis et l’Irak. [15] Il suggère au roi Hussein de Jordanie, confident de Saddam Hussein, que le chef d’Etat irakien sponsorise un coup d’état et vienne au secours des insurgés par une invasion. Selon le président iranien ; Abol Hassan Bani-Sadr, Brzezinski rencontre en juillet Saddam Hussein et l’assure que les Etats-Unis ne s’opposeraient pas à une séparation de la province du Khuzestan de l’Iran.

En juillet 1980, les militaires tentent le coup contre Khomeiny, sous la direction de Shapour Bakhtiar, l’ancien premier ministre du Shah. Une grande partie de ces événements reste obscure : l’argent serait-il venu des exilés iraniens, ou des Etats-Unis et d’Israël ? [16] De toute façon, le coup est éventé : 600 officiers sont arrêtés et la plupart exécutés. On ignore si l’information vient des Russes, voire même de Saddam Hussein, qui s’apprête à envahir l’Iran et incite ainsi à la décapitation des cadres de l’armée.

La guerre Irak-Iran

L’Irak attaque l’Iran le 22 septembre 1980. Il semble que les Etats-Unis aient donné leur feu vert [17] . En 1984, la CIA va offrir ses conseils pour l’utilisation du gaz à la moutarde contre les Iraniens. [18] Washington va fournir les armes chimiques qui seront utilisées contre les Kurdes. Le Directeur de la CIA, William Casey, insiste pour l’utilisation des bombes à fragmentation. [19]Des officiers américains sont même présents sur les lieux comme instructeurs. [20] Plus de soixante officiers offrent des renseignements sur les mouvements de troupes adverses. [21] Des milliards de dollars de crédits leur sont accordés. La France et l’URSS fournissent des armements.

Quand la situation se renverse au profit de l’Irak, ils vont venir au secours de l’Iran. Ils ont tout intérêt à voir les deux régimes s’affaiblir mutuellement. L’action s’est déplacée au Département de la Défense américain, plus précisément à un troisième échelon de la hiérarchie, au Sous-secrétariat politique de la Défense pour la politique, dirigé par Douglas Feith, numéro trois dans la hiérarchie de ce ministère [22], considéré comme un « faucon » néoconservateur. Sous ses ordres travaille Lawrence Anthony Franklin, - « Larry Franklin » - , colonel de réserve de l’U.S. Air Force, et spécialiste chevronné du renseignement en Iran.

C’est une taupe recrutée par le principal lobby israélien aux Etats-Unis, American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). [23] Il va engager l’Etat américain dans une fourniture secrète d’armes à l’Iran.

L’Irangate

Dans le coup d’Etat contre Khomeiny a été mêlé un exilé irakien, Manucher Ghorbanifar, marchand d’armes de petit calibre ou de missiles, de petits pois ou de tapis persans, au choix, selon les demandes et les portefeuilles. Sa sœur, qui a participé au complot, est condamnée à mort. A travers un médiateur à Dubai, il verse un million de francs en échange d’une condamnation à cinq ans de prison. Ainsi vont commencer ses relations douteuses avec le nouveau régime, en même temps qu’il va servir d’intermédiaire avec les Etats-Unis.

En 1985, Ghorbanifar prend contact avec Israël pour obtenir des armes. Shimon Pérès, alors premier ministre, donne son accord pour cette vente une fois obtenue l’approbation des Etats-Unis. En novembre, Yitzhak Rabin, ministre de la défense, autorise l’envoi de missiles HAWK. Par la suite, le Président des U.S.A., Reagan, décide que les Etats-Unis enverront leurs armes directement en Iran.

L’opération américaine, menée en toute illégalité [24] (Reagan a besoin d’argent pour financer une guérilla contre le gouvernement du Nicaragua), est financée en partie par un autre marchand d’armes, le milliardaire Adnan Khashoggi, d’Arabie saoudite. De son côté, le roi de ce pays fait une donation secrète aux Etats-Unis au profit de la guérilla nicaraguayenne.

L’Armée américaine va maintenant fournir de faux renseignements à Saddam Hussein, et la guerre se prolongera jusqu’au moment où, l’Irak risquant cette fois de perdre, va de nouveau retrouver un soutien des Etats-Unis. [25] La guerre se prolonge ainsi indéfiniment jusqu’en 1988, faisant plus d’un million de morts. Sans doute un des plus grands massacres après celui de la seconde Guerre mondiale.

En 1989, un nouvel incident va raidir les pays occidentaux, y compris la France dont les relations avec l’Iran s’étaient progressivement améliorées. L’Ayatollah Khomeiny décrète un arrêt de mort contre l’écrivain Salman Rushdie, auteur d’un livre jugé blasphématoire. L’impérialisme occidental s’affrontera désormais à un courant islamiste politique, intransigeant, qui d’ailleurs va isoler l’Iran des autres nations musulmanes, car leurs Etats se sentent désormais menacés. Avec l’arrivée de Bush au pouvoir et les événements du 11 septembre 2001, les tensions se changent en croisades.

Conclusion : Les apparences trompeuses.

Le caractère inédit de la situation mondiale contemporaine ne peut qu’inciter les princes qui nous gouvernent à recourir à des fables et même à y croire. Si Reagan a voulu mettre en œuvre « la guerre des étoiles », c’est qu’il était convaincu que l’heure du Jugement Dernier était arrivée. Il fallait préparer la divine Apocalypse.

Les relations entre les Etats-Unis et l’Iran ne se résument pas à un bras de fer entre deux volontés de puissance ambitieuses et paranoïaques. Rien n’est plus absurde que d’imaginer que chaque nation ne parle que d’une seule voix : l’affaire de l’Irangate et les oscillations américaines au sujet de la guerre irako-iranienne le démontrent.

Assurément, pour la galerie, les médias mettent en relief les positions de celui ou celle que le pays a promu comme étant le décideur principal, en l’occurrence le Chef d’Etat ou le Premier ministre. Mais d’autres discours, d’autres relations se nouent et se dénouent dans l’ombre, qui parfois contredisent, endiguent ou s’opposent aux discours officiels.

La myopie consiste à ne considérer que les acteurs qui occupent le devant de la scène ; le reste est tenu pour négligeable. A l’inverse, ne voir que l’arrière-scène entraine l’enquêteur dans quelque fantomatique théorie des complots. C’est ainsi que le développement des relations informelles sur l’Internet suscite d’étranges spectres qu’aperçoivent les intellectuels, les fumistes... et les services de guerre psychologique. « Guerre de civilisations », « boucliers islamistes contre monstres jaunes qui s’éveillent », « grand Satan contre Axe du Mal », les scénarios apocalyptiques fleurissent. Ils sont d’autant plus crédibles que l’humanité peut aujourd’hui s’autodétruire avec virtuosité.


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