Divergences Revue libertaire en ligne
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Un guide méchant [et parfois moche] de Paris
Station Raspail
Jean-Manuel Traimond. Photos Christiane Passevant
Article mis en ligne le 3 juin 2009
dernière modification le 5 mai 2009

François Raspail, chimiste et hygiéniste du XIXe siècle qui savait à douze ans le latin, le grec et l’hébreu, fut souvent emprisonné parce qu’il combattait pour la République. Sa première incarcération eut pour cause son refus de la légion d’honneur exprimé avec vivacité à Louis-Philippe en 1831. Lors de l’un de ces séjours, en 1853, sa femme mourut sans qu’il puisse venir la soigner. Lorsque la République fut enfin établie, il combattit pour les pauvres, qu’il soignait gratuitement depuis longtemps. Donc la République l’emprisonna, officiellement pour l’éloge imprimé du communard Delescluze, bien qu’il fût alors octogénaire. Outrée, craignant qu’il ne meure en prison, sa fille Marie réclama d’être emprisonnée elle aussi pour pouvoir prendre soin de lui. On accéda sans hésiter à sa rare demande. Ce fut elle qui mourut.

Raspail, éduqué au séminaire, ex-professeur suppléant de théologie, fut un polémiste redoutable tant à la religion qu’à la finance. En témoigne cet extrait de son Nouveau système de chimie organique :

« Lorsque Papin eut découvert l’action qu’exerçait la vapeur comprimée sur la transformation des tissus insolubles, et surtout des os ; dès qu’il fut parvenu à rendre pulpeuse et gélatineuse la substance osseuse ; il pensa à utiliser en faveur du plus grand nombre, les produits qu’alors on jetait aux chiens ou au rebut ; il se proposa de faire passer la gélatine au nombre des substances alimentaires, mais seulement des substances alimentaires destinées au pauvre qui, comme on le sait, en économie publique, prend rang tantôt à côté, tantôt un cran au-dessus du genre chien ; et, en reportant son esprit à cette époque, où la charité chrétienne seule s’occupait de soulager les classes inférieures, on est forcé de rendre hommage aux vues économiques de Papin, et de lui savoir gré d’avoir voulu donner aux pauvres les os à ronger, sous une forme liquide.

Mais la France d’alors se montra sourde à l’amélioration ; l’administration entrevit bien que les os à ronger ne seraient pas plus du goût du pauvre sous l’une que sous l’autre forme ; Papin alla offrir ses procédés, ses marmites autoclaves et ses produits à Charles II, roi d’Angleterre, roi de cette grande nation dont le paupérisme forme la plus large plaie. Ce roi, préoccupé de la taxe des pauvres, était sur le point de passer marché avec le chimiste français, lorsqu’on lui annonça une députation qui demandait à présenter requête. Cette députation se composait de ses meutes de chiens, qui portaient à leur cou un placet, par lequel ils suppliaient le roi de ne pas les priver d’une substance qui leur revenait de droit de temps immémorial.

Dans ce temps de privilèges, le roi respecta celui-là à l’instar de tous les autres ; et les courtisans, dont la jovialité ne fait pas toujours le mal, sauvèrent ainsi les pauvres de l’alimentation des chiens. »


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