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La nuit au cinéma, la nuit en Méditerranée… (2)
Article mis en ligne le 29 septembre 2008
dernière modification le 2 septembre 2008

Una Notte de Toni D’Angelo (Italie, 2007, 1h31mn)

Dans ce premier long métrage, Toni D’Angelo suit plusieurs itinéraires de personnages qui ont quitté la ville. Le casting a-t-il précédé l’écriture du film ou en découle-t-il ? Difficile à dire tant l’incarnation des personnages semble juste.
Naples, la nuit… Le déracinement, la lâcheté, le désespoir dans Naples sous influence. Tout est abordé durant cette nuit de la révélation et des rêves anéantis qui laisse un goût amer de la désillusion et de la lassitude.
La musique occupe une place majeure dans le film, par l’association du jazz et de la nuit et par la présence du père du cinéaste, chanteur napolitain très populaire, qui tient le rôle de commentateur, de coryphée dans cette virée nocturne.

Toni D’Angelo a réalisé, avec ce premier long métrage, une œuvre intime [1]. Son investissement personnel est d’ailleurs emblématique de la situation du cinéma d’auteur dans la production italienne. Cet entretien [2] avec Toni d’Angelo lors du festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier prouve la détermination des jeunes cinéastes de la nouvelle génération et illustre aussi les prémisses d’un grand retour du cinéma italien que beaucoup regrettaient au souvenir des chefs d’œuvres ayant marqué la production cinématographique italienne.

Toni D’angelo : C’est un film personnel qui n’aurait pas été possible si je n’avais pas, avec mes proches, financé en partie sa production (150 000 euros). L’idée de ce film, de la nuit, je l’avais depuis longtemps. J’ai cherché des fonds pour la production du film et, finalement, j’ai créé ma maison de production. Parallèlement, j’ai travaillé avec les comédiens. Je n’ai rien contre la production italienne, il y a de grands producteurs, mais le problème est d’arriver jusqu’à eux et de se faire produire. Même Abel Ferrara a des difficultés à trouver des producteurs, alors imaginez celles des jeunes réalisateurs !
Pour le cinéma d’auteur, de nombreux et nombreuses cinéastes ont reçu des prix dans des festivals, mais cela n’atténue en rien les difficultés à se faire produire. Matteo Garrone [3] est un auteur important à mes yeux, il a fait tous les festivals du monde, mais ses films ont souvent surpris et l’accueil des critiques a parfois été froid. Et pourtant c’est un grand auteur.
La production cinématographique ne reçoit aucune aide en Italie. Et comme très peu de copies circulent dans les salles, puisque le tirage est limité, les films n’arrivent pas au public, mis à part les grosses productions.

Pour le cinéma d’auteur, c’est finalement le bouche-à-oreille qui fonctionne, les récompenses dans les festivals n’ont pas vraiment d’influence directe sur la distribution. Quant à soutenir le cinéma italien, il en est souvent question, mais cela reste des paroles. Il faudrait l’équivalent de l’aide qui existe en France.

Christiane Passevant : Le problème de la distribution est prégnant, mais en tant que producteur indépendant, produisez-vous d’autres films ? La télévision est-elle partie prenante de la production cinématographique ? Quelles sont les possibilités de diffusion à la télévision ?

Toni D’angelo : J’espère produire d’autres films. J’ai déjà des contacts pour un second film. Mon expérience personnelle m’a appris qu’il fallait être dans la production pour être pris au sérieux, respecté et pouvoir réaliser des films. On ne peut attendre aucune aide de la télévision. La troisième chaîne fait une émission sur le cinéma qui est diffusée dans la nuit. Un film comme le mien, s’il était acheté par la RAI de Berlusconi, passerait en fin de soirée, pas avant 23 heures. La chaîne satellitaire ne diffuse les films qu’à partir d’un certain nombre d’entrées dans les salles. Una notte , qui n’aura pas le nombre de spectateurs d’un film bien distribué, ne sera pas achetée par la chaîne.

CP : Les festivals ne sont-ils pas dans ce cas une opportunité pour des films comme Una notte  ? Ce qui rendrait possible une distribution possible hors d’Italie où le barrage à la jeune production semble important ? Pour donner un exemple, je pense notamment à un film libanais, réalisé par Ghassan Salhab [4], qui a été présenté au Festival de Montpellier en 2006 et choisi ensuite par les circuits de distribution indépendante aux États-Unis.

Toni D’angelo : Les festivals sont un passage obligé, mais je doute que cela aide actuellement la distribution.

CP : Votre film est un film d’auteur, avec un langage cinématographique particulier, mais c’est aussi un film populaire, facile d’accès. Et pourtant, en vous écoutant, j’ai l’impression qu’en Italie une barrière infranchissable existe entre jeunes réalisateurs et public.

Toni D’angelo : La barrière n’est pas infranchissable. Je suis content que vous ayez vu mon film à la fois comme un film d’auteur et populaire. Pour moi, c’est une question de respect du public. Je ne sais pas combien de personnes ont vu mon film, mais la plupart m’ont fait des compliments, m’ont téléphoné pour me le dire, mais cela est resté sans suite.

CP : Quelles sont vos influences pour l’écriture du film ?

Toni D’angelo : Cassavetes, Jim Jarmush, Abel Ferrara [5], les grands réalisateurs états-uniens en général. Pour l’écriture du film, je ne suis pas parti d’un casting, mais de comédiens que je connaissais. L’acteur Ricardo Zina est trompettiste comme Luigi est un chanteur raté. Tous sont des bourgeois, tous vivent à Rome et tous sont ratés. Et j’ai écrit sur eux. Il était donc inévitable que cela soit dans le film. Quant à mon père qui tient le rôle du chauffeur de taxi, il est chanteur [6]. Les acteurs, l’actrice ont participé à leur texte lors de l’écriture du film et pendant le tournage. C’était une écriture permanente comme la pratique de Godard qui écrit le film lors du tournage. Les émotions, les attitudes des personnages pouvaient évoluer. En fait Una notte était beaucoup plus triste à l’origine. Les personnages étaient tristes tout au long du film. Durant le tournage, les rapports entre nous, entre les personnages et nous, ont changé et c’est devenu moins triste. C’était la vie normale, les personnages sont devenus eux-mêmes, des personnes et non des personnages. Et du coup, on a l’impression de connaître les personnes.

CP : Revenons au problème dont nous parlons depuis le début de cet entretien : la distribution ?

Toni D’angelo : Je la cherche ! Vous connaissez un distributeur ?

Entretien, transcription et présentation, Christiane Passevant.