L’Amérique possède deux sortes de toxicomanes ; les minoritaires, qui veulent héroïne et cocaïne, et puis la totalité de la population, shootée au pétrole. On sait que la politique étrangère américaine a très vite accordé une grande importance à la sécurité des approvisionnements en pétrole. Or, depuis une vingtaine d’années, plus précisément depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, le pétrole semble être devenu le sang même des Etats-Bénis. Presque rien d’autre ne compte que la chasse, de plus en plus désespérée, de plus en plus brutale, à la drogue nationale. La première guerre contre l’Irak fut lancée pour reprendre le Koweït. L’arrivée massive des Américains dans la politique africaine a pour raison la découverte de pétrole en Afrique Noire. La seconde guerre contre l’Irak, les rivalités avec la Russie en Asie Centrale ont pour raison principale, voire unique, les champs pétrolifères ou gazeux non russes, ou la nécessité d’éviter le passage des pipe-lines par la Russie. On ne révèlera rien non plus de très nouveau en rappelant qu’avec Bush II le haut pétrole, comme on dirait la haute finance, s’est acheté le parti républicain d’abord, la Maison Blanche et le Congrès (et la Cour Suprême tant qu’à faire) ensuite.
Mais voilà, cette agitation pour le pétrole ne peut guère se cacher. Le reste du monde a compris qu’avec du pétrole on peut tenir la dragée haute aux Etats-Bénis. Un éditorialiste américain, Thomas Friedman, a posé sa Première Loi de la Pétropolitique : plus le prix du pétrole monte, plus la démocratie baisse. Expliquons-nous ; il y a quelques années, gouvernements et médias saluaient à grands hosannahs l’avancée de la démocratie un peu partout dans le monde, en Amérique Latine, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie... Et les Etats-Bénis affirmaient que l’honneur leur en était dû, qu’ils imposaient une meilleure morale aux vilains dictateurs. Avec le prix du pétrole atteignant la stratosphère, les vilains dictateurs, inondés de dollars, s’amusent beaucoup des gesticulations hypocrites de la plus grande démocratie apparente du monde. Et font ce qui leur plaît. Trois exemples :
La Chine est en grande partie responsable de la hausse du pétrole, parce que le gigantisme de son économie, et le rythme effréné de son développement, engloutissent jusqu’aux moindres gouttes disponibles. Mais comme l’Amérique, elle, ne diminue pas son train de vie pétrolier, la facture américaine énergétique atteint un niveau faramineux. Dépassé seulement par le colossal déficit américain, creusé un peu (beaucoup) plus par l’impéritie du gouvernement Bush. Qui finance le déficit américain, qui achète les Bons du Trésor américains ?
Les Chinois !
L’Iran met les bouchées doubles pour fabriquer sa bombe atomique, grâce aux Pakistanais qui leur ont expliqué comment faire, les Pakistanais l’ayant appris des Chinois, les Chinois l’ayant appris des Russes. Cauchemar que la perspective des ayatollahs nucléaires. Mais on ne voit pas comment les Etats-Bénis peuvent contraindre les ayatollahs à renoncer à leur bombe, lorsque le pétrole iranien se vend à un prix aussi haut. Décréter le blocus des exportations pétrolières iraniennes ? Il faut que les Chinois, dépendants du pétrole iranien, soient d’accord. Or, les Chinois, voir plus haut, ne se sentent pas du tout menacés ou contraints par une quelconque pression américaine.
Posséder du pétrole en abondance est un malheur pour le Nigéria, l’une de ces zones géographiques que seule la plus veule paresse mentale appellerait un Etat ou un pays ; à l’intérieur de frontières artificielles imposées par le colonialismes, des élites, elles aussi crées par le colonialisme, n’agissent que pour maintenir leur pouvoir assez longtemps pour voler, directement, sans s’en cacher, les ressources de la zone tombée entre leurs mains. Le processus est encore plus nu, plus éhonté au Nigéria qu’ailleurs. Ce qui explique, en réaction, la naissance de troupes autochtones mi-bandits, mi-combattants, qui percent les pipe-lines pour revendre le carburant, qui kidnappent les techniciens des compagnies pétrolières pour mettre du beurre dans le manioc et qui, toutes gonflées de l’honneur de combattre les exploiteurs étrangers, tirent dans le tas quand leurs concitoyens ne paient pas à leur tour. Récemment, 150 personnes sont mortes dans une énorme explosion à un point de perce d’un pipe-line, où les gens venaient remplir leurs seaux, exactement comme à la fontaine du village. A ceci près que cette eau-là explose à la moindre étincelle.
Oui M. Friedman, plus le prix du pétrole monte, plus la liberté baisse.
Nestor Potkine