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"Sacco et Vanzetti" (1)
Pièce de théâtre écrite et mise en scène par Loïc Joyez
Article mis en ligne le 13 juillet 2008
dernière modification le 14 juillet 2008

« Dans toutes les langues, des pléiades de poètes, de dramaturges, de romanciers, d’écrivains » ont écrit sur « le drame [qui] a polarisé les États-Unis. » [1]

Mai 2008, Les Inactualistes décident de jouer la pièce de Sacco et Vanzetti, écrite et mise en scène par Loïc Joyez.
Sur scène, pas moins de douze comédiens et comédiennes interprètent un texte à la fois fidèle à l’histoire et s’échappant de celle-ci pour en souligner le caractère universel et intemporel. Le thème principal étant le crime d’État dans une situation de tension sociale et de répression brutale.

Les années 1920 aux États-Unis. La répression est intense et s’abat sur toutes les organisations progressistes du pays tandis que règnent une corruption politique et une spéculation financière sans limites.
Ces années marquent une époque où les tendances fascistes se dévoilent. Depuis l’engagement des États-Unis dans la Première Guerre mondiale,
en 1917, le syndicat révolutionnaire des IWW a été laminé et la peur
des « rouges » est alimentée par une propagande bien orchestrée. Les mouvements syndicaux et anticapitalistes sont violemment réprimés et
la chasse aux subversifs bat son plein.

5 mai 1920, deux hommes — Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti — sont arrêtés et rapidement accusés d’avoir participé à un hold-up et à un double meurtre.
Ils sont immigrés, italiens et anarchistes… Tout est dit et il n’en faut pas davantage pour qu’ils soient déclarés coupables et condamnés à mort sans véritables preuves et au terme d’un procès inique, parodie de justice. Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, victimes de la « terreur blanche » symbolisent toute l’horreur de la machine judiciaire jusqu’à sa finalité : la peine de mort.

« Rien ne manque au procès de Sacco et Vanzetti. L’Innocence et la Culpabilité. Les Victimes et les Bourreaux. Le Tragique, la Vie et la Mort. Tous les symbolismes primordiaux apparaissent à tour de rôle, à la place qui leur est assignée par le grand Mythe de la Justice. Nul n’y échappe »… [2]
Rien ne manque en effet et rien n’est laissé au hasard dans cette histoire d’acharnement policier et judiciaire contre deux hommes condamnés d’avance. Coupables ou innocents ? Ce n’est pas le fond du problème : ils sont avant tout anarchistes et « étrangers ».

Les années 1920 sont une époque de réaction idéologique qui voit le renouveau du Ku Klux Klan et son installation dans le nord des États-Unis. Le trop fameux « America, You love it or leave it » [3] — toujours d’actualité — exprime la xénophobie ambiante à l’encontre d’une population qui n’est pas blanche et wasp.
La décennie de la « terreur blanche » est le temps des rafles, des arrestations, des enlèvements et des assassinats politiques, des procès iniques… Comme celui de Sacco et Vanzetti.

Sacco et Vanzetti de Loïc Joyez est une réussite de transposition de ces sept années de lutte inégale menée par Sacco et Vanzetti contre la machine judiciaire. La procédure dura sept ans. Les enquêtes, les contre-enquêtes, les appels à la révision chaque fois rejetés par le juge Thayer… Le système n’accepte pas qu’on le combatte.

On ne peut s’empêcher de penser au procès des Rosenberg [4] pendant la « chasse aux socières » ou à celui de Mumia Jamal [5], journaliste — la voix des sans-voix — et ancien militant des Black Panthers.

Recréer ce climat des années 1920 en deux heures de textes et d’ambiances pour accompagner le public dans une histoire somme toute assez proche est aussi une manière de souligner le lien, un parallèle avec l’actualité.
La politique sécuritaire et les relents xénophobes sont-ils si différents aujourd’hui ? L’intimidation du pouvoir, la « reprise en main » des patrons, les droits remis en question, la chasse aux sans-papiers, les directives et les circulaires contre les « étrangers indésirables », les centres de rétention, les expulsions, les violences policières, la mort et la banalisation des « bavures »… La liste est longue.

« Le procureur Katzmann : Vous avez beau jeu d’incriminer ainsi la société pour vous trouver relégué au rang de victime du système des systèmes. Le communisme est en train d’asservir les masses qu’il était sensé libérer ; le capitalisme est en train d’émanciper l’individu qu’il était sensé exploiter.

Sacco : On n’est pas communistes. Vous faites exprès l’amalgame.

L’avocat Moor : L’accusation reproche aux ouvriers de combattre la police des patrons pour réduire des horaires de travail inhumains. 16, 17, 18 heures ! Pour obtenir des salaires décents. Voilà le vrai but de ce procès : briser les ouvriers, les syndicats, en menant une campagne ignoble contre les immigrés.

Katzmann : Comment croyez-vous que fonctionne un pays ? À plus forte raison un pays comme les États-Unis !

Moor : C’est scandaleux ! C’est scandaleux !

Katzmann : Les anarchistes sont des gens qui n’en font qu’à leur tête ! Aucune grandeur en eux parce qu’aucun sens de la hiérarchie !

Thayer : Basta ! Je rappelle à l’ordre la défense et l’accusation !

Katzmann : Alors, monsieur Sacco, vous distribuez des tracts, mais vous ne savez rien des bombes. Vous aimez votre prochain mais vous circulez armé. Vous aimez ce pays mais au lieu de le servir vous fuyez au Mexique. Pourquoi n’êtes-vous pas resté au Mexique, ce pays libre ?

Sacco : Je n’arrivais pas à gagner ma vie, je ne pouvais pas exercer mon métier. J’en ai trop bavé pour l’apprendre, je n’allais pas en changer.

Katzmann : Votre amour pour les États-Unis repose sur votre paye hebdomadaire. En somme, votre amour pour ce pays se mesure en dollars et en cents.

Moor : Objection !

Thayer : Refusée. (À Sacco) : Est-ce que les États-Unis ne vous ont pas accueilli il y a de cela des années ? Est-ce que ce pays ne vous a pas permis d’apprendre un métier ? Vous vous imaginez que la vie est facile pour tous les Américains qui eux aussi triment, travaillent sans se plaindre... Vous êtes un étranger, vous devez le respect et la reconnaissance envers votre pays d’accueil. Au lieu de cela, que faites-vous...

Sacco : Je peux parler ?

Katzmann : J’allais vous le demander.

Sacco : Vous ne parleriez pas en dollars et en cents, mais en millions de dollars, s’il s’agissait d’un de ces patrons qui font des dons aux universités et dont on loue la générosité. Mais je ne suis qu’un pauvre ouvrier travaillant dans ce pays dit de la liberté. J’ai trimé comme un chien sans même pouvoir mettre un seul dollar de côté. On me parle de passeport, mais moi au consulat j’avais demandé un certificat de rapatriement, trop pauvre que j’étais pour payer le voyage. Après 13 ans, je serais rentré au pays sans un sou, aussi misérable que je l’avais quitté.

Thayer : Restez calme je vous prie.

Sacco : Voilà pourquoi je suis devenu anarchiste. J’en ai eu assez de me faire voler ma vie. Il faut des salaires décents. Nos enfants doivent avoir la possibilité d’aller à l’école, que ce soient des fils d’ouvriers blancs ou noirs. Je refuse que ces capitalistes juste bons à mettre leur argent à la banque les envoient mourir à la guerre. Nous ne voulons pas de ça ! On dit non ! On est contre la guerre. Pourquoi devrions-nous nous entre-tuer ? J’ai travaillé avec des Allemands, ils m’ont traité comme un frère. Pourquoi devrais-je les tuer ? Morgan et Rockfeller ne sont pas les grands hommes de ce pays. J’ai vu des gens mieux qu’eux jetés en prison pour des années. Mumia Abu-Jamal, un grand homme de ce pays, est actuellement en prison pour ses idées. Eux, oui, je les aime M. le procureur. Ce sont eux qui me font aimer ce pays. »

(Extrait de Sacco et Vanzetti de Loïc Joyez)

Le décor de la représentation est planté.
« Une rue. Un orgue de barbarie, une prostituée, quelques ouvriers. […] Quelques militants qui veulent inventer leur propre soleil. On attend Galleani, le grand leader anarchiste. » Un homme entre en courant, affolé, et annonce la mort d’un typographe, d’un compagnon, Andrea Salsedo
 [6].
Et les flics rodent… Les rafles sont monnaie courante contre les « étrangers indésirables » et les subversifs. Les forces de l’ordre sont lancées à l’attaque de ce qui est décrit les discours des dirigeants et les médias comme l’« ennemi intérieur ».

L’affaire Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti commence évoquant l’un des épisodes les plus dramatiques de la répression d’État.