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Jorge Masetti & Canek Sánchez Guevara
Les “héritiers” du Che : mythe et réalité d’une légende
par Octavio Alberola
Article mis en ligne le 15 janvier 2008
dernière modification le 7 janvier 2008

À l’occasion du 40e anniversaire de la mort d’Ernesto Guevara, plus connu comme le Che, les éditions Presses de la Cité ont publié un livre, Les héritiers du Che, de Canek Sánchez Guevara et Jorge Masetti. Cet ouvrage s‘est ajouté à la longue liste des édités cette année sous
le prétexte d’une commémoration qui, contrairement à ce que voulait représenter le Che, s’est convertie en une des plus commerciales du monde.

En réalité, le président bolivien René Barrientos devait être loin de penser qu’en donnant l’ordre d’exécuter le Che et de le faire enterrer en catimini le 8 octobre 1967 aux alentours d‘un petit village bolivien il en ferait un martyr qui deviendrait une des légendes les plus médiatisées et mondialisées du XXe siècle. Une légende transformée rapidement en mythe et en culte idéologique parmi les jeunes en rébellion sur les cinq continents ; mais aussi transformée en source inépuisable d’exploitation mercantile de l’idolâtrie juvénile pour les
icônes médiatiques que la société de consommation a étendues sur toute la planète.

Le fait est qu’au moment où seuls les Castro, Chávez et compagnie convoquent les masses pour rendre un hommage rituel au célèbre guérillero, « héraut et héros de la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme », pour faire croire qu’ils poursuivent cette lutte, l’effigie du Che sert aussi à orner toute sorte d’objets et de vêtements vendus dans les temples et les cathédrales du capitalisme et de l’impérialisme : les boutiques et les supermarchés. C’est ainsi que le Che sert d’appât pour faire vendre des écharpes, tee-shirts, maillots de bain et vêtements divers des grands couturiers, jusqu’aux briquets, cartes postales, étiquettes de vin et articles d’usage courant, comme assiettes, cafetières, plateaux, coquetiers, etc.

Le paradoxe, c’est que cette légende messianique, convertie en un mythe, est interprétée de mille manières différentes et, dans la majorité des cas, uniquement par intérêt partisan ou cupidité mercantiliste. Nonobstant c’est vrai aussi que, pour certains secteurs conscientisés des jeunes générations, le nom du Che leur rappelle un homme révolté contre les injustices de ce monde, et que c’est pour cela qu’ils le revendiquent dans leurs protestations contre la mondialisation capitaliste. Même parmi les plus allergiques au messianisme et au dogmatisme - marxiste ou autre -, on en trouve encore. Et ils sont aussi disposés que les autres à témoigner cette sympathie envers celui qui, abandonnant les privilèges et vanités du pouvoir institué à Cuba, périt en luttant les armes à la main dans les Andes boliviennes pour « libérer le continent américain des griffes de l’impérialisme yankee ».

Or, même si la personnalité profonde du Che a été mise en évidence dans quelques livres qui lui ont été dédiés antérieurement, les témoignages de Canek Sánchez Guevara, petit-fils du Che, et de Jorge Masetti, fils d’un des compagnons d’armes le plus proche du Che et ex-agent des services conspiratifs cubains, apportent des informations surprenantes et un éclairage saisissant sur cet archange à double face. Surtout pour ne pas oublier sa rigidité idéologique et une sévérité insoupçonnable derrière ce portrait retouché en visage d’icóne ; mais aussi pour comprendre la véritable nature du régime dictatorial cubain, qui était le modèle que le Che voulait installer dans le reste du continent.

À différentes périodes, Canek et Jorge ont vécu à Cuba quand ils étaient jeunes et ils savent, par expérience, comment la jeunesse cubaine vivait la réalité quotidienne de cette révolution imposée d’en haut. Une révolution qui s’est rapidement réduite en slogans de propagande et défilés pour acclamer leurs chefs et les martyrs de la lutte révolutionnaire. Loin de la vision mythologique du Che et du régime cubain, Canek Sánchez Guevara et Jorge Masetti esquissent une image très différente des mythifiés par les services de propagande procastristes. Leurs témoignages montrent la dureté implacable des chefs révolutionnaires, les mensonges et escroqueries de la caste des privilégiés et les arcanes d’un monde policier omniprésent et répressif. Les témoignages de Jorge et Canek montrent aussi l’existence d’une
société pétrifiée dans un apartheid social et d’un surprenant « underground » dans lequel les jeunes révoltés s’identifient plus à la culture rock, punk ou hippy qu’à la martyrologie officielle et aux codes de la bourgeoisie castriste. Une jeunesse qui aspire à la liberté et qui reste indifférente à l’épopée guévariste promotionnée et exploitée par l’oligarchie révolutionnaire à son profit exclusif. Ces témoignages font tomber les masques et démythifient la légende du Che et sa guérilla, mais surtout celle de la révolution cubaine.

Un livre à lire et à recommander.

Octavio Alberola