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Wolfgang Hertle
Penser globalement, agir localement
Les Landes libres (FREIe HEIDe), conflit symbolique du mouvement antimilitariste
Article mis en ligne le 14 novembre 2007
dernière modification le 8 novembre 2007

Parmi les manifestations de Pâques, qui se déroulent chaque année dans toute l’Allemagne depuis une quarantaine d’années, c’est la FREIe HEIDe qui réunit, depuis dix ans, le plus grand nombre de participants revendiquant un monde sans guerre. A titre de comparaison, en 2007, la manifestation dans Berlin ne comptait qu’environ 1000 personnes contre 10 000 sur les Landes.

La FREIe HEIDe est une Bürgerinitiative (initiative citoyenne), animée par une partie des habitants de cette région pauvre qui présente un taux de chômage élevé depuis la chute du mur. Chute qui a entraîné des changements économiques et politiques importants qui n’ont laissé que peu de perspectives à ceux qui sont restés dans la région. Son atout, c’est d’abord une nature relativement intacte qui a permis de créer des emplois dans le tourisme, dans l’agriculture biologique ou dans des entreprises dites « vertes », par exemple dans le secteur des énergies renouvelables.

Il faut dire que l’antipathie des habitants pour le projet d’un « bombodrome » ne vient pas forcément de leur conviction antimilitariste, mais plutôt d’une nécessité existentielle. Expérimenter des bombes sur ce terrain comme l’envisage le gouvernement fédéral, donc le retour dans la région d’une zone d’essais pour les militaires, amènerait la fin de tout investissement bénéfique. D’ailleurs, les plus anciens en connaissent bien le contrecoup : bruit des avions en rase-motte, détonations, secousses, etc. Pendant quarante ans, l’Armée rouge usa et abusa de ce terrain de 140 km2. Maintenant, les habitants profitent du calme, et si leur motivation pour lutter contre le bombodrome tient à des raisons bien terre-à-terre, l’antimilitarisme commence également à y jouer un rôle de plus en plus important.

La FREIe HEIDe s’est créée aussitôt les premières déclarations du ministre de Défense, en 1992, quand il déclara vouloir utiliser le terrain pour des manœuvres militaires.

Les membres de la FREIe HEIDe ont confiance en l’Eglise protestante, qui pendant l’ère communiste offrit aux groupes pacifistes et environnementalistes des possibilités de se rencontrer et d’articuler leurs oppositions au régime communiste. Plusieurs politiciens de l’après-RFA sortent directement de cette Eglise protestante, de même que des évêques et des pasteurs qui plaident depuis quinze ans pour un futur civil des Landes libres. Ainsi beaucoup d’espoir est placé sur ces gens connus de longue date. Il y a un embarras à les confronter à des actions illégales ou à des alliances avec des groupes radicaux opposés au régime actuel. Pourtant, la confiance des militants a été plusieurs fois trahie : nombre de politiciens les ont abandonnés quand il leur semblait plus opportun de faire passer avant tout leur carrière personnelle. Après quinze ans d’une continuelle protestation, le comité souffre maintenant d’un manque de leaders. Les fondateurs sont morts ou fatigués, et la jeunesse hésite à prendre le flambeau.

Une partie du comité, le groupe Neuruppin-Berlin, des jeunes de la région et des libertaires non violents de Berlin, essaient de convaincre la majorité qu’il faudrait maintenant s’orienter vers plus de désobéissance civile et, pour cela, intensifier la coopération avec ceux qui ont l’expérience d’actions directes et non violentes importantes.
Si les protestations légales et les démarches juridiques utilisées jusque-là ont fait leurs preuves, elles pourraient, seules, conduire à une impasse. Même l’avocat du comité, qui a pourtant obtenu des jugements défavorables contre l’armée (22 procès dont le dernier en date eut lieu le 31 juillet 2007 devant le tribunal de Potsdam), a déclaré à plusieurs occasions que si la défense juridique est nécessaire, elle ne peut pas être le moyen principal. Finalement, la décision sera politique, mais il faudra créer le maximum de pression parlementaire et surtout extra-parlementaire. On ne peut exclure que, en dernière instance, l’armée n’obtienne pas le droit d’utiliser le terrain. Va-t-on arrêter la résistance à ce moment-là ?

La FREIe HEIDe a organisé 106 marches autour et au bord du terrain. En général, on a respecté l’interdiction d’entrer pour un certain nombre de raisons, mais surtout parce que certaines parties des landes ont été rendues dangereuses par la présence d’obus et autres munitions non explosés. Mais cela n’explique pourtant pas l’hésitation à aller plus avant.

Depuis 2004, le groupe Neuruppin-Berlin organise chaque été une semaine de rencontres et d’action pour se préparer à des actions à l’intérieur du terrain occupé par la Bundeswehr. Les Lebenslaute font le spectacle en offrant des concerts de musique classique lors des occupations symboliques des terrains militaires. Une campagne pour l’action s’efforce de rassembler un maximum de groupes et d’individus se déclarant prêts à participer à cette occupation pour le cas où l’armée recevrait l’autorisation d’utiliser le terrain. Il ne s’agit pas d’attendre le dernier moment quand les bombes seront lancées, mais de se préparer dès maintenant pour être présent sur le terrain avant les essais.

Entre-temps, un atelier pour développer des actions s’est installé au bord du bombodrome ; il se nomme la Sichelschmiede, la Forge des faucilles.

Ses militants apportent une multitude d’expériences tirées des différentes campagnes de désobéissance civile, et qu’ils essaient d’introduire dans le discours de la Bürgerinitiative. De là viennent les « pyramides roses » dressées sur la Lande pour préfigurer les cibles civiles.

L’idée d’utiliser le début du sommet du G8 comme jour d’action antimilitariste en invitant les manifestants qui se rendaient vers Rostock et Heiligendamm a suscité des réactions et mis en lumière de grandes divergences d’opinion dans les rangs de la FREIe HEIDe.

Les uns y voyaient la grande occasion d’attirer des activistes d’autres régions et d’autres sensibilités politiques afin d’élargir l’alliance pour des actions futures, tandis que les responsables de la Bürgerinitiative craignaient que des forces incontrôlables extérieures nuisent sérieusement au prestige du comité. Dans une lettre ouverte, ces responsables se sont adressés aux organisateurs de l’action d’occupation symbolique et leur ont demandé de renoncer à la réalisation de leur projet. Ce fut la rupture des relations, le comité prenant ses distances et demeurant silencieux, tandis qu’un regroupement d’antimilitaristes, de libertaires, de chrétiens et de jeunes entrepreneurs de la région (artisans, commerçants, etc.) se mobilisaient pour le jour de l’action, le 1er juin.

Les manifestants trouvèrent à l’arrivée une bonne infrastructure d’accueil et d’entraînement à l’action non violente. Des efforts furent faits afin de tenir informés non seulement les médias mais aussi la police et l’armée, afin de réduire autant que possible les tensions inutiles causées par une mauvaise information. Le public devait savoir à l’avance dans quel esprit l’action se déroulerait. L’image des lieux de rassemblement était colorée de beaucoup de taches roses : des ballons et des chapeaux en carton dans la même couleur que les pyramides en bois.

Parmi les groupes de manifestants, venant de plus ou moins loin, on remarquait de nombreux membres de « l’armée des clowns ».

Plusieurs centaines de policiers attendaient à l’endroit officiellement annoncé pour la manifestation de clôture, où les deux colonnes de marcheurs devraient se rejoindre. Mais, à mi-chemin, les manifestants quittèrent le parcours autorisé par la police et, après cent mètres de route bétonnée, atteignaient un bâtiment qui avait servi à l’armée soviétique pour observer les résultats de ses manœuvres et de ses bombardements. En très peu de temps, cette tour fut occupée et peinte en rose. Un village de tentes puis une cuisine mobile avec son collectif spécialisé pour nourrir un grand nombre de manifestants furent installés et des haut-parleurs informèrent de la suite des événements. Le groupe « Lebenslaute » ne tardait pas à faire son apparition par un concert de musique allant de Joseph Haydn à Kurt Weill.

En tout, il a fallu compter environ 700 personnes qui n’obéirent pas à l’interdiction d’entrer sur le terrain. La police et les militaires se sont comportés de façon raisonnable. Ils ne sont pas intervenus, sachant que le lendemain l’action serait terminée. Les médias ont fait leur travail d’information, en mots et en images, montrant bien l’esprit festif d’une action pleine d’imagination ; certains aspects, comme les clowns, ont dû paraître sûrement bien étranges pour les Brandebourgeois, mais rien n’a confirmé les craintes prédites.

Après coup, il est regrettable qu’il y eut si peu de membres de la FREIe HEIDe présents. S’ils avaient vu de leurs propres yeux ce qui s’est passé, ils auraient pu comparer avec leurs craintes, leurs préjugés et leurs propres idées. On ne peut qu’espérer que les disputes entre les différentes tendances opposées au bombodrome laisseront bientôt place à l’écoute mutuelle pour avancer en commun.

Il serait non seulement souhaitable mais aussi décisif qu’un jour ou l’autre la population locale soit prête et capable de mener elle-même des actions de désobéissance civile. Un comité régional trop hésitant et isolé, des groupes urbains plus radicaux, mais sans le soutien de la population de la région, ne seront jamais assez forts pour arrêter la machine du pouvoir. La seule chance de réussite sera une synthèse des différentes composantes de la résistance, comme le montrent des exemples où l’Etat, l’armée ou l’industrie se sont retirés, même si, du point de vue de la force militaire, ils étaient plus forts que l’alliance populaire de résistance, ce fut le cas à Wyhl et au Larzac.

Dans ces deux régions rurales, les habitants, plutôt conservateurs, furent choqués et bouleversés par les grands projets qui menaçaient leur existence. Leurs représentants politiques apparemment ne défendaient pas (du moins pas assez) leurs intérêts. Leur seule issue fut alors de s’organiser entre eux et de chercher des partenaires pour une alliance plus large. Ils formèrent une unité de lutte dans laquelle l’accord sur la non-violence active devenait le fondement de leur autodétermination. A partir de ces bases, il fallut acquérir la compréhension et la sympathie du public, quelquefois contre les médias contrôlés par leurs adversaires. La résistance extraparlementaire exige de gagner les cœurs de l’ensemble de la population, ou du moins d’une partie importante de l’opinion publique. Pour cela, il est nécessaire de démontrer continuellement la légitimité de la résistance, même quand elle sort de la légalité, et de souligner son côté constructif.

Pour surmonter peur et réticence face à la possible transgression de la loi, il fut nécessaire d’organiser des discussions avec des militants du mouvement non violent. Par là et par leur propre expérience, ils apprirent à agir avec détermination et à présenter leur cause d’une façon offensive, même devant les tribunaux.

Si l’on compare ces deux luttes populaires couronnées de succès avec d’autres luttes de la même époque (comme Brokdorf et Malville), il est clair que la faiblesse de la résistance sur place ne peut pas être compensée par une résistance violente venant de groupes extérieurs. Si les forces de l’ordre et des radicaux d’avant-garde se battent entre eux et par-dessus la tête de la population locale, il y a encore moins de chances que cette dernière apprenne à utiliser son pouvoir potentiel. La violence dévie l’attention du public des problèmes de fond et crée dans la population la plus directement concernée un sentiment d’impuissance. Le poids politique de son émancipation ne peut être assumé par des forces de l’extérieur, même si on comprend leur impatience. Evidemment, des problèmes comme l’installation militaire ou industrielle en un endroit quelconque ne concernent pas seulement les voisins les plus proches. Ce qui compte, politiquement, avant toute chose, c’est que des gens se réveillent et se tournent vers des actions radicales à partir du cadre de leur vie quotidienne.

Contre le G8

Le 2 juin à Rostock, lors de la grande « manif contre le G8 », l’ambiance, lors de l’ouverture, fut sensiblement plus tendue que celle du jour précédent dans la lande, pas seulement parce qu’il faisait mauvais temps. On y voyait des banderoles amusantes et des militants costumés de façon originale pour exprimer les protestations. Il y avait beaucoup d’optimisme et, en même temps, on sentait aussi de l’agressivité dans la foule. Différents haut-parleurs hurlaient sans prêter attention au fait que le résultat était une cacophonie difficilement supportable et sans effets positifs sur les citoyens de Rostock.

En marge de la manifestation de clôture, dans le port, un « Black Bloc » s’est formé et a rapidement déclenché de violentes échauffourées. La majorité des manifestants n’était pas d’accord avec ces actions, jugeant autoritaire qu’une minorité donne une image de la manifestation contraire aux intentions de la majorité. Je ne me permets pas de juger, qui a déclenché la bagarre, mais elle n’a pas commencé par hasard.
A la télé, tout était prêt pour que ces scènes soient bien visibles. Elles marquèrent l’événement. La seconde chaîne avait loué un grand bateau comme QG pour les reportages sur la manifestation et, à l’instant même où le responsable de la police du Land Mecklenburg-Poméranie faisait, à bord, l’éloge du programme pacifique de ses unités couvrant le sommet G8, au côté opposé de la place commençait le « fight » ; les cameramen n’auraient pas pu choisir une meilleure perspective.

Lors des préparations aux actions contre le sommet du G8, la question s’était posée, dans le mouvement non violent, de savoir si on devait ou non participer. Je faisais partie de ceux qui restèrent dans le doute et, vu à posteriori la coopération entre des groupes si divers, j’ai été positivement surpris.

Je me demandais ce que pouvait être le sens d’un blocage. Il était évident qu’on ne pourrait pas empêcher les chefs d’Etats d’arriver à leur lieu de rencontre. Si les routes étaient bloquées, il y aurait des hélicoptères ou d’autres moyens de transport. Même le blocage des transports des déchets nucléaires est plutôt symbolique, parce qu’on ne peut que retarder leur arrivée. Mais au moins l’objet bloqué est visible ; et, par là, l’action est plus facile à expliquer au public. Restait le résultat de l’action : tout deviendrait encore plus cher et ce serait le peuple qui paierait cette folie (une barrière métallique gigantesque et des dizaines de milliers d’agents de police) et non les responsables de cette politique que nous avons toutes les raisons de critiquer.

Mon plus grand doute venait des mauvaises expériences du passé avec des alliances trop hétérogènes. Comment pourrait-on trouver un consensus sur les principes de l’action non violente s’il fallait éviter le mot de « non-violence », parce qu’il est irritant pour certains groupes ?
Je n’étais pas sur place, mais presque tout ce que j’ai entendu depuis sur le comportement des manifestants pendant les blocages, même dans les situations tendues, me persuade, une fois de plus, que la pratique est plus convaincante que les mots, qui peuvent toujours être interprétés de façon différente.

A posteriori, il y a beaucoup plus de bonnes choses qui se sont passées qu’on ne pouvait s’y attendre dans la phase de préparation. Ce n’est pas à moi, mais ce serait aux amis qui ont travaillé à cela et à cette alliance entre des groupes si divers de décrire comment cela est devenu possible.

Plusieurs organisations ont envoyé des équipes pour observer les manifestations et les actions, entre autres le Komitee für Grundrechte und Demokratie (comité pour les droits fondamentaux et la démocratie) fort de trente membres. Leur premier résumé dit clairement :
« Dès le début, la police a réagi aux actions de protestation par l’escalade et la criminalisation des participants. »

Une grande partie de l’opinion publique a protesté contre les nombreuses restrictions à la liberté de manifestation, par exemple contre ce barrage de 12 km de long autour de Heiligendamm et la zone encore plus large où les manifestations étaient interdites. Finalement « le tribunal fédéral constitutionnel (Bundesverfassungsgericht) a confirmé cette dernière interdiction parce qu’il y a eu le 2 juin des heurts importants entre la police et une partie, faible en nombre, des manifestants, qui cherchaient ces affrontements. Ils agissaient de l’intérieur du rassemblement, jetaient des pierres et des bouteilles et ainsi mettaient en danger les autres manifestants - pas seulement par leurs propres jets, mais aussi par les actions de police qui suivirent. Par ce comportement la police porta le conflit au milieu du rassemblement. » Des « unités de police pénétrèrent à plusieurs reprises profondément dans les rangs du rassemblement pour arrêter des individus. Pendant cette progression, ils tabassaient sans égard autour d’eux. » (Komitee Informationen, juillet 2007.)

Lors des blocages, à Heiligendamm, des policiers en civil tentèrent d’inciter des manifestants à attaquer des policiers en uniforme. Leur façon de se déguiser n’étant pas parfaite et surtout leurs manières de faire ont semblé suspectes aux manifestants. Un policier fut reconnu, on se souvenait l’avoir vu au cours des confrontations de Brême. Les manifestants trouvèrent ce comportement révoltant et rejetèrent ces provocateurs vers leurs collègues en uniforme, qui les laissèrent passer sans problèmes derrière les barrages. Entre-temps, un tribunal a décidé de ne pas instruire de plainte contre un de ces provocateurs qui avait jeté des pierres contre ses collègues. (« Frankfurter Rundschau », 10 août 2007)

Finalement, il n’est pas important de savoir s’il s’agissait de provocations ou d’un goût pour la confrontation avec le côté adverse ; en dernière analyse, le résultat reste le même : l’effet sur l’opinion publique est que la violence des deux côtés devient l’objet exclusif de l’attention, occultant ainsi les motifs à l’origine des protestations. Chaque partie ne voit l’injustice et la violence que du côté opposé, et par là justifie ses propres actes. Ainsi, les effets de la violence exercée des deux côtés neutralisent la possibilité d’une prise de conscience des citoyens et une meilleure compréhension du système politique et social et, par la suite, la possibilité de prendre en main leurs propres affaires. On se fournit ainsi mutuellement des justifications à se préparer encore plus intensivement à des violences à venir. La violence rend aveugle, elle a un aspect autoritaire contraire à l’autodétermination des humains.
Une paysanne du Larzac a décrit sa propre expérience avec les forces de l’ordre : « Il nous fallait d’abord vaincre le flic qui est en nous pour devenir forts et indépendants. »

Les blocages dans le Wendland comme à Heiligendamm réussirent surtout parce que les manifestants ne se sont pas entêtés contre les barrages des policiers, mais se glissaient avec souplesse dans les brèches des forces de l’ordre. Pour utiliser une image, il vaut mieux que la résistance coule comme l’eau autour des pierres plutôt que d’essayer d’être aussi dur que l’adversaire.

Entre le légalisme et la contre-violence.

Cet été, le journal « Graswurzelrevolution » fêtait son 35e anniversaire. C’est une occasion pour réfléchir sur le développement du mouvement non violent en Allemagne, sur l’influence qu’ont eue les idées et la pratique de cette mouvance sur le mouvement social plus large. (Voir aussi)

Des politiciens, des porte-parole de la police et certains journalistes utilisent d’une façon inflationniste le mot « gewaltfrei » (non-violent), avec pour but de monopoliser le terme et d’en orienter la signification : ils veulent que l’on traduise non-violent par « pacifique » et surtout par « obéissant à la loi ». L’Etat tient à garder le monopole de violence et, en même temps, qualifie souvent sa propre politique comme étant parfaitement pacifique. On peut comprendre que ceux qui critiquent la violence de l’Etat soient réticents envers le terme de « non-violent » quand le mouvement non violent ne critique pas assez clairement la violence étatique qui maintient les relations de domination et d’exploitation.

Depuis les années 1920, on connaît ce problème sémantique, depuis qu’on a essayé de traduire les écrits de M. K. Gandhi en différentes langues européennes. Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé d’équivalent satisfaisant pour une notion centrale comme le « satyagraha », ni en anglais, ni en français, ni en allemand. « Gewaltlosigkeit » ou « Gewaltfreiheit », non-violence, non-résistance, etc. ; à chaque fois, on débouche sur une négation de négation, un terme sans force, avec une connotation d’impuissance, et non une force positive avec un but constructif et révolutionnaire . C’est surtout par la pratique qu’on peut montrer la valeur de la non-violence, plus que par des mots sans l’exemple qui convainc.

En 1972, les groupes non violents d’action n’auraient pas pu imaginer des manifestations de telle ampleur que les blocages anti-G8 autour de Heiligendamm en juin 2007.

Dans les années 1970, l’action directe non violente fut la forme privilégiée pour l’occupation des installations industrielles et des sites prévus pour la construction des centrales nucléaires.
Dans les années 1980, il y eut de multiples blocages d’installations militaires pour protester contre l’installation des missiles nucléaires de moyennes distance.

De là, jusqu’aux blocages des transports de déchets nucléaires à partir de 1997, on peut tracer des lignes de continuité expérimentées par certaines personnes et par des groupes d’action. On ne peut pas parler d’une tradition consciente pour la majorité des militants, mais d’une diffusion du savoir dans les différents mouvements par des stages d’entraînement et surtout par la pratique dans l’action.

Le grand blocage organisé par les « x-tausendmalquer » en mars 1997 avec 9 000 participants fut finalement le résultat d’un mécontentement causé par les actions et techniques utilisées lors des premiers transports de conteneurs Castor vers Gorleben (Wendland) en 1995 et 1996.

La Bürgerinitiative de la région Wendland refusait de choisir une forme d’action ; la force de la résistance résidait pour elle dans la diversité, toutes les formes d’action seraient bienvenues, une à côté de l’autre. Il manquait le projet d’une grande action non violente : la conséquence en fut la frustration des manifestants venus de loin aussi bien que celle des habitants de la région.

Pour les groupes qui n’excluaient pas l’utilisation de la violence, c’est plutôt un avantage d’être entourés par la foule des autres manifestants. Cela les protège les auteurs de ces violences, mais il y a le risque que la répression retombe sur toutes les personnes présentes. Par contre, il est impossible de mener une action non violente si du même endroit surgissent des actions de violence, jets de pierres par exemple. Les militants non violents prennent consciemment le risque de la répression sur eux-mêmes.

Après les déboires dus au manque d’organisation de 1995 et 1996, les groupes non-violents décidèrent de préparer un blocage de grande envergure, une action dont le caractère serait sans équivoque pour tous les côtés. C’est justement cette clarté qui contribua le plus au succès du blocage de 1997 à Dannenberg. Beaucoup des citoyens de la région préféraient ce cadre d’action plus rassurant. Pour la même raison, la campagne attira une multitude de groupes très différents (organisations chrétiennes ou syndicales, écologiques ou antimilitaristes, etc.), sur le plan national et également européen.

Ce qui fut un succès pour la non-violence offensive fut en même temps critiqué durement par des militants du milieu « autonome », jusqu’à dire qu’il y avait eu collaboration avec la police. La conduite des non-violents et leurs promesses de s’abstenir de contre-violence permettait à la police de faire la distinction entre manifestants « gentils » et de bonne volonté et les « méchants » de l’autre coté, qui seraient eux exposés à la répression. Ces façons de voir ou préjugés n’ont pas disparu complètement depuis, mais ont pu être réduits patiemment par ceux qui ont mené le dialogue entre les tendances.

Pendant les dix années qui suivirent, les « x-tausendmalquer » ne réussirent pas à égaler ou à augmenter les chiffres de participants de 1997, cela jusqu’au G8 de Heiligendamm, où les militants de « x-tausendmalquer » apportèrent leur expérience pour réussir l’alliance avec une multitude d’autres groupes de diverses origines.

Entre-temps, le noyau de x-tausendmalquer de 1997 s’était réduit, mais ses militants se retrouvent dans d’autres campagnes et organisations, par exemple les faucheurs volontaires, les groupes altermondialistes ou des groupes qui défendent le droit des réfugiés. L’expérience s’était répandue et vulgarisée, et comme c’était une expérience réussie, elle convainquit aussi des militants sceptiques envers la non-violence.
Ainsi, le résultat des préparations de blocage organisé par des groupes d’origines très diverses quant à l’appréciation du comportement non violent (on a évité d’utiliser le terme) fut étonnant et très positif.
Il est important de présenter la position de la non-violence active clairement et sans équivoque, mais aussi sans dogmatisme, ce qui écarterait ceux qui ont des opinions différentes.

Il est important de faire l’effort de diffuser et expliquer la position non-violente en dehors des cercles habituels et, en même temps, d’approfondir ces idées, c’est-à-dire de faire un travail de clarification permanente.

Nous agissons à visage découvert, nous n’avons rien à cacher, nous refusons la conspiration et le déguisement. Pour nous, il est important que toute notre personne soit liée à nos actions.
Notre but est de convaincre et non de vaincre par la force physique. Si nécessaire, pour faire cesser la violence, nous nous opposons à elle avec notre corps. Nous confrontons les policiers à leur rôle de protecteurs dans des conditions violentes et illégitimes, et nous faisons la distinction entre leur rôle répressif et leur personne humaine.
Nous n’avons pas d’illusions, l’Etat, avec ses moyens de violence et de répression sera toujours plus fort. Notre recherche tend vers tout ce qui permet le désarmement de l’adversaire.

Les gouvernements ont tendance à faire taire les critiques de fond qui mettent en cause leur position de force, tandis que la désobéissance défie, provoque et dramatise des conflits latents pour les rendre visibles et mûrs avec la volonté de les résoudre.

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