Pendant la première période gouvernementale, la cooptation et la neutralisation des protestations était possible pour plusieurs raisons. Premièrement, les grandes attentes créées par Miraflores (le palais présidentiel à Caracas). Deuxièmement, l’imposition de la polarisation et la réduction des conflits sociaux à la farce électorale, imposant ainsi l’auto-censure aux expressions de mécontentement. Troisièmement, l’idée d’un ennemi extérieur et son hypothétique agression armée imminente. Quatrièmement, la neutralisation et la bureaucratisation des leaders de la base. Cinquièmement, la création d’une gamme complète de canaux institutionnels pour contrôler la participation et les revendications. Et sixièmement, la délégation progressive des fonctions de police et de surveillance aux citoyens sous les masques de l’ »intelligence sociale » et de l’ »alliance civils-militaires ».
L’interaction entre ces éléments entraîne le fait qu’afin de se manifester, une protestation doit franchir une série de barrages et la neutralisation par l’appareil sécuritaire étatique ne devient nécessaire qu’en dernier ressort. A ce propos signalons que le « Révolution bolivarienne » n’a substantiellement changé aucune de ses composantes armées, de leurs structures et de leurs paradigmes traditionnels de contrôle des protestations de la population. Si, pendant ses premières années d’exercice, le gouvernement pouvait s’enorgueillir d’un très petit nombre de détentions et de blessures suite à des manifestations, c’est simplement parce qu’il n’y avait pas de manifestation, et non parce que la police aurait assumé des stratégies différentes de résolution des conflits. Après huit ans au pouvoir, le gouvernement a institué une commission nationale pour la réforme de la police afin de réaliser un diagnostic et de proposer des recommandations, avec des doutes quant à la mise en oeuvre réelle de la part de ses promoteurs.
Certains conflits (manifestations contre l’exploitation du charbon dans l’Etat de Zulia, mobilisations de vendeurs de rue à Caracas en octobre et l’occupation récente du port international de Guiria) démontre que la plus grande part du travail de neutralisation n’a pas été effectué par la police mais bien par des secteurs du « nous ». Le 18 octobre 2006, les vendeurs de rue de la capitale ont appelé à une manifestation pour imposer un ensemble de revendications : la construction de centres commerciaux réservés aux vendeurs de rue déjà promis, leur inclusion dans le système de Sécurité Sociale, les Conseils Communaux et le système de retraites. Les manifestants ont déclaré que la marche était en faveur des droits des travailleurs, et afin d’éviter les thèmes électoraux - même s’ils chantaient parfois des slogans favorables au président - ils arboraient des tee shirts gris indiquant au dos le quartier où ils travaillaient. La marche a traversé calmement le centre ville et s’est achevée sous la pluie avec un défilé Avenue Urdaneta. 24 heures avant, le centre ville était couvert d’affichettes accusant la manifestation d’être une manifestation de l’opposition camouflée. Le jour du défilé, le journal officiel VEA suggérait la présence d’intérêts douteux derrière les vendeurs de rue : « Des groupes d’agitateurs pourraient cibler les travailleurs au noir qui triment dans les rues et les avenues de Caracas ». D’après ce journal, « Des paramilitaires financeraient les vendeurs de rue de secteurs stratégiques de la capitale pour développer un plan visant à déstabiliser les institutions démocratiques ». A la fin de la manifestations, les vendeurs de rue se sont retrouvés face à des personnes identifiées comme membres du parti officiel de l’Union Populaire du Venezuela (UPV ) qui les accusaient d’être des « infiltrés de droite ». Ce jour-là, la Garde Nationale et la Police Métropolitaine bloquaient simplement l’accès au Palais du Gouvernement.
D’autres fois, les manifestations sont explicitement repoussées par des « voix » des mouvements sociaux en accord avec l’agenda politique imposé d’en haut. Lors de l’assemblée mensuelle de l’Organisation Communautaire du Logement et des sans abri de novembre qui se tenait au Forum Libertador à Caracas, ils demandèrent de manière répétée depuis l’estrade qu’aucune protestation n’ait lieu avant les élections.