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La révolte luddite II
Article mis en ligne le 17 septembre 2007
dernière modification le 4 septembre 2007

Flemmard mais épaté, épaté mais flemmard, je voudrais bien citer d’autres extraits du très utile livre de Kirkpatrick Sale « La Révolte luddite, briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation » (L’échappée, 19 euros, disponible à Publico). Ces extraits seront tous tirés de la seconde partie du livre, qui tire les leçons de la révolte luddite pour notre époque.

« Mais en tant que théorie applicable n’importe où, l’idée que les nouvelles technologies créent de l’emploi et font croître les richesses n’est que foutaise. Elle est loin d’être démontrée, et l’expérience de la majeure partie du reste du monde au cours des deux siècles passés, à commencer par celle des pays sans empire, la réfute de bout en bout. »

En d’autres termes, quand on dresse le bilan pour la planète des effets de l’industrialisation capitaliste sur l’emploi dans le monde entier, il y a de quoi se poser des questions. Les sociétés pré-industrielles n’étaient pas, il s’en faut de très loin, des paradis, et l’esclavage, il s’en faut de très loin, n’y était pas inconnu. Mais vendre des cigarettes aux bords des ghettos à touristes pour se payer une boîte de lait condensé dans la favela, est-ce un emploi ?

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« Il est remarquable de constater à quel point la nouvelle époque [la nôtre] ressemble à la première en autant de petites choses ; le début du 19e siècle fut une époque de théâtre vulgaire, d’immeubles éléphantesques, d’obsession généralisée pour les meurtres et les exécutions, de peur croissante des agressions de rue, d’engouement pour la boxe et autres sports violents et spectaculaires, de passions pour la course, de voyages en ballon et de jeux d’argent de toutes sortes, y compris la loterie. Il est tout aussi remarquable que les grands traits qui nous ont préalablement servi à définir la première révolution industrielle puissent aussi être appliqués à la seconde _ en essayant de la même façon de ne pas tomber dans le schématique et le réducteur. »

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« Une société qui repose sur les technologies de pointe vit totalement au présent, à l’instar de ses machines, la « mémoire » d’un ordinateur, après tout, n’est que la régurgitation de l’expérience et non sa recréation ; elle ne vit qu’au présent, au moment où elle est transmise. Une telle société est soumise au changement et à l’instabilité constantes, prise dans cette course au perfectionnement et à l’innovation qui s’accompagnent généralement du terme de « progrès », peu importe dans quelle direction elle est lancée. Dans une société fondée sur les technologies de pointe, la vie et l’expérience solitaire priment sur la vie et l’existence partagées, la médiation technologique sur toutes les autres et les expressions mécaniques de la culture (réseaux, programmes, jeux électroniques) sur l’expression personnelle (tavernes, écoles, parcs). »

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« Aux Etats-Unis, la publicité représente depuis longtemps une industrie gigantesque de plus de 100 milliards de dollars par an (150 milliards en 1994), plus que le budget de l’enseignement public secondaire. Un déluge annuel de 21 000 spots télévisés [Sale ne compte pas le nombre de fois où les spots passent], 1 million de pages publicitaires dans les magazines [Sale ne compte pas le nombre d’exemplaires auxquels ce million de pages est reproduit], 14 milliards de catalogues par correspondance, 38 milliards de spams [un nombre tout à fait obsolète] et un milliard d’enseignes, d’affiches et de panneaux (...).

Au total un exercice de manipulation mentale des plus extravagants au service de la conception et de la satisfaction des besoins consuméristes.
La télévision, l’instrument principal de cette manipulation, ne cesse de vendre par la séduction un mode de vie qui vante sur tous les tons les mérites de la consommation, épanouissante, morale, amusante, émancipatrice, autant de caractéristiques qui nous échapperaient le reste du temps. C’est aussi le meilleur instrument de diffusion de la culture high-tech, qui fonctionne sur les mêmes ressorts : simpliste et énergique, incapable du moindre raffinement de pensée, conçue pour des impacts limités et graphiques (les courts et les violents sont les meilleurs, comme le football et les publicités). (...) Le principal effet de la télévision, ce génie bleu qui s’échappe aujourd’hui de plus de 850 millions de postes dans le monde, est d’implanter l’idéologie de l’existence marchande partout sur terre. Les programmes télévisés représentent l’exportation américaine la plus rentable, en volume de dollars. Tout ceci est bien sûr accentué par la publicité globalisée (une industrie de 250 milliards de dollars, plus que le PNB de l’Inde), le système des franchises [Mc Donald’s, Starbucks, Gap, etc.], les voyages-éclair, le « libre »-échange, la délocalisation des usines et des bureaux, et avant tout par le tourisme, qui sème partout l’image du citoyen industriel comme jouisseur insouciant et propre sur lui. »

Nestor Potkine, qui se demande, perplexe, s’il doit demeurer propre sur lui.


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