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Hakanion Le Chantier / The Mall. Documentaire de Yonathan Ben Efrat
Entretien avec Yonathan Ben Efrat et Nir Nader
Article mis en ligne le 14 mai 2007
dernière modification le 23 novembre 2008

Christiane Passevant : Abu Naji dit quelque chose de troublant dans le film, il fait allusion à Hakanion qui lui manque quand il est chez lui, l’endroit est important parce que c’est son moyen d’existence pour lui et sa famille. Il a également une analyse intéressante de la situation politique. Vivre en Cisjordanie sous occupation, travailler illégalement en Israël et regretter Hakanion une fois chez lui, n’est-ce pas là une contradiction ?


Nir Nader :
La situation entière est une contradiction. Si sa maison est « normale » en Cisjordanie, rien n’est vraiment normal dans l’environnement. Il y a le chaos, le danger, le manque de nourriture, d’argent, la misère, les gens qui restent chez eux... Il s’échappe d’un endroit à l’autre.


Yonathan Ben Efrat :
La première chose que nous avons filmée après la fin du film, c’est le jeune qui ne dort pas près de son père. Nous l’avons suivi et filmé les élections palestiniennes à Naplouse. Il est originaire d’un village près de Naplouse. Voilà une autre contradiction, il vote pour une démocratie et retourne dormir dans un chantier et travailler illégalement en Israël. L’Autorité palestinienne ne peut rien pour sa situation qui n’est pas une exception. Il n’y a pas d’espoir d’amélioration pour trouver un travail en Cisjordanie.


Christiane Passevant : Pour donner une idée des distances dans la région : s’il n’y avait pas de mur, pas de checkpoint, combien de temps lui faudrait-il pour aller de Naplouse à son lieu de travail actuel, près de Tel-Aviv ?

Yonathan Ben Efrat : Environ quarante minutes. Avec les checkpoints, cela peut prendre trois heures, plus peut-être.

Christiane Passevant : Donc impossible de rentrer chez lui le soir.

Yonathan Ben Efrat : C’est impossible et aussi très onéreux.

Christiane Passevant : Si tu réalises un prochain documentaire dans un format classique, de 55 ou 60 minutes, peut-il être diffusé à la télévision israélienne ?


Yonathan Ben Efrat :
C’est possible. Je crois que c’est très ouvert du côté audiovisuel, artistique. Des films sont faits sur les clandestins. En Israël, d’un côté c’est très ouvert, mais de l’autre rien n’est fait pour corriger une situation inacceptable. En filmant une situation, en la montrant dans toute sa réalité, à travers des cas, d’un point de vue critique, c’est aussi une manière de dédouaner sa responsabilité, de se donner bonne conscience. Cela n’a aucun rôle politique au-delà de la dimension et du choix artistiques. C’est sans doute la différence entre notre groupe, Vidéo 48, et les autres réalisateurs et producteurs de films. Notre volonté est de combiner notre vision politique, nos valeurs, nos actions militantes avec l’art, le cinéma ou toute autre forme d’expression. La solution politique est une possibilité de changer vraiment les choses.


Christiane Passevant :
En réalisant des documentaires de ce type, cela peut aider à faire évoluer une situation qui paraît ici désespérée ?

Yonathan Ben Efrat : En partie. C’est peut-être un pas, mais ce n’est pas le seul. Et c’est cela l’essentiel : ce n’est pas le seul pas. L’important est de construire un mouvement avec les ouvriers, les groupes alternatifs, les individus, pour initier un changement...

Nir Nader : ...Créer un mouvement. Les réalisateurs font en général du bon travail et il est possible de trouver des institutions, des productions, des fonds pour soutenir des projets qui s’inscrivent dans une perspective alternative. Ce n’est pas toujours pour se donner bonne conscience, c’est souvent sincère. Mais ils font partie du système et sont limités, malgré eux. Si le premier pas est fait, il s’agit maintenant de ne pas se contenter des constats et se borner seulement à dénoncer les problèmes, il faut créer un grand mouvement alternatif.