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Pour une gauche démocratique et internationaliste
Contribution au renouveau et à la transformation de la gauche
Article mis en ligne le 27 février 2024
dernière modification le 20 février 2024

Publié en 10 décembre 2023 sur le site leftrenewal.net nous reprenons ici ce texte qui nous semble tout à la fois intéressant, ambitieux et discutable. Le voici donc avec nos commentaires.


Remarque

Si nous comprenons bien le souci qui apparait dans ce titre, nous ne pouvons qu’en souligner l’illusion. Illusion fréquente sur les réseaux sociaux où l’on voit des individus lancer des appels frénétiques à la révolution ou à de quelconques manifestations....

C’est avec horreur que nous voyons augmenter depuis des semaines, jour après jour, le nombre de civils tués à Gaza. Nous sommes consternés et indignés par la punition collective infligée aux Gazaouis par l’armée israélienne, par la violence grandissante des colons en Cisjordanie et par l’oppression des citoyens palestiniens d’Israël par le gouvernement et les groupes d’extrême-droite. Aux USA, en Europe, en Inde et ailleurs, l’activisme en faveur des Palestiniens est diabolisé par de nombreux politiciens, par un grand nombre de médias et criminalisé par l’État dans certains cas. Beaucoup d’analyses occidentales sur le conflit israélo-palestinien sont imprégnées de racisme, présentant souvent les Israéliens comme un peuple occidental moderne et civilisé dont les souffrances sont plus profondes et en quelque sorte plus réelles que celles endurées par les Palestiniens.

Dans un tel contexte, il est compréhensible de se focaliser exclusivement sur le court-terme. On pourrait penser que ce n’est pas le moment de parler de ce qui pèche dans l’activisme relatif au conflit Israël/Palestine et plus généralement au sein des gauches.

Mais nous pensons que face à cette crise, la réflexion est d’une importance capitale. C’est maintenant, et non plus tard, que nous devons faire preuve d’esprit critique afin de décider si les objectifs principaux de nos mouvements sont les bons pour réellement obtenir un changement.

Quantité de ce que l’on dit et de ce à quoi on croit à gauche au sujet de l’impérialisme et de l’anti-impérialisme, du nationalisme et de l’internationalisme, du racisme, de l’islamisme et de beaucoup d’autres sujets est, à nos yeux, profondément biaisé et parfois réactionnaire.

Trop de militants des gauches ont défendu ou même célébré le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas et le Jihad islamique dans le sud d’Israël. De notre point de vue, c’est là l’expression de ces analyses biaisées et de ces opinions réactionnaires.

Nous sommes depuis longtemps des militants et organisateurs des gauches. Avec ce texte, nous voulons initier un dialogue avec les différents courants des gauches, et faire comprendre à celles et ceux qui souhaitent faire de même qu’ils et elles ne sont pas seul.es. C’est également une invitation à nous rejoindre pour nous dresser contre l’antisémitisme, l’antiracisme tronqué, le campisme, le nationalisme, la tolérance envers l’islamisme et les autres alliances confusionnistes gauche-droite. Nous écrivons avec l’espoir qu’un autre internationalisme est possible.

Le but de notre critique n’est pas de modérer le soutien de la gauche aux droits et à la liberté des Palestiniens, mais bien de ré-ancrer ce soutien dans un projet démocratique viable, enraciné dans l’internationalisme, et donc vraiment universaliste. Nous voulons une gauche qui lutte plus efficacement non seulement pour les droits des Palestiniens, mais aussi pour la démocratie, l’égalité et la liberté pour toutes et tous.

Alors que de nombreuses images, qui nous sont initialement parvenues le 7 octobre depuis la frontière de Gaza, montraient des civils franchissant les clôtures, dès le milieu de la matinée, il était clair que le Hamas et ses alliés avaient impitoyablement assassiné quantités de civils sans armes et kidnappé d’autres. Les victimes étaient jeunes comme vieilles, comprenaient des survivants de la Shoah, des travailleurs agricoles migrants et des Bédouins. On possède les preuves indubitables de torture et de violences sexuelles d’une extrême gravité. L’ampleur et la barbarie des attaques ont fait résonner la peur et le trauma non seulement au sein de la société israélienne mais aussi à travers la diaspora juive du monde entier puisque la plupart des Juifs – sionistes ou non – ont de multiples liens avec Israël. Les massacres du 7 octobre, et les attaques à la roquette sur les civils israéliens, sont des actes dictés par la cruauté la plus pure qui causent une profonde souffrance aux Juifs d’Israël et de la diaspora.

Mais l’apologie de la violence du Hamas envers les civil.es portée par une bonne partie de l’extrême-gauche révèle non seulement l’absence de la compassion la plus élémentaire, mais également une appréciation erronée de ce qu’est le Hamas. Le Hamas n’est pas une simple expression abstraite de la « résistance » à Israël. Il effectue ses actions selon ses propres objectifs politiques, lesquels sont fondamentalement réactionnaires. Éluder ces objectifs au profit d’un soutien inconditionnel à toute « résistance » revient à dénier aux Palestiniens leur libre-arbitre et à réduire ceux-ci à une simple force de réaction incapable d’effectuer des choix politiques. S’opposer au Hamas n’est pas « expliquer aux Palestiniens comment résister » mais bien soutenir les Palestiniens qui s’opposent aussi au Hamas et qui mènent la résistance sur une base politique différente.

Les actions du Hamas ont été suivies d’une réponse massive de l’État israélien, ainsi que le Hamas l’avait anticipé et espéré. Il faut le réaffirmer : nous sommes consternés et nous nous opposons catégoriquement aux attaques de l’État israélien sur les civils et les infrastructures civiles de Gaza, au déplacement des populations palestiniennes, à la rhétorique déshumanisante et aux intentions de nettoyage ethnique formulées par les politiciens israéliens, aux projets d’implantation de colonies à Gaza et à la violence des colons et des forces de sécurité israéliennes exercée contre les Palestiniens de Cisjordanie. Nous soutenons la lutte en faveur des droits des Palestiniens et nous nous opposons à la violence de l’État israélien et à l’occupation.

Mais si notre mouvement doit effectivement poursuivre ses objectifs d’émancipation et de démocratie, il doit être également un lieu de réflexion et de critique des courants qui agissent au sein de la gauche contre ces mêmes objectifs.

Reconnaître la souffrance des Palestiniens ne veut pas dire que nous ne pouvons pas également réfléchir aux problèmes posés par beaucoup de réactions à gauche, et plus généralement aux perspectives des gauches suite au 7 octobre.

Dans la foulée des attaques, les actes antisémites – attaques violentes, harcèlement en ligne et dans la réalité – ont explosé dans le monde. Les discours antisémites se sont répandus viralement sur les réseaux sociaux et dans les rues. Le racisme anti musulman a aussi fortement augmenté. L’extrême-droite instrumentalise ce conflit pour toucher de nouveaux publics, autant parmi les soutiens que parmi les opposants à Israël. La polarisation croissante et la division contribuent à la déshumanisation des Juifs, des Arabes et des musulmans partout, et pas seulement des Israéliens et des Palestiniens, ainsi qu’à la diffusion d’une concurrence victimaire dans un jeu à somme nulle en lieu et place de la solidarité.

Nous nous opposons aux tentatives visant à discréditer, diaboliser ou même criminaliser tout mouvement de solidarité avec les Palestiniens au prétexte de l’antisémitisme au sein du mouvement pro-palestinien et de la gauche en général. Néanmoins, une confrontation avec l’antisémitisme reste nécessaire.

Il ne s’agit pas d’une question de respectabilité du mouvement pro-palestinien. La raison pour laquelle il faut se confronter à l’antisémitisme lorsqu’il apparaît n’est pas qu’il rend suspecte la solidarité avec les Palestiniens, mais que la présence de positions réactionnaires et conspirationnistes dans nos mouvements, même sous forme codée ou marginale, risque d’intoxiquer nos projets politiques.

Où la gauche s’est-elle perdue ?

Pourquoi est-il si difficile pour une large part des gauches d’adopter une attitude humaniste élémentaire et de prendre en compte la souffrance des civils – y compris des citoyens israéliens – comme point de départ ? Pourquoi certains ont-ils été incapables de condamner un massacre sans chercher à le relativiser ou le contextualiser de façon insensée ? Pourquoi la solidarité des militants des gauches avec les victimes d’oppression semble-t-elle parfois conditionnée à l’alignement géopolitique de l’État qui les opprime ? Pourquoi une bonne partie des courants de la gauche doit-elle se battre pour identifier l’antisémitisme et y faire face dans ses propres rangs ?

Il n’y a pas de réponse unique et simple à ces questions mais nous croyons que commencer à y répondre est une étape essentielle pour un renouveau des gauches. Nous présentons notre analyse de ce que nous considérons ici comme certains des problèmes les plus importants.

Fétichisation du conflit Israël/Palestine

Le conflit Israël/Palestine est devenu un drame moral central pour une large part de la gauche contemporaine, de la même manière que le fut l’Afrique du Sud pour la génération précédente.

Certains reportages et commentaires journalistiques grand public utilisent un cadre intellectuel orientaliste pour décrire toute la région, faisant le portrait d’Arabes barbares et pré-modernes, à l’opposé d’Israël habituellement représenté comme une démocratie libérale moderne.

En même temps, les organes de presse dominants, tout comme la presse engagée à gauche, accordent beaucoup plus d’attention au conflit Israël/Palestine qu’à la Syrie, au Kurdistan, au Soudan, à l’Éthiopie, à la RDC, au Sri-Lanka, au Myanmar ou à tout autre endroit du monde où des états militaristes (ou des acteurs non-étatiques) oppriment des minorités nationales et ethniques ou se livrent à des massacres.

Il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie morale ou politique des oppressions dans le monde ni de prioriser l’attention et l’action en fonction du degré de souffrance. Il s’agit plutôt de montrer que la solidarité avec les Palestiniens doit trouver sa source dans un engagement universel en faveur des droits fondamentaux, ce qui suppose également la solidarité avec toutes les autres luttes contre l’oppression.

En fétichisant le conflit Israël/Palestine et en idéalisant la lutte des Palestiniens dans une imagerie romantique, les partisans des gauches se font le miroir de la déshumanisation des Palestiniens régnant dans l’opinion générale. L’effet de cette fétichisation du conflit Israël/Palestine par les gauches est de faire des Palestiniens comme des Juifs israéliens les personnages abstraits d’un récit politique plutôt que des êtres humains de chair et de sang, susceptibles de réagir de diverses manières à leur condition et leurs expériences.

Ignorance de l’Histoire

En dépit de la centralité de la cause palestinienne dans la gauche contemporaine, il y règne souvent une méconnaissance de l’histoire de la région et du conflit.

Une grande partie des militants des gauches ont détourné le sens de concepts potentiellement utiles à l’analyse, tels que le « colonialisme de peuplement », pour les transformer en pseudo-analyses. User de ces termes de façon simpliste permet aux militants d’éviter la confrontation avec la complexité. La diversité historique interne du sionisme, sa relation ambivalente aux divers impérialismes et les histoires variées des exils qui ont donné lieu aux migrations juives vers Israël depuis un certain nombre de pays sont souvent mal comprises.

Le processus de formation d’Israël comme foyer national juif impliquait une colonisation de peuplement entraînant le déplacement de nombreux habitants initialement présents, au prix de crimes de guerre et d’expulsions. Ce fut aussi la fuite éperdue d’un peuple qui avait lui-même été victime de la violence raciste et d’une tentative d’extermination. Les Palestiniens sont, d’après une phrase d’Edward Saïd, « les victimes des victimes et les réfugiés des réfugiés ». Les Juifs israéliens sont loin d’être les seuls à s’être constitués en nation et à avoir fondé un État sur des bases qui entraînaient la dépossession des habitants déjà présents de leur propre territoire.

Se confronter entièrement à cette histoire, avec toute sa complexité et ses tensions, n’est pas destiné à minimiser la souffrance endurée par les Palestiniens lors de la fondation d’Israël et après. Mais manquer de le faire ruinerait la compréhension et les efforts déployés pour développer et soutenir les luttes pour l’égalité.

Un meilleur niveau de connaissance historique et une prise en compte plus engagée des implications pratiques des différentes propositions de « solutions » possibles, solution à un État, à deux États, ou autres, permettrait de revivifier le mouvement de solidarité.

Politique confusionniste

Une clé d’analyse importante de la politique contemporaine, dans le sillage de l’effondrement des mouvements ouvriers de masse, est la montée en puissance des projets politiques syncrétiques qui se dessinent sur des traditions politiques disparates – qu’on appelle parfois la politique rouge/brune, le diagonalisme ou le confusionnisme. Certaines franges de la gauche ont conclu des alliances dangereuses avec des forces d’extrême-droite. Des tribuns d’extrême-droite présents dans les manifestations contre la guerre aux anciens militants de gauches rejoignant la contestation du confinement résultant de la Covid, des influenceurs anti-impérialistes recevant des invités paléo-conservateurs aux chanteurs de folk anarchistes promouvant des négationnistes, ces derniers temps ont vu naître des collaborations politiques alarmantes. Parfois, ces mouvements naissent ou se développent à partir de franges de l’extrême-droite essayant de se vendre à la gauche. Puisque l’antisémitisme est souvent le ciment des éléments disparates dans ces formations syncrétiques, ces courants peuvent se révéler toxiques quand ils se manifestent dans le militantisme en solidarité avec la Palestine.

Campisme

Dans le monde entier ont lieu des luttes pour le changement démocratique et pour gagner plus de droits et d’égalité. Mais elles sont de plus en plus souvent associées aux revendications selon lesquelles ces principes représentent l’hégémonie de « l’élite libérale occidentale » et son « ordre mondial unipolaire » plutôt que les droits et les aspirations humaines universels.

Les régimes oppresseurs et autoritaires affirment que les efforts fournis pour les rendre redevables de ces principes ne sont que des tentatives de protéger l’hégémonie unipolaire occidentale. Ces régimes se présentent comme les leaders d’un monde « multipolaire » émergent, où les différents régimes autoritaires seront libres de définir la « démocratie » selon leurs propres standards antidémocratiques.

Par ailleurs, de même que les mouvements racistes, patriarcaux et autoritaristes occidentaux se proclament la voix des peuples de souche authentiques contre les « élites mondialistes », dans les anciennes colonies occidentales, ces mouvements se présentent comme la « majorité décoloniale » contre l’hégémonie des « élites occidentalisées ».

Les gauches refusent souvent de reconnaître cette dynamique. Pire, certaines de ses composantes diffusent une (fausse) promesse : celle qui veut que des régimes et des forces tyranniques, autoritaires et réactionnaires représentent une résistance progressiste à l’« Occident impérialiste ». Leur engagement pour la survie et la solidité de ces régimes « multipolaires » se fait au détriment d’une solidarité consistante, efficace et significative avec les mouvements de résistance à ces régimes.

L’impérialisme occidental est confronté au défi des alternatives réactionnaires : l’impérialisme russe, l’impérialisme chinois, l’impérialisme régional iranien, déploient souvent des forces paramilitaires écran telles que le Hezbollah et, dans une certaine mesure, le Hamas, et jouent un rôle contre-révolutionnaire, notamment durant la vague des mouvements de libération qui s’est élevée en 2011. Les pétro-monarchies de la péninsule arabe deviennent progressivement des puissances globales ; d’autres puissances impérialistes régionales ou sub-impérialistes telles que la Turquie deviennent de plus en plus fortes et ne sont certainement pas de simples États clients des USA.

Face à cette situation, une extrême gauche qui prêche depuis des années que tout ce qui nuit à l’impérialisme hégémonique occidental (celui des USA) et à ses alliés est nécessairement progressiste (une perspective connue comme le « campisme » – s’associant à un « camp » géopolitique plutôt que poursuivant un projet authentiquement internationaliste) ne peut que s’abîmer dans l’apologie de ces régimes réactionnaires. Cet « anti-impérialisme » campiste est aveugle au fait qu’en soutenant le soi-disant « axe de résistance », il ne s’oppose nullement à l’impérialisme mais est l’auxiliaire d’un pôle impérial rival dans un monde « multipolaire ».

Dans une période historique antérieure (atteignant son point culminant durant la Guerre Froide), le pôle d’opposition aux USA dans l’imaginaire de la gauche campiste était l’URSS (qui servait souvent non pas comme une véritable boussole politique, mais simplement comme un symbole de la possibilité d’une quelconque alternative). Mais après le choc pétrolier de 1973 et la révolution iranienne de 1979, et particulièrement après la chute du bloc soviétique, ce rôle fut progressivement assuré par diverses configurations de l’« axe de résistance » incluant la République islamique d’Iran et peu après le Hamas.

Théorie du complot

Notre monde complexe et « multipolaire », l’opacité des mécanismes de pouvoir et d’oppression ainsi que les processus de fragmentation sociale conduisent les gens à rechercher des réponses à leurs questions et des explications au-delà de « la pensée dominante ». Les plateformes numériques qui monétisent la désinformation et les fausses informations, qui facilitent la propagation des mythes et des mensonges, facilitent l’accès aux théories conspirationnistes qui donnent l’impression d’apporter des réponses et des explications.

Les façons de partager et d’acquérir la connaissance par le tout numérique, encouragent simultanément le cynisme envers les institutions et la crédulité vis-à-vis des sources « alternatives ». La joie de « démasquer » les réalités cachées conjointement au désespoir devant l’omnipotence de l’hégémon et la recherche de liens de causalité entre des phénomènes disparates en l’absence des outils analytiques permettant de comprendre le sens de ces derniers. Et les théories complotistes conduisent presque invariablement à l’antisémitisme, qui fonctionne comme une méta-théorie de la conspiration.

L’antisémitisme fusionne souvent avec le fanatisme anti-musulman dans l’imaginaire de l’extrême-droite conspirationniste, par le biais des théories du « Grand Remplacement » qui postulent un complot fomenté par des « financiers mondialistes », dont le plus éminent est Georges Soros, afin de sponsoriser l’immigration musulmane en Europe, aux USA et dans d’autres contrées à majorité « blanche » et déplacer les populations « blanches ».

L’antisémitisme comme pseudo-émancipation

Comme d’autres théories complotistes, l’antisémitisme offre de fausses réponses et des explications faciles dans un monde complexe et confus. A l’inverse de beaucoup d’autres racismes, l’antisémitisme apparaît souvent comme un discours pseudo-rebelle, une façon de « frapper ceux du dessus » : il peut attribuer à l’objet de sa haine un pouvoir, une richesse et une ruse presque infinis. En raison de son caractère pseudo-émancipateur, l’antisémitisme paraît souvent radical. Mais c’est un pseudo-radicalisme : en assimilant les Juifs à une élite cachée contrôlant nos sociétés, il sert à rendre la vraie classe dominante invisible, à en protéger les structures de pouvoir et à détourner sur les Juifs la colère face à l’injustice.

Ainsi que Moishe Postone le suggérait, il agit souvent comme une forme d’« anti-capitalisme fétichisé » : « La puissance mystérieuse du capital, qui est intangible, globale et qui emporte les nations, les régions et les vies des gens, est attribuée aux Juifs. La domination abstraite du capitalisme est personnifiée par les Juifs ». Cet antisémitisme pseudo-émancipateur a une longue histoire, s’étalant depuis certains textes fondateurs de branches maîtresses du socialisme moderne jusqu’aux congrès de la Seconde Internationale, aux syndicats et partis ouvriers au temps des migrations de masse d’Europe de l’Est, aux versions New-age du fascisme dans le mouvement écologiste. Il était présent, et contesté, au sein des partis de la Révolution russe, s’exprimait dans le nazisme et l’idéologie stalinienne d’après-guerre et est repris par ses héritiers d’aujourd’hui, qui voient chez des « financiers mondialistes » et « cosmopolites » une pieuvre vampire exploitant les travailleurs productifs enracinés dans leur terre de naissance. Mais cet antisémitisme est aussi de plus en plus souvent jumelé avec une vision « anti-impérialiste » dans laquelle on suce le sang des miséreux du Sud Global.

Accointances avec l’islamisme

Bien que certains pans de la gauche (particulièrement en Europe et dans les Amériques, mais également dans d’autres régions du monde) possèdent une longue histoire de racisme anti musulman (revenue à l’avant-plan pendant la guerre syrienne, alors que des blocs de gauche usaient du vocable de guerre contre le terrorisme pour diaboliser la révolution), dans la période qui suivit la Seconde Intifada et le 11 septembre, la conception du monde campiste décrite plus haut a conduit beaucoup de gens de gauche à considérer l’islamisme comme une force progressiste ou même révolutionnaire en regard de l’impérialisme occidental hégémonique.

C’est, malheureusement, un phénomène mondial. Cependant, la plupart des militants de gauche d’Asie du sud-ouest et d’Afrique du Nord (SWANA), qui ont été confrontés plus directement à la politique réactionnaire des islamistes que des militants de gauche dans les autres régions du monde, n’entretiennent pas de telles illusions, bien au contraire. Les partisans de l’extrême gauche vivant en dehors de la SWANA feraient bien de les écouter.

L’islamisme englobe différentes branches. Le Hamas n’est pas Daesh, Daesh n’est pas les Talibans, les Talibans ne sont pas le régime d’Erdoğan en Turquie. Le Hamas lui-même comprend différents courants. Il est important de comprendre ces distinctions. Mais cela ne doit pas aveugler les gauches sur le fait qu’au niveau social du pouvoir, les mouvements et les régimes islamistes, tout comme d’autres formes de fondamentalisme religieux politique, maltraitent les minorités religieuses, ethniques et sexuelles, les femmes, les dissidents politiques et les mouvements progressistes.

Le racisme anti-juif est un élément persistant de l’idéologie islamiste, clairement affiché dans le travail fondateur de Sayyid Qutb « Notre combat contre les Juifs » (1950), et dans la Convention de 1988 du Hamas (qui cite le faux document anti-juif des Protocoles des Sages de Sion). Les positions des islamistess sur Israël, sur le sionisme et sur les Juifs ne sont pas purement « politiques », c’est-à-dire explicables seulement en termes de confrontation entre Palestiniens et Israéliens/sionistes, mais participent plus largement d’une vue antisémite du monde.

Bien qu’ils aient leurs propres perspectives et agendas, les mouvements islamistes doivent être compris dans le contexte de la compétition entre puissances régionales dans un monde d’impérialismes concurrents : les islamistes s’opposent souvent à l’impérialisme hégémonique au nom d’un impérialisme régional rival ou en s’alliant à celui-ci – tel que celui d’Iran. Dans le même temps, l’impérialisme des USA et ses alliés, comme Israël, tolèrent ou appuient parfois également les mouvements islamistes afin d’affaiblir d’autres forces.

La façon de voir les luttes de libération relatives au genre et à la sexualité comme étant d’importance politique secondaire par rapport à d’autres problèmes tels que, par exemple, la lutte contre « l’ennemi commun » qui est « l’impérialisme des USA », permet aussi en partie d’expliquer la volonté manifestée par beaucoup de militants de l’extrême gauche de blanchir, faire taire les critiques sur ou même proposer des alliances avec des mouvements qui, comme tous les mouvements fondamentalistes religieux, sont obsédés par le contrôle patriarcal, homophobe et transphobe du genre et de la sexualité.

Abandon de l’analyse de classe

La seule voie possible pour déboucher sur un véritable projet politique démocratique et anticapitaliste est le soutien aux luttes auto-organisées des exploités et des opprimés qui vont dans le sens de l’émancipation. La lutte des classes n’a cessé de reculer depuis des décennies suite aux victoires du néolibéralisme et aux défaites du mouvement social et ouvrier. Mais l’abandon du soutien à l’auto-organisation de la classe ouvrière et des autres luttes d’émancipation contribuant à la démocratie à partir de la base relève d’une longue histoire. Le siècle dernier a vu quantité d’instances des gauches substituer la volonté des États staliniens et d’autres forces autoritaristes à celle des exploités et des opprimés.

Beaucoup de gens qui se définissent eux-mêmes comme étant de gauche ont été jusqu’à soutenir, avec un point de vue plus ou moins critique, les forces étatiques et non-étatiques qui ne se réclament même pas de la rhétorique ni du symbolisme du socialisme : la Russie de Poutine, la Syrie d’Assad, la République islamique d’Iran et les forces paramilitaires telles que le Hamas et le Hezbollah.

Nous pensons que la montée des projets politiques confusionnistes, campistes ou complotistes, ainsi que le ralliement croissant à l’antisémitisme pseudo-émancipateur, peuvent s’expliquer partiellement comme une conséquence de cet abandon par la gauche de la notion de classe et d’une analyse de la dynamique du capitalisme mondial.

Une grande partie des politiques à gauche de ces dernières décennies ont été fondées non pas tant sur la lutte contre le capitalisme en tant que relation sociale, mais bien comme le rejet de l’« hégémonie américaine », de la « mondialisation », de la « finance » – ou parfois du « sionisme » considéré comme l’avant-garde de toutes ces forces. Cela a conduit beaucoup de gens qui se vivent comme étant de gauche à avoir de la sympathie pour les alternatives réactionnaires à l’ordre politique et économique actuel.

Dans le même temps, des versions tronquées de l’anti-capitalisme qui se concentrent sur l’immoralité supposée du capital « financier » ou « improductif » – plutôt que sur l’antagonisme objectif entre le capital et le travail – encouragent les critiques personnalisées des « élites mondialisées » et des « banquiers de Rothschild » au lieu d’un mouvement en faveur de l’abolition du capitalisme lui-même grâce à l’organisation collective et à la lutte provenant de la base.

Antiracisme sélectif

L’antiracisme global contemporain a été modelé dans le contexte d’un 20e siècle dominé par les luttes contre le racisme anti-noirs, aux USA et ailleurs, et contre l’impérialisme et le colonialisme occidentaux. Son appréhension de la notion de race est souvent simpliste, binaire et mal conçue pour comprendre les lignes complexes d’intersections de la racialisation du 21e siècle.

La perspective dominante d’une bonne part de la pensée « décoloniale » présente une vision manichéenne qui divise le monde en « oppresseurs » et « oppressés », appliquant ces catégories à des nations et à des peuples dans leur entièreté.

Cette vision handicape la gauche lorsqu’elle doit comprendre comment les différents racismes se répondent – pourquoi les suprémacistes hindous d’Inde appuient le nationalisme israélien avec enthousiasme, par exemple, ou pourquoi l’État chinois suprémaciste Han se présente comme l’avocat des droits des Palestiniens tout en se livrant à une colonisation et à une répression de masse des musulmans dans le Xinjiang/Turkestan de l’est au nom de la « Guerre du peuple contre le terrorisme ».

Et elle handicape aussi la gauche lorsqu’elle doit comprendre le racisme quand il ne correspond pas à une question de couleur de peau, comme pour le racisme des Européens de l’ouest contre les Européens de l’est « pas si blancs que ça », le racisme des Russes contre les Ukrainiens ou le racisme anti-Arméniens.

L’antisémitisme en particulier ne rentre pas clairement dans la vision du monde de cet antiracisme sélectif, qui voit les Juifs comme « blancs » et ne peut par conséquent pas les considérer comme victimes de racisme. Cette perspective efface les « Juifs non blancs » et passe à côté de la construction sociale et contingente de la blanchité elle-même. L’intégration de certains Juifs dans la blanchité est réelle mais elle est inégale et très récente dans de nombreux cas.

Cet antiracisme tronqué est le reflet de l’anticapitalisme tronqué dans lequel se perdent les gauches.

En résumé, le renouveau de la gauche en tant que mouvement pour la solidarité internationale nécessite un antiracisme et un féminisme consistants, une régénérescence d’une politique de classe, un renouveau de l’analyse du capitalisme mondial et le rejet d’une vision campiste qui procède d’une division binaire du monde en catégories du bien et du mal.

Comment pouvons-nous transformer et régénérer la gauche ?

Nous proposons cette analyse comme une contribution pour un renouveau des gauches fondé sur un projet politique authentiquement internationaliste et démocratique. Il n’est pas toujours facile de s’attaquer aux idées réactionnaires dans nos propres rangs. Mais quand nous le faisons, notre mouvement s’enrichit, à chaque fois, de la compréhension plus profonde qui s’en dégage. À quoi cela ressemblerait-il si les gauches prenaient cette analyse en compte ?

Une solidarité consistante

En tant qu’internationalistes, notre point de départ devrait être la promotion du droit universel à l’accession des peuples aux droits démocratiques. Insister sur la solidarité avec les civils attaqués des deux côtés n’est pas un style désinvolte d’équivalence morale ou d’argutie mais bien un principe éthique fondamental. La vraie solidarité ne veut pas dire qu’il faut voir toutes les personnes comme étant les mêmes et n’ignore pas les différences structurelles entre les victimes ; au contraire, elle reconnaît et respecte les différentiations.

Les gauches devraient se préoccuper des morts civiles, qu’elles soient causées par l’État juif ou par les États arabes, par les États du camp occidental ou par les États qui s’y opposent ou encore par des acteurs non-étatiques.

La fin est substantiellement conditionnée et préfigurée par les moyens : une politique menée au moyen de massacres indiscriminés de civils ne sert pas une fin émancipatrice.

Sont particulièrement problématiques les courants politiques qui mettent la lumière sur les souffrances des Palestiniens à Gaza tout en restant silencieux – si ce n’est enthousiastes – lorsque les Syriens (y compris des Syriens palestiniens) ont été massacrés par le gouvernement d’Assad et ses alliés (massacres souvent justifiés par exactement la même rhétorique de la guerre contre le terrorisme que celle dont use Israël pour excuser les frappes contre les civils) ou que les Ouïghours et d’autres minorités ethniques majoritairement musulmanes font face aux incarcérations de masse, à la surveillance totale et à l’anéantissement culturel en Chine.

Donner de la voix aux forces militantes des travailleurs et des travailleuses, des progressistes, et de ceux et celles qui agissent pour la paix des deux côtés.

Le changement démocratique radical est impossible sans la volonté propre de se battre consciemment et activement pour celui-ci. Une gauche internationale qui consacre ses énergies à faire le jeu des forces réactionnaires ne fait rien pour aider au développement de cette volonté ; au contraire, elle l’inhibe.

Dans le conflit Israël/Palestine, comme dans toute lutte internationale, une gauche véritablement internationaliste et démocratique devrait concentrer son activité sur l’écoute, l’engagement et la constitution d’un soutien concret aux forces présentes sur le terrain qui s’organisent pour faire progresser un agenda démocratique. Cela signifie offrir une caisse de résonance à la voix des acteurs locaux – les féministes, les militant.es queers, les syndicalistes, les activistes de l’environnement – qui s’opposent dans les sociétés israélienne et palestinienne à la violence d’État perpétuelle et à la division raciste.

Critiquer les États ne veut pas dire s’opposer aux droits fondamentaux des peuples

Les communautés nationales dans leur ensemble bénéficient souvent des politiques colonialistes de leurs états et de l’oppression des autres peuples. Mais ces bénéfices ne sont pas uniformes et cela ne veut pas dire que tous leurs membres sont également complices ou qu’ils ont le même pouvoir sur les politiques de leur État.

La solidarité avec les Palestiniens ne devrait pas être synonyme d’hostilité monobloc envers les Juifs israéliens en tant que peuple ni s’opposer aux droits fondamentaux de ces derniers. Un projet politique de gauche doit viser à aligner les droits démocratiques de tous sur le mieux-disant et non à les soustraire aux uns pour les « redistribuer » à d’autres.

Partout, les Juifs – qui sont souvent liés à des personnes ou des lieux en Israël – se sentent attaqués quand les Israéliens en général sont ciblés. Soutenir les droits des Palestiniens demande d’identifier et de nommer précisément l’État d’Israël et son appareil idéologique comme les auteurs de l’injustice, et non le peuple israélien comme un tout, considéré comme un bloc homogène et indifférencié sur le plan politique.

Comprendre Israël dans le monde

L’antisémitisme attribue traditionnellement un pouvoir absolu aux Juifs. Quand ce schéma s’applique à Israël, c’est toujours de l’antisémitisme. Israël existe dans un monde complexe, mouvant, « multipolaire » ; c’est un État puissant mais son pouvoir est limité dans le système mondial. Il n’est certainement pas le leader de l’impérialisme mondial que l’on dépeint dans certains narratifs à gauche.

Il y a un grand nombre de raisons pour lesquelles il est juste et nécessaire de critiquer Israël, et qui sont les mêmes raisons pour lesquelles on peut critiquer bien des États dans le monde, y compris certains des pays dans lesquels nous vivons nous-mêmes. Refuser de diaboliser Israël ou le considérer comme exceptionnel ne veut pas dire être d’accord avec sa politique, mais plutôt inscrire cette politique dans les tendances dont elle est l’une des expressions et non la quintessence. Même la violence à grande échelle qu’Israël inflige aux habitants de Gaza trouve un précédent récent dans la guerre du régime d’ Assad contre le peuple syrien.

Les courants des gauches qui critiquent le colonialisme d’implantation israélien tout en faisant l’apologie du colonialisme russe en Ukraine utilisent un double-standard. Nous pressons aussi nos camarades de réfléchir pour savoir si eux ou leurs organisations utilisent le même langage ou le même registre émotionnel au sujet de l’oppression des Kurdes par la Turquie ou des Tamouls par le Sri-Lanka, par exemple, qu’au sujet de l’oppression des Palestiniens par Israël. Si la réponse est non, considérez l’impact politique et les implications de cet exceptionnalisme.


Une approche critique du nationalisme

Les nations sont des constructions sociales qui fonctionnent en partie pour masquer les exploitations et les oppressions en leur sein, telles que celles liées à la classe sociale, au genre, à la race, ou autre, au nom d’un « intérêt national » uniforme. Notre objectif de long terme est une association libre de tous les êtres humains, c’est-à-dire un monde sans nations, dans lequel les distinctions ethniques deviennent secondaires. Cependant, transcender la nationalité est difficile à concevoir dans un monde où des gens sont oppressés, occupés et parfois massacrés en raison de leur histoire nationale.

Les gens de gauche doivent se dresser contre l’oppression des peuples liée à leur nationalité. Mais nous devons aussi reconnaître que tous les nationalismes – y compris ceux des groupes opprimés actuellement – sont, au moins potentiellement, vecteurs d’exclusion et d’oppression. Soutenir le droit de se défendre d’un peuple donné ou de conquérir l’autodétermination ne signifie pas pour autant embrasser leur nationalisme par procuration. Une gauche internationaliste ne doit pas brandir un drapeau national ou soutenir un État ou un mouvement national sans critique.

La gauche doit soutenir le droit à l’autodétermination comme faisant partie d’un programme pour l’égalité démocratique. Cela suppose de promouvoir sur une même base le droit de tous les peuples à l’autodétermination et de s’opposer à tout programme qui ambitionne la domination d’un peuple sur un autre.

L’objectif du Hamas de remplacer la domination nationaliste juive par une domination nationaliste islamiste – un état théocratique dont les « usurpateurs » juifs seraient expulsés – est réactionnaire. Le fait qu’il soit hautement improbable qu’ils parviennent à leurs fins ne rend pas leur objectif plus supportable du point de vue d’une ambition politique démocratique internationaliste.

Antiracisme inconditionnel

Les raisons pour lesquelles il faut se tenir aux côtés des victimes du racisme ne se limitent pas à la compassion pour la sensibilité blessée des personnes concernées – bien que s’en préoccuper soit préférable à l’indifférence parfois affichée à gauche. Elles tiennent aussi à ce que les idées qui incitent au sectarisme minent les efforts pour faire progresser les luttes en faveur de la démocratie.

Cela suppose de refuser de conditionner notre solidarité contre le racisme à la politique.

Tout comme c’est un tort de demander aux Palestiniens (ou aux autres Arabes ou musulmans) de condamner le Hamas avant de leur donner droit au soutien contre le racisme, c’en est un également de demander aux Israéliens ou aux Juifs de la diaspora de faire la démonstration de leur pureté idéologique – montrer qu’ils sont de « bons » Juifs – avant que le racisme dirigé contre eux ne soit pris au sérieux.

La solidarité contre le racisme ne doit pas être conditionnée à l’approbation de l’opinion politique dominante de la personne ou du groupe victime de ce racisme. Elle requiert au contraire l’inconditionnalité de l’opposition au racisme et aux autres haines, même lorsque les membres du groupe ciblé sont susceptibles d’avoir des idées réactionnaires.

La gauche peut et doit inconditionnellement s’opposer au racisme anti-Palestiniens et anti-musulman sans approuver le Hamas ; elle peut et doit inconditionnellement s’opposer à l’antisémitisme sans approuver le chauvinisme israélien.

Ne pas offrir de tribunes aux faux amis

Une particularité de la crise actuelle et de ses conséquences est le cynisme avec lequel les militants d’extrême-droite (à l’inclusion de purs fascistes et de nazis au sens littéral) instrumentalisent la solidarité avec les Palestiniens pour répandre l’antisémitisme. Un petit nombre de ces militants rejoignent les défilés anti-Israël. Un très grand nombre d’influenceurs pro-palestiniens amplifient l’audience des contre-influenceurs d’extrême-droite sur les réseaux sociaux, souvent appuyés par les réseaux d’influence d’État russes et iraniens. Au cours des semaines qui ont suivi le 7 octobre, des comptes tels que Jackson Hinkle (un promoteur du « communisme MAGA ») et Anastasia Loupis (un militant antivax d’extrême-droite) ont accumulé des millions d’abonnés parmi les utilisateurs hostiles à Israël grâce à leurs messages viraux (dont beaucoup contenaient des fausses informations) au sujet du conflit.

D’autre part, l’extrême-droite n’est pas homogène, et les militants d’extrême-droite anti-musulmans, dont beaucoup se sont révélés antisémites en grattant un peu la surface, instrumentalisent avec cynisme la peur des Juifs et l’indignation d’un large public face au terrorisme du Hamas pour susciter l’hostilité anti-musulmane et blanchir leur réputation de racistes. Nous devons démasquer et marginaliser ces acteurs répugnants. Nous devons tracer des lignes claires. Nous ne pouvons pas permettre l’instrumentalisation de la souffrance des Juifs et des Palestiniens par des entrepreneurs politiques. Tout groupe offrant une tribune aux nazis, aux fascistes et aux orateurs qui leur sont assimilés doit être traité de la même manière que les sympathisants des suprémacistes blancs.

Conclusion

Nous avons écrit ce texte comme une critique des lignes qui se sont imposées dans une bonne partie des gauches. C’est une critique depuis la gauche, et pour la gauche.

En tant que militants des gauches et organisateurs du mouvement social, nous ne considérons pas les tendances que nous décrivons comme des conséquences inévitables des principes fondateurs de la gauche. Nous les voyons comme le résultat de la déformation et de l’abandon de ces principes.

Les co-signatures additionnelles, y compris de celles et ceux qui approuvent certaines parties du texte mais pas d’autres, ainsi que les réponses critiques, sont les bienvenues. Étant donné le contexte, nous accueillons avec plaisir tout particulièrement les réponses, y compris critiques, des Palestiniens et des Israéliens de gauche. Nous espérons que ce texte contribuera à un large débat sur la transformation et le renouveau des gauches.

Nous voyons cet effort de régénérescence et de transformation comme une tâche nécessaire pour toute personne qui ne souhaite pas exclure la possibilité d’un changement systémique. Nous accueillons favorablement l’engagement de toute personne investie dans un tel changement et qui comprend que pour être un instrument efficace pour y parvenir, les gauches doivent se changer elles-mêmes.

Auteurs : Ben Gidley, Daniel Mang, Daniel Randall

Traducteurs : Michaël Goldberg et Jonas Pardo

Signataires