Paris, Klincksieck, coll. "Critique de la politique", 2023
Considéré un temps par la police de l’Empire allemand comme « l’agitateur le plus important du mouvement révolutionnaire radical », Gustav Landauer (1870-1919) est une figure insaisissable, qui déjoue toutes les tentatives de catégorisation : anarchiste, il se méfiait des connotations trop négatives du mot en lui préférant celui de socialiste ; penseur du politique, il se définissait comme « antipolitique » en concevant le renouveau de la communauté libre à petite échelle, au sein même de la société existante ; révolutionnaire, il récusait l’attente d’un grand soir et marquait sa réserve à l’égard de l’action violente ; penseur de la communauté, il affirmait que la recomposition des rapports sociaux passait, avant tout, par la transformation intérieure des individus ; théoricien de la rupture et de la nouveauté, il estimait que celle-ci tirait sa vitalité du passé ; utopiste, il considérait que l’utopie devait s’expérimenter au présent et refusait toute représentation abstraite de la société idéale ; philosophe de l’action et « agitateur », il s’est interrogé sur le type de discours le plus à apte à nourrir cette action.
Cet essai est le premier à présenter, à partir des textes et de leur contexte, une lecture synthétique et complète de la pensée de Gustav Landauer, qui continue d’inspirer la réflexion politique contemporaine.
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INTRODUCTION
« LA Révolution n ’ est pas ce qu ’en pensent les Révolutionnaires »
D’où vient notre marasme ? D’où vient notre incapacité, face aux catastrophes en cours, à œuvrer pour un monde meilleur ? Faut-il incriminer la prétendue « fin des idéologies » ? Et doit-on entendre par là que serait révolu le temps où l’on se retrouvait autour d’une même cause pour renverser le colosse d’un monde ancien ?
D’aucuns expliquent l’impuissance par les replis communautaires qui conduiraient les êtres humains à se rassembler autour d’identités plus spécifiques, moins transversales que dans les grands récits du siècle passé.
La politique aurait ainsi cédé la place à une ère de la micro-politique, au détri- ment de toute perspective globale de changement. Pour d’autres, nous serions même parvenus à ce stade ultime de l’individualisme, où chacun ne s’efforce- rait plus que de se faire valoir au sein d’un agrégat d’individualités disjointes. Il y a plus d’un siècle, le philosophe anarchiste Gustav Landauer s’est confronté à des questions similaires, centrées sur les rapports de l’individu et de la communauté. Comment faire droit aux exigences de l’un et à celles du multiple ?
Comment faire advenir la justice dans l’organisation de la vie humaine ? À l’opposé de tous les régimes de contrainte, quels types de groupe- ments seraient susceptibles de faire naître un véritable esprit de communauté ? Pour le philosophe, la solution pour que s’instaurent des rapports sociaux har- monieux réside dans la révolution qui serait devenue un élément constitutif de notre ordre social. Sans cette révolution, aucune chance que de tels rapports s’établissent dans une société en perpétuelle régénération.
Sans révolution, les communautés existantes se sclérosent, se meurent de l’intérieur et s’affrontent de l’extérieur. Il faut donc agir, ici et maintenant, en faveur du changement.
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