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Millénarisme
L’âge d’or des crédules
Article mis en ligne le 29 octobre 2023

Un des piliers du monothéisme tombé en désuétude, mais qui perdure dans l’inconscient symbolique.
Toutefois, il est toujours à l’œuvre dans les délires religieux et, plus grave, dans le politique qui ne cesse de vouloir rejouer le film : Grand-soir, An Zéro, Révolution…

Définition et histoire

Définition.

Doctrine du millénium, âge d’or d’une période de mille ans pendant laquelle le Messie régnerait en Splendeur. En grec, chiliasme dérivant de khilias signifiant mille.
Les prophètes, les publicistes de l’époque, en furent les promoteurs.
On trouve des allusions dans Daniel, Hénoch et les Jubilés qui tentent de fixer une date.
Les rabbins ne manquent pas d’exercer leur pilpoum (discussion théologique sur des points apparemment contradictoires de la doctrine talmudique). Toutefois, le Livre d’Esdras modère les ardeurs des propagandistes et réduit cette ère à quatre cent ans. Les rabbins se livrèrent une bataille sur la durée de ce millénium.

Le nom est resté, mais la durée varie.

Histoire.

Le christianisme récupère le bébé dans l’Apocalypse sous le label Nouvelle Jérusalem (chap. 19-22).

Au IIème siècles l’auteur de la Lettre de Barnabé reprend le flambeau. Irénée et Tertullien suivent.

Au IIIème siècles Origène développe un conception allégorique et le condamne avec vigueur.

    • Joachim de Flore (1135 -1202) relance l’idée de millénium en même temps qu’il redéfinit une théologie trine (Trinité) : " Comment trois personnes sont-elles une ? ". Il introduit une autre histoire de l’Église qui rappelle un peu une philosophie de l’histoire. Le IVème concile de Latran condamne la conception joachimiste de la Trinité, toutefois sa lecture de l’Apocalypse perdure. Au XIV et XVèmes siècles se dessine une tradition profonde dont la " couche la plus profonde alimente les attentes des mouvements religieux de caractère populaire, contribuant à en radicaliser les intentions sociales révolutionnaires." (Dict de Théologie, Puf, p.878-880)

Le thème décline, la version temporel d’âge d’or se maintient avec des perspectives eschatologiques dont nous parlerons plus bas.

Les compagnons de route du Millénium.

Le millénarisme s’appuie sur deux autres idées fondamentales du monothéisme sans lesquelles il n’aurait aucune signification et aucun avenir.

Le messianisme.

    1. Le terme implique reconnaissance du Messie, l’oint de Dieu. David et Salomon incarnent l’onction monarchiste théocratique. De plus, le roi est défenseur de shalôm, la paix, l’harmonie sociale, et la fécondité de la terre.
      David combine la théocratie et l’Alliance du peuple. Il est Israël, fils de Dieu. Le roitelet de Palestine devient un double symbole face à Goliath : l’autre. (Petit, mais fort)
      La survivance du messianisme royal s’accompagne d’un messianisme prophétique et d’espérance de jours meilleurs, la figure du roi oint n’a guerre convaincu, à la longue, le bas-peuple même élu.
      Le sacre du roi reprend cette idée. La notion floue de " l’oint " se combine avec l’idée d’un Sauveur à venir.
    1. Le N.T reprend, mais transforme radicalement la problématique du messie. Les miracles de Jésus lui confèrent une dimension nouvelle : celle de Messie avec un M majuscule. Pierre dit " Tu est le Messie " (Mc 8, 29). LeMessie se méfie de sa canonisation, il préfère : " Fils de l’Homme " (Mc 8, 31 entre autres). Après la résurrection, le Messie devient Christ et véritable fils de David.
      Avec Jésus-Christ, le millénium reprend des couleurs dont le sens s’eschatologise.
    2. D’autres cultures connaissent aussi le phénomène de prophétisme.
      1. L’islam hérite de la patate chaude. Le chiisme (dans le courant majoritaire duodécimale) attend le retour de l’Imam caché à partir de 941.
      2. Le sunnisme espère en un Mahdi souvent comparé à Jésus qui établirait un règne d’ordre, de paix débarrassé du Dajjal, le Malin
      3. On retrouve le même personnage chez les Guarani (Obera), et plusieures figures en Afrique comme dans l’Inde musulmane du nord-ouest
    3. Thomas Münzer (1489-1525) mélange millénarisme et messianisme ce que Engels reconnait. Luther prêcha la croisade contre cette engeance.
    4. Le célèbre " In God we trust " entre aussi dans ce cadre. Le commerce sauve, bel épitaphe sur la tombe de l’Oncle Sam et magnifique slogan publicitaire du capitalisme déculpabilisé.

Le prophétisme.

Depuis le sanctuaire de Delphes prophétie, prophète et prophétisme occupent une place permanente dans notre culture. Ils incluent, dès le départ, un relent de divination, mais aussi de médiation .

    1. Le prophétisme est déjà présent en Mésopotamie et en Canaan. Le judaïsme s’en inspira.
    2. Le judaïsme récupère et intègre une longue tradition anthropologique méditerranéenne et moyenne orientale. Les prêtres (sacerdoce) voués au culte ne peuvent cumuler le rôle de prophète sans risque de déviation. Le prophète, lui, peut parler librement. Dans le langage contemporain, il est un " lanceur-d’alertes".
    3. L’A.T. emploie le terme de voyant (rôèh), de visionnaire (hôzèh), d’homme de Dieu (ish hâ’èlôhim) ou le plus utilisé prophète ( nâvî’  ; en arabe nabi ). Attention, les faux prophètes existent aussi, la voix de son maître n’exclut pas les parasites.
    4. Le prophétisme est lié à la Révélation, sans elle, sa voix serait sans fondement.
    5. Le prophète est profondément ancré dans la société, pour le meilleur et pour le pire. Il sera loué ou caillassé. Le prophète attaque souvent le pouvoir politique, fait important pour comprendre son importance.
    6. Le N.T. change la nature du prophétisme. Jean-Baptisme et Jésus sont d’abord des prophètes. Maintenant, les faux prophètes sont de hérétiques.
    7. Dans l’islam, les prophètes demeurent des hommes comme les autres Coran VI, 84-86. Mohammad (sceau des prophètes) clôt la liste. L’islam aime beaucoup clore cf. l’ ijtihad. Bon certes, il y a les chouchous. L’intégration des prophètes valide la primauté du dernier.
Interprétations du prophétisme

Le phénomène eut de lourdes conséquences, il laissa de nombreuses traces dans la pensée occidentale.

    1. Max Weber note qu’il est une forme de religiosité importante de notre culture, tout en étant tourné vers l’action, au contraire de celui d’Asie plus
      contemplatif. Weber note que le déclin du prophétisme dans l’occident marque de qu’il appelle " le désenchantement du monde ", théorie qui fit école (Marcel Gauchet). En conséquence, on assiste à une immanentisation du religieux, ce qui n’est pas pour autant une désacralisation, mais une sécularisation.
    2. De tous temps, des prophètes séculiers secouèrent le cocotier : Nostradamus, Savonarole, d’ailleurs en titillant l’Église.
    3. Le prophétisme s’appuie toujours sur l’idée de libération. Le colonialisme favorisa la prolifération de prophètes. Et pour cause, l’Afrique connut une floraison de prophètes dénonçant l’homme blanc. il est à l’origine de négritude, comme identité libératoire. Quelques noms : Kimbangu (1889-1951) au Congo belge, en Côte d’Ivoire : William Wade Harris (1865-1929) fonde une église, en Afrique du Sud l’Eglise de Zion crée par Engenas Lekganyane. On a déjà signale le Mahdisme. Bref, le prophétisme n’est pas du folklore, mais bien une réponse à une attente de libération et d’un millénarisme salvateur.
    4. Le protestantisme connut aussi ses prophètes : Les adventistes du 7ème jour, les Mormons, la Science chrétienne…Luther lutta contre Thomas Münzer pour préserver les intérêts des Princes germains.

Permanence et modernité

La peur

Descartes, dans le Traité des passions, fut intrigué par la peur. Elle correspond à un sentiment d’insécurité doublé d’une angoisse qui peut tourner à une peur de l’angoisse. Très souvent la peur est ridiculisée par la culture environnante tournée vers la bravache, le goût du risque et la fierté affichée. Certains rites de passages se servent de la violence comme antidote à la peur afin d’acquérir une sentiment d’appartenance au groupe.
D’autre part, leur peur/angoisse appartient aussi au registre du religieux.
Kierkegaard lie la peur/angoisse à la faute originale, le péché, sa culture luthérienne scandinave lui offre la possibilité de développer dans le Concept d’angoisse, une approche originale. Le passage de l’innocence à la peccabilité est source d’inquiétude interne. La peur/angoisse est donc le propre du chrétien imbibé d’Écriture.
Cela explique cela.

Les Grandes peurs.

Le Moyen-âge met en évidence la large panoplie des peurs : peur de la mort, de l’Enfer, du Diable et de sa cohorte de démons, peur de la fin du monde, de la famine, de la maladie, des épidémies…Un mélange de faits historiques (féodalisme, guerres) et de peurs religieuses agita la fin du premier millénaire. Les millénaristes y virent un moment privilégié de remédier à l’insécurité matérielle et spirituelles par des exhortations et un piétisme débridé.
Ce premier moment fait origine. Que l’on se rappelle des sottises que l’on connut en l’an deux mille. Nostradamus aurait fait fortune s’il n’y eut la loi sur les droits d’auteur ; tout bénéfice pour les marchands de papiers imprimés.

Stratégie de la peur.

    1. Les nouvelles technologies servent de diffuseurs de la peur, le prophète/messager a pris sa retraite anticipée. L’I-Phone diffuse les alertes virales de la peur en temps réel. Big Brother est arrivé, comme Zoro. De plus, le récepteur du message est toujours un individu (renforcement de l’individualisme " collectif " et qui de surcroît paye un abonnement mensualisé, la soumission volontaire tarifée. Cela génère une " fixette " permanente, un ancrage, un fil à la patte hannetonien. La peur pérennisée engendre une inhibition de la volonté d’agir et une rupture de lien social et éthique. Le " ON " de l’I-phone n’est pas un " NOUS ", mais une collectivisation des peurs et des réflexes induits.
    2. Les nouvelles technologies revêtent les oripeaux du fascisme basique : le piège de la technique n’a pas fini de nous éteindre. La peur instille un nouvel ordre social. Ne pas être "instrumenté" déclasse le gamin des cours d’école. Les adultes non I-Phonés sont des apostats, de dangereux terroristes en puissance.
    3. Le néo-libéralisme a enfin trouvé et produit en masse sont appareillage du contrôle social. Le MILLENIUM est arrivé. La peur instrumentalisée est la violence la plus sournoise et efficace possible. On sera collabo ou refuznik, comme tu veux tu " choises ".
      Le monopole de la technologie, maintenant essentiellement détenue hors des Etats met en place l’industrie lourde du néo-totalitarisme (Néo-Tot). Finie la métallurgie, vive la nano-électronique.

Libération et révolution.

Nous l’avons vu le millénarisme s’acoquine parfaitement avec ses frères et soeurs en matrice : le prophétisme et le messianisme.
La pulsion est toujours là, cachée dans les plis du cerveau, de sa biologie . Il faut peut de chose pour réveiller la trilogie.

Prophétisme/messianisme/millénarisme survivent grâce un mode de vie : la militance qui est à la fois, une foi, un carburant et une fascination des foules. Cela fonctionne sur le modèle : émotion/meute/émeute.

    • La violence est inhérente à ce type de mouvement. Elle se décompose en deux stades :
      • L’émotion, l’affectif de tous origines qui mobilise les forces internes et les cristallisent de préférence sur un seul thème qui devient le leitmotiv, l’obsession, le point d’encrage.
      • La puissance de l’immédiateté de la violence caractérise son imprévisibilité immédiate, même si les causes sont parfaitement connues (ex : Gilets jaunes). Le corps et la psyché sont mobilisés.
    • La meute.
      • C’est la phase de regroupement, de convergence, non des luttes (l’idée des récupérateurs et des manipulateurs professionnels). Les flux émotionnels trouvent maintenant des médias (réseaux sociaux) qui permettent de mobiliser rapidement tout en oubliant que les grandes oreilles captent aussi les messages.
      • Ici, se constitue une dynamique de "groupe" particulière ? Certains y voient une fraternité hors classe, comme une conscription volontaire. Dans ce type de groupement de nombreuses questions affleurent : le chef, les mots d’ordre, l’organisation, le contrôle…
    • L’émeute.. La" manif " voile les vraies questions de ce type de mouvements, le service d’ordre (SO) tente de limiter les débordements. Sa présence valide l’action en cas de dépassement par les ultras.
      • L’émeute préfigure ou parodie la guerre. Aux mots, aux slogans se substituent des actions instrumentalisées ouvrant la porte aux dérives violentes.
    • L’émotion est devenu le moteur de la réaction face à toutes sortes de situations dramatiques ou conflictuelles. La médiatisation joue sur ce registre en permanence. La pitié ou la l’indignation servent à dissimuler le refus de comprendre les sources profondes et sur de dissimuler ’ignorance derrière des bons sentiments, fussent-ils légitimes.
      Elle devient rage, démultipliée par le groupe, qui libère des codes sociaux usuels. Le changement de registre résulte d’un glissement progressif vers un état mental et biochimique puissant qui s’autonomise : la guerre.

La Shoah, la Palestine et les autres.

Cette courte réflexion a pour but initial d’apporter un éclairage complémentaire à la l’interrogation indispensable sur le conflit Israélo-palestinien.
Dans le conflit israélo-palestinien, dont l’épisode actuel montre le paroxysme occulté depuis longtemps, la triade Messianisme/Prophétisme/Millénarisme joue un rôle que les acteurs, les commentateurs et les militants refusent, volontairement ou non, de prendre en compte.

    • Israël. Le pays est profondément diviser entre les laïcards, les mouvements religieux juifs (séfarade ou ashkénaze aux cultures opposées), les arabes, musulmans ou non, les chrétiens de toutes obédiences, les juifs yéménites et les descendants de la Reine de Shaba (Falacha), les tribus bédouines (ici, les Hachémites) enfin les convertis de la terre entière. Israël est le prototype de l’état de fait multiculturel sans fédéralisme. Son absence de Constitution et son système politique mène à des alliances parfois dramatiques.
      • La Shoah. La fin de la guerre apporte une situation inextricable. Peu de rescapés choisissent de rentrer dans leur pays d’origine, souvent en ruine et où les spoliations les ont privé de leurs biens. Le vieux sionisme du congrès de Bâle monte au créneau et parvient à faire débarquer les survivants en " Eretz YIsraël". Le millénarisme sert de stimulant aux leader. Les souffrances de la Shoah cache la différence entre exode et exil. ce thème mérite un long développement pour comprendre l’antisionisme religieux et intellectuel. Il existe bien un antisionisme juif.
        C’est un choc des civilisations. La culture politique, scientifique et religieuse de l’Occident vainqueur contre la civilisation arabo-musulmane.
    • Palestine. Contrairement aux affirmations courantes, les populations locales sont d’origine phénicienne (Cananéens), grecque (les pharisiens de Gaza), de tribus locales, de descendants des envahisseurs successifs dont les perses, les romains et les turcs. L’islamisation commence vers 637. Les Byzantins dominèrent aussi cette partie du M-O.

De cette imbroglio historique et religieux nait, sous l’égide de l’ONU Israël. Sous l’influence du Grand Mufti de Jérusalem, promu aryen d’honneur par Hitler et prédicateur de la croisade contre le communisme, il leva des troupes pour libérer les Balkans.
Le conflit inévitable commence par l’exode d’une partie de la population musulmane. (Pour rappel la création du Pakistan généra un exode phénoménal qui engendra un million de morts).
Le drame dit palestinien est né.

    • La question palestinienne.
      • Les conflits et les purges (Septembre noir) se succèdent. Ils renforcent les positions de chaque camp. Le slogan " un peuple, un état " mobilise les mouvements de gauche du monde entier. Les alliances contre-nature, les financements occultes, les intérêts contradictoires et à géométrie variable orchestrent la descente en enfer et les cadavres s’empilent.
      • Le terrorisme et la colonisation s’affrontent sans retenue. Les fondements religieux du conflits perdent de la prépondérance et cèdent la place à une revendication nationaliste dont les chefs palestiniens ne veulent pas tout en faisant croire qu’ils la veulent. Les bonnes âmes ne voient pas le piège et le merdier qui s’installent sous leur yeux.
        Le terrorisme devient l’arme fatale, largement soutenue par différents pays. A cela s’ajoute, les motivations existentiels et le modèle révolutionnaire qui valident les actions. Le terrorisme devient un mode d’expression courant (Allemagne, Italie, Irlande, pays Basque, France Argentine, Uruguay.
        Ensuite, apparaît un hyper-terrorisme comme forme de guerre en temps de paix. Plus de conflits mondiaux, mais des micro-guerres ultra-violentes et déconnectées des conventions de la guerres. le 11 septembre 2001 termine une phase spectaculaire et organisée. Le 7 octobre 2023 gravit plusieurs échelons dans la terreur qui devient barbarie. Le recours au pogrom lié à une opération suicidaire sidère introduit une nouvelle étape.
      • La colonisation est l’oeuvre de minorités dites religieuses, qui ne cachent pas leur volonté fascisante, leur fanatisme et la négation de leur foi. Ils ne sont plus Juifs, la kippa oint le glaive barbare. Il devient impossible de larder l’économie d’une réflexion sur la logique de la violence et sur la guerre en tant que telle, une ontologie de la guerre purgée de ses racines religieuses.

Le mixage du religieux, du politique, de l’hyper-violence orchestrée par des mécènes et des professionnels de la manipulation interpellent. Une nouvelle ère la violence commence-t-elle ? La condamnation la plus vive et le soutien implicite de certains montrent, encore une fois, que la lecture profane, religieuse et politique sont confrontées à une énigme.

Ce nouvel épisode ouvre, pour nous libertaires, l’impérieuse nécessité de plonger dans le marigot sans préjugé, de sortir des imprécations et des slogans afin de renouer avec une pensée originale conforme à nos idéaux. Le judaïsme rabbinique nous a apporté l’idée d’une identité sans état/nation.