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Oublier Albert Camus ? Jamais !
Patrick Schindler
Article mis en ligne le 13 octobre 2023
dernière modification le 22 février 2024

Dans son dernier ouvrage paru aux éditions La Fabrique, Olivier Gloag ne nous conseille pas moins que de carrément : Oublier Camus ! Et de remettre une fois de plus sur le tapis (déjà bien secoué, notamment par Kamel Daoud dans Meursault contre-enquête), la question du colonialisme et de Camus. Rappelant au passage que ce dernier ne donne pas le nom des personnages arabes dans L’étranger et qu’il n’y en a aucun dans La Peste. Un crime donc ! Puis, Olivier Gloag ressort le dossier de l’opposition Sartre/Camus, notamment après la sortie de L’homme révolté. Et bien sûr en dessert, comme il fallait s’y attendre, le rapport de Camus aux femmes. C’est tout-à-fait le droit de l’auteur d’aller refouiller dans les archives, à propos des contradictions camusiennes. Pour ma part, je ne me sens pas d’attaque, ni assez calé pour accréditer ou réfuter les uns ou les autres de ses arguments. En revanche, ce livre m’a donné plutôt l’envie de relire mes livres fétiches de Camus (si cela pouvait être l’effet pervers de son essai !). Et surtout de ne pas l’oublier ! La liste pourrait être plus longue, aussi je ne citerais que Le mythe de Sysiphe, Les lettres à un ami allemand, son Cher Monsieur Germain, tous ses romans, ses pièces de théâtre (pour le côté « démodé », j’adore les photos jaunies) et quelques ouvrages connexes de mes préférés, Thésée ou l’Eté.

Donc je n’oublierai pas ce Camus-là !

Tout comme de la même manière, je n’oublierai pas nombre d’écrivains de sa génération dont j’adore les œuvres. Ainsi, je n’oublierai pas la Violette Leduc de La Bâtarde, de Ravages ou de Trésors à perdre, sous le seul prétexte qu’elle se livrait « gaillardement » au marché noir et se planquait, (pendant que certes, d’autres résistaient), avec le sulfureux Maurice Sachs (et dont elle était amoureuse parmi tant d’autres homosexuel.les qui la fascinaient). Tout comme je n’oublierai pas le Jean Genet de Notre-Dame-des-Fleurs et du Condamné à mort, sous le seul prétexte qu’il fantasmait de sa prison, sur les beaux soldats blonds mis aux avant-postes de la Wehrmacht, ou bien parce qu’il décrivait dans le détail, les amours d’un petit collabo et d’un SS dans Pompes funèbres (une scène, rappelons-le à plusieurs clés de lecture, dont une carrément antinazie) !

Tout comme, encore, je n’oublierai pas plus, l’œuvre entière de Marguerite Duras, sous le prétexte qu’elle traficotait dans un ministère du rationnement de papier sous le gouvernement de Vichy et aurait couché avec un collabo ! Tout comme je n’oublierai non plus, l’Elsa Triolet du Premier accroc coûte deux cents francs, tout cela parce qu’elle était la compagne du « sale stal » de Louis Aragon ! Et quitte à rouvrir une autre polémique qui n’est pas près de se terminer, non je n’oublierai, ni le Mort à crédit, ni le Voyage au bout de la nuit, de LF Céline, en représailles de ses immondes torchons antisémites. Et puisque nous y voilà, tout comme je n’oublierai pas Le voleur d’étincelles de Robert Brasillach ou le Feu follet de Drieu La Rochelle, pour les mêmes raisons que celles énoncées plus haut. Car dans ce cas, pourquoi ne pas aussi oublier toute l’œuvre de Dominique Fernandez, simplement parce que père Ramon, était un fasciste ? Etc., etc. …

Ce petit texte tout simple n’est qu’un coup de gueule lancé contre un titre aussi provocateur que, « Oublier Camus  ». Car quand bien même « oublier » n’est pas « brûler », le sens implicite de ce mot, s’il est plus « soft », n’en est pas moins ambiguë. Aussi espérons que ce pamphlet saura susciter de nombreuses réactions en ce sens. Et je répète ce que j’ai déjà dit plus haut, espérons que ce livre aura en plus comme mérite, au lieu de nous avoir fait oublier « l’ensemble » Albert Camus, celui de nous avoir incité à nous réintéresser plus encore au Camus, celui que l’on aime. L’éternel étranger. L’éternel révolté. L’éternel amoureux du soleil et des mythes. L’éternel anarchiste (épithète que beaucoup ne lui accordent pas) et enfin, peut-être cet homme n’a pas fait pleurer un de ses personnages à l’enterrement de sa mère : un crime ! Bien sûr qu’Albert Camus était plein de contradictions, certes, mais ne sommes-nous pas tous remplis de contradictions ?

Contradictions qui à mon sens, ne font que la substantifique moelle de toute conversation, voire le sel de toute polémique !

Patrick Schindler