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Pierre Liebrecht
Palestine : Le Hamas au pouvoir
Article mis en ligne le 30 mars 2006
dernière modification le 27 juin 2007

Après avoir mis la main sur des secteurs délaissés, abandonné par une administration corrompue, tels que la santé, le social, ou l’éducation, les gestionnaires de ces organismes, membres du parti islamique du Hamas, dans leur soif de pouvoir, tropisme sociologique, se sont dirigés vers la prise du pouvoir politique. Il y a eu certainement débat entre les tenants de la lutte armée et ces gérants du social. Ces derniers, forts de leur efficacité ainsi que de leur victoire précédente aux élections municipales, ont remporté la bataille même s’ils n’envisageaient pas que le pouvoir leur tombe entre les mains aussi facilement. Ils avaient sans aucun doute sous-estimé le délitement du Fatah. Les derniers chiffres disponibles montrent en effet que les deux camps ont rassemblé presque le même nombre de votants, le Fatah ayant perdu essentiellement du fait de la dispersion des candidats non officiels.

Les candidats islamiques ont réunis sur leur nom non seulement leurs électeurs attitrés mais aussi tous ceux qui ne supportaient plus la corruption du pouvoir en place.

Quelle légitimité pour le Hamas ?

Elle vient à la fois de son action dans tout ce qui relève des services sociaux, son discours religieux, ainsi que de ses actes de résistances/terrorisme contre Israël.
Il ne semble pas être corrompu, probablement parce qu’il est loin des sources de financement.
Il est le contrepoint du Fatah dont la légitimité tient à lutte de l’OLP, dont il était la principale composante, avant et pendant la première Intifada.
La victoire du parti de l’Islam est le résultat objectif de l’action de Sharon depuis son entrée sur le parvis du Temple jusqu’à l’évacuation de Gaza. En refusant de remettre cette bande de terre entre les mains de l’Autorité Palestinienne, c.a.d . du Fatah,et en pratiquant la terre brûlée Sharon a bouclé la boucle qui consistait à détruire toute socialité dans les territoires occupés. Obnubilé en militaire qu’il était par sa vieille haine contre Arafat et ses amis, Sharon a continué sous des formes différentes mais aussi efficace à détruire l’identité palestinienne en ce qu’elle avait d’originale, c’est-à-dire d’être une lutte d’indépendance nationale fondamentalement laïque dans une région ou tout se conjugue de façon religieuse.

Sharon incarne une conception suicidaire du nationalisme. Il ne peut exister que contre l’autre et il n’existe d’autant mieux que s’il est sur le fil du rasoir et proche de sa fin. Ce nationalisme exacerbé est incarné par cette horreur architecturale qui se dresse entre les deux parties de la même région, la Palestine

Le Mur
Il importe de regarder ce mur. Non pas de le considérer comme un concept ou un fait politique. Il faut le comparer à ce qui a déjà existé. Ce n’est pas la première fois qu’un mur sépare un pays d’un autre. Il y a eu pendant la Guerre d’Algérie la ligne « Morice »un mur électrifié, en fait une longue barrière destinée à empêcher les incursions de l’Armée de libération (ALN) algérienne installée en Tunisie de venir se battre sur le sol algérien. Il y a la barrière, électrifiée elle aussi, qui empêche encore aujourd’hui les travailleurs migrants sud-américains de venir aux Etats-Unis. Et enfin il y a eu le célèbre » Mur de Berlin qui était destiné à empêcher les habitants d’Allemagne de l’Est de venir goûter à la liberté occidentale. Mais tous ces murs étaient ou sont à dimension « humaines ». Par là je veux dire qu’ils sont franchissables, à un prix certain mais enfin cela est techniquement possible et cela a été démontré à maintes reprise par le passé. Ce n’est pas leurs natures matérielles qui en ont fait quelque chose d’efficace mais la présence de corps de policiers spécialisés à cet effet

Mais peut être faut il comparer ce mur d’un nouveau genre à l’historique Muraille de Chine ?

Le mur israélien remplit un autre office. Il est tellement haut qu’il n’est pas possible de l’escalader pas plus que de passer en dessous du fait de l’existence de fondations proportionnelles à sa hauteur. Hormis sa fonction de protection il vise avant tout à empêcher que l’on voie de l’autre côté. Il est non seulement le signe d’une séparation mais aussi celui de l’isolement d’une communauté nationale. C’est la première fois qu’un pays s’enferme de lui même dans un ghetto. Il ne faut pas que ceux de l’intérieur puissent imaginer qu’il existe quelque chose derrière eux, il ne faut pas que ceux de l’extérieur puissent voir qu’il existe des gens devant eux. Adossés au Mur les Israéliens se trouvent face à la mer. Face à cette mer dans laquelle, derrière eux, les nouveaux accédants au pouvoir palestinien proclament vouloir les jeter.

Les orphelins de la révolution palestinienne.

L’accession au pouvoir du parti islamique va avoir un autre effet, une autre conséquence. Il va priver nombre de ceux qui s’étaient identifiés au combat de l’OLP et d’Arafat d’une possibilité de se réclamer d’une geste révolutionnaire. La guerre d’indépendance palestinienne était la dernière manifestation d’un processus commencé avec la décolonisation d’après la dernière guerre mondiale, celui des guerres d’indépendance nationale. Celui de l’irruption du tiers monde dans le processus révolutionnaire commencé au début du vingtième siècle en Russie. La jonction de la revendication indépendantiste avec la phraséologie marxo-léniniste a fait rêver des générations entières. Tout cela est terminé. Un goût amer reste dans la bouche de ceux qui, le chèche autour du cou, ne comprennent pas comment le peuple palestinien a pu désavouer ceux qui portaient haut les couleurs de la soi-disant « révolution palestinienne ». Ils ne peuvent plus désormais s’identifier au combat que mènent les nouveaux maître palestiniens. Il leur faut faire leur deuil. Ils sont orphelins.

La Palestine, quel devenir ?

C’est la première fois qu’un parti islamique prend le pouvoir dans un pays où existe un courant laïc important, qui a eu le pouvoir politique et militaire entre les mains pendant longtemps et qui pour ce dernier entend le garder. Jusqu’alors le camp adverse était celui d’un pouvoir honni comme en Iran avec le Shah, ce n’est pas le cas en Palestine où, même corrompu, personne ne peut reprocher au pouvoir précédent de ne pas avoir combattu pour l’indépendance des territoires occupés par Israël. C’est aussi le seul pays arabe ou il existe une société civile vivace et active qui n’a pas l’intention de se laisser faire. C’est ce qui explique l’impasse dans laquelle le refus d’une co-gouvernance de la part des partis "laïques" plonge la nouvelle équipe gouvernementale. Derrière ce refus, se cache pourtant autre chose qu’un désaccord politique. La prétention du Hamas de nettoyer les "écuries d’Augias" du pouvoir précédent, c’est à dire d’extirper la corruption généralisée dans le domaine du pouvoir n’est pas étrangère à ce refus.

L’action musclée et pour le moins humiliante pour les Palestiniens de la prison de Jéricho, exécutée à des fins essentiellement électorales, ne doit pas masquer la modération de la réaction israélienne.

Cette société palestinienne complexe ainsi que la décision de lutter contre la corruption explique pourquoi la Communauté Européenne va continuer à financer d’une façon ou d’une autre l’Autorité Palestinienne.

Ce qui ne veut pas dire que les problèmes posés par le passage du pouvoir entre les mains du Hamas soient définitivement réglés. Les pays alentour ont tout à la fois intérêt au succès des intégristes palestiniens et à leur échec. Leur succès renforcerait les tendances islamistes, leur échec permettrait d’extérioriser les difficultés internes. L’étouffement de la Palestine par un blocus financier israélien amènerait une explosion dans les territoires occupés, donc une intervention militaire généralisée de Tsahal. Il est clair que, pour l’Iran par exemple mais aussi pour la Syrie, ce serait pain béni.

Pierre Liebrecht

15 mars 2006


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