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Sofia Karampali Farhat
Lire de la poésie

Une poétesse libanaise

Article mis en ligne le 14 septembre 2023
dernière modification le 15 novembre 2023

Lire de la poésie, pour soi, avec le rythme dans sa tête et parfois les lèvres qui remuent sans faire de bruit, c’est bien.
L’écouter, l’entendre se développer, s’amplifier, se murmurer, s’éteindre, c’est encore mieux.

Ce chemin direct entre bouche et oreilles, c’est un art qui vient de la nuit des temps, de bien avant l’invention de l’écriture.
Et l’entendre en public, dite par le poète ou la poétesse, dans sa propre langue ou traduite par son interprète alors là c’est carrément le pied !

Chaque année le festival Les Voix Vives, à Sète, permet à des centaines de poètes de tout le pourtour de la Méditerranée de se faire entendre par des amoureux et des amoureuses de la langue.

Imaginez-vous tranquillement installés, à l’ombre, sous des parasols ou des voiles tendues entre les murs des ruelles du quartier haut, l’ancien quartier des marins du port de Sète, dans un transat, entendre une voix qui vous parle, à vous, en arabe, en espagnol, en français, en italien, et vous dire de l’intime, de l’absurde, de la colère, de l’amour, de la rage et de la nostalgie…

Alors bien sûr il y a des paroles sans importance qui tournent parfois autour du nombril de l’auteur, des vers pour ne rien dire ou pas grand-chose, des formes qui peuvent paraitre fragiles ou abstraites, des jeux de mots… Mais on y entend aussi de vraies voix qui témoignent avec la force et le courage de ceux qui ont quelque chose à dire au monde, pour que cela change ! Car la poésie peut à la fois dire je et nous, l’indignation et l’amour, le sentiment et le politique.

Et c’est exactement ce que nous dit Sofia Karampali Farhat.

Cette jeune poétesse vient du sud du Liban et elle est révoltée par l’état de son pays. Gouverné par une démocratie « consensuelle » clanique basée sur des partis religieux, le Liban se débat depuis des années entre guerres civiles et crises économiques. Misère et corruption au plus haut niveau ont été couronnées par l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, dont les responsables échappent toujours à la justice, protégés par les réseaux.

Sofia vit en exil (à Paris) comme des millions de Libanais dans le monde entier. Elle est chercheuse en géopolitique, spécialiste du Moyen-Orient et traductrice de l’arabe au français. Ce qu’elle écrit dans son premier recueil Zaatar est à la fois un reflet de sa vie, pétrie de souvenirs d’enfance, d’odeurs, de saveurs, mais aussi de barbelés, de souffrances, de bombardements et de disparitions.
Elle porte une immense colère.

Écoutez la chanter :

Beyrouth
viens à moi que je te déshabille
viens j’ôterai ton vieux collier de perles confessionnelles
je nouerai à ta nuque
cette frontière parfumée
au zaatar
viens
les guerres ont épuisé ton buste sublime
repose-toi sur mon épaule endors-toi
endors-toi
viendra
un autre jour à l’aube
se déversera écarlate
sur les pores de tes murs endors-toi
endors-toi
Beyrouth
viens à moi
cent fois voulue mille fois violée
tu dois être terrifiée,
mais n’aie crainte dans mes bras
tu luiras belle libre laïque
viens
les autres comprendront
et n’aie crainte après tout
tu le sais très bien
c’est toi que j’aime

Sofía Karámpali Farhat, Zaatar, © Éditions Bruno Doucey, 2023.