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Le monothéisme méditerranéen
Judaïsme antique
Article mis en ligne le 29 mars 2023
dernière modification le 15 mai 2023

VIOLENCE ET RELIGIONS I :
Le monothéisme méditerranéen

Judaïsme antique

Considérations méthodologiques.

Bien évidemment, étudier le statut de la violence dans les grandes religions sans étudier méticuleusement leurs fondements est un défi proche du non-sens. Toutefois, ce choix s’impose, car les religions concernées demanderaient de multiples approches avant d’aborder la problématique de la violence proprement dite. Comme pour la métaphysique grecque, le monothéisme méditerranéen fera l’objet de notices approfondies. Plusieurs remarques méthodologiques s’imposent :

  • – Il ne s’agit pas de traiter uniquement le sujet dans sa seule dimension historique aseptisée, car son actualité demeure. Le préjugé épistémologique à la base est celui d’une continuité dans le changement, d’une variation sur un thème bien connu. Soit la sécularisation, concept-clé que nous étudierons séparément. Isoler le passé du présent compromettrait la compréhension et poursuivrait les illusions bornées. Ce travail s’appuie donc dans la durée, deux millénaires sanglants à souhait. Âmes sensibles s’abstenir.
  • – Un second a priori renforce le premier : il s’agit de prendre le monothéisme comme un bloc historique géocentré au bassin méditerranéen élargi aux terres visitées par les nomades sémitiques, de plus les guerres et les exils forcés ont largement brassé les populations et les croyances. Judaïsme, christianisme(s) et islam forment une trilogie du Livre qu’il faut disséquer attentivement. L’expansion par l’ouest (christianisme) et par l’est (islam) a inoculé le virus, métaphore virale oblige, dont nous subissons toujours les conséquences. Bref, l’exégèse biblique sera notre point de départ inéluctable.
  • – La consultation de la notice : « le concept de violence » et celle sur la pensée grecque sur le même thème aideront le lecteur à démêler les nœuds. Les formes et les causes de la violence s’entrecroisent depuis toujours, nous le verrons.
  • – L’articulation religions / violence comporte des variantes. Après le monothéisme, un bref aperçu des autres croyances permettra d’élargir la problématique et de mieux décrypter la spécificité de monothéisme méditerranéen.
  • – Impossible de traiter de notre sujet sans user et abuser de la notion de sécularisation dont le sens prête à confusion. La religion ayant perdu sa centralité dans notre monde occidental, son influence a décliné, réduite à la sphère privée. La séparation de l’Église et de l’État prend le pas à divers degrés de radicalité, mais, partout, la société civile joue un rôle déterminant dans la culture, la politique et la société. Il n’est pas extravagant d’affirmer que l’État (avec sa complice, la Nation) a remplacé l’Église comme communauté humaine, le corpus mysticum d’antan. L’État est le frère jumeau et l’héritier de sa Sœur ainée (le monothéisme). Kantorowicz (1950) avait bien identifié les « deux corps » du Roi. Karl Löwith, Carl Schmitt, Éric Voegelin ont systématisé une conception de la sécularisation qui affirme que « les notions religieuses ont survécu au sein de la modernité : elles se sont transformées en idées et en idéologies qui ont été dépouillées du surnaturel et du divin, tout en conservant les mêmes structures » (Buc, cf. bibliographie) : une sorte de « post-chrétienté », syndrome de la modernité inconsciente de ses antécédents généalogiques.
    • Hans Blumenberg conteste cette démarche dans « La légitimité des temps modernes » (Éd originale 1966, Éd fr. Gallimard, 1999, 688 p.). Il refuse de réduire le présent à une continuité du passé. La sécularisation n’est pas une légitimation. Il y aurait donc une légitimité propre du présent. La théologie politique remplace le Dieu absent et à l’image impossible par le signe, l’absence / présence qui brouille les pistes.
  • Pour ma part, je préfère utiliser le terme de recyclage, d’une part, parce qu’il se décompose en plusieurs étapes identifiables : collecte après tri, routage / groupage, traitement et marchandisation du / des produits finis. De plus, à chaque stade apparaissent des acteurs différenciés qui détournent l’attention, si bien que l’aval ignore l’amont et réciproquement.
  • – L’extrême complexité de la problématique et les dangers de toutes interprétations hâtives imposent de circonscrire l’étude et de ne pas tirer des conclusions trop faciles. En conséquence, la démarche suivie consiste, en premier lieu, en une lecture textuelle des sources, afin d’en dégager les lignes directrices avant de soulever les redoutables questions posées et leur interprétation nécessaire.

Mieux vaut prendre la plume, même trempée dans l’encre rouge, que le glaive.

A- Le judaïsme antique.

Le monothéisme proprement dit est une stabilisation progressive et tardive des différents cultes de dieux uniques nationaux. Ces monolâtries baignent l’espace moyen-oriental depuis de longs siècles : Assyriens (Assur), Hittites, Babyloniens (Marduk), Moabites (Kémosh). Tous ces dieux nationaux ont à leur côté une figure féminine. Par ailleurs, ils sont tous des dieux combattants. Yahvé ne fait pas exception, il est Yahvé sabaot, Yahvé des armées (Ex 15, 2-3). Le général en chef est le dieu lui-même. Le berceau moyen-oriental démontre, depuis la haute-antiquité, une déification de la guerre et de la violence. Les batailles (perdues ou gagnées), les exils successifs imprègnent le Peuple hébreu d’une mentalité belliqueuse et d’une tendance à la monolâtrie.

Adonaï, l’invisible et l’invincible manifeste sa colère à chaque fois que son peuple s’écarte de la Loi révélée au Sinaï. Il n’hésite pas à le détruite en épargnant Noé et en procédant à une seconde création. Dieu vengeur, dieu exclusif, dieu guerrier, dieu jaloux, tel est le portrait-robot virtuel de ce dieu que son peuple transformera en Dieu unique (Dieu des dieux d’où le pluriel-singulier : Élohîm) et Indivisible.

La domination romaine progressive sur cette région « pacifie » les antagonismes historiques. Le peuple Élu affine sa conception, la monolâtrie devient monothéisme. Dans le cadre de cette notice, nous centrerons la réflexion sur la violence après avoir énuméré les piliers de ce monothéisme innovant :

    • – Unicité et unité de Dieu, donc une ouverture au monde, l’amorce d’une universalité.
    • – Dieu unique / Peuple Élu comme matrice endogamique.
    • – Révélation donc Création et Loi de Dieu.
    • – Obéissance stricte à la Loi : orthopraxie exclusive : plus de six cents règles en plus des Commandements mosaïques.
    • – Inscription de la Faute et du Mal dans la nature humaine.
    • – Centrage de l’activité intellectuelle sur la compréhension du Texte : la Torah. Sacrali-sation de l’Écriture. Pas de logos, pas de cosmologie, tout est expliqué dans le Texte : la Génèse comme Traité universel des choses du monde.
    • – Transcendantalisme total : Dieu existe puisqu’il a affirmé son existence. Première manifestation de la tautologie comme mode de démonstration, d’administration de la preuve.
    • – Sédentarisation et ancrage sur un territoire avec un Temple à Jérusalem.
    • – Lutte contre le polythéisme, hantise de la division, horreur et fascination de la dualité (le Bien et le Mal étant l’exemple type). Culte de la pureté raciale (ethnique) entre autres : Nous et eux, les goyim. Culture antiféministe : interdiction d’étudier et d’entrer dans le Temple. Pas de métissage, l’horreur des mélanges et exclusivisme érigé en principe du tout-ou-rien.
    • – Eschatologie, sens de l’histoire, Rédemption, Messie, apocalypse.
    • – Observance des règles, sacrifices, prières, devoirs impératifs en vers Dieu et lutte pour sa reconnaissance par les autres nations. Obéir quel que soit le prix à payer. Réduction du politique à l’observance. La royauté (ou le pouvoir) n’est qu’une délégation de Dieu, si elle n’est pas directement théocratique.
    • – Domination de la terre et des espèces. Anthropocentrisme sédentarisé donc coupure avec la nature, donc début de la profanation du monde (dans le sens de profanisation et de do-mestication)
    • – La vie comme punition et expiation.
    • – Rôle des prophètes.
  1.  

1- La violence dans la Torah .

La violence est prise dans les livres testamentaires au sens « primitif » du terme : guerre, assassinat, viol, vol, persécution, extermination, vengeance, transgression et toutes les déclinai-sons naturelles ou humaines du phénomène. Il s’agit d’en comprendre les fondements et les mécanismes.

  • – La tension première. Contrairement à la pensée grecque, dans le monothéisme originel, les contraires ne forment pas un couple nécessaire et harmonieux. Ils s’opposent radicalement, sans concession ni dialogue possible. Le principe d’exclusion fonctionne : le Bien s’oppose au mal, le pur à l’impur, le jour à la nuit…Dans le judaïsme antique, il y a toujours un pôle de la dualité favorisé. « En face de l’homme pieux est le pécheur » (Siracide). Toute séparation est insurmontable, le goy ne sera jamais juif, aucun in-circoncis de cœur n’entrera dans le sanctuaire » (profanation et blasphème réunis). La malédiction est pour l’éternité, pas de demi-mesure, pas de retour en arrière, la Chute est définitive. La multiplication des citations ne servirait à rien. Socrate, avec les Grecs, pensait que « nul n’est méchant volontairement ». Le fossé entre Athènes et Jérusalem se révèle abyssal.
    Cette tension entre les termes de l’alternative ne peut que générer des rapports conflictuels à la fois entre les nations, les individus et la nature. Dans l’univers mental des hébreux, la violence est inévitable, incluse dans les postulats de départ.
  • Détruire la concurrence. Le Dieu unique doit être séparé des autres dieux qualifiés d’idoles. Ils existent, mais sont inférieurs, disqualifiés par la Tout Puissance du Dieu du peuple Élu. Les ordres sont clairs, nets et précis : « Vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles et vous brûlerez leurs idoles par le feu » (Deutéronome 7, 5). La purification divine prend une triste conation de « purification ethnique » du fait que la « nationalisation » des dieux. Ici encore Athènes et Jérusalem divergent, pour l’un le feu fusionne, pour l’autre il purifie, il sépare le métal du minerai pour obtenir un métal pur. Dans la Torah pas question de bronze ou d’autres alliages ; l’Alliance entre Dieu et son peuple est sur le même modèle. Que du pur, rien que du pur.
    Le monothéisme est par définition intolérant, le polythéisme accepte la concurrence, même l’intègre dans le panthéon local. A Athènes, une statue dédiée au dieu inconnu intrigua Paul qui tenta de convaincre les Athéniens que son Dieu était celui-là. Des railleries et des quolibets ac-cueillirent ses harangues loufoques (Actes des Apôtres 17, 23-32).
  • Un peuple à part. Yahvé prône avec force la séparation des hébreux des autres peuples. Le peuple élu ne doit pas se mêler aux nations, ni partager ses repas avec elles, ni épouser leurs femmes encore moins donner ses filles en mariage. Toujours plus fort, Dieu ordonne d’exterminer les Cananéens. C’est un héres, un anathème (fatwa avant l’heure, mais sainte car imposée directement par Yahvé, un devoir sacré de massacrer tous les habitants, parfois tous les êtres vivants d’une cité). Les Grecs ou les Perses ne tuent pas au nom d’un ou des dieux, mais, prosaïquement, pour se défendre ou conquérir des territoires, des esclaves, des trophées… Ils font des prisonniers. Jérusalem à Canaan ou à Jéricho répand le « sang impur », même pas pour enrichir la terre, simplement pour faire place nette. Thucydide s’indigne des massacres commis après les batailles (Mélos et Mycalessos). D’ailleurs, cette pratique est contre-productive, elles privent le vainqueur d’esclaves et de bétail. Si le Peuple n’exécute pas correctement l’anathème, il se souille lui-même. Psaume 106, 34,41 : « …Ils se souillèrent par leurs actions, ils se prosti-tuèrent par leurs pratiques. Alors s’enflamma la colère divine contre son peuple, il prit en hor-reur son héritage, il les livra à la main des nations, et sur eux dominèrent ceux qu’ils haïssaient ».
    Le judaïsme antique « ne conçoit l’identité que sous la forme d’une unité opposée à tout ce qui n’est pas elle. L’altérité est une souillure. La métaphore dépasse le slogan classique « égaux, mais séparé » et initie l’autre devise « puritaine » : «  un bon indien est un indien mort  ». Les tueries sont une nouvelle sorte de sacrifices, des immolations rituelles. Jean Soler parle d’holocauste hébraïque (La violence monothéiste p. 246), de plus, il souligne son caractère collectif. Dans la purification, la violence est nécessaire et obligatoire. Il y a bien une logique de la violence comme devoir d’un peuple envers son Dieu.
    Comment éviter une lecture textuelle de ces exploits ? Citer les textes ne fait pas l’antisémite. L’exégèse reste ouverte, nous y reviendrons, après avoir clos le chapitre des « horreurs ».
  • – Un seul chef. Suite logique des points précédents, le judaïsme antique s’appuie sur l’élection d’une personne particulière, reprise de la notion de nabi des peuples sémitiques, un voyant, un passeur qui entre en transe, donc un porte-parole du dieu. Héritage du chamanisme nomade, la question reste ouverte ? La traduction grecque de la Septante optera pour prophètes, interprète d’un dieu et non un prédicteur de l’avenir. Moïse est la figure parfaite du nabi. Dans la conception politique des anciens hébreux, la personnalisation du pouvoir est problématique, pas de concurrence à Dieu et à la Loi. La monarchie n’est pas en odeur de sainteté. D’où la frustration du peuple qui, par mimétisme et conformisme, veut un roi. Le Seigneur (Adonaï) est le Roi de fait, et Moïse son porte-voix et son portefaix. Le peuple réclame un Roi à Samuel (Juges 6,14-15 ; 1Samuel 8, 5,11 et 17-20). Cette demande désespère Dieu « Vous deviendrez des esclaves  ».
    La situation se complique, car l’autorité de Moïse, l’« humble serviteur », est contestée. Moïse propose aux contestataires un jugement, l’ordalie. Yahvé envoie les troublions vivants au Shéol avec leur famille. Manifestation typique d’un totalitarisme aveugle qui ne différencie pas les coupables et les innocents (Nb 16,35). La violence meurtrière instaure le monopole de Moïse, à la fois chef religieux, politique et militaire. La morale de l’histoire est double
    • 1) Le slogan : « un peuple, un chef, une langue  » n’est pas loin, Attention, ce n’est pas faire un lien direct entre l’antiquité juive et l’hitlérisme. Plus bas, je montrerai comment la sécularisation littérale est (et reste, sous l’image d’Israël) une perversion et d’autre part comment le judaïsme fut un contre-modèle pour les nationalistes en mal d’ennemis intimes, fantasme toujours actif.
    • 2) Dieu est sans rival et il parle avec l’aide d’un seul prophète reconnu (seul à avoir vu, sans être aveuglé, la Lumière divine) : Moïse, Jésus, Mahomet selon les différentes traditions monothéistes. (Cette affirmation péremptoire n’est pas réductrice et ne nie pas les spécificités de chacun). Cela conforte notre thèse que le monothéisme est un bloc triphasé (trinitaire aurait un autre sens) dont l’expansion fut une Catastrophe comparable à celle de la tyrannie du logos et de l’Être.
  • Comme un seul homme. Expression souvent utilisée dans la Torah qui implique que les douze tribus et leurs membres forment un seul homme, une unité. Nous retrouvons ici le double fantasme de l’unité et de la pureté face aux nations et aux goyim. Le tout sous le drapeau de la monarchie, nous l’avons vu. On lave son linge sale en famille, de plus la succession des biens reste dans le giron du peuple, de la famille, l’endogamie prend tout son sens. Le monothéisme ne concerne pas uniquement les affaires divines, la croyance se fait droit et politique. L’orthopraxie transpose les décrets divins dans le monde quotidien.
  • - Le Veau d’or, ce mythe fondateur joue sur plusieurs tableaux. D’abord, le plus connu, à sa descente de la montagne (après quarante jours et nuits avec Yahvé) Moïse constate avec effroi que le peuple a érigé une statue plaquée or (symbole de la pureté métallique). Le besoin de représentation a encore frappé, mimétisme et conformisme ont la peau dure. Violation flagrante de l’irreprésentabilité de Dieu. « Tu ne créeras pas d’image ». Circulez, il n’y a rien à voir ! Adorer le vide pose problème aux charbonniers, il leur faut un support tangible fut-il symbo-lique ou iconique. (L’islam l’a bien compris et les iconoclastes aussi). Côté judaïsme, les rouleaux seront un ersatz à la statuaire, une trace encore plus forte, car écrite et mémorielle. Le judaïsme ne lutte pas contre les idoles pour préserver le vrai Dieu, mais pour assumer et démontrer sa supériorité. Yahvé n’est pas le seul dieu (Élohîm = Dieu des dieux), simplement le meil-leur, le plus puissant (la création du monde étant la meilleure preuve possible, difficile de nier l’existence des choses, la Génèse en témoigne). Dieu unique + peuple élu + Loi + un seul Temple + une nation, les ingrédients du monothéisme forgent une entité cohérente prête à partir à l’assaut du monde en obéissance aux Commandements. « Comme un seul homme », le glaive au poing, la foi chevillée au corps : « Oui, Chef », « On peut cogner Chef ? » diront les caricaturistes.
    L’épilogue du récit dit du Veau d’or, moins connu, (et pour cause !) mérite une attention particulière. Au principe d’exclusivité, Yahvé ajoute une couche que les amateurs d’Écriture Sainte ont tendance à oublier. En effet, Moïse aux ordres du Big Chef (ici pas encore question de « Big Brother », hiérarchie oblige) envoie les lévites (les prêtres, le petit doigt à la couture de futal) à travers les campements des tribus passer au fil du glaive les adorateurs. Selon les sources, le nombre de victimes va de trois mille (Ex 32, 26-28) à quatorze mille sept cents (Nb 17, 6-14). Évidemment, ni Al Jazeera ni aucune chaîne de reporters hors-frontières n’étaient là. Toutefois, Hérodote et Thucydide avaient, sans camera ni magnéto, rendu compte correctement de leurs voyages et autres récits de guerre. La Torah nous entraîne sur des rives escarpées pleines de récifs. Nous verrons, plus bas, le décryptage de la barbarie à visage divin.
  • « Tu ne tueras pas » ou l’impératif de tuer. Dans le contexte yahviste, les Dix Commandements s’appliquent au peuple hébreu. Pas une once d’universalisme à l’horizon. Comprendre « Tu ne nuiras pas à ton frère hébreu », le vol intracommunautaire est proscrit, Moïse n’oublie pas d’ajouter « …vous ne partirez pas (d’Égypte) les mains vides… vous dépouillerez les Égyptiens » (Exode 12, 35-36). Deux poids, deux mesures ou invention de la première taxe locale, les citations ne manquent pas. Voler les goyim, une pratique millénaire en déduiront les antisémites patentés. Les premiers balbutiements du monothéisme sont clairement ethnocentriques, ils manifestent une pensée binaire exclusiviste. Les prescriptions sont des devoirs, des impératifs ethniques, une marque de fabrique, un « label rouge sang ! ». Pas de juste milieu (Aristote), du pur absolutisme sans position intermédiaire : tuer ou être tué. D’autant qu’un autre précepte gouverne le peuple hébreu : «  Tu choisiras la vie pour que tu vives » et que perdure le peuple.

Cette violence vers l’extérieur s’accompagne d’une exigence intérieure : « Tu ôteras le mal du milieu de toi » (Dt 13, 6). Préfiguration des mortifications et autres tourments mis au point par les chrétiens et, chez les musulmans, au djihad du cœur et à celui de l’épée. On est bon ou mauvais, jamais les deux : « impossible d’agir bien, si l’on est habitué au mal ». Seule la violence peut changer le mal en bien. Le décor est fixé, les héritiers (au sens universaliste du terme, bien sûr) seront fidèles.

    • Petit rappel – Socrate affirmait « Celui qui tue, même justement, n’est pas digne d’envie » (Gorgias 469 h). Sous d’autres cieux, Confucius disait : « Punir de mort au lieu d’instruire, c’est la tyrannie » ; « Est-il besoin pour gouverner de tuer ? ». L’un et l’autre appartenant à des civilisations violentes et guerrières, nous reviendrons sur la différence radicale avec le monothéisme.
  • L’Écriture, scripturaire de la Loi. La Bible a mobilisé un nombre incalculable d’historiens, de savants, d’exégètes. Rarement un texte fut autant disséqué, les rédacteurs ont emporté avec eux leurs motivations et leurs sources. Gardons à l’esprit que le Livre a mobilisé pendant des siècles les auteurs. Par recoupements, on sait que les Hébreux ont connus différents exils, déroutes militaires et démêlés internes. Ce qui se veut récit, n’est qu’une représentation de soi mythique (avec reprises des mythologies moyen-orientales). En plus de fixer la langue, la rédaction correspond à la construction de l’identité du peuple hébreu surmontant ses malheurs. L’écriture fut son radeau, sa bouée de secours mémorielle. Les exils et les colonisations de son territoire induisirent un surinvestissement dans la compréhension du Livre à l’origine des Talmud et d’une tradition d’étude originale, radicalement différente de celle des grecs, centrée sur le logos et l’être. C’est une sacralisation de l’écriture et une résistance linguistique aux langues vernaculaires d’exil. Toutefois, certaines communautés (Alexandrie) ont à partir du - IIIème siècle traduit la Torah en grec. L’écriture permet, certes, de fixer, mais aussi de radicaliser les propos, la licence poétique et la surenchère magnifie le récit sous couvert d’historicité : l’imagination au service de l’idéologie. La Torah devient une véritable « chanson de gestes », magnifiant les combattants et amplifiant les massacres, voire les créant de toutes pièces, la peine de mort et la tuerie deviennent un devoir sacré à moindre coût ; le nombre de tués et l’horreur comme preuves de la puissance du Dieu unique. Même imaginées les tueries sont chargées de sens.

Le passage du polythéisme moyen-oriental (dieux nationaux) au monothéisme strict se fait à travers la rédaction du Livre (sur plusieurs siècles) qui montre les difficultés rencontrées en cours de route. Les reprises, les répétitions, les strates de rédaction servent de stations sur le chemin de Jérusalem avant la destruction finale par les Romains. Les lévites en deuil de Temple et les rabbins s’appuyèrent sur la tradition orale communiquée à Moïse sous forme de Commandements (Sinaï) pour l’interpréter et la graver dans le dur abondamment illustré d’histoires fabuleuses (ancêtres des miracles ???). Le Texte ultime est donc le fruit de révisions successives, véritable démonstration que l’histoire peut être aussi une réécriture permanente, un révisionnisme. La violence religieuse accomplie au nom de Dieu comme une obligation sacrée, non sans pleurs et lamentations, apparaît dans la réécriture par les exilés de la tradition orale. A leur retour à Jérusalem, les exilés découvrent un peuple qui a renié les commandements et les rigueurs de la tradition mosaïque : les mariages mixtes affolent les prêtres, les prescriptions sont ignorées. La purification se fait par la légitimité de la Loi devenue Livre, Écriture sainte, le second Temple s’appuie sur une légitimité scripturale de la volonté divine. L’Écriture devient une autorité suprême et absolue (Esdras, Néhémie). Jan Assmann compare cette nouvelle religion à un puritanisme radical. La lettre rien que la lettre. Ici se joue le drame de la sclérose et la calcification du théologico-politique qui fera école : les mouvements puritains chrétiens et le wahhabisme ne sont pas des accidents. Le second Temple fait entrer le judaïsme dans la modernité, la spiritualité du désert et de l’errance cède le pas à la sédentarisation et la religion totale. L’arrêt de l’interprétation sclérose la doctrine, la transforme en idéologie passéiste.

  • La paix, phase terminale de la violence : nécessité de l’apocalypse. Tous les points abordés (il faudrait ajouter la haine de la féminitude, la profanation du monde (favorisée par l’unicité, l’ordre de dominer la création et le retrait de Dieu), la hiérarchisation humain / nature, homme / femme, Nous / goyim, Bien / Mal, Amour/ Haine) utilisent une forme ou une autre de violence.

Pour que les différences soient abolies, que « le désert devienne un verger » (Retour à Eden ?), que les goyim deviennent juifs (du moins reconnaissent le Vrai Dieu), il faut un cataclysme aussi puissant que la Création, donc que le Créateur reprenne le cours des choses en main par un violence absolue. Que cette violence soit « l’accoucheuse » des temps nouveaux libérés de la temporalité n’est donc pas une surprise, mais une extension conceptuelle. La pacifi-cation de l’humanité par la reconnaissance du Dieu unique par tous les peuples a échoué. (Za-charie) Le peuple (Israël) a de multiples fois renié les Commandements et les prescriptions. Dieu utilise les goyim pour punir son peuple. Les livres de Zacharie, Joël, Ézéchiel, Hénoch racontent cette libération de la violence par la violence rédemptrice. Toutefois, la figure centrale du Messie échoue, la promesse s’éloigne.
La fille ainée du judaïsme, sous la plume de Saint Jean, reprend le thème dans une pers-pective universaliste : la vie éternelle pour tous. L’Église prend le relais, elle est une « Jérusa-lem nouvelle ». Les scènes d’horreur continuent, l’Empire romain est devenu le goy suprême. Le récit continue, la lutte finale passe par le martyre. La violence change de registre, nous le ver-rons dans le chapitre suivant.

  • « La vision du monde qui ressort de la Bible hébraïque s’organise en couples de contraires qui commencent par « Notre Dieu / les autres dieux » et « Notre Peuple / les autres peuples », pour se terminer sur « de nos jours / à la fin des temps » (Soler p. 283-4). La séparation radicale voulue par le Créateur doit être maintenue au besoin par la violence. La sacralisation de la violence change tout. De cette tension entre le binaire insurmontable et l’unicité totalisante naît une forme redoutable d’extrémisme. La greffe de l’Un sur le Deux passe par une violence consubstantielle à cette conception. Tout monisme (Un) exclusif implique un binarisme obligé, caché. Pas d’unité et d’unicité sans opposition. Sans binarisme le monisme échoue. Athènes et Jérusalem constituent bien les deux pôles de notre civilisation. La contribution romaine apportera la touche finale à l’édifice de domination du monde.

2- Analyses et Discussions.

  • L’antijudaïsme primaire. L’inventaire ci-dessus met parfaitement en évidence le rôle déterminant de la violence dans le judaïsme ancien. Les esprits sourcilleux ne manqueront pas de crier à l’antijudaïsme primaire, antichambre de l’antisémitisme documenté. Avant de rentrer dans le détail des objections, je souhaite rappeler que notre sujet est la violence, difficile de ne pas constater sa présence permanente, allant jusqu’à la version gore et catastrophiste.

Impossible aussi de faire l’impasse sur l’influence extraordinaire de la Torah, Mère et co-productrice avec Le Père fouettard des deux rejetons tout aussi historiquement et idéologiquement remarquables.

Isoler le judaïsme antique de son contexte moyen-oriental et réduire la textualité d’un Livre à des extraits nauséabonds sont une faute intellectuelle impardonnable, largement commise par les commentateurs des deux millénaires suivants. L’antijudaïsme primaire est une façon d’évacuer, à moindres frais, une véritable réflexion sur les fondements de notre culture que nous soyons croyants, incroyants ou indifférents. Cela revient à renier notre ADN, car l’imprégnation de ce système de pensée dépasse la simple religiosité. Notre être-au-monde, même sécularisé, paganisé, inculte, a gardé des traces génétiques des postulats bibliques. Aussi, le monothéisme ne doit pas être morcelé en trois entités elles-mêmes émiettées, mais être considéré comme un bloc historique, idéologique pluriel. Les différences ne sont pas des ruptures, mais des manifestations de la prodigieuse capacité d’adaptation d’une conception du monde malléable, géocentrée et grosse d’une puissance cataclysmique. Notre réflexion sur la violence ouvre la porte à la nécessaire étude en profondeur du monothéisme en gardant le cap d’une démarche lucide, mais périlleuse. La collusion entre Athènes et Jérusalem fut un véritable big-bang aux conséquences réelles toujours d’actualité bien que dissimulées sous les oripeaux de la modernité.

  • Fondamentalisme. Le terme né, au début du XXème siècles, dans la sphère du protestantisme anglo-américain prête à confusion. Ici, il s’agit de dégager les principaux axes d’une pensée issue d’une lecture littérale de la Bible, une sorte de « lettrisme » aux traits caractéristiques :
    • Prendre le texte comme un manuel d’histoire, un historicisme intégral ignorant les travaux archéologiques, les recherches sémantiques et exégétiques séculaires. La véracité, la validation épistémologique du Texte ne fait aucun doute. C’est écrit et révélé donc c’est vrai, ancêtre du « vu à la télé » ou de l’idolâtrie du web. Certains iront jusqu’à se servir de la Bible comme d’une chronologie authentique avec rétro-datation à partir de la Génèse, d’autres enfourchent encore les vieilles lunes du planisme. Chaque époque connut des mouvements littéralistes, fait étrange, la contemporanéité sert de référent, l’exemple des Anabaptistes et des Amish l’atteste. La Bible ne peut pas comporter d’erreurs. Elle est la Parole de Dieu couchée sur papier, intangible, vraie. Évidemment, l’interprétation soulève bien des questions, les « guéguerres de chapelles, chez les intellos et, de clocher, en rase campagne » et les guerres de religions nous le rappellent en lettres de sang. Dans le fondamentalisme, la sacralisation fonctionne comme preuve. La lettre et l’esprit fusionnent.
    • Le fondamentalisme se définit aussi comme un refus viscéral de la modernité du moment. « C’était mieux avant » sert d’argument imparable. De toute façon, le Texte énonce la Loi une fois pour toutes, que la tradition complète soit oralement, soit par écrit (l’Ordnung amish). L’histoire se conjugue au passé en attente de la libération finale : apocalypse. Le Procès du singe fut une traduction virulente de la lutte contre la modernité (darwinisme). La foi a aussi une vocation scientifique, supérieure, car capable de tout expliquer une fois pour toute. Avec elle, le progrès est un retour au brouillard honni du polythéisme et de l’animisme.
    • Il fonde une radicalité qui déborde le cadre religieux et régente l’ensemble du social au nom de préceptes réputés transcendantaux donc obligatoires. Croire devient pratiquer intégralement les commandements dans leur intégralité et sans concession. L’appel à la tradition renforce la validité de la démarche. Le fondamentalisme énonce le vrai contre le faux, extension du principe d’exclusion énoncé sans relâche dans la Bible : Nous en opposition aux autres (goyim). Tous les mouvements issus du monothéisme secrètent du fondamentalisme. On peut parler de zélotisme, terme devenu vieillot, nos chers idéologues préfèrent : intégrisme, islamisme. Avec le fondamentalisme, la religion quitte la sphère privée pour s’étendre au monde. Il inaugure la « religion totale » et comporte donc une pulsion universalisante. Karl Popper démontre parfaitement la connexion entre l’historicisme et le totalitarisme.
    • – Fondamentalisme et modernisme vont de paire. Le modernisme est aussi une pulsion intégriste car, par sa puissance attractive, il cherche, lui aussi, à englober la totalité de l’espace : version impérialiste de domination d’un réel fantasmé. L’un refuse la technique considérée comme une malédiction, un acte thaumaturge impie (deus machina), l’autre chante les joies du progrès salvateur. De la voiture à crottin à la voiture électrique (version propre du capital en recherche perpétuelle de recréation de valeur). Chaque vague de modernisation engendre un fondamentalisme revisité, situation actuelle dans le monde musulman, hindou et généralisée par la médiation du mondialisme et des flux migratoires (main-d’œuvre et tourisme confondus).
    • Le fondamentalisme n’est pas une déviance religieuse, mais la manifestation hétérogène d’une rupture et de tensions dans la société. Il est un révélateur (comme en photographie argentique), il donne à voir ce qui se passe dans la « boîte noire » (la camera obscura). Tous les courants fondamentalistes partagent une haine du modernisme et un antilibéralisme musclé .
  • Retour à la violence. La Bible foisonne de scènes violentes, de vengeance, de stupre, de malédictions, de déportations (exil). Le fondamentalisme y puisse depuis toujours ses justifications sacralisées. Sa lecture littérale de l’Écriture apporte les munitions indispensables à la cohé-rence de ses délires extrémistes et exclusivistes. Le débat Violence et monothéisme agite encore les sphères théologiennes (Cf. Die des Einen Gottes, Berlin, 2014). Ce n’est pas une affaire classée, la vague fondamentaliste contemporaine relance la problématique. A travers les nouveaux conflits, nous assistons à un réveil tragique de la religion comme carburant (à fort teneur en octane) de la violence.

La relative paix religieuse cède devant le retour en force du théologico-politique favorisé par la déliquescence des idéologies dominantes. Après la lutte des classes, le choc des civilisations. Retour à l’ancien régime de la religion et de la société sous tutelle d’une inquisition, nouvelle formule enrichie des apports de la technique (les communicants politiques ou les journalistes ont pris le relais des inquisiteurs tonsurés). Le consumérisme ayant dissout les signes de paupérisation dans le paradis artificiel du progrès, le fondamentalisme renaît de ses braises assoupies. La violence religieuse occupe de nouveau le devant de la scène (ce qui satisfait pleinement les « rénovateurs » d’un capitalisme au triomphe mondialisé : pendant les travaux, la vente continue).
Deux points fondamentaux :

    • Le monothéisme n’a pas inventé la violence privée et public. Ne nous trompons pas de cible et trêve de naïveté ou de mauvaise foi.
    • – Le Moyen-Orient fut l’aire des premières civilisations occidentales. Cet espace fut, aussi, le théâtre d’affrontements décisifs : les premières sédentarisations réussies, vite transformées en royaumes impérialistes (besoin de territoire et de main-d’œuvre, l’esclavage comme carburant de l’économie). Toutefois, les tribus continuèrent à sillonner la zone. Le virus de la territorialisation était définitivement inoculé dans les gènes. L’Égypte consommait une masse énorme de bras, les pyramides et autres sépultures consumèrent des millions d’esclaves avec un pillage organisé en Afrique noire et la périphérie nomade. Chaque civilisation inaugura de grands travaux dédiés aux dieux ou à leur dieu national (monolâtrie).

– C’est dans ce contexte que le petit peuple hébreu (un groupement de clans) s’installe progressivement entre mer et Jourdain. Le judaïsme antique se formalise après la destruction du premier Temple (586 av. J.-C.). Le peuple juif pratique une monolâtrie impliquant la fusion entre la religion, le peuple et un territoire. Il est habité de tensions permanentes. A l’occasion de l’exil babylonien de son élite religieuse et politique, il synthétise les traditions diffuses et rédige les premiers livres de la Torah et les commentaires talmudiques. Les grands mythes du M-O influencent le peuple hébreu. Le monothéisme naît de cette fusion et l’hébreu devient la langue du Texte. (Cf. les livres d’histoire).

– On peut diviser l’histoire du judaïsme en plusieurs périodes : la préhistoire abrahamique, le mythe Moïse (fiction mosaïque), le Temple après l’Exil babylonien, les Maccabées et la tragédie romaine, la diaspora et le judaïsme rabbinique. Bref, de la Légende sacrée à l’entrée dans l’Histoire. Le statut de la violence change à chaque période.

    • La violence privée. Les scribes de la Torah, souvent des compilateurs « révisionnistes » nous livrent une sorte de théodicée apologétique. Cette vision du monde fera fortune, son influence dépassera vite le cadre géo et ethno-centré de son lieu de naissance. La Génèse en racontant la préhistoire du monde, nous livre une première approche de ce qui deviendra pour des siècles le credo en matière de Commencement et de morale.
    • Le bannissement d’Eden n’a pour cause un crime sanguinolent ou une vulgaire histoire de cul. Non ! évidemment nous le savons, juste un désir de savoir, de connaissance de la part d’Ève, Adam étant trop glèbeux pour cogiter à l’ombre du Pommier. Adonaï, le Coléreux, pique une de ses crises historiques. Vlan à la porte, sans violence physique, juste quelques im-précations (« Tu enfanteras dans la douleur », « Tu trimeras en sueur sous le soleil de Satan »). Cette expulsion collective, nous montre que l’ire divine institutionnalise la solidarité entre les créatures humaines, l’hérédité devient une tache indélébile. Les non-dits du texte sont encore plus importants que les mots.
  • Abel et Caïn . Épisode immortalisée par V. Hugo, inutile de raconter l’histoire "fumeuse". Le meurtre est intra-communautaire, une histoire de famille comme tant d’autres. Tout part d’une vulgaire jalousie à propos d’une fumée lors d’un sacrifice. Nous sommes toujours dans la préhistoire avec sa cohorte de fumigations (enfumage a maintenant un double sens), de sacrifices divers et a-variés. Il s’agit de montrer l’humaine condition des créatures, la Torah sait se faire B.D avant l’heure. Tout crime est crime fraternel, par définition, car entre enfants naturels du Créateur.

Par extension, on peut émettre l’hypothèse que toute guerre est civile. (Pour l’instant, les extraterrestres ne nous ont pas encore réellement menacés au grand dam des littérateurs). Gardons-nous de sombrer dans le réductionnisme psychanalytique invoquant le mimétisme comme origine de la jalousie et de la violence pure produit du psychisme. Pourquoi ne pas croire Caïn qui invoque la légitime défense, ce n’est pas de sa faute si son enfumage n’est pas digne, question de tirage (influence de Dieu). La scène « Caïn et Abel » dévoile la double nature de la violence : la colère (vengeance) et la peur (légitime défense).

Caïn se pose en victime. Après la mise au cairn d’Abel, Caïn ne se sent pas responsable de son frère. Combien de Caïn suivront l’exemple de leur aîné en fatalité ? Tuer son frère, c’est aussi tuer la descendance qu’il n’aura pas, coup double que les coloniaux de tous poils ont compris et appliqué à la lettre. On tue la poule dans l’œuf, mais on rate l’occasion de la plumer. Caïn ouvre le cercle vicieux de la violence. La jalousie et l’hypocrisie sont illustrées, mais la compréhension du message n’est pas close. Si l’on ne prend pas garde de lire l’entre-ligne, la textualité prend le dessus, l’œil dans la tombe cache, derrière sa force visuelle, l’éternel retour du même.

On peut voir dans ce fragment de la Génèse, une manifestation du changement de nature dans la représentation de la violence. Il n’est pas question uniquement de dénoncer l’animalité gisant dans l’homme, mais aussi d’identifier le début d’un changement de paradigme : celui qu’introduit l’émergence du monothéisme : la violence exercée (condamnation, culpabilité…) au nom de la volonté de Dieu.

Certains commentateurs, Freud et surtout R. Girard perçurent l’importance de ce récit génésique. Ils en font l’origine première de la violence ; Freud, certes, a minima, mais Girard a bâti son système de pensée sur la violence, surgeon naturel du mimétisme. La Violence et le Sacré inaugure une nouvelle approche de la violence que l’on peut résumer : « ce n’est pas la religion qui produit la violence, mais la violence qui fonde la religion  ». La rivalité fraternelle est un schème central de la Génèse. Le judaïsme l’inaugure et le christianisme primitif le reprend, notamment chez Paul.

3- Thèmes à approfondir

Pour clore ce premier chapitre sur l’origine géocentrée du monothéisme, je propose quelques thèmes que chacun peut étudier à sa guise. Thèmes que nous retrouverons tout le long de cette enquête sur le thème Violence et Religion.

La généalogie de la violence oblige à une lecture fine de la Torah et des annexes chrétiennes. Il faut à la fois rejeter l’historisation et en gardant à l’esprit la "poétique" que les auteurs tentent d’inoculer. Des surprises nous attendent.

    • De la violence au monothéisme comme humanisme. Paradoxe : les penseurs juifs orientent leur discours du judaïsme vers le monothéisme à vocation universelle (validation de notre thèse). Influence de Lévinas, Hermann Cohen, Rosenzweig, Shmuel Trigano
    • Anthropocentriste et rejet de la nature. Sortir d’Eden est la véritable faute, cause de la profanation du monde et de la hiérarchisation des êtres (Genèse).
    • Violence et langage de la violence. L’étalage verbal de violence est aussi une conjuration de la violence. " Tu vas voir ta gueule à la récrée".
    • Symbolisation, mythes, histoire et réalité  : signification du discours de la violence.
    • Moïse. Le récit de la sortie d’Égypte est le premier mythe fondateur de la nouvelle religion : une monolâtrie se transformant en un monothéisme encore fragilisé par des tensions internes et des tentations de représenter l’invisible. L’Alliance et la fidélité exclusive accompagne le peuple vers le second Temple.

On peut interpréter les ronchonnements du peuple contre la nouvelle orientation religieuse menée par Moïse comme des difficultés typiques engendrées par « toute révolution, toute tentative d’un renouvellement radical » ce qu’est réellement l’Alliance mosaïque. « Après chaque révolution, la traversée du désert », le chiffon de papier (tablette dans le cas présent) n’est pas un coup de baguette magique indolore. L’abolition de l’ancien entraîne des convulsions (contre-révolution). Les formes changent, mais pas forcément le fond ; le recyclage fonctionne, qu’il s’agisse d’une mue ou tout simplement d’un changement de main.
Dans la révolution menée par Moïse la métaphore politique cache aussi le conflit primordial entre la foi et l’incroyance. L’enjeu de l’Alliance est une totalisation de la relation avec Dieu, il ne s’agit plus d’un culte monolâtrique exclusif, mais d’une véritable mutation. L’invisibilité du Dieu unique signifie sa toute puissance, elle implique aussi une relation au monde social et politique ; le religieux envahit la vie. Cette entreprise se manifeste essentiellement par des récits à la fois pédagogiques et symboliques. La Révélation muette est impossible, sans narration pas de vérité.
L’histoire du Veau d’or est la métaphore de l’importance de l’Alliance, de sa rupture et de la punition nécessaire au renouvellement de l’Alliance. Alliance jamais acquise définitivement, mais renouvelable par les rites à chaque cycle liturgique, à chaque génération, elle ouvre la Révélation vers le futur.
Moïse comme modèle du prophète, du Grand-homme (Hegel), du Leader-Maximo…

  • Canaan interprétation d’un texte important.
  • Leçons politiques de la Torah : théocratie, rejet du politique, race et peuple ( A partir de Voegelin Race et État) .
  • - Fondamentalisme (complément).

Avec l’Alliance d’un Dieu et d’une communauté autour d’une Loi révélée, la religion devient totale, elle prétend tout contrôler y compris le politique. On peut parler de théocratie intégrale. Cette fusion est totalement hégémonique : religion totale / État total, un moment historique rare dont les penseurs de la totalité s’inspireront avec nostalgie (jusqu’à nos jours). Ce rêve de « Cité de Dieu  » agit comme un spectre dans le monothéisme. L’existentialisme intégral affleure. Mais réduire le moment mosaïque à cet horizon implique des risques insensés. Face à cette impérieuse volonté de domination du monde, les « murmures du peuple » ne cesseront pas. Même les répressions les plus draconiennes ne parviendront pas à les museler (Veau d’or …)
La tension en faveur de la séparation des pouvoirs naît dans le judaïsme des origines. L’unité factuelle se fait autour de l’arche puis du temple, mais elle ne parvient pas à dompter les pulsions de morcellement. La destruction du Temple et la diaspora mettront fin à l’Alliance comme pratique sociale et politique, le judaïsme rabbinique fait un retour, certes, d’abord contraint, à une re-spiritualisation. La pulsion totalisante fait place à une hantise de la territorialisation, l’exil est le retour à la spiritualité du désert qui perdure encore dans certaines branches du monothéisme. La Terre promise, Israël, Jérusalem prennent un sens symbolique et métaphorique d’un temps futur et d’un espace hors sol. Il faudra attendre de long siècle pour que le judaïsme soit de nouveau confronté à la question territoriale sous la pression idéologique du nationalisme européen (le sionisme initial) et les conséquences dramatiques de la Shoah, impossible de retourner dans les nations persécutrices ou génocidaires, où des formes d’antisémitisme sans juif demeureront indélébiles.

  • -La Révolution de l’Alliance : Du rififi dans le Sinaï.
  • – Critiques juives de l’antijudaïsme. Critique de la lecture littérale de la Torah. L’antijudaïsme n’est pas du création du christianisme.
  • L’exil comme réalité et sauvegarde du judaïsme.

A suivre…

R-D M. 
Mars 2023

Bibliographie.