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Préhistoire du futur, Archéologies intempestives du territoire
Pierre Gouletquer
Article mis en ligne le 1er avril 2023
dernière modification le 13 avril 2023

Augmenté d’un dialogue entre l’auteur, Sébastien Plutniak et Gwenolé Kerdivel.

Préface de Sébastien Plutniak.

Il ne suffit pas de collecter et d’estampiller un objet comme « archéologique », encore faut-il répondre à la question : pourquoi est-il là ?

Pierre Gouletquer, archéologue paisiblement décalé, sort ici des contraintes disciplinaires pour penser les fondamentaux de l’archéologie ; notoirement l’appréhension des territoires. Il propose une réflexion à la fois profonde et accessible sur les notions de parcours, de circulation des choses, des hommes, et de l’information dans le temps et dans l’espace.

Explorant ainsi nos façons de concevoir et de vivre les territoires, il outille et ouvre en grand le regard archéologique de tout un chacun.

Préhistoire du futur est paru en 1979 et n’a jamais été réédité depuis. Il est de ces ouvrages sulfureux, presque légendaires, dont beaucoup d’archéologues ont entendu parler, mais que peu ont lus. Le dialogue entre deux générations de chercheurs qui complète cette réédition en souligne toute l’actualité tant scientifique que politique.

Il est reconnu depuis longtemps que la théorie archéologique a reçu beaucoup moins d’attention en France que dans d’autres pays (principalement anglo-américains). Ce petit livre représente une première exception. Préhistoire du futur a été publié pour la première fois en 1979 par les défuntes Éditions Bretagnes. Le nombre limité d’exemplaires s’est rapidement épuisé et, au cours des décennies suivantes, le livre a gagné en notoriété au sein de la communauté des préhistoriens et des étudiants français, à la fois pour son contenu stimulant et pour sa présence insaisissable.

Aujourd’hui, deux jeunes archéologues, Sébastien Plutniak et Gwenolé Kerdivel, ont convaincu l’auteur, Pierre Gouletquer, de rééditer le livre pour le rendre plus accessible.

Les seuls éléments nouveaux sont l’avant-propos de Sébastien Plutniak et la transcription d’un entretien avec l’auteur en fin d’ouvrage.

Pierre Gouletquer est un archéologue retraité de l’ouest de la Bretagne. Géologue de formation, il a été chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de 1964 à 2004.

Ces principales recherches ont porté sur la période mésolithique de la Bretagne, en utilisant des enquêtes de terrain à grande échelle pendant plusieurs années dans le département du Finistère. Impliquant à la fois des étudiants et des passionnés locaux, Gouletquer a été le pionnier de ce que l’on appelle aujourd’hui l’archéologie communautaire. Il peut être considéré comme un préhistorien non conventionnel, dont le travail s’est concentré sur la production d’informations archéologiques autant que sur la remise en question des pratiques archéologiques.

Préhistoire du futur présente les réflexions personnelles de l’auteur

sur la discipline. Ne vous attendez pas à des références à des philosophes ou à des archéologues théoriciens : le style est non académique (sans références), délibérément provocateur et souvent humoristique, soutenu par plusieurs dessins de l’auteur de type bande dessinée. Le livre est né d’une réaction contre l’archéologie institutionnelle de l’époque, qui se concentrait sur les fouilles et les études d’artefacts, et contre l’idée que l’archéologie est une science (pour Gouletquer, l’archéologie est plutôt un art de raconter des histoires). Le premier chapitre raconte comment, après un doctorat sur la production du sel à l’âge du fer basé sur des artefacts, l’auteur a commencé un travail de terrain ethno-archéologique sur les techniques traditionnelles de production du sel en Afrique. Cette expérience lui a permis d’explorer des aspects généralement ignorés dans la recherche archéologique conventionnelle : les activités sociales et les relations au-delà de la culture matérielle. À partir de ce moment, l’auteur "a cessé d’être un préhistorien" (p. 30) et a commencé à puiser dans d’autres domaines, tels que la géographie et la sociologie, afin de concevoir sa propre approche de la préhistoire.

Pour Gouletquer, la solution commence par un changement d’échelle : les archéologues devraient se concentrer sur des "territoires" plutôt que sur des sites et des objets isolés, et devraient idéalement vivre sur le territoire qu’ils étudient afin d’acquérir une connaissance intime de son caractère et de ses habitants.

L’archéologie des territoires est en fait le sujet principal du livre, dont le sous-titre dans la nouvelle édition est Archéologies intempestive du territoire.

Le territoire est ici défini comme "une surface protégée appartenant à un groupe, à une collectivité ou à un groupe de personnes" avec des lieux, des limites et des cheminements remarquables, intégrée à la surface géographique en utilisant ses caractéristiques naturelles.

Cette préoccupation pour les territoires préhistoriques, et l’utilisation des cartes de Thiessen-polygon, nombreuses dans l’ouvrage, est tout à fait caractéristique de la Nouvelle Archéologie des années 1970, bien que l’auteur affirme ne pas avoir eu connaissance de ces cartes.

Aujourd’hui, le terme n’est pas couramment utilisé dans la recherche anglophone (voir cependant Zedeño 2016), mais il peut être considéré comme un équivalent de " taskscapes " (Ingold 1993). Dans le deuxième chapitre, l’auteur examine différents modèles de création de territoires et conclut que les plus pertinents pour la préhistoire sont les territoires de comportement des clients et les territoires de parenté.
Le chapitre 3 décrit le territoire de l’enfance de l’auteur dans une petite ville de l’ouest de la Bretagne.
Ses perceptions des lieux autour de sa maison ont été façonnées par différents types d’expériences, créant ainsi des notions d’espace différentes de celles d’une géographie descendante.
La notion de frontière est examinée à l’aide d’exemples tirés à la fois des groupes mobiles du Sahel et des villages bretons traditionnels et une brève allusion au rôle des dolmens et des menhirs en tant que marqueurs de frontières possibles dans la préhistoire.

Le chapitre 4 étudie la création organique de chemins et de routes à l’intérieur et entre les territoires, toujours à l’aide d’exemples modernes, tandis que le chapitre 5 traite de la circulation et de l’érosion de l’information à l’intérieur des territoires.

Le chapitre 6 aborde les dynamiques spatiales à partir de l’exemple de l’ouverture d’une école primaire publique dans la ville de l’auteur au début du vingtième siècle, et de la manière dont elle a attiré les élèves locaux tout en faisant concurrence à l’école catholique plus ancienne.

Le dernier chapitre revient sur le concept de "territoires de parenté" - la dispersion des générations d’une famille - illustré par différentes cartes communales de la Bretagne moderne.
Celles-ci sont comparées avec une carte de distribution des tombes mégalithiques de la même région qui, selon l’auteur, présentent des schémas de distribution similaires.
L’ouvrage présente de nombreuses réflexions originales et contribue avec succès à décentrer le regard du lecteur de ce qui a longtemps obsédé les préhistoriens (sites et artefacts isolés) pour considérer les multiples dynamiques spatiales et temporelles qui peuvent expliquer la présence ou l’absence de preuves archéologiques dans le paysage..

Pour des raisons pédagogiques, les études de cas et les exemples sont tirés
du monde moderne : il aurait été utile d’illustrer (sinon de démontrer) comment tous ces points théoriques peuvent s’appliquer aux paysages préhistoriques et en particulier aux stratégies de recherche.

Cette lacune dans l’argumentation est quelque peu frustrante, compte tenu de la vaste et fructueuse expérience de terrain de l’auteur.

L’interview de Gouletquer, nouvellement ajoutée, aborde un large éventail de sujets, y compris le contexte de la publication originale et les tensions entre l’auteur et les chercheurs et la mise en place de l’archéologie d’État dans les années 1970.

Gouletquer souligne le rôle important des archéologues non professionnels et des communautés locales dans la recherche préhistorique.

Il exprime des points de vue critiques sur les fouilles à grande échelle menées dans le cadre du développement au cours des dernières décennies. Il est cependant dommage que l’interview ne se soit pas concentrée sur les opinions actuelles de l’auteur sur le livre original.

En supposant que l’archéologie ait changé de manière significative depuis 1979, a-t-il le sentiment que tous ses travaux sur l’archéologie préhistorique ont été menés à bien ?

Réactions de l’auteur à ce qui précède

La recension comporte quelques erreurs, mais celles-ci sont sans grande importance.

La question finale soulève un point important que j’ai signalé au cours de ma conférence du 11 mars : En supposant que l’archéologie ait changé de manière significative depuis 1979, a-t-il le sentiment que tous ses travaux sur l’archéologie préhistorique ont été menés à bien ?

La recension comporte quelques erreurs, mais celles-ci sont sans grande importance. Euh ! Deux problèmes... car faut-il lire "ses travaux" ou "ces travaux" ? Une seule lettre changerait complètement le sens de la phrase.

S’il s’agit de "mes" travaux, la réponse immédiate est "bien sûr que non !"

J’ai rapidement abordé la question en introduction de ma conférence du 11 mars : les archéologues sont toujours satisfaits de leurs résultats, ce qui n’est pas mon cas car ceux-ci ne sont que provisoires et doivent déboucher sans cesse sur de nouvelles questions. Un tableau est-il mené à bien lorsqu’il est considéré comme terminé, lorsqu’il est exposé, ou lorsqu’il est acheté puis volé ou oublié ? Les peintres pompiers menaient leurs tableaux à bien. Monet enchaînait les tableaux "pas bien". Ce n’est pas le résultat qui l’intéressait mais l’acte de peindre lui-même, toujours imparfait.

Si on creuse un peu, la question n’a de sens que si l’on définit une référence du "bien" et du "pas bien"ce vers quoi tend la normalisation type INRAP : le bien consiste à entrer dans un moule pré-défini. Il faut dans ce cas accepter que quelqu’un, ou une quelconque structure ait la légitimité de juger ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Je reviens à ma définition de l’archéologie buissonnière inspirée par l’école du même nom : ce n’est pas "bien" de faire l’école buissonnière, mais une fois qu’on y est il n’y a plus ni bien ni mal, c’est ainsi et pas autrement. On y est, un point c’est tout, avec ce que cela comporte d’autocritique et d’insatisfaction. Si Préhistoire du Futur "n’est pas mené à bien" c’est qu’il n’y a aucune raison qu’il le soit.