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DIEU (III)
DIEU — C – De l’utilité du concept de Dieu, surtout pour les incroyants.
La résilience impossible.
Article mis en ligne le 19 mars 2023

C – De l’utilité du concept de Dieu, surtout pour les incroyants. ⠀⠀ La résilience impossible.

⠀⠀⠀⠀⠀ — l’analyse interminable.

⠀ Qu’on le veuille ou non, réduire le questionnement au seul monothéisme mériterait maintes critiques justifiées. L’imprégnation planétaire du monothéisme ne fait aucun doute et ses contributions à la Domination du monde et à l’aliénation de la vie sont comme des stigmates. Cela ne dédouane pas les autres grandes religions qui, d’ailleurs, eurent à subir les métastases via le colonialisme, le commerce, l’expansion du modèle capitalistique.

⠀ On ne le répétera jamais assez, il n’y a pas eu déclin du religieux ni mort de Dieu. Le désenchantement s’accompagne toujours d’un réenchantement. « La sécularisation n’est jamais qu’un transfert. En l’occurrence : d’un ordre religieux à un ordre politique ». Rejeter cette évidence ou la balayer d’un simple revers de la main serait une méprise fondamentale dont le prix à payer fut deux siècles effroyables. La bêtise, le crétinisme, l’arrogance guettent la faille dans le corpus intellec-tuel et la pratique des « réformateurs » de tous acabits.

⠀⠀⠀ ⠀ 1 – Dieu => abstraction parfaite => artéfact.

⠀ Le concept de Dieu dont les attributs se détachent du vulgum pecus, du troupeau servile, des lambda de chair et d’os, permit aux affamés du savoir en mal de puissance de faire émerger un instrument redoutable : l’abstraction. Conçue comme une opération manipulatoire de base, elle détache une ou des propriétés d’un objet réel ou idéal, mais aussi d’une relation, pour en faire une nouvelle identité, une propriété spécifique. L’abstraction engendre une généralité / généralisation commune à tous les objets concernés. Déjà les penseurs grecs avaient titiller la chose : l’Idée platonicienne en est l’exemple parfait. «  Considéré comme un objet de pensée, le résultat d’une opération d’abstraction est un concept (EPU T. I, Abstraction, p.11) ». L’objet abstrait du réel change de statut, il devient formel, manipulable comme une expression prédicative. Bref, avec l’abstraction, il devient possible de parler du Chien sans référence à tel ou tel individu ou classe d’individus (espèces, races). Nous le savons les nominalistes ont rué dans les brancards.
L’abstraction s’accompagne du mouvement inverse la « concrétisation ». L’Incarnation christique entre dans ce genre d’opération logique. La psychologie, donc le raisonnement, fonctionne sur ce modèle.
Il ne faut pas s’étonner que le concept de Dieu prît une importance théorique et fonctionnelle démesurée. Quelques éléments complémentaires aux considérations déjà évoquées plus haut :

⠀⠀ – Dieu est une « déification » de l’absolu, de l’infini (grand ou petit), de l’éternité, de tout ce qui échappe au raisonnement humain lié à l’empirisme hérité des sens.

⠀⠀ – Dieu en tant que concept a une histoire qui n’est pas celle de l’objet du concept ; c’est uniquement l’histoire du concept de Dieu. Dieu ne peut avoir d’histoire sans perdre sa déité, argument imparable largement utilisé par les adeptes pour rejeter les arguments et les preuves contre.

⠀⠀ – L’idée de Dieu est toujours celle de celui qui la théorise (ex. Descartes). Voir plus bas le # sur l’anthropomorphisme. Dieu est donc une création narrative, d’où l’énorme travail effectué par le monothéisme pour « unifier » les multiples représentations.

⠀⠀ – L’unicité de Dieu est un stade esthético-théorique nécessaire à l’entendement humain en évolution permanente.

⠀⠀ – Le concept de Dieu synthétise les apports culturels de son lieu d’origine : mythes, gnose, prophéties…

⠀⠀ – Dieu est ce tel que rien de plus grand ne peut être pensé. Façon pédante de constater l’impuissance de penser hors limite de la pensée historico-localisée. La profondeur du champ de pensée détermine la nature de l’infini divin.

⠀⠀ – Ne pas oublier la tentation de faire coïncider l’histoire de la conscience de Dieu avec l’histoire de Dieu lui-même ( Cf. Schelling Philosophie de la mythologie, Monothéisme…).

⠀⠀ – A méditer : « Découvrir l’unité serait ne plus être la multiplicité  ».

⠀⠀ – Penser Dieu signifie aussi la possibilité d’être pensé par Dieu.

⠀⠀ – Le concept de Dieu contient celui de causalité ultime, la causalité au-delà des régressions logiques et temporelles. Dieu serait ainsi un « absolu transpersonnel », un absolu du mouvement, le moteur d’Aristote.

⠀⠀– Comment sortir de l’apophatisme récurrent ?

⠀⠀– L’historicité de Dieu ouvre la porte à toutes les tentations totalitaires dont elle est l’origine honteuse.

⠀⠀– C’est le fini qui produit l’infini comme conscience externalisée de ses limites.

⠀⠀ – Faire de Dieu l’objet d’études, l’onto-théologie, produit une sécularisation du sujet traité. Dieu devenu chose perd son mystère : la religion et la croyance s’engouffrent dans la brèche, elles sont des produits dérivés, dit-on, dans le milieu du markéting branché.

⠀⠀⠀⠀⠀ 2 – Critique du concept de Dieu ou le traité du désespoir.

⠀ La radicalité s’est cassée les dents sur la critique du concept de Dieu : de l’onto-théologie à l’orthodontie. La prémisse : « Dieu comme concept, comme racine de tout le réel  » implique que les dés sont pipés. La critique du concept fait partie du concept. La force du concept en tant que concept réside dans sa capacité permanente à évoluer et à phagocyter les métastases qu’il produit. Les penseurs patentés proposent une triple typologie du concept de Dieu :

⠀⠀ – La notion de Dieu n’a pas de référent, elle est vide de réalité  : d’où le problème de la preuve de son existence.

⠀⠀ – La notion de Dieu est une aliénation de l’essence humaine : Feuerbach (L’essence du christianisme).

⠀⠀ – La notion de Dieu est mal construite, son origine contredit son contenu : critique marxiste (il suffit de renverser les propositions pour résoudre l’antinomie, on connaît la suite du drame) ou l’approche généalogique de Nietzsche.

Dieu n’est pas une anomalie, une déviance, mais une lente construction savante : l’artéfact par excellence, inaugurée par Platon dans le Timée (le démiurge) et Aristote (le moteur du monde…). Dans les études précédentes nous avons longuement traité ce sujet.

⠀ Bien évidemment la critique du concept de Dieu ouvre la question de l’athéisme qui mérite à elle seule une analyse approfondie. Contentons-nous de dire que chaque « théisme », chaque « déisme » possède son athéisme particulier comme élément constitutif propre. D’où le désespoir qui saisit l’esprit critique. Le ver est dans la pomme. Sortir de la métasphère (on dit bien fachosphère, histoire d’opérer une réduction par inculture globalisante) reviendrait à nier la réalité humaine. Pour ma part, la critique du concept de Dieu amène nécessairement à replonger dans les racines de la haine du polythéisme et de l’animisme au fondement du monothéisme. Mais c’est un autre sujet.

⠀⠀⠀⠀⠀ 3 – Externalisation et transcendance.

La transcendance sécularisée avance masquée. Elle est bannie des gloses spécialisées : sociologie, économie, morale, politique… Et pourtant, les multiples externalisations œuvrent dans la vie quotidienne. Le SEN fonctionne aux moyens d’externalisations indolores, inodores, insipides sous couvert de simplifications abusives. Les externalisations fondent la nouvelle servitude volontaire. La mémoire, l’action (domotique, agenda, alertes), le savoir (correcteur automatique d’orthographe : des passoires rassurantes), le calcul, l’orientation (GPS), bientôt la prise en charge de la conduite des véhicules, tous les logiciels d’Assistance par Ordinateur (PAO…), CLOUD et DATA-Centers, agissent à la fois comme des transcendances rassurantes et en retour comme des immanences libératrices. Le mouvement en deux temps de la Domination a trouvé ses outils en perfectionnement permanent.

⠀ Une tendance de la philosophie politique et morale a compris l’enjeu théorique de l’externalisation. Comment fonctionne une « norme » ? A tous les anarcoïdes, la question s’impose à minima. Le vieux débat humien prend une dimension nouvelle : l’externalisme et l’internalisme se déploie, comme évoqué plus haut, en deux étapes complémentaires. Nos actions dépendent de motivations indépendantes de nos desseins effectifs ou affectifs. Les procédures rationnelles internes de prise de décision individuelle sont interdépendantes de la tyrannie du logos issue du mécanisme externalisation / transcendance. A travers la discution entre les deux tendances, on voit bien que l’amoralisme est aussi problématique que l’athéisme (cf. Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, 1996, 1809 pages, article Internalisme p. 784-7).
⠀ Il ne faut pas éluder la question. Les jugements moraux, politiques sont des croyances accouplées à des désirs dont les fondements restent obscurs. Le terne « croisir » convient parfaitement à labelliser la mixité : croisir l’État, la Loi, le Droit. L’amoralisme doit partir d’une analyse serrée des deux composantes de la vie éthico-politique et ne pas tomber dans les pièges tendus à la fois par les tenants du tout moral ou politique et ceux qui psychologisent et pathologisent le débat.

⠀⠀⠀ 4 – La question des preuves de l’existence de Dieu.

⠀ Dès les premières lignes de cet essai, nous avons volontairement rejeté le débat sur les preuves de l’existence de Dieu, car l’entreprise est vouée à l’échec in vitro. A part, faire couler de l’encre (et souvent du sang) elle est inutile, de plus elle déborde sans cesse les limites de sa problématique (question du mal, scientificité, création…). Les grands noms de la théologie et de la philosophie ont bataillé, argumenté, contre-argumenté, parfois sous la contrainte du conformisme ou de la hantise de l’excommunication. L’autorité de la chose écrite ou dite (Actes des Apôtres, Hadiths) est un phénomène fondamental du monothéisme et généralement de la vie religieuse, donc de la Loi et de son ersatz le Droit. Ne touche pas au grisbi ! L’omerta comme preuve, l’obéissance comme clé du salut. La folie guette celui qui cherche le contact direct avec Dieu, Levinas résume parfaitement la difficulté « aimer la Torah plus que Dieu » (Difficile liberté p. 204), l’Écriture joue le rôle d’une « protection » contre la prétention mystique. D’ailleurs, l’élan mystique n’est pas une exclusivité monothéiste. De toute façon, vouloir prouver l’existence de Dieu sera toujours une extension de l’inévitable anthropomorphisme. Vanité que de vouloir résumer et paraphraser les débats de nos illustres penseurs.
⠀Gardons toujours en tête les rudes sentences de Kierkegaard :

⠀⠀– « Dieu ne pense pas, il crée ; Dieu n’existe pas, il est éternel. L’homme pense et existe, et l’existence sépare la pensée de l’être… » (Post-scriptum aux Miettes philosophiques). En clair, ne pas mélanger la serviette avec le torchon. L’éternité n’est pas une temporalité de l’existence. La pensée est discursive, narrative, elle maintient la distance avec Dieu. «  Exister comme tel, en effet, ce n’est pas être au sens où une pomme de terre est, et pas davantage au sens où l’idée est  »(ibid).

⠀⠀– Dire « Dieu existe » est équivoque, car tout dépend du sens que l’on donne au mot exister. Dire « Dieu est » signifie qu’il y a un Dieu comme il y a une pomme de terre.

⠀⠀ – Impossible d’énoncer sans utiliser des métaphores (la figure de style de l’impuissance intellectuelle), car Dieu existe uniquement par abus de langage. Le recours aux prédicats / attributs sert de béquille, de bâton du pèlerin sur la route de l’indicible, de l’invisible, etc…

⠀⠀ – Pour Kierkegaard, on ne peut pas connaître Dieu par le raisonnement, la sainte Logique hégélienne, les artifices calculatoires et oratoires. C’est une critique radicale de l’idéalisme germanique du XIXe. A la « raison et la ruse de l’Histoire », à la toute-puissance de la médiation, le Danois oppose le «  saut ». Dans Crainte et tremblement, Kierkegaard oppose les figures d’Agamemnon et d’Abraham : deux pères sacrificateurs, immolateurs. Le Grec obéit à l’éthique, le Biblique à la foi « aveugle », à l’obéissance sans barguigner. Le Grec explique (logos) à sa fille les raisons de se sacrifier, Abraham se tait, son silence refuse la médiation de la raison d’état invoquée par Agamemnon. Il acquiesce à « l’absurdité de la foi ». Pas de négociation possible, le rapport direct avec Dieu serait un retour au paganisme pur et simple.

⠀⠀ – On trouve chez Kierkegaard la haine du gourou, du maître à penser qui « libère » les autres de tout… sauf de lui-même. Le gourou plonge l’individu dans l’aliénation, le vrai maître doit libérer de la libération.

⠀⠀ – Kierkegaard déplace la question de l’existence de Dieu vers celle du rapport à Dieu qui ne peut être qu’individuel. Avant de penser Dieu, il faut d’abord devenir un Individu, tâche redoutable que son contemporain Stirner entreprend sur d’autres bases tout aussi radicales. C’est la réunion des Individus en un Nous qui fait exister Dieu. Pas de Nous, pas de Dieu. Kierkegaard s’oppose à toute théodicée. Pas de preuve de l’existence de Dieu donc pas de théodicée.

⠀⠀ – Kierkegaard met en avant la foi, sa critique du christianisme (parfois désigné comme chrétienté, le summum de l’idolâtrie). Il substitue la foi à la preuve impossible. Le fidéisme ne rejette pas radicalement le rationalisme de la preuve, mais impose une séparation nette des sphères, la physique (et sa compagne mathématique) ne peut en aucun cas interférer dans le spirituel. L’infini de la science n’est pas celui de la foi. L’un marque le calcul vers quoi tend tout calcul, l’autre est « contemplation » de la plénitude. Le fidéisme n’est pas un irrationalisme, malgré les multiples tentatives de déviance.

⠀⠀⠀⠀ 5 – Foi, croyance, religion.

⠀Le discours sur le pur concept de Dieu, malgré sa nécessaire utilité que j’espère avoir mis en évidence, aboutit inévitablement à ses limites naturelles.

⠀⠀– Dès l’A.T (Torah), la notion de foi apparaît avec le sens de se fier à Dieu (« Abraham crut en YHWH, qui le lui compta comme justice » Gn 15, 6) donc aussi aux hommes de Dieu (Moïse…) sur le chemin de l’Alliance. Ensuite, Élie oppose Foi et culte contre l’idolâtrie. La foi prime sur le ritualisme qui confine à la désobéissance à la Loi.

⠀⠀ – Dans le christianisme, la Foi émerge comme dogme puissant dès le retrait du Christ. Le maître absent, il faut un nouveau lien, Paul, le disciple n’ayant pas connu le Maître, est le fervent promoteur de la Foi. Son importance ne cessera de croître.

– Le Dict. critique de Théologie et l’Encyclopédie du Protestantisme ne comportent pas d’entrée « croyance ». La croyance n’est pas la foi, certains la classent parmi « les pitreries métaphysiques . Toute croyance reste probable. Descartes doute de ses propres croyances pour tenter d’atteindre la certitude.

⠀Quelques remarques extraites de Roger Pouivet Qu’est-ce que Croire ? , Vrin, 2003, 126 pages :

⠀⠀« Un croyant religieux ne peut vraisemblablement pas être un honnête croyant » p. 11.

⠀⠀« Les croyances sont rationnelles tant que leur irrationalité n’est pas avérée ». p.12.

⠀⠀« La rationalité n’est que de l’irrationalité tenue en bride  ». Id.

« Toute croyance volontaire est répréhensible, même si elle est vraie ». p. 17.

⠀⠀ « S’efforcer de croire, c’est justement ne pas croire ». p. 18.

⠀⠀ « Fondamentalement, la foi n’est pas propositionnelle, croire que, mais foi en une personne ou des personnes, croire en ». p. 43.

⠀⠀ « Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui cherchent » Épitre aux Hébreux 11, 6.

⠀⠀« Dans les trois monothéismes, les croyances religieuses supposent fondamentalement la croyance qu’un Être existe, Dieu ». p. 44.

⠀⠀ « L’attitude rationnelle est de ne pas croire jusqu’à plus ample informé  » p.45.

⠀⠀ « Ce qu’il est rationnel de croire est exactement ce qu’on est rationnellement obligé de croire : il est interdit de croire quoi que ce soit d’autre ». Id.

La croyance est passive, une doxa, un on-dit, on subit une croyance ; c’est la foi qui sauve. La croyance relève de l’existentielle, la foi du spirituel individuel. La foi collective devient une contrainte, une croyance aliénante, elle psychologise la Domination par adhésion dont il faut payer la cotisation perpétuelle. La croyance renvoie à l’anthropologie. L’horoscope lui sert d’Écriture ou de journal de bord ! Elle est à la fois divinatoire et déification, réification d’une matérialisé comprise comme divinisation.

⠀ La formule Dieu + Foi + Croyance = Religion(s) monothéiste(s) ne fait aucun doute, la dénoncer à la manière de l’athéisme benêt revient à la valider. Le mouvement de désinstitutionnalisation ne doit pas occulter ses multiples recompositions. Dieu est mort, vive Dieu, le slogan monar-chiste garde toute sa fraîcheur. Les religions politiques de nos derniers siècles en témoignent, les rites électoraux de la démocratie ont remplacé la Grand-messe et l’Eucharistie. L’élection est une onction. Nous connaissons le résultat de ces sécularisations successives (ne pas oublier l’ « auguste » Comte, pape du positivisme).

⠀ Affirmer que le bouddhisme n’est pas une religion, car n’ayant pas de Dieu, et lui octroyer le statut bâtard de spiritualité, ne change pas vraiment le questionnement, mais cela n’est pas notre propos actuel.
Les religions sont, aussi, maintenant l’objet d’études relevant du «  fait religieux », chaste manière d’évacuer les débats théologiques à haut risques. Les sciences humaines troquent ainsi la défroque et envahissent le spirituel. Sociologie = prêtrise avec un soupçon de traitrise.
Le Grand Thomas savait déjà que l’on n’associe pas foi et croyance à religion, car celle-ci relève d’une autre vertu humaine donc non « théologale ». On parle alors de « fabrique du religieux » (Dict. des faits religieux, PUF, 2010, 1340 pages). Cela montre bien la désacralisation en cours depuis le XIXe siècle.

⠀ « Une religion est un dispositif idéologique, pratique et symbolique par lequel est constituée, entretenue, développée et contrôlée la conscience (individuelle et collective) de l’appartenance à une lignée croyante particulière. » ( Danièle Hervieu-Léger, directrice du Dict. des faits religieux). A « l’opium du peuple », à la lutte acharnée contre la calotte, la science nouvelle propose « un système de croyances », le relativisme prend le relais des convictions. Belle manière d’occulter que « la modernité occidentale est travaillée d’une matrice qui vient du monothéisme chrétien ». La laïcisation / sécularisation valide le triomphe du théologico-politique par étapes successives la nature de la religion se transforme par transferts, on dirait aujourd’hui : transfert de technologie et de compétence. Marcel Gauchet a parfaitement raison de parler de « révolution du croire ». Le fonctionnaire (comme tout fonctionnaliste) et le technocrate remplacent le clergé et s’érigent en manipulateurs des images (de moins en moins pieuses) et de représentations du nouvel âge du religieux politisé. Toutefois, les anciennes religions sont toujours mobilisées pour apporter une caution, une garantie d’honorabilité (cf. la présidence des USA et l’engagement sur la Bible). La sortie politique du religieux (Gauchet) puis celle de la sortie culturelle (Hervieu-Léger) permettent le plein essor des dispositifs de la phase quatre (Capitalisme / communisme / social-démocratie) et cinq (SEN) du monothéisme. Les lieux de cultes se vident, les urnes se remplissent sous la bannière des luttes démo-cratiques, du droit de vote des femmes et de la majorité à dix-huit ans. Le nouveau rouleau compresseur de la Domestication volontaire met le turbo.

⠀ C’est le triomphe des prémisses initiés par le premier monothéisme. L’individu devenu unité de base sotériologique et sociale change de référent. Le corpus mysticum se dissout dans l’idéal démocratique de bas étage. Les valeurs et les hiérarchies s’inversent, la transcendance s’efface au profit d’une immanence trop heureuse de démontrer son efficacité. Après la Foi, les croyances. Toutefois, l’Un et l’unicité reforme un holisme encore plus machiavélique : « Plus le croire s’individualise, plus il s’homogénéise » (Hervieu-Léger) ce que je désigne toujours par la formule A ⇔ C. La polarisation sur l’individu sert de cache-sexe à la statue du Commandeur en érection triomphale. Le Messie nouveau est arrivé, la consommation valide la bonne parole. On passe de l’incarnation christique à la réincarnation marchande. De quoi satisfaire les paroissiens, la manne est assurée, la « sécu » pourvoit au bien-être corporel et psychique. L’ataraxie du touriste boucle le bonheur dans une itinérance organisée. Le Christ médiateur a trouvé ses pourvoyeurs de bonnes paroles, les média et leurs « chiens de garde » agissent selon des plans communicationnels huilés par des spécialistes. Les prêtres rouges, noirs ou jaunes bavent sur les écrans (petits et grands), ils saturent le monde hertzien de la bienveillance convenue. Les jeux et le pain du cirque n’ont jamais aussi bien fonctionné, les empereurs romains blêmissent de jalousie dans leurs mausolées encombrés de visiteurs labellisés. La religion a aboli ses propres freins, la roue libre des désirs polymorphes circule sur les autoroutes sécurisées, la guidance assurée par le GPS, la réassurance garantie par le capital-risque mutualisé (l’ange-gardien revisité) … Ça roule ma poule !

⠀ L’espace est la nouvelle conquête à son stade primitif, mais l’investissement promet de juteuses retombées. Dieu s’efface dans l’univers, Gagarine n’a pas vu l’aile d’un ange ou une ombre suspecte lors de son voyage inaugural. La terre encombrée rejette déjà ses miasmes dans l’infini. Pourquoi trier nos déchets, nos résidus et nos produits radioactifs, il suffit de les satelliser dans de nouvelle décharge, ce n’est pas la place qui manque. Écolos retournez à votre sarcloir et ne nous cassez plus la binette avec vos rengaines inutiles. Le scientisme se fait scientologie (St Ron Hub-bard priez pour nous !) en douceur. L’universalisme se lance à l’assaut des galaxies et des multivers : « Ce n’est qu’un début, continuons les dégâts ». Les différents stades du fait religieux cohabitent et souvent se complètent parfaitement, encore « une ruse de la raison » qui a toujours ses raisons. La résurgence de l’Évangélisme montre parfaitement sa compatibilité avec le monde et participe largement à la diffusion de la bonne parole de la liberté américanisée. Tout pasteur évangéliste possède la double investiture : la casquette de l’Oncle Sam et le col blanc de l’onction. De même que l’islam lettriste (juridico-politique) s’accommode parfaitement avec la cocacolaïsation du monde, fini les sandales en feuilles de palmier tressées : Nike chaussent les islamistes comme les consommateurs bienheureux bientôt kalachnikovisés dans les antres de perditions du Bataclan ou d’ailleurs. La Nike-rave est le nouveau « cauchemar climatisé » (Henry Miller). « In God we trust », qu’importe le flacon pourvu que l’ivresse mondaine nous porte aux nues de la rédemption. Les vieilles souches de la Domination et la contemporanéité la plus avancée collaborent : le Grand-Satan possède, comme Janus deux faces : $ (dollar, € et £ ont sombré devant le Yen et la Yuan) et Dieu. Le quiétisme Tablîgh représente la forme la plus pure de l’islam prosélyte et ultrafondamentaliste. Ne jamais oublié la thèse centrale de Marcel Gauchet : dans nos sociétés occidentales, le religieux est toujours là, mais se glisse naturellement dans les plis de la société. Cette transmutation illustre le concept de sécularisation à la per-fection : substitut, ersatz, compléments vitaminiques… la potion magique démocratisée de la BD franchouillarde. Dans le contexte méta-sécularisé, la religion sert de compensation et de palliatif à l’insatisfaction, elle est devenue une marchandise comme une autre, un marché florissant capable de s’adapter à tous les goûts et les dégoûts.

⠀ La religion renvoie à un fondement dont la légitimité de fait aucun doute. Ce fondement est extérieur, évidemment transcendant, et constitue un espace propre organisé autour d’une élite (clergé, savants…). Les premières formes du religieux relèvent plus du rituel que d’un croire en un Dieu. Rites et mythes s’articulent ; alors le croire n’est pas central. Le monothéisme amorce une restructuration dont le christianisme est l’étape décisive qui préserve en son sein l’apport précédent : l’intériorisation d’où émerge l’ébauche de l’individualisme. Ce passage est la sécularisation centrale de notre héritage. L’ascétisme et la gnose laissent des traces profondes dans l’émergence du monothéisme christianisé. On peut parler de spiritualisation ou de sublimation.

⠀ Autre point crucial : l’apparition de la validation des croyances (de la foi aussi) sous forme d’écrit, la Loi, qui, très vite devient Écriture, référence incontournable et sacralisée pour ne pas dire fétichisée. Ce fait amorce une déterritorialisation, puis une dé-éthnisation de la religion, premier pas vers l’universalisme conquérant. Le monothéisme christianisé provoqua de vives réactions, on l’accusa d’athéisme, de crime de lèse-majesté, le Dieu hors-sol et intériorisé remet radicalement en cause les figures tutélaires de la vie sociale. « Mon royaume n’est pas de ce monde  » : un pavé dans le marigot polythéiste. Le monothéisme est vécu comme un ferment d’anarchie, il déplace le centre de gravité du politico-social. La croyance était l’ordre du monde. La réaction fut violente, les persécutions répondirent à l’outrage. On le sait, Constantin perçut le potentielle d’une fusion Empire / Église. Face aux forces centrifuges risquant de disloquer l’Empire, la nouvelle religion propose un modèle universalisant et totalisant. Le chemin du théologico-politique devint possible.

⠀ La religion, sous influence chrétienne, subit une tension entre deux forces : l’individualisme et la totalisation , toujours A ⇔ C (les institutions, le respect de l’autorité…). Les deux composantes permettent des renversements et des sécularisations (messianismes sécularisés, marxisme, capitalisme, laïcité, refus en tout genre sous la bannière (pas encore totalement étoilée) de l’individu. La sécularisation autonomise et sacralise à la fois.

⠀Pour conclure provisoirement ce bref panorama, notons que qu’aborder la question de la religion oblige à de longs détours historiques, la contextualisation est inévitable. Le fantasme de la coupure radicale et de la déconstruction remisé dans les poubelles de l’idéologie dominante agoni-sante, la question religieuse mérite une attention vigilante en raison des recyclages permanents. Jamais une religion n’est innée, elle est toujours construite (cf. Simone de Beauvoir « on ne naît pas femme, on le devient »). Cette préoccupation centrale garde son urgence, car on connaît la puis-sance des pathologies du religieux sécularisé en politico-sociale, les parousies les plus douteuses sont en germes. Les nouveaux oripeaux du religieux correspondent au recentrage de l’individu sur la puissance symbolique du social. La « dette de sens » (M. Gauchet) par rapport à l’absolu n’est pas forclose, elle est même permanente. Chaque génération la renouvelle (Kierkegaard). N’oublions jamais que la religion n’est pas une dépendance à une réalité surnaturelle requérant une adhésion obligatoire, mais le centre de toutes les médiations. Étymologiquement, la religion relie. Elle oscille entre conformisme et recyclage permanent.

⠀⠀⠀ 6 – Les deux faces de l’anthropomorphisme.

Maïmonide résume la problématique en refusant catégoriquement «  la corporéité de Dieu ». Il se réfère à Deut, IV, 15 : « Vous n’avez vu aucune forme  ». Donc « l’Un n’est ni un corps ni une force sans corps et qu’il n’est pas sujet aux changements d’état des corps comme le mouvement ou le repos ni en essence ni dans ses accidents… ». Et pourtant, que de chemin à parcourir avant que cette énoncée aristotélicienne pur jus devienne un truisme.

⠀ Dès la Genèse, l’ambiguïté s’installe : Dieu crée l’homme à sa ressemblance et à son image, d’où la conclusion, par effet de miroir, que Dieu ressemble à l’homme, idem pour les anges et toute la basse-cour divine. Les rabbins n’étant pas troublés par des angoisses métaphysiques à la grecque (excellente recette de cuisine), dans le Talmud, ils multiplient les contorsions. Un certain Rabbi Abahu à le courage d’avouer « Si ce n’était pas écrit, ce serait impossible à soutenir » (Sanhedrin, 95b-96a). Ailleurs, il est dit que « le Seigneur envoya un ange qui apparut à Sanchérib sous la forme d’un vieil homme ». Rabbiniquement, parlant Dieu a bien un corps qu’il peut arranger à sa guise. Le Talmud montre à maintes reprises la grande familiarité (air de famille et connivence) de l’homme avec son Créateur, première manifestation d’un anthropomorphisme naturel. Dans les Lamentations de Rabba, Dieu pleure etc., un seul argument suffit à réfuter les grincheux : « c’est écrit… »). Il faut absolument « déminer les bombes théologiques semées dans les « Saintes Écritures » (Le Dieu sensible p. 80). La vraie question n’est pas de savoir si Dieu a un corps, mais quelle est sa forme, sa nature ?
On comprend mieux la vraie nature du judaïsme à travers les truculences, les disputes, les histoires édifiantes du Talmud. Et là, les rabbins sont des champions toutes catégories. Certains vont jusqu’à penser que les paroles des rabbins priment sur la Loi puisqu’ils l’explicitent, la rendent compréhensibles à la piétaille. Saint Augustin a compris le message : « Le vrai prophète n’est pas la personne qui transmet le message, mais la personne qui révèle sa signification cachée ». La profondeur de l’analyse n’échappera pas aux pourfendeurs des médiateurs, des gourous, des informateurs syndiqués ou des titulaires d’une carte de presse. Le judaïsme restera une religion de faible sensibilité philosophique, du moins centralement, ce qui n’exclut pas la présence de grands philosophes juifs. Maïmonide effectuera un travail de synthèse admirable (entamé par Philon d’Alexandrie), pour lui l’incorporéité de Dieu ne fait aucun doute, les descriptions ne sont que de pures métaphores, « langage imprécis » nécessaire à la communication humaine très largement floue, noyée dans le charnel et parfois contradictoire.

⠀ Dans l’A.T., l’anthropomorphisme fonctionne sans complexe, Dieu hume l’odeur (Gn 8, 21), « écrit de son doigt » (Ex 31, 18), il est « homme de guerre » (Ex, 15, 3), mais surtout il est passionnel, il s’irrite des offrandes malodorantes de Caïn, il est colérique, jaloux (Dt, 5, 9), bref humain, trop humain. Entre Dieu et l’homme se joue un mimétisme quasi animal, un mêmisme ou mimisme ( Marcel Jousse, nous y reviendrons). L’anthropomorphisme est une métamorphose pure et simple.

⠀ La distanciation ou « retrait » de Dieu se fait par étape. Mais le christianisme, secte juive issue des tensions internes, ne l’oublions jamais, replonge dans l’anthropomorphisme caractérisé en la personne du Christ, rejeton parthogénique de Dieu. Aucun doute, le gamin est de chair et d’os (prépuce fourni à la livraison). L’Incarnation signe ou singe la morphologie divine.

L’Incarnation. Christ est vrai Dieu et vrai homme (Ph, 2, 7). Double nature du Fils de Dieu. L’unicité / Unité en prend un coup derrière la nuque (le coup du lapin). De quoi semer la zizanie dans le cloaque palestinien de l’époque ! Les textes jonglent avec la plus haute fantaisie, du fantastique avant l’heure. L’Incarnation demande une vaste entreprise d’interprétation si elle ne veut pas donner flanc aux critiques les plus vulgaires. Marcion, Tertullien et une kyrielle de Pères de l’Église s’échineront à prouver la chose. La christologie devient une section d’assaut (S.A. de sinistre mémoire) de la théologie. « Le Verbe s’est fait chair » : la sentence johannique demande, d’entrée de jeu, quelques éclaircissements : Le Verbe n’est pas Dieu en entier, Christ serait-il une parole en l’air du temps ? Le Verbe serait une hypostase ou un mystère (et boule de gomme arabique ?). Verbe et Logos auraient-ils une parenté siamoise ? Pour Jean, « Verbe » renvoie à l’unicité de Dieu, le Fils se distingue donc de toutes les autres progénitures. Ce fils ne peut être qu’« unique » comme son Père, il est dans le « sein du Père » (déjà une prouesse dégenrée). L’incarnation est une extériorisation, une manifestation et, pourquoi pas, une externalisation. On voit ici le double mouvement du monothéisme vs christianisme : transcendance et immanence, héritage platonicien de la dialectique montante et descendante de l’Idée. La christologie devient la pierre angulaire du salut. Peut-on imaginer que les instances sécularisées puissent fonctionner sans l’incarnation ? Y a-t-il un pouvoir sans son incarnation dans une personne ou groupe quelconque ? La Loi peut-elle se passer des médiateurs ? L’incarnation n’est pas une fantaisie, un obscurantisme, mais bien une logique, un fonctionnement interne externalisable à toutes les cultures et les grandes religions. Les libertaires ont tendance à la reléguer dans la vaste poubelle de l’histoire. Erreur fatale !

⠀ Michel Henry dans « Incarnation, une philosophie de la chair » (Seuil, 2000, 381 p.) relance la problématique de l’incarnation (à la suite de son Marx 2 vol, Gallimard). L’incarnation serait un véritable cogito de la chair, une révolution vitaliste contredisant les élucubrations heideggériennes affirmant que la vie n’est rien sans l’Être. L’Immanence vraie, c’est la Vie « posée comme une existence absolue autant que vit un seul vivant, pour autant que moi je vis (p. 245) ». La chair supplante la seule corporéité. La chair rejette la gnose, le Verbe c’est la Vie elle-même. Si l’on fait abstraction du Salut, donc de toute croyance, la Vie est une dette à l’égard de la mort. La chair donne vie au corps. (Nous consacrerons des notices argumentées sur ces notions de Chair et d’incarnation, car elles jouent une importance fondamentale dans notre pathos filousophico-politique.)

L’anthropomorphisme est aussi un anthropocentriste. La Genèse ne badine pas avec cette évidence. Si bien que l’anthropocentrisme ouvre l’ère de l’anthropocène (anthropoCène ?!?). La hiérarchisation des représentations du monde dans le monothéisme signe la coupure radicale et épistémologique (pour faire soixanthuitard attardé) avec la nature : passage du nomadisme au pas-toralisme sédentaire via l’exil égyptien et babylonien. L’esclavage comme source du monothéisme et naissance de la dialectique du maître et de l’esclave. L’esclavage reste le premier « mode de pro-duction » sans lequel rien de grand n’aurait eu lieu, surtout pas nos Merveilles du monde ; l’Unesco serait au chômage sans ce pourvoyeur de grands chantiers. Le salariat à coups de triques et ses « tenants » se montrèrent plus productif et moins cher. La morale n’est qu’un glaçage sucré sur la validation du nouveau mode de production capitalistique.

La tradition monothéiste fonde une anthropologie en mettant l’humain au centre de sa problématique. « A l’image de Dieu », se gaussent les narrateurs immodestes de l’Écriture. Donc co-producteur de la domination sur la nature. L’anthropologie issue des monothéismes et d’abord un droit de propriété, de vie et de mort. La hiérarchie va de soi, le phallocratisme avéré est inscrit dans les gènes. Pas question de partager la vie même symboliquement. La chaîne alimentaire de droit divin et le futur darwinisme sont des héritages, des acquis devenus innés.

L’incarnation révèle la véritable nature de l’homme et celle de Dieu, l’incarnation est la vraie Création . Plus de doute sur l’image, le Fils est un homme constitué, certes né d’une mère porteuse (notre moderniste comme pâle imitation, attention au droit des brevets). Cette anthropologie porte le sceau du salut et de l’eschatologie. L’homme devient un microcosme du divin, un modèle réduit, un drôle de drone capable de s’auto-piloter. Attention, la corporéité ne se suffit pas à elle-même, l’âme pallie les lacunes corporelles, c’est l’Intelligence Divine (ID) qui deviendra aisément l’IA. L’anthropologie maintient la dualité corps / âme. Le Souffle (l’Esprit) s’hellénise sans difficulté en Logos.

⠀ Avec la romanisation, l’anthropologie s’intériorise. Augustin lance l’offensive par un appel rigoureux à la réflexivité : «  Rentre en toi-même ; c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité  ». La transcendance descend d’un étage, elle se privatise encore plus, Dieu devient intime. L’anthropocentrisme ne se conçoit plus sans Dieu. C’est à ce moment-là que l’homme devient vraiment « image de Dieu » .

Thomas d’Aquin, autre monstre sacré, tente de réévaluer le corps tout en préservant l’immortalité de l’âme. Il maintient la dualité en mettant en avant la partie immatérielle de l’homme. L’anthropologie post-thomasienne fait la différence entre image et ressemblance. Le logos humain (la raison) n’est pas comparable avec le logos divin ce qui implique le libre arbitre et une certaine dose d’autonomie. L’émancipation de l’humain marque des points.

La Réforme tente d’initier un retour de l’homme à sa relation primitive à Dieu, l’adamisme impossible. Le libre arbitre entre en disgrâce et la volonté dans l’ère du soupçon. On ne se convertit pas on est converti par Dieu (le chemin de Damas perpétuel) ; tout est dit. L’anthropologie réformée affiche la noirceur de l’homme, la question du mal du péché et du salut monte au créneau des ser-mons, la morale a des accents tyranniques.

Marcion préconise d’abandonner les vieilleries testamentaires tout en rejetant, à juste titre, l’incarnation. L’hérétique mettait le doigt sur la contradiction interne de l’Église qui comme le judaïsme opta pour l’incohérence : Athènes et Jérusalem, la chèvre et le chou !

L’anthropologie inhérente au monothéisme, s’éloigne rapidement des fondements hérités du judaïsme. Le Christ est « l’achèvement de la création de l’homme » (Schleiermacher). L’anthropo-théologie est bien le ferment, le levain qui fera lever la pâte. La modernité va s’emparer de cette anthropologie sentant encore les enluminures religieuses. L’individualisme, le personnalisme, l’humanisme polymorphe sont les héritiers de cette tendance.

Feuerbach (1804-1872) L’essence du Christianisme . Texte fondateur de la critique du christianisme, largement pillé par Marx et ses épigones. Ici pas question de le commenter ligne à ligne. Feuerbach synthétise les attaques philosophiques contre le christianisme triomphant du XIXe. Pour lui, Dieu est une projection produite par l’homme. Il n’y a pas de vérité théologique du concept de Dieu, mais simplement une vérité anthropologique du concept de Dieu. L’essence du christianisme est enfin de compte une critique de la déraison pure de l’homme qui externalise son besoin d’infini, de puissance… Le croyant croit que la croyance permet de comprendre le concept de Dieu. Ce processus irrationnel marque du sceau de l’erreur le Dieu ainsi projeté. Le concept de Dieu est la première erreur commise par l’homme. La projection inverse la création : tout vient de nous . La dévotion relève du vulgaire. La croyance revient à privilégier l’image dans le miroir sans comprendre que c’est l’original qui se voit lui-même. Dieu est donc un narcissisme objectivé et déifié. La projection est une inversion généralisée de l’entendement, une maladie infantile de l’homme qui n’a pas encore détruit le miroir (Lacan : le Stade du miroir). Hélas, le pathos hégélien revu et corrigé par le marxisme primaire a seulement fêlé le miroir devenu déformant. La glace ne renvoie plus l’image sublimée, mais celle grimaçante du prolétaire qui rêve de sortit du miroir .

⠀⠀⠀ 7 – Zélotisme : folie de Dieu ou fous de Dieu ?

⠀ Peu mis en avant, le zélotisme constitue un invariant de beaucoup de religions, le monothéisme se distingue particulièrement dans ce domaine. Et pourtant, bien des mouvements messianiques, intégristes, fondamentalistes voire terroristes (religieux, politiques ou doctrinaires) sont les dignes rejetons de ce courant israélite judéen du premier siècle. Il me paraît particulièrement indispensable d’approfondir le sujet dans cet article traitant de Dieu dans un ensemble dédié à la violence.

⠀Pas d’entrée zélote ou zélotisme dans les dictionnaires à notre disposition, que nous avons abondamment cités et pillés, ce thème relevant plus de l’histoire ne me paraît pas satisfaisant pour expliquer cette étrange lacune dont les racines plongent dans le tréfonds du monothéisme. En effet, si l’on part du postulat d’un Dieu unique, Créateur, omnipotent, omniprésent, donc omnivore, la frêle créature ne peut qu’éprouver de l’effroi, une obéissance sans faille, un désir authentique d’imiter et de glorifier Dieu par ses actions et sa conception du monde. Le zélotisme est d’abord un lettrisme (à la lettre, à la virgule…)

⠀ Ce schème logique risque à tout moment de déraper face à des situations historiques complexes ou des conflits internes d’interprétation du Texte souvent obscur, ambiguë. La multiplication des hérésies et des bisbilles suivis de persécutions le prouvent. L’occupation romaine de la Palestine est le théâtre des opérations. Flavius Josèphe rapporte l’essentiel des faits. La révolte juive (66-70) aboutit à la destruction du Temple de Jérusalem et aux massacres des populations. Le front juif d’opposition violente aux romains se caractérise par des affrontements entre clans (Sicaires, Zélotes…). La guerre contre l’Empire et aussi une guerre civile. (Thème récurrent de toute réflexion sur la violence)

⠀ Le zélotisme caractérise un courant marginal du judaïsme, celui d’une tentation nationale et théocratique face à la souillure causée par la présence étrangère. Le judaïsme se caractérise plutôt par une doctrine politique antimonarchique que l’on trouve dans le livre des Juges (Jg 1, 1-7 ; Jg 3, 7-11 12-25 ; JG 4, 4-5 ; Jg 8, 22-23 ; Jg 9, 7-16). Buber affirme «  la royauté n’est pas une vocation positive. Que des hommes règnent sur d’autres homme, ce n’est pas seulement vain, c’est quelque chose de barbare et de séditieux. Chacun doit s’occuper de ses propres affaires, et cela produira une communauté prospère qui n’aura nullement besoin, pour durer, que quelqu’un la gouverne, excepté Dieu seul » . Le 1er Livre de Samuel reprend cette thématique : le prophète Samuel s’oppose à la demande d’avoir un roi. «  Vouloir être gouverné par un roi, c’est ne plus vouloir être gouverné par Dieu  ». « Nous serons, nous aussi, comme toutes les nations » (I S 8, 10-28). Le mimétisme équivaut à la mort du peuple juif, leçon pourtant chèrement payée depuis le Sinaï (Veau d’or). Dans la tradition juive, la justice prime sur l’autorité politique. Le judaïsme se pense comme religion morale, intériorisée en opposition aux rites et vaines simagrées cultuelles . Le Christ reprend cette thématique avec son célèbre « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

⠀ Revenons au lettrisme mono-théo-maniaque (le ⠀ me paraît trop édulcoré). Peter Sloterdijk s’attaque frontalement à la « folie de Dieu » . D’abord, il dégage les prémisses de cette folie :

⠀⠀⠀ – La transcendance nait avec la Création et son corolaire la « sécularisation du lent », du procès multiséculaire.

⠀⠀⠀ — « La transcendance naît aussi de la méconnaissance de la violence  »(p. 15). Passage de l’organo-biologique à une vision symbolique débouchant vers des puissances externes. A travers l’extase du combat (Véda), la fureur devient la Révélation des exaltés de tous poils. Fureur ⇔ Révélation  : formule choc, première étape de la folie en Dieu. Méconnaitre le violent et discourir sur la violence est une impasse dangereuse, une escroquerie en dissimulation derrière un concept vide – la violence. Les monothéismes trouvent leur ancrage dans cette ambiance de stupre et de sang qu’ils ritualisent et conceptualisent.

⠀⠀⠀ La transcendance profite du retrait et du silence de Dieu. « Elle résulte d’une surinterprétation de l’absence d’écho » (p.19). La distance marque l’existence, il y a bien un « il y a » qui est tout autre. La sécularisation religieuse sert « à canaliser et à coder la propension humaine à l’excès ». Dieu est le système immunitaire de l’homme certain d’être blessé dans son combat avec l’autre. Dieu comme Valium ou Prozac. La volonté universalisante et expansive des cinq monothéismes provient de l’excitation maniaco-apocalyptique du guerrier déjà présente avant les monothéismes. Paul nommera cette fureur : la Foi, requérant « une soumission générale ». A chaque étape de la sécularisation, le zélotisme mue et les antidépresseurs perdent de leur efficacité. L’overdose guette. La pulsion guerrière bouillonne, sa luxuriance s’exprime dans des « théopoésies » s’appuyant sur « les universaux de l’exagération  » (cf. les sagas et les séries guerrières bien connues, retour aux archétypes junguiens et jungeriens de pacotille).

⠀⠀⠀ – L’intelligence déployée aux combats agit comme un « facteur aggravant », elle permet la création d’ « une tension verticale » très vite travestie en transcendance que les héritiers s’empressent de reproduire. Les dés sont jetés. Ce constat dévoile une des sources de la violence. Intelligence et violence, même combat. Il suffit de relire la Bhagavad-Gîta, le Prince Krishna sur son char qui médite avant l’assaut. Ben-Hur devient un couillu d’arène, des muscles sans tête, bref une pâle figure de la pensée occidentale. L’intelligence renie l’animalité et promeut la violence à la fois froide ou bouillonnante.

⠀⠀⠀ – Impossible de passer sous silence la question de la mort qui débouche sur « l’après ». Une fois sorti de la conception animiste du recyclage de la matière et de la migration de « l’esprit », l’intelligence humaine se construit un interminable dédale, un merdier dont il se repaît avec angoisse et délectation.

⠀⠀⠀ – La verticalité physique (Leroi-Gourhan) et métaphysique (la transcendance) modèlent l’homo-hiérarchicus. La perception d’un haut et d’un bas induit, à la fois, audition et obéissance. La révélation impose la passivité. Toutefois, la position percepteur (auditeur) de la verticalité entraîne l’émergence d’une individualisation (ou individuation), en un mot un « sujet » doté d’une identité, d’une conscience et d’un jugement. Si bien que la révélation se propage partout, elle inonde le monde, elle irradie son venin. Le guerrier devient zélote, l’obéissance cède le pas à l’activisme, l’irrationnel a-religieux prend forme, il « ré-forme ». Par ailleurs, l’héroïsme du guerrier (ou du martyr) entre dans une « culture de masse », sorte de contre-réforme, qui réintroduit un « retour du religieux ». Le cercle vicieux de la sécularisation est mis en branle. L’appel à la passivité sous un nouvel étendard joue la Saison 2 et ainsi de suite. (Cf. infra, la résilience impossible).

⠀ A partir de ces prémisses, parfaitement identifiés par Sloterdijk, les nouveaux adeptes peuvent se mobiliser, aiguiser leurs armes, monter à l’assaut de la forteresse.

⠀⠀⠀ – L’interdépendance (je laisse l’intersectionnalité au nouveau clergé de la boboïtude) des forces en présence est largement revendiquée par les zélotes de chacun des stades du monothéisme. La cellule-souche migre de génération en génération, on assiste à la pérennisation de la « surélévation abrahamique de Dieu ». L’Absolu est né dans les cailloux, hélas, il n’y ait pas resté. On l’a vu, Dieu est à l’image de l’homme et non l’inverse. Dieu, le Père, est une invention explosive ; la paternité prépare le Fils, émanation de l’Esprit. La politique trinitaire mise en place ressemble à un rouleau compresseur. Face à l’unicité plurielle, une seule solution l’objection de conscience de l’Un.

⠀⠀⠀ – Le monothéisme provoque une « réaction en chaîne » de type « bombe A », dont la dimension psychologique égale celle théologique. Dieu devient l’employé d’une région déterminée, l’opposition athée fait figure de d’empêcher de tourner en rond dans le bénitier, tout en impulsant une nouvelle dimension : Capital, Sécularisation, État, Pouvoir, SEN… En résumé, le monothéisme est un vaste marché qui, accouplé, à l’universalisme et à l’autorité (foi, Église, roi …) ne cessera de croître comme un champignon atomique dont les retombées s’immiscent dans les moindres replis. Le monothéisme avance par contamination de proche en proche, technique virale que les manipulateurs de SEN déploieront avec succès.

⠀⠀⠀ Monothéisme => monolâtrie de l’Un => anthropothéisme. L’analogie avec la pulsion hégémonique des pouvoirs antiques sert de démonstration. La force cachée du monothéisme : indi-viduation du salut – ce qui permet la continuation mondialisée des prémisses.

⠀⠀⠀ – «  Tuez qui son frère, qui son ami et qui son proche » (Ex, XXXII, 27) Moïse formule à merveille le slogan de base du monothéisme avec ses « rudesses sacrées ». Au Sinaï, Moïse et ses sbires innovent : la mise à mort devient une « morale », une auto-préservation de la tribu. Le ver est dans la pomme. L’ancien sacrifice devient extermination tant interne qu’externe. Cette morale issue du sang versé sert de base juridique à la nouvelle communauté. Le fondamentalisme américain aura raison des autochtones sans jamais appliquer les traités signés avec les emplumés locaux. « Un bon indien est un indien mort ». Le christianisme et ses diverticules ne cessent de réinterpréter le sacrifice de l’agneau, d’ailleurs « l’agneau de Dieu » est une « réinterprétation monstrueuse de l’abattage pratiqué pour Pessah ». La religion de l’amour à un goût de sang et une odeur de graillon (crématoire de sinistre mémoire). « L’existence des chrétiens prouve la non-existence de Dieu ! », on ne peut que partager la sentence de Louis Scutenaire. Prêtres et charlatans, même combat (Robespierre).

⠀⠀⠀ – Exode et exil voient les premiers zélotes affronter les dieux des empires voisins. Dès ces moments décisifs, le monothéisme se « charge de d’ambitions théologiques et politiques », une radicalisation s’opère. Le monothéisme devient une théologie de protestation : l’esclave (comme le cave) se rebiffe : l’écrit devient Écriture, le savoir devient Talmud, commentaires des commentaires du Texte.

⠀⠀⠀ – La situation se complique quand un exalté nommé Jésus affirme sa prétention divine. L’incarnation implique le rejet de la misère tribale, elle ouvre avec Paul la sphère d’influence à tout l’empire de l’occupant. Rome prend la charge virale en pleine face, deux siècles plus tard Constantin retourne sa veste et chevauche les idées nouvelles. Le militantisme zélotique a trouvé en Paul le Lénine de l’époque. La Conversion de l’Empereur est la Prise du Palais du tsar, mais par l’intérieur. L’adoption spirituelle remplace l’origine charnelle, la circoncision n’est plus la marque d’appartenance. L’identité change de registre, l’universalité promeut de nouveaux héros : d’abord les martyrs, puis les zélotes de la conversion forcée ou non. L’ancien combat sacré cède le pas devant la volonté militante en faveur d’un universalisme tout puissant. Le christianisme inaugure une capacité de « révolution permanente », d’adaptation véritable fuite en avant. L’Église mène la barque du nouvel Empire, avant elle du monde.

⠀⠀⠀ – L’islam parachève le modèle abrahamique. Il comble sa non-originalité, son statut de dernier rejeton avec la prétention d’accomplir ce que ses géniteurs échouèrent à réaliser. D’entrée de jeu, il déploie une énergie à s’auto-justifier proche du fanatisme. Comme ses ancêtres, il utilise une ferveur, un zèle à pourfendre son héritage tout en piratant, le plagiant et le l’adaptant à une société différente. (Cf. Mme Chabbi). Son obsession de l’Un devient monolâtrie de l’Envoyé. Le prophétisme atteint un niveau de fétichisme sans précédent. La doxa islamique rabaisse Jésus au statut de simple prophète pour mieux valoriser Mohammed. Curieusement l’Islam, surtout sunnite, frise l’hérésie en montant en épingle le statut de son Prophète. Mohammed rivalise avec Marie, prouesse dans un univers phallocratique ! On peut parler d’une « immaculée conception du Coran » sans trace d’humour.

⠀ Nous retrouvons le guerrier à l’œuvre avec son cortège de dramatisation, de fantasmagorie, de déviance. Paul prêche, le Prophète guerroie ! Lénine harangue le prolétariat, Trotski mène l’ « Armée Rouge ». Le missionnariat devient conquête par le glaive, le djihad possède un double tranchant comme toute arme : le tranchoir et l’ascèse purgative du combat. La prière et la bataille même combat !

⠀ L’islam transcende le tribalisme de départ à la fois par l’universalisme et la juridisation (ne pas confondre avec la juridicisation) de la nouvelle communauté : l’oumma (umma) ouverte à tous par la conversion en récitant la profession de foi en Allah et son Prophète. Le clanisme devenu universalisme (à comparer avec l’extension du christianisme) part à l’assaut du monde.

⠀ Christianisme et islam sont les deux premiers « sur-réalismes » de notre civilisation. Le postulat de départ se transforme très rapidement en son contraire. Il n’est pas vain de parler, comme Rousseau, de «  religion civile révolutionnaire ».

Une filiation honteuse :

La synthèse du spirituel et du militaire.

— Spiritualité militarisée (Templiers, ordres guerriers).

— Militarisme spirituel : mystique du combat (libérer ou prendre Jérusalem). Militaire / militant, étrange proximité lexicale et sémantique. Le rapport de notre civilisation à la violence provient de son ADN, de son idéologie élevée au statut de religion et de transcendance.

⠀ Les fronts et les campagnes : suites logiques des propos précédents. Les confrontations entre les cinq monothéismes restent d’une triste actualité. La guerre pour la domination de Jérusalem a pris une dimension planétaire. Les croisades ont quitté leur centre de naissance. Se borner à prôner un antijudaïsme, un anti-islamisme, un anticommunisme ou un anticapitalisme équivaut se castrer et à reproduire (sans organe) les schèmes dénoncés. Le retour à la virginité et l’innocence d’antan mène qu’à de nouveaux désastres régressifs. L’antijudaïsme primaire relève du complexe d’Œdipe devenu complexe des Dupes. L’anti-urbanisme des métropoles qui servent de foyer aux ultras s’appuie sur la sourate 17, 58 : « Il n’est point de cité que nous ne fassions périr avant le jour de la Résurrection ». Le retour au désert est illusoire, les barbus seraient incapables de survivre sans les béquilles technologiques de leur ennemi préféré : les armes, les Nike et les sodas. L’islam, comme les autres descendants du monothéisme premier sont cocacolaïsés, sodaïsés… Les Pères du désert sont morts et revenus à la poussière : no futur ! Retourner dans le ventre de sa mère semble le fantasme préféré des nostalgiques. La régression matricielle comme eschatologie. Bref, le futur dans le passé réputé innocent du placenta. On comprend le délire et la haine engendrés par la déception face à l’impuissance de réaliser son rêve. Certains écolos devraient se pencher sur la question. La nature n’existe pas, elle n’a jamais existé en dehors de la Genèse (comme paradis perdu), seule existe la culture mortifère élaborée par des générations d’adorateurs de l’Un et les apôtres du progrès sans fin.

Tout monothéisme (les cinq) est exophobique, zélotique, névrotique et compulsif. Les trois premiers monothéismes n’en finissent pas de mourir et de renaître. Le judaïsme a su saisir la destruction du Temple pour sortir du cercle vicieux et se recentrer sur la Loi et son étude, du moins certains courants de pensée.

⠀ On le sait, « l’universalisme religieux produit des excès de significations  »(p.66). La pulsion séparatiste d’un certain judaïsme a évité les turpitudes de l’expansionnisme naturel de l’universalisme. « Le combat pour la conservation de soi » individuelle et collective (ethnique ?) paraît aux yeux de certains une preuve de l’existence de Dieu, pour d’autres une preuve qu’une certaine distanciation permet de se préserver. L’universalisme, n’en déplaise aux thuriféraires de la chose (dernier en date Francis Wolff), se caractérise par une autosurdétermination religieuse couplée à une surélévation de la culture émettrice (l’occident) le tout baignant dans une flatulence de l’égo géocentrée, d’abord ethnicisée, puis généralisée depuis l’émergence du christianisme.

Le monothéisme a su absorber toutes les violences dont il fut / est l’objet. De l’exode égyptien aux réfractaires du SEN, le monothéisme absorbe comme une stimulation salutaire les oppositions. Terrible constat que trop de « révolutionnaires » nient encore. La longue chaîne événementielle de l’actualisation du noyau ⠀ n’en finit pas de déprimer les esprits lucides, exemples : Lénine prend le pouvoir pour renverser le capitalisme naissant en Russie (les Menchéviks) et il applique le modèle fordien dans la foulée, le Front Populaire met « Paulette à bicyclette » (les congés payés)sur les routes ensoleillées de la France estivales, début de la mythologie du bonheur par le temps « libre », c’est-à-dire sans travail salarié, pendant ce temps l’Allemagne réarme et entraîne son armée clandestine en URSS, puis en Espagne, et pour couronner le triomphe du Front Popu, les députés de la libération populaire donnent les plein pouvoirs à Pétain. Les deux guerres mondiales signent le déclin de l’Europe et laisse le champ libre à l’Empire Américain  ; les « trente glorieuses » marquent l’intégration du monde ouvrier (prolétariat s’abstenir) dans la dynamique de la croissance par la consommation béate ; Mai 68 met les compteurs générationnels à jour, les jeunots s’intègrent dans la prise de pouvoir, les « éléphants » bénéficient d’une longévité incroyable ; la télévision, l’ordinateur, la tablette et l’Iphone séduisent les masses avides de nou-veautés ; des « applis » irradient leur nocivité dans les neurones (GPS…). Stop !la déprime para-yse mes doigts.
Pas de monothéisme sans combat y compris intérieurs (djihad du cœur et autres…). Notre héritage ne fait aucun doute. Héraclite avait parfaitement cibler l’évidence  : «  Le combat est le père de toutes chose, le roi de toutes chose. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves » (fragment 53).« Il faut savoir que le combat est universel, que la justice est une lutte et que toutes choses naissent selon la lutte et la nécessité » (frg 80).

⠀ Sous la prégnance du monothéisme, « le monde se transforma en un terrain de combat de coqs pour apôtres  » ( cité p.72). L’eschatologie et la sotériologie impliquent une volonté manifeste du monothéisme d’établir une communication totale. Nous naissons tous enfants de Dieu, disent-ils. La communauté dans l’Un assure l’unification du genre humain, première étape d’une totalisation aux relents douteux et générateur d’un conformisme comme idéal identitaire . Le monothéisme forge de toutes pièces une histoire du monde, un puzzle infini. Paul, le juif errant contemporain des zélotes historiques, prend la relève avec le talent qu’on lui connaît. Les métèques et les non-circoncis peuvent entrer dans le Temple que Titus « déconstruisit » avec ardeur. Le zélotisme est bien la face obscure du monothéisme. Les militants de tous bords ont tort de croire à la nouveauté de leur pulsion. Remplacer la prédication par la propagande ou la publicité perpétue le mythe fondateur du monothéisme. C’est bien connu, le zèle des convertis peut atteindre des sommets de barbarie au nom d’une cause juste. Le sabre et le goupillon n’ont pas pris une ride. L’apocalypse ou le grand-soir sont des guides infaillibles. Le monothéisme zélote et l’universaliste zélé veulent imposer leur message, mais ils creusent un fossé perpétuel avec les autres : les non-croyants, les réfractaires à l’enrégimentement, la conscription. Sans les autre, l’universalisme est un discours creux, c’est pourquoi sans l’Inquisition ou les épurations (procès de Moscou) le monothéisme serait une « mission impossible ». La conversion totale des païens se transformerait en « dépérissement » cher à nos idéologues marxisant. Ces contradictions inhérentes aboutissent à une « névrotisation » du message primaire donc de notre civilisation qui en découle. (p.76-78). Le monothéisme (et toutes les grandes religions) génère une surdétermination de la violence qui devient cruauté. La Rédemption ou la punition par la souffrance, donc la cruauté sont purgatives, le zèle sauve le zélateur et le « zélé », bourreau et victime la version hard de la poule et de l’œuf. La théologie de l’amour se réduit à une apologie de la haine (cf. l’intuition de Spinoza) et de la cruauté. Avec l’Église, ce phénomène prend l’envergure d’une culture de masse que les successeurs perpétueront avec joie. Le loup était dans la bergerie comme le ver dans la pomme. La terreur des ordalies, des bûchers, des supplices voulaient nettoyer les écuries du bas-monde au nom du transcendantal : terrible leçon.

⠀ Pas étonnant que la question du mal apparaisse en même temps que celle de Dieu. L’éradication du mal au nom du Bien est le stigmate des monothéismes religieux ou laïcisés : Augustin, Luther inaugurent la triste liste des « purgeurs ».

Les monothéismes par leur dynamique sont des « modes de production » sociétaux. A chaque étape correspondent de nouveaux instruments, la machinerie / machination s’auto-perfectionne. Les croisades illustrent parfaitement l’ensemble des postulats des monothéismes, à la fois guerre mondiale (la première sous la bannière papale) et purges des opposants : mystiques du retrait du monde, les objecteurs du sexe et du mariage menaçant l’extinction de l’humanité. Toute Église a besoin d’une population à ses ordres. Un prélat sans ouailles, l’horreur !

⠀Force est de constater que les monothéismes écrivent une histoire de la violence. C’est en cela que la déchristianisation démontre à merveille les mécanismes de sécularisation. La lutte contre, la négativité, est une affirmation, une ré-affirmation, un recyclage, une « mise à jour », sans « reset » possible. Après le goupillon, la faucille de l’État et du Capital, la grande-faucheuse a trouvé dans la mécanisation sa raison d’être : perpétuer la tradition de domination et d’asservissement des producteurs / consommateurs. Le prosélytisme a troqué la soutane contre le vernis policé de l’agence de communication, de la Pravda et les officines ad hoc.
Le zèle universaliste ressemble à un fascisme du Bien, le « Démon du Bon » possède le militant de l’universalisme obligatoire. L’absolutisme des fins accouche le la Terreur sous la protection d’une « christologie » revisitée. Dans ce domaine la naïveté a un prix exorbitant, lire Léo Baeck l’Essence du judaïsme, PUF, p. 320 : « la véritable histoire du monde est l’histoire du bien » Le zélotisme concentre son attention sur les moyens, l’action, la praxis, la militance coupée de ses bases, il privilégie le narcissisme du guerrier, il donne raison à « la devise crypto-christologique de M. MacLuhan « le médium est le message  » (p.85). La lutte entre les messagers devient la guerre idéologique par excellence. L’affrontement n’est plus spirituel ; la dispute prend le dessus sur la disputation.
⠀L’extension universaliste des monothéismes et leur triomphe planétaire conduit à trois phénomènes :

⠀⠀⠀– L’entropie. La réussite, parfois foudroyante (islam), d’un mouvement monothéiste entraine une dynamique de la Foi ou l’accélération brutale d’un phénomène : capital, SEN. Alors les fondements métaphysiques du monothéisme disséminent leurs métastases dans tous le corps social et politique concerné. C’est le cas des USA où la contagion atteint le noyau dur de la vie civile : la religion américanisée par le serment sur la Bible du Président. La religion valide l’élection. Y aura-t-il, un jour un athée à la tête du pays ? USA => Jésus + Pouvoir + Argent, la réussite et le triomphe des prémisses de la chrétienté, mieux que l’Église romaine dans lequel l’alliage (al-liance ?) n’a pu se maintenir. Le Petit Père de Peuples (PPP) et le Grand Timonier surent aussi réaliser une fusion d’un autre genre, plus fragile, mais trop incarné.

⠀⠀⠀ – Expansion => Concentration. Face à la dispersion géographie (donc ethnique) et les risques majeurs de tensions exogènes, le modèle de l’Empire romain devient le prototype de stabili-sation. De cette difficulté majeure naît la nécessité totalisante perpétuelle. Le magma brownien favorise la dynamique et augmente les risques de dissolution.

⠀⠀⠀ – L’hystérie militante du zélotisme universaliste est aussi absolue que la cause qu’il défend. Ici, la Révolution Française apporte de l’eau au moulin de la démonstration.

⠀ L’islam offre une perspective différente. D’abord, après la mort de son fondateur et le meurtre du gendre (Ali), l’expansion musulmane coproduit la scission radicale entre le sunnisme et le shiisme. De plus, la phase d’expansion fulgurante se poursuit par une stagnation suicidaire et un repli idéologique sur des positions théologico-légalistes. Le Coran devient un Tabou et le Prophète une figure mythique quasi idolâtrée. La Reconquista ibérique et la fin du dialogue entre les trois monothéismes signe l’arrêt de mort intellectuel de l’islam. La chute du Mutazilisme et l’exil de Ibn Rushd, aristotélicien et rationaliste (Averroès, mort en 1198 à Marrakech) porte l’estocade à une pensée brillante égale à celles de ses consœurs abrahamiques. La fin de l’expansion annonce une contradiction implacable : renoncer à la diffusion de l’universalisme, moteur de la réussite. Le rêve d’Empire fait naufrage. Les mongols (1258) mettent fin à la suprématie politique et religieuse d’un islam devenu bigot, piétiste. Les grandes transformations économiques échappent aux tenants du pouvoir islamique accroché à leur « marché des esclaves » comme mode de production. Paupérisation et esclave : les deux mamelles de l’islam décadent. L’islam « s’est enfermé dans la prison de la tradition » (p.92). N’en déplaise aux décolonialistes ignares, la défaite est interne et non imposée par un colonialisme blanc tout aussi aveugle, « bête et méchant ». Le modernisme, incarné et la tentative de réforme musulmane (la Nahda XIX- XXes) relance le fondamentalisme « comme moyen de ré-universaliser » le message sclérosé et à bout de souffle. L’origine tribale a repris ses droits sous la forme de « nationalisation » de l’islam local. Le panislamisme fut un pétard mouillé. Oublier de croître et de s’adapter équivaut à une mort lente sous perfusion pétrolifère  : le pétrodollar comme idole. Le zélotisme devient un militantisme sacré et une norme de renouveau purificatoire. Mahomet, chef de guerre, reprend les armes. La religion se réduit à un comportement ritualisé (prières, ramadan, circoncision, voile…). Le zélotisme devient vie quotidienne : la fitness comme mémoire et incarnation de l’esprit de la loi. Le zélotisme militant tente de dissimuler la honte de la régression par une fierté fantasmée du passé. (L’islam n’est pas le seul monothéisme dans ce cas). On ne pallie pas la misère en redorant le blason du zélotisme.
⠀ L’arabisme renaissant favorise l’affaiblissement de l’islam qui est entré dans une crise dont l’issue semble encore incertaine. Le misérabilisme victimaire oublie le rôle conquérant et totalitaire de l’expansion musulmane. Combien de morts lors du djihad ? Ensuite, il enferme dans la « prison de la tradition » mal digérée. Les musulmans sont les premières victimes de leur blocage théologique (ijtihad, la clôture, la fermeture). L’incapacité de se « réformer » est le signe d’une dégénérescence par consanguinité endogamique religieuse. La fixette sur l’orthopraxie stricte démontre l’incompréhension totale du mouvement naturelle des idées et de la vie intellectuelles. L’islam est devenu une « religion du campement militaire » (p.94), « obéir ou périr », le minaret rythme la vie comme un clairon. Le djihad, la piété de l’épée, sont, ici, les deux armes du zélotisme. Mahomet et Paul, deux frères de l’expansion par la militance.

⠀ Le néo-expansionnisme islamique reprend le flambeau : « le croyant ne doit pas avoir de repos tant qu’il vit dans un système politique non islamique » (p. 96). Le retour de la razzia par l’attentat, nostalgie d’un désert disparu dans le naphte noir. Le désert est devenu le grand alibi, le lieu de promenade du WE avec le chameau en remorque de la berline climatisée. Le retour de l’universalisme militant (musulman, évangéliste, capitaliste, SENique… ) correspond à une phase de dépérissement de l’occident embourgeoisé et englué dans la consommation et les « congés payés ». L’islamiste est le stade sénile de l’islam moribond incapable de se renouveler. La « maison islam » se prépare des moments difficiles. Le théocentrisme et la modernité (les aspirations d’une jeunesse pléthorique) n’ont pas fini d’en découdre. Les amateurs d’huile sur le feu attendent avec impatience. La violence est toujours au cœur et en cours de notre histoire.

La matrice monothéiste : Foi et logique, la « foire des vanités ». Les pages précédentes permettent de formaliser (radicaliser ?) une critique charpentée des monothéismes. En dehors des aspects théologiques et économiques, l’exploration du concept de Dieu dégage des pistes de réflexions :

⠀⠀⠀ – La neuro-théologie et la neuro-rhétorique sont des composantes déterminantes du procès monothéiste. L’investissement « libidinal » fonctionne comme un « biodispositif » du religieux ancêtre du « biopouvoir ».

⠀⠀⠀ – Nous le savons la logique et la rhétorique servent de mathesis aux monothéismes. Au stade SEN, l’évidence apparaît sans dénégation possible. Descartes et Leibniz avaient raison. L’intuition démontre son insuffisance, la mathesis apporte un « supplément d’âme » à la démonstration. Pour plagier Platon :« Personne ne doit entrer ici en religion, s’il n’a compris le mathématique ». Le monothéisme expulse la pensée magique, les idoles qu’il remplace par l’Écriture et le Logos.

⠀⠀⠀ – Du pluriel au singulier : l’Un, naturellement, exprime le suprématisme monothéisme qui entraîne un « monarchisme ontologique » (l’unité et l’unicité du Pouvoir). Donc, le dominant du haut et celui du bas sont parfaits. Tout pouvoir unique vient de Dieu, refrain bien connu : le sacre du roi, le sacre des urnes, le sacre de la fortune…
⠀⠀⠀ – Le Monothéisme se décompose en deux termes : mono + théisme. Il ouvre une ère de la transcendance personnalisée : l’individualisme. La foi et le salut sont individuels. Dieu est une relation personnalisée, fini l’anonymat polythéiste. La créature est un collaborateur de la création. A sa manière, elle coproduit le monde en permanence.

⠀⠀⠀– Haut et Bas forment les deux plans de réel. Les monothéismes sont à la fois hiérarchiques et patriarchiques.

⠀⠀⠀– Hiérarchie = obéissance, combiné avec un suprématisme de la Loi, de la valeur, de l’abstrait numérisé. La suprématisation implique l’idée de service, de servitude volontaire pouvant aller jusqu’au sacrifice. La logique de l’obéissance s’oppose à celle de la raison. Les monothéismes sculptent un univers de soumission. « Nul n’a droit d’obéir » (Kant, Arendt), une véritable provocation sous le ciel de Dieu.

⠀⠀⠀ – Le Dieu du croyant est l’antichambre de l’Être des philosophes. (Sujet qui sera traité dans les notices Être, métaphysique et théologie-politique).

⠀⠀⠀– Le concept de Dieu est la première sécularisation. L’intellection établit une séparation manipulatrice. La mécanique sécularisatrice appartient d’origine au monothéisme, obligatoirement pluriel.

⠀⠀⠀ – le zélotisme des cinq monothéismes utilise pleinement les « opérations logiques ». Par exemple : « Dieu est omniprésent, omnivalent, tout-puissant, donc la créature, en tant qu’image, doit déployer le même absolutisme dans ses actions démonstratives. Les monothéismes reposent sur un schématisme rigide : une « ontologie monovalente (individualisme) et une logique biva-lente » p.113.

⠀⠀⠀ – La tautologie, maintes fois démontrée, est une boucle de l’ADN monothéiste. La formule « Es ist es Selbst » d’Heidegger (Il est soi-même) résume parfatement la tradition : « Dieu est Dieu, Nom de Dieu  ». Ce qui exclut toute négation : 0 = 0 rend impossible toute proposition non-0. Seul Dieu peut émettre un message négatif « Tu ne mangeras de fruit de cet arbre ». Lui seul peut créer ex nihilo, logique non ? La tautologie est présente dans chaque stade du monothéisme.
⠀L’universalisme est donc la forme obligée et parfaite du monothéisme. On peut parler de monothéismes monopolistiques. Le zélotisme fonctionne par décomplexification du réel et par réduction à des évidences mortifères. « Le zélotisme a son origine logique dans le compte à rebours vers le un, qui ne tolère rien ni personne à côté de lui. Cet « un » est le père de l’intolérance. Il exige l’alternative radicale, celle dont on raye le deuxième membre. Quand on dit deux, on dit un de trop. Secundum non datur » (p. 117) Comment mieux résumer le principe d’exclusion ?

⠀⠀⠀ – L’idolâtrie de l’Un (Dieu, Capital, Big Data…), une sorte d’iconodulisme, perpétue la pulsion de Domination monovalente. C’est une forme de sacralisation de la violence. Nul besoin d’accuser un Dieu jaloux, égocentrique (Moi, je…), la violence gît dans la réduction du réel à une unité / unicité obligatoire et souveraine. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! la contradiction à l’état pur. Le totalitarisme religieux génère naturellement et logiquement celui des « ismes » : libéralisme, communisme, capitalisme. Toujours le lien, comme le fil à la patte du hanneton de notre enfance, le zélotisme inclut par exclusion et destruction.

⠀⠀⠀ – Le zélotisme ne peut fonctionner sans l’émergence de prophètes, de grands hommes qui synthétisent la situation et actualisent l’Écriture. «  Qu’est ce qu’un prophète, sinon une lettre re-commandée à l’humanité ? » (p.120). On connaît le destinataire, mais qu’en est-il de l’expéditeur.

⠀⠀⠀ – L’accusé de réception de la lettre signe l’origine du texte qui devient Écriture. Chaque stade du monothéisme est le « devenir-livre de Dieu  ». Sans l’Écrit, Dieu est illisible. La Révélation prend ainsi son sens profond ; elle met un terme à « la régression infinie » du doute du fini, qui devenu créature, se sent rassuré de sa place dans l’univers. Le Livre est, déjà, une plus-value, une valeur ajoutée à la simple littéralité alphabétique. Le Livre introduit une grammaire et une syntaxe (sainte-taxe ?) qui permettent une relation directe avec l’Émetteur. Livre-Dieu = Écriture. La Révélation continue à chaque stade. Livre-Dieu (judaïsme et islam), Livre-Homme ( le Christ et ses sectes), Livre-Machine (capitalisme), Livre-Data (REN) : les étapes de la domination sont sa pérennisation . Le monothéisme introduit l’alphabétisation dans une aire géographique et lui donne une spécificité : la médiation, la médialité, le média comme oracle. Retour des grands médiateurs : Moïse, Jésus, Mahomet, Marx, Lénine, Hitler, Big-Brother pour les plus connus, mais les petits prophètes disséminent la Parole dans les replis. D’où la prolifération des « start-up ».

⠀⠀⠀ – Hiérarchie 2. Émetteur / récepteur, l’émission est descendante. Pas de CB ou de « portable » pour répondre. Seuls les mystiques prétendent entendre et répondre. Le suprématisme des ondes positives ou négatives, Hertz avait-il imaginé les retombées de sa démonstration ?

⠀⠀⠀⠀ 8 – Pharmakon : la résilience impossible.

Ces deux termes apparaissent dans les publications savantes, certains auteurs en abusent avec délectation. Avant de spéculer, un petit retour à l’étymologie :
⠀ – Pharmakon . En grec le terme signifie à la fois remède et poison. Socrate en fit l’expérience. Remède ⇔ poison forme une dualité, une antinomie et pourtant un seul mot. Laissons l’ironie de côté. On doit à Derrida la remise à la mode dans le cadre de la déconstruction. Pharmakon introduit la « drogue » en philosophie qui devient elle-même une « droguerie ». La ciguë de Socrate interroge le germanopratin et ulmiste. Derrida voit dans le Phèdre de Platon un contre-procès de Socrate, c’est à dire un procès de l’écriture puisque Socrate fut victime d’une plainte (graphé). Platon se heurte à la difficulté majeure de l’écriture à la fois poison et remède. Socrate eut donc raison de ne rien écrire, laissant la redoutable tâche au naïf Platon de se frotter à la difficulté. L’écriture ne peut être un remède à la mémoire ni au savoir. Socrate, l’illettré, l’a-graphé (attention pas agrafe) en refusant l’écriture se donne la mort par accusateur interposé. Bref, Derrida, grand commentateur à l’imagination obscurcie par les nébulosités langagières post-phénoménologiques, attire l’attention sur le piège de l’écriture. Mais le cher Maître fut pourtant un « grapheur » abon-dant. Le pharmakon « est la différance de la différence » (cf. Pharmacie de Platon p. 335). Bref le couple « pharmakon » infecte la pensée. On attend toujours un vaccin avec ARN-messager. La déconstruction de l’écriture agit comme un refoulement de l’Écriture .

⠀ Stiegler a le mérite inoubliable de remettre la philosophie dans le cambouis, si la démarche derridienne affleure encore, la problématique change : «  Tout objet technique est pharmaco-logique : il est à la fois poison et remède  » . « Toute technique est originellement et irréductiblement ambivalente : l’écriture alphabétique, par exemple, a pu et peut encore être aussi bien un instrument d’émancipation que d’aliénation » (p. 422). « Un pharmakon doit toujours être envisagé selon les trois sens du mot : comme poison, comme remède et comme bouc émissaire (exutoire) » (id.). Le remède a bien pour but aussi de purger du poison. On retrouver ici la problématique parallèle de René Girard.

⠀ – Résilience . Mot à la mode, aux sens multiples et récupéré par les sciences dites molles. D’abord, ne pas confondre avec résiliation qui met fin définitivement à un accord, une dette… D’importation américaine, la nouvelle mode dans les milieux pointus, il exprime « la capacité de surmonter un traumatisme / ou de continuer à se construire dans un environnement défavorable ». Certains auteurs voient dans la résilience non plus une qualité mais un processus permettant de dépasser une situation traumatique. Pour d’autres « la résilience consiste à apprivoiser le stress ».
L’adaptation française souffre, depuis le début, d’un flottement de sens, sa boboïsation a nui à son utilité. De plus, son utilisation à propos de phénomène collectif change la donne : « ville résiliente », « entreprise résiliente ». Du substantif à l’adjectif, il y a comme un « malaise dans la cul-ture ». Par ailleurs, le risque de métaphorisation guette et peut entraîner une véritable dissimulation.

⠀ La résilience marque le passage de la résistance à la capacité de délier les fils du trauma. Pour ce qui nous intéresse, le mot s’apparente à pharmakon : poison et remède pour dépasser, résoudre une situation traumatique individuelle ou collective. La question de Dieu entre parfaitement dans ce cadre. Comment ou peut-on surmonter l’addiction et le trauma dus aux monothéismes ?
Quelques exemples valident le questionnement initial.

⠀⠀⠀ – L’apostasie, le crime parfait de lèse-déité s’implante dans la mentalité monothéiste dès ses débuts mosaïques. L’élection (peuple élu sans les urnes) instaure un régime identitaire héréditaire. La judaïté par la mère permet d’éviter le douloureux débat sur la paternité. Dans ce contexte dire « je ne suis plus juif » relève de la mission impossible. L’abjuration publique engendre des répercutions et persécutions sévères. C’est à la fois une rupture religieuse et civile (propriété, droit d’usage…). Souvent l’expulsion s’accompagne de sévices. Le corps social répond par une répudiation et au pire par une exécution. C’est un crime fondamental. Par extension, tout converti est un apostat. L’apostasie collective est une hérésie, donc pas vraiment un rejet total, mais une dissidence. Pour Maïmonide « l’apostasie est le libre reniement de Dieu pour une autre religion  », pas question de rejet de Dieu, mais de changement de culte (les marranes ou les convertit de force à l’islam garantissaient la survie du peuple et souvent pratiquait un judaïsme du cœur. Pour lui, l’hérésie est plus grave que l’apostasie (Sabbataï Tsévi). L’apostasie est un exil extrême.
⠀⠀⠀ Le christianisme, le grand pourvoyeur d’hérésies, fut agité d’apostasies permanentes. Renoncer à la foi chrétienne mérite la peine de mort. L’athéisme est une apostasie, les puritains américains le comprirent. De plus, l’universalisme militant ne peut la concevoir ou la tolérer. La tolérance zéro (ou intolérance maximaliste) caractérise le monothéisme. Après les luttes religieuses sanglantes, la tolérance ne concerne que les officines concurrentes . L’athée, l’apostat sont des scélérats, criminels, de la viande à gibet. L’Inquisition veilla à l’orthodoxie. Toute déviance méritait châtiment.
En terre(s) d’islam, la question de l’apostasie reprend une dimension ethnique et absolutiste. Mme Chabbi démontre le rôle essentiel de la notion d’alliance pour les peuples de la péninsule arabique. Alliance dans la tribu, le clan, dans le lignage, entre tribus. En arabe coranique, apostasie (ridda) dérive de irtidâd « revenir sur ses pas ». Dans le contexte géographique, le retour en arrière solitaire est synonyme de mort. L’alliance, adhésion sans faille, au groupe est la seule possibilité de survie. L’apostasie ne fait que reprendre et islamiser une réalité et une tradition préislamique. Renoncer à l’alliance (sortir du groupe tribal) n’est pas une affaire juridique, la mort naturelle (faim, soif) fonctionne implacablement. Par contre, le reniement de l’islam est une faute passible de sanctions, mais surtout la punition divine à lieu à la fin des temps. (Sourate la vache, 256-257 et sourate le tonnerre, 5-26). Très vite, l’apostasie élargit sa gamme d’application : déviance, sacrilège, blasphème, schisme, hérésie, refus de croire. Bref, rien de nouveau sous le tropisme monothéiste (tristes tropismes !!!). On ne badine pas avec Dieu. Déviance ⇔ apostasie, la formule du simplisme avec un zeste de zélotisme.
⠀ Sur ces bases intangibles, les stades quatre et cinq sécularisés reprennent sans barguigner la bonne vieille tradition universaliste totalisante. Impossible de renoncer au chemin tracé, le « retour sur ses pas » devient de plus en plus difficile. Les îles désertes ou les forêts impénétrables cèdent sous la pression démographique et la profanation de l’espace. Je lance un appel solennel à tous les éclairés de me communiquer leur méthode de sortie du capitalisme, du marché, de la valeur et du travail « aliéné » ? Recettes miracles et adhésions à des sectes historiques ou en gestation pour autrui s’abstenir ! Pour paraphraser un certain Jésus le Palestinien : « Que celui qui roule en voiture à crottin, communique par pigeons-messagers, n’a pas d’ordinateur, ni d’abonnement à internet ni…ni…me jette la première pierre ». Attention, je porte un casque équipé d’une visière de réalité virtuelle augmentée, je suis équipé de stéréo d’oreille, de double-foyer optique, donc prévoir de gros pavés !!!

⠀ Ces banalités triviales démontrent le passage progressif de l’Appareil Monothéiste d’Église (AME) à l’appareil l’Appareil Mono-Capitalisque d’État (AMCE) au redoutable SEN. La résilience prend le sens de résignation. Un livre vient de sortir Contre la Résilience de Thierry Ribault (Ed L’Échappée, 2021, 367 p.) qui a le mérite de mettre les pieds dans la soupière des gourous certifiés. Dans le sillage de Günther Anders, l’auteur prend « le carnage nucléaire » comme point de départ : « Fukushima, mon Amour », la version soft et filmique de la radiation. Face à la machinerie productrice de la Sainte-Énergie nécessaire à jouvence des masses éclairées (aux deux sens du terme). Les titres des chapitres du livre donnent le ton. La résilience est partout, à toute les sauces, elle se veut un vaccin anti-malheur ; ici, les médias servent d’ARN-messager. Le discours résilient s’appuie sur la « négaphobie » et utilise le trop connu processus incantatoire qui, au final, rend le désastre nécessaire à sa propre survie. Nous savons tous que la production de l’ignorance prime sur la connaissance nuisible à la souveraineté de la Domination, d’ailleurs l’évolution de nos systèmes éducatifs agissent dans ce sens. Après la profanation du monde, sa falsification : la résilience met de l’huile dans l’engrenage. Une « appli » « Résiloubli.com » en cours de développement permettra la résilience à domicile devenu « présentiel chez soi ». On attend, incessamment sous presse « La Résilience pour les nuls ou l’art d’oublier le désastre dans la bienveillance ». Les méthodes de la Résilience s’affinent : après le confessionnal, « Mamy Grégoire », « le Doudou-portable qui répond », la phase de tests de « moralisation du désastre » joue le rôle du nouveau clergé.

La résilience / résignation n’est pas résistance. L’adaptation permet la survie, certes, mais qu’en est-il du pharmakon avant que la pilule ne devienne trop amère ?

⠀ – La guerre pour Jérusalem a servi de premier remède de cheval aux monothéismes, pendant des siècles et la farce n’est pas terminée. Toute guerre étant d’abord civile, la lutte pour Jérusalem relève à la fois du conflit intra-sémitique et intra-islamique. Jérusalem le Grand-Alibi ! Le rendez-vous branché de tous les zélotes ! Il suffit de gratter les cailloux pour comprendre que d’autres enjeux mettent de l’huile sur le feu. Quand on connaît le coût des armes modernes et les torrents de subsides déversés par les coproducteurs des belligérants, on se doute bien que l’essentiel est ailleurs. La manipulation des zélotes est toujours un excellent exercice intellectuel et un entraînement permanent. Jérusalem et d’autres lieux : Taïwan, Balkans, Sahel… sont les champs de bataille des suprématismes sécularisés. Lutter contre ses « volontés de puissance » requiert de plonger dans le noyau magmatique de notre civilisation. Cette descente dans l’enfer passe par une régression logique, dite linéaire, pour décanter les constituants réels des forces en présence. La fureur suprématisme est l’héritière de l’absolutisme et de l’universalisme (et du mimétisme ou mêmisme) premiers. La terreur contemporaine n’innove pas, elle actualise, elle plagie en adaptant.

⠀ – La fusion / confusion de Dieu et de l’Être provient du choc des civilisations hébraïque et grecque. On connaît les dégâts engendrés par ce phénomène natif. La thérapie génique nécessaire passe par un démêlage de la perruque faite du fil d’Ariane et de la chevelure de Samson. Il ne s’agit de déconstruire mais de peigner la girafe et d’ôter les pellicules. C’est un DÉMINAGE qu’il nous faut penser.

⠀ Le terme Être désigne la situation générale qui nous englobe. Jouer avec Dieu et l’Être c’est se mettre en situation de double dépendance, se jeter dans la gueule du loup. Donc oser prendre à bras le corps les pseudo-évidences qui nous engluent et leur faire face avec le scalpel de la critique interne. Faute de quoi, les « autorités » continueront à piocher dans la fange pour « intimider » les naïfs.

⠀ On peut dire que la tyrannie est épuisée dans le sens qu’elle a investie tous les champs ouverts par « la matrice des monothéismes ». Les issues de secours sont fermées si l’on ne déradicalise pas (chercher le radical et l’extirper) la pensée suprématiste et totalisante dominante. Le slo-gan : « le Coran ou la mort » conduit à un bain de sang suicidaire, les dominants ayant besoin de dominés, ils inventèrent le statut de dhimmi (impôt sur la tête : djizya), moyennant finance. La fiscalité au secours de la pensée absolue autodestructrice, fut une trouvaille géniale (La TVA et la CSG comme piètre imitation). La fiscalité comme purgatoire, comme troisième terme du dualisme paradis / enfer. Ceci montre la puissance d’adaptation du monothéisme suprématiste : une amibe qui dévore tout ce qui l’entoure.

⠀Les ritournelles révolutionnaires et les recettes de la vieille-militance ont démontré leur impuissance pharmacologique. Elles réactualisent et reproduisent les matrices issues de la sécularisation qui fonctionne par métastases ou par contamination virale.

⠀– Quelle pharmacopée contre le syndrome de la hiérarchie héritée du théologico-politique ? Les incantations libertaires ou libératrices restent impuissantes y compris dans le fonctionnement interne des officines concernées. Les « espaces de liberté », les ZAD servent à l’occasion de mar-chandisation et de Zone à Fiscaliser (ZAF) : impossible de zapper. La grande Utopie du Tout réalisé et autocorrectif est le nouveau champ de bataille qui nous attends. Un énorme travail intellectuel et une refonte complète de la praxis nous attendent.
A VOS NEURONES, CAMARADES !

⠀– La circoncision. Bien que la querelle du prépuce agitât le judéo-christianisme, il n’y a pas d’entrée circoncision dans le Dict. Critique de Théologie ni dans le Dict. des faits religieux. Pour faire court (sans jeu de mot), elle est un rite ancien, que le peuple juif ramena, peut-être, de l’Égypte. Seuls le judaïsme et l’islam l’ont conservé comme principe d’identité culturelle ou cultuelle. La lutte pour l’introduction du prépuce (goy) dans le Temple marqua le début de la séparation progressive du christianisme du judaïsme. Paul remporta la bataille symbolique contre Pierre (1° Concile de Jérusalem). Les goyim et les métèques obtinrent le droit d’entrée dans la Nouvelle Alliance. Un nouveau rite déjà connu prit le relais : le baptême. Les deux symboles d’identité n’innovent pas, car la pensée primitive pratiquait déjà des rites de même nature. Bref, un droit d’entrée, un marquage de corps, une inscription indélébile.

⠀ Simplement, le baptême inaugure une rupture dans le marquage du corps et le début de la sortie de l’orthopraxie. La priorité à la communication avec le divin par d’autres moyens correspond aussi à l’hellénisation galopante suivie de la romanisation triomphante (Constantin). La « prépucisation » du spirituel ouvre des horizons nouveaux : l’agir (d’abord le martyre) et la pensée vraie. Ne jamais sous-estimer l’importance de la spiritualisation comme libération des contraintes orthopraxiques. L’âme sort triomphante de la lutte finale contre l’ancienne Alliance. C’est aussi le passage à une théologisation forcenée ; la tradition et l’étude du Texte comme fidélité et signes distinctifs du judaïsme deviennent une bouée de secours, période qui amorce, aussi le lent déclin du prosélytisme juif. Caricaturons : la circoncision ou la Foi. Bien que circoncis, Jésus et Paul décentrent la problématique. Les traités de l’Âme feront fortune.

⠀— Projet de pharmakon : « Rendez-moi mon prépuce ! » ou « Radiation des registres de baptême ». On voit que le monothéisme rend la résilience quasi impossible. La pilule du lendemain reste à inventer.

⠀Les monothéismes sécularisés héritent des deux tendances. D’abord, la circoncision n’est pas proscrite, tout juste hygiénisée et médicalisée. Le marquage du corps capitalisé ressemble plus aux chaînes physiques ou symboliques de l’esclavage. Les signes d’appartenance se transforment en « marques » en marqueurs sociaux. La vêture, les bijoux, les artifices (perruque, maquillage…) deviennent des agents de commerce, des sortes de stigmates de classe. (La stigmatisation de la stade cinq entre dans ce procès). Les marqueurs sont en même temps des marchandises. La diversification des costumes (dites folkloriques ») apparaît avec la révolution industrielle. Chaque village s’identifie par sa coiffe, un « apprêtement » spécifique qui le « démarque ». La prolifération des signes avec leur obsolescence nécessaire fait irruption dans la société de consommation. La production des objets (Baudrillard) et la « mode » régulent l’adhérence / adhésion (comme la carte du Parti) au mode de production capitalistique généralisée. C’est le corps entier qui est « circoncis », requis, investi. Les marqueurs sociaux, idéologiques, religieux prennent une importance démesurée : voiture, vacances, lectures, nourritures (restaurants, drive-bouffe…). L’enfance attire les markéteurs (markéting) et chaque micromarché devient une cible privilégiée.

⠀ Le SEN pousse à l’extrême le mécanisme enclenché précédemment. Les réseaux sociaux prennent l’allure d’un bas-clergé et des tristement célèbres sergents-recruteurs. Cerise sur le gâteau, la mensualisation achève la dépendance. Appartenir à un réseau ou mourir. L’Être et le non-être : une histoire de flux numérique – adieu la métaphysique de papy, la « numéritude » installe l’immanence via des ondes porteuses invisibles. Le média devenu médium. Avoir remplace Être  : en avoir ou pas de connexion. Le changement d’auxiliaire n’est pas que grammatical, il s’insère dans la numération et la quantification du réel. L’immanence de l’Avoir domine l’Être de la transcendance devenue signe ringard. Les derniers avatars des religions suprématistes se heurtent de plein fouet à la cocacolaïsation du monde, d’où les pulsions et convulsion passéistes que nous connaissons (terrorismes, suicides…).
⠀⠀ Résilience et pharmakon « s’en trouvèrent fort dépourvus ». Merci Monsieur de La Fontaine.

⠀⠀⠀ L’athéisme.

⠀ Autre tentative de résilience / pharmakon largement mise à la mode depuis les libertins. La mort de Dieu annoncée par le nihilisme et son frère jumeau, le positivisme, n’a pas résolu la question du Grand-Soir (toujours suivi d’une gueule de bois magistrale). Le cadavre empeste toujours, la momification échouée, un fantôme hante encore les surgeons de la sécularisation.

⠀ Ici, nous ne pouvons prétendre exposer les différentes doctrines de l’athéisme ni apporter de résilience / pharmakon à la maladie chronique du monde tel que nous en héritons (et hériterons). Quelques remarques, thèmes et citations aideront à poser les bases d’une réflexion critique en dehors des sentiers battus pas des godillots pleins d’illusions et de bonnes intentions.

⠀ – Si Dieu est mort, l’athéisme est son compagnon de sépulture : « Ci-gît Dieu et son ennemi »  : cherchons désespérément une pierre tombale portant cette épitaphe. Merci de contacter l’auteur de toute urgence, qui garde en réserve une gerbe de fleurs fanées avec le bandeau : « J’irai cracher sur votre tombe ».

⠀ – Nier c’est prouver. L’athéisme est donc l’impasse, le cul de sac des libérations fumeuses.

⠀ – Chaque « isme » (théisme, déisme, paganisme, monothéisme engendre son athéisme propre. L’athéisme est à l’image de son non-modèle.

⠀ – Anti-théisme diffère de l’a-théisme par le préfixe. Le reste est une question de rhétorique.

⠀ – L’athéisme comme toute religion possède ses grands prêtres : Sartre, Althusser, Sève…, ses rites.

⠀ – L’athéisme comme religion sans Dieu. (cf. infra un monothéisme sans Dieu).

– « Ils ne peuvent pas sans passer ; ils n’arrêtent pas d’en parler ». Sartre Les Mouches, III, 2.

⠀ – L’indémontrabilité ne constitue pas une preuve d’inexistence.

⠀ – L’athéisme est un Humanisme ; la majuscule équivaut à celle de Dieu. L’athéisme substitue le Genre Humain à Dieu, une abstraction à une autre. L’athéisme mute le concept de Dieu en une nouvelle entité l’Homme, comme si l’athéisme était un rejet collectif et non individuel. De fait, l’athéisme est un anti-individualisme. La sécularisation fonctionne parfaitement.

⠀ – Les dénonciateurs de l’opium du peuple reprennent les thèmes éculés de la critique allemande et de l’antisémitisme. La « question juive » ne cherche pas à dissimuler l’arrière-boutique de l’athéisme marxiste. « L’argent est le Dieu jaloux d’Israël, Dieu devant lequel aucun autre n’a le droit de subsister ». Si on lit positivement (!?) ces éructations douteuses, Marx perçoit parfaitement que le monothéisme comporte une pulsion mondialisante, expansionniste et impériale. Le courant marxo-matérialiste veut "déconstruire" le monde réel et remettre l’Homme sur ses pieds. Maintenant, le salut n’est plus individuel, mais collectif. L’homme sur pied (comme la viande qui arrive à l’abattoir) est le Prolétariat. La nouvelle Église dotée d’un clergé : le Parti.
⠀ Ici, la sécularisation triomphante s’arme de la médiation pour atteindre son but. Du déjà vu et subi à travers les siècles. A quoi bon agité le chiffon rouge de la révolution pour reproduire à l’identique avec juste un « rafraichissement », un « ravalement de façade ». L’athéisme produit reste un verni plaqué sur les vieilles lunes que l’on dénonce et combat.

⠀ – Bakounine dans « Dieu et l’État » immerge le matérialisme dans la matière brute, il parle même d’une chute de l’Absolu dans la fange. Il pioche dans Schelling, Fichte, Hegel, donc des connotations gnostiques rampantes de l’idéalisme allemand. Il fait, n’en déplaise à ses admirateurs, un contre-sens : « la tradition monothéiste n’est pas un idéalisme et ne professe pas la chute de la divinité dans la matière » (Tresmontant p. 192). Du danger de se contenter de la philosophie allemande déjà dominante. La panzerphilosophie avait déjà répandu son venin dans les veines de la contestation. Il ne suffit pas de « retourner » (la prétention de Marx) comme une crêpe une pensée pour la critiquer. Bakounine gobe les sécularisations incluses et les nuisances théologiques, orphiques (l’âme d’origine divine prisonnière dans les corps qui sont des prisons), les fadaises manichéennes (la divinité dispersée dans toute la nature), le thème marcionite de « l’autre Dieu » ce qui explique son antisémitisme. Bakounine a pillé les délires schellingiens de la Philosophie de la Révélation (Traduction fr. en trois volumes PUF) tout en les bricolant à la sauce pseudo-matérialiste à la mode de son temps. Le retournement avant la déconstruction ih !ih !

⠀ Ce n’est pas le moment de sortir le microscope pour passer aux cribles les méandres de l’athéisme, l’antithéisme… Toutefois, ce travail nous semble essentiel afin de nous libérer des « panacées », des « y-a qu’à », des jouvences de l’Abbé Cassine et autres élixirs, sans oublier les potions magiques. N’oublions jamais que les sécularisations fonctionnent comme des métastases (cf. Baudrillard et mon oncologue préféré).

⠀⠀⠀⠀ 9 – Un monothéisme sans Dieu.

⠀ A la lecture des pages précédentes, une question lancinante s’impose à l’esprit mal tourné. Et si le monothéisme était, en fin ce compte, une religion sans Dieu, une parodie, voire une réécriture du polythéisme ! Une ère du soupçon en quelque sorte ! De nombreux auteurs se posèrent la question avec le sérieux de l’érudit. De toute manière, les stades quatre et cinq du monothéisme ne permettent pas de faire l’impasse sur ce sujet.

⠀⠀⠀Le judaïsme.

Dans le judaïsme le passage de l’hénothéisme (Dieu national) à un monothéisme strict est tardif, date de l’exil babylonien. Elohim désigne d’abord tous les dieux, c’est un pluriel ordinaire et générique. A la limite, seul Moïse connaît le véritable Nom de Dieu «  C’est mon nom pour toujours « (Ex, 3, 16), mais il caché, imprononçable jusqu’à devenir un tabou. Seul le Grand Prêtre peut l’évoquer dans le Saint des Saints du Temple. Donc YHWH pour la populace, déjà une histoire élitiste ! Enfin de compte, « c’est un nom et ce n’est pas un nom ». Yahvé, Dieu, Jéhovah, Adonaï, Seigneur sont des soins palliatifs lexicaux.

⠀ Le tétragramme est construit à partir de la racine du verbe « être » qui ne se conjugue pas au présent, racine YHWH, « je serai ce que je serai ». L’indicibilité est donc une invention majeure, une entourloupe sublime dans un contexte biblique initiant la parole comme puissance de création  : « Que la lumière soit… ». Le judaïsme réussit « le tour de force de développer un discours reposant sur l’impossibilité d’articuler une parole. Le possible naissait de l’impossible » (Rachline p.23). Le judaïsme ouvre la pensée vers le futur « je serai ce que je serai » engage un mouvement, « un futur qui un avenir toujours à venir  ». La Création ferme la causalité et ouvre l’eschatologie. Par ailleurs, YHWH ne peut pas être, il n’est qu’un futur inaccessible. Le monothéisme ouvre une béance redoutable que les rabbins et les théologiens s’efforceront de combler au prix de contorsions parfois comiques.

Le « Shema israël » annonce l’Un par le pluriel Elohim, autre source de spéculations torrides « Écoute, Israël, YHWH sont nos Elohim, YHWH est un ». Cet UN n’est pas une unité dans la pluralité, mais une réduction numérologique 1. La République Française n’est pas unique, mais « une et indivisible » (Rachline p. 29). Il ne peut y avoir qu’une seule R.F., la reprise tautologique de YHWH au cœur de la constitution marque bien l’ambiguïté du la prémisse monothéiste.

⠀ Considérer Elohim comme un nom propre serait un contre sens, une personnification prononçable de YHWH. On aurait à faire à un surnom, un sobriquet, une trace d’humour devant l’absurdité de l’indicibilité. YHWH désigne Machin, le Mec anonyme qui se la ramène en roulant des mécaniques, bref une forme d’anthropomorphisme populacier. Rendre audible le tétragramme : vaste sujet, l’option Adonaï semble avoir emporté les suffrages rabbiniques. A partir de mon maître Adoni, Adonaï, Mon Seigneur Dieu coule de source. YHWH introduit aussi l’invisibilité, YHWH n’a pas de face donc on ne peut le confondre avec une idole : « il n’y aura pas pour toi d’autres Elohim en ma présence ». Plusieurs difficultés :

⠀⠀ – Le « pour toi » annonce une relation de personne à personne, l’individualisme pointe son nez. La relation entre chacun et YHWH fonctionnement sur le mode de la filiation, de la dépendance généalogique. « En ma présence », donc tu peux adorer des idoles si je ne « serai » pas là. Ça tangue dans l’arche de Noé. Oui, mais attention, YHWH est partout («  Je serai Partout » permet de ne pas confondre avec « Je suis Partout » humour, humour !!!) bien qu’il se soit retiré dans ses pénates pénardes. (Père-peinard, le Gus à lire son journal anar en douce !). Monothéisme et polythéisme restent proche, toutefois le « mono » subroge le « poly », il ne détruit pas, il remplace, il se substitue. La subrogation devient un mouvement perpétuel du monothéisme qui devient une machine à dévorer. La subrogation s’inverse dans la sécularisation, après l’absorption la digestion et la défécation. La machine se fait machination .

⠀⠀ – Attention, l’homme est à l’image de son créateur, mais une version ersatz, sinon gare à la guerre des boutons. Toutefois, la ressemblance individualise « Je suis unique, comme tout le monde » ce qui ridiculise un peu la grandiloquence du Créateur. L’unicité du commun des mortels individualise la responsabilité, impossible d’échapper à la chute. L’Un conforte notre individualité, il sert de schème : mon corps et mon âme sont uniques : Un et multiples dans ses parties et ses fonctions. En fin de compte, YHWH serait l’initiateur de l’existentialisme : « Je ne suis pas, je deviens ». C’est le sens profond du « Je serai », la langue hébraïque, comme toute langue liturgique, forge ses idées par sa grammaire.

⠀ – Le judaïsme par son orthopraxie gère le vide, l’absence par des rites « qui font Dieu ». Le judaïsme est une « théurgie », qu’importe que YHWH soit ou ne soit pas. « Je serai » grâce à tes rites. YHWH est une idée, un concept, une non-présence, une force, une abstraction, destinés à regarder vers le futur. En tant qu’œuvre de l’esprit, YHWH change de registre des croyances. D’ailleurs, Tacite (58-120) classe les juifs parmi les athées, les sans-dieu.

⠀ L’essence du monothéisme premier serait une panne de sens, du moins de sens unique. « Comprends bien que ce qui es au-dessus de toi vient de toi », Feuerbach n’est qu’un copiste en mal de droit d’auteur. « Tout dépend de toi » (Chaïm de Volozine 1749-1821) aurait-il inspiré Stirner (1806-1856) ?

⠀ Rachline conclut son excellent opuscule par « YHWH dépasse, déborde, excède le monothéisme. Il en est pour ainsi dire un au-delà, où peut se loger, aussi, l’athéisme » (p. 89). Jeter l’eau du bain, sans regarder au fond de la baignoire conduit à des incompréhensions regrettables. Mieux faut ouvrir la bonde et les filtres à particules élémentaires.(François Rachline Un monothéisme sans Dieu, Hermann, 2018, 91 pages)

⠀⠀⠀ – Le christianisme est-il un monothéisme ?

⠀Sujet dont débattent, encore et toujours, les théologiens et certains cogiteurs (et agités du bocal spécialistes des hegéloconneries cf. LF. Céline) C’est aussi le titre d’un livre sous la dir. de Gilles Emery et Pierre Gisel publié chez Labor et Fides, 2001, 396 p. que nous utilisons comme base de réflexion, avec un zeste d’ironie coutumière.

⠀ Poser la question montre bien que le monothéisme est bien au cœur de notre civilisation, et d’autre part, que le terme dérive sans cesse selon les poussées historiques et les enjeux politiques de chaque époque. La question englobe aussi les avatars sécularisés. Généalogique, elle suppose une continuité dont les caractères héréditaires peuvent disparaître à l’œil nu des naïfs en idéologie. Le danger de la rétrospection mécanique guette, toutefois le recours à l’arbre généalogique permet de l’éviter. Les botanistes connaissent bien les hasards des greffes et des techniques sophistiquées. Dire que la pensée occidentale serait un Organisme Généalogiquement Modifié cadre parfaitement avec notre démarche.

⠀Il ne s’agit pas, ici, de reprendre tous les points déjà abordés dans nos articles précédents et futurs, mais de focaliser sur quelques thèmes centraux qui sont à la fois des « ruptures épistémologiques » et des sécularisations véritables.

⠀⠀ – Unité, unicité, Révélation, eschatologie, sotériologie, christologie… constituent les hélices de notre ADN. Le monothéisme se caractérise, aussi, à la fois par une extrême rigidité conceptuelle confinant au fixisme et des pulsions de vie polymorphes. Et cela depuis l’origine mosaïque du Sinaï : Moïse reçoit les Tables de la Loi (unique moment d’apparition divine, donc fondamental) et le peuple du bas fond un Veau d’or. Rude contradiction et héritage génétique -trisomique. Le monothéisme abolit, subroge et pourquoi pas s’auto-pervertit, c’est sa vitalité, sa force, sa résis-tance à l’entropie naturelle des systèmes et des religions.

⠀⠀– Le christianisme introduit des ruptures : territoriale, ethnique, symbolique. Avec lui, l’invisible devient visible. Le Fils apporte une seconde Révélation, concrète cette fois, de quoi fustiger et flageller les incrédules. La preuve par le Fils né d’une mère porteuse, un grand pas en arrière dans la pensée magique et aussi un bond prodigieux dans la modernité de la GPA.

⠀⠀ – Le christianisme perturbe en profondeur la conception sociale ethnicisée du premier monothéisme. L’universalisme générique ouvre le monothéisme au monde. Le royaume séculier et monarchique devient Royaume de Dieu, un quasi retour à domicile du Créateur. Le christianisme détruit et recombine à la fois. Jésus en tant que Fils subroge la Torah (Paul Rm, 10, 4). Ses paroles font Loi et Alliance. Franchissement supplémentaire dans l’individualisation rampante depuis les premières religions moyennes-orientales. Le Messager est le Message  : confusion des genres, enfin presque, Pilate l’apprit à ses dépens (et nous aussi) : crucifier le messager n’a pas anéanti le message.

⠀⠀ – Le christianisme innove radicale, il se fait missionnaire. Plus d’un peuple en fit la douloureuse expérience. Il offre au monothéisme une nouvelle dimension spatiale.

⠀⠀— La Trinité, la première grande pilule amère que le christianisme impose au monothéisme. « Un en Trois » (ou 1 = 3) fleure bon l’hérésie, la déviance totale ; à moins que le christianisme invente la « promo quantitative », l’art de vendre en rondelles le spirituel. Nous avons déjà longuement analysé la Trinité, juste un résumé afin de situer les enjeux.
⠀ – La foi en un seul Dieu : le Christ-Dieu.
⠀ – Le Verbe est immanent à Dieu (Origène). L’Un comprend le Multiple.
⠀ – Il y a le Dieu des juifs et celui des Chrétiens (Marcion).
⠀ – Père-Fils : deux noms pour une seule unité. Pas de fils sans père et réciproquement.
⠀ – Dieu est Dieu en tant qu’inengendré (Arius).
⠀– Dieu est Dieu en tant que Père (Tout-puissant) : Nicée.
⠀– Immanence réciproque Père-Fils => unité de substance (Athanase d’Alexandrie).
⠀– L’Un de Plotin, un roman de plusieurs centaines de pages (et de nuits blanches) : les Ennéades.
⠀– « Une substance, trois hypostases ».
⠀– Filioque : L’Esprit Saint procède du Père et du Fils. (Le Grand Schisme 1054).
⠀ – La Trinité, mystère et boules de gomme.
⠀– Deus Pater, Deus Trinitas, donc Deus Machina.

⠀ Ce bref résumé des pantalonnades trines permet d’entrevoir l’ampleur des polémiques et leurs portées. « Trois » fit couler autant d’encre que de sang. Il est facile de comprendre l’horreur de rabbins devant l’outrage. Pourtant, cette aberration eut des retombées incommensurables :
⠀ Dieu se complexifie. L’Un inclut la diversité qui permet de mieux couvrir le Tout. L’Un ne peut devenir Tout que par des stades intermédiaires, des médiations. L’Un est médiat.
⠀ – Les philosophes et les théologiens exploitèrent à fond l’ouverture. Si l’on ne peut connaître l’Absolu, l’en-soi, directement, sa connaissance passe par une « analytique » dont la logique et la rationalité doivent être imparables.
⠀ – L’abandon du fixisme, figé dans la tradition rabbinique, décoince l’universalisme de sa gangue primaire. La pensée elle-même accueille la contradiction comme une dynamique impérative. La dialectique devenue méthode entre dans la mécanique de la sécularisation comme un automatisme, une boîte de vitesse pour feignasses du levier intellectuel.
⠀– La Trinité est aussi un mode de dissimulation. Tu vois le Fils, certes, mais où sont les copains (et le coquins).
⠀– A terme, elle permit de théoriser le Capital sous une forme trine ou multiple, une alliance de concepts : Argent, valeur, travail… Le monde issu de la trinité incarne le développement en procès. L’Un de la Domination a trouvé dans le théologico-politico-économique (TPE) la nouvelle Trinité. On peut reprendre ligne à ligne les alinéas descriptifs (ci-dessus) et les appliquer au TPE. Vaste chantier pharaonique ! Camarades à vos plumes !

En réalité, le christianisme est un monothéisme complexifié. Il réussit le prodige de transformer l’UN-TOUT en un monisme d’un genre nouveau et intégrateur : la Domination libérée de ses archaïsmes.

⠀⠀⠀ Islam.

⠀Le troisième avatar d’Abraham se dit être l’aboutissement de ses deux frères aînés. Il prend au pied de la lettre le concept de Dieu UN et Unique sans nuance ni apports originaux. « Je copie donc je suis ». Sa recherche en filiation généalogique lui permet de réécrire « l’histoire » et de rectifier les errances de ses modèles. Mahomet adapte les grandes lignes du monothéisme juif et chrétien qu’il côtoie à Médine à la sauce bédouine tout en prenant le modèle et la symbolique nomade qu’il plaque sur le sédentarisme de sa tribu d’origine. (Mme Chabby).

⠀ Au lendemain de la mort du Prophète et l’assassinat d’Ali, son gendre, l’islam commence une guerre de conquête qui ne cache pas la guerre civile interne entre Sunnisme et Shiisme. Par ailleurs, il se forclôt (ijtihad) et se coupe rapidement des influences extérieures (hormis le néoplatonisme et d’Aristote à travers quelques penseurs vite marginalisés (Averroès…)

⠀ D’emblée, il se positionne comme une religion de guerriers au modèle de son Prophète. Un droit (djihad de l’épée) et une économie de guerre (taxes sur le financement des guerriers) lui permettent un déploiement fulgurant : l’expansion musulmane des historiens.
Dans l’islam, le Porteur (Mahomet) et la Révélation restent séparé (Sourate 112) « Dis : Dieu est un ; C’est Dieu à qui tous les êtres s’adressent dans leurs cœurs. Il n’a point enfanté et n’a point été enfanté. Il n’a point d’égal ». Le Messager n’est pas le Message. La transcendance est absolue, inviolable.

⠀ L’orthopraxie érigée de dogme, en tabou, favorise les transgressions hypocrites et un ritualisme de façade que les ultras montent en épingles selon leur bon plaisir.

⠀ L’islam, pourtant grande religion coloniale, n’a pas su s’adapter à la modernité et aux pressions coloniales de leurs voisins européens. Les tendances réformatrices échouèrent et subirent le courroux des orthodoxes. La domination ottomane avait d’ailleurs largement émoussé le glaive, mais le dominateur étant musulman, alors… !

⠀ L’islam reproche au christianisme sa dérive polythéiste. La Trinité est de la débauche. Les musulmans considèrent les chrétiens comme des « Associateurs », mépris profond pour les adorateurs du trine.

⠀ L’affirmation que l’islam est le seul, unique et authentique monothéisme intégral, mérite cependant un bémol de taille. La figure de Mahomet ressemble à si méprendre à celle d’une quasi divinité. Pas de représentation, pas de critique, le blasphème mérite la mort, même l’humour n’a pas le droit à la parole (Charlie), l’humour juif est tout aussi significatif qu’un verset du Talmud… Le catholicisme connaît aussi cette boursouflure incarnée : Marie, la mère porteuse de Jésus. Mahomet et Marie ont envahi l’imaginaire et la dévotion des croyants.

⠀⠀⠀⠀10 – Varia.

Les pages défilent sous mon clavier et, pourtant, l’impression d’effleurer à peine le sujet se confirme malgré les milliers de signes. Pour paraphraser un grand penseur et résistant en distanciel (en direct de Moscou) « il faut savoir arrêter un texte ». Logos et logorrhée quand vous me tenez ! Je regroupe maintenant quelques pistes esquissées qui mériteraient plus de développements :

⠀⠀ – La mâlitude : le point commun à tous les monothéismes et, par ailleurs, une tare congénitale pérenne, indissoluble dans l’alcool ou l’eau bénite. « La manière de dire Dieu reflète la manière de penser l’humain ». Le Dieu du monothéisme est l’expression par excellence du patriarcat. Toutefois, l’absence de Dieu unique (hindouisme par ex.) n’empêche pas une relégation du féminin voire un mépris. Le monothéisme introduit comme toujours une sacralisation. Adam n’en finit pas de faire payer à Ève le fait d’avoir croquer la pomme du savoir. Le couillu d’Éden n’en aurait point eu la capacité neuronale. Le scrotum est un pensum, une punition, une malédiction.

⠀⠀– La question n’est pas de savoir s’il y a un seul Dieu, mais « si Dieu est seul ». Le monothéisme prend des allures de « théomonisme » et d’«  androthéisme  ». Il hisse haut le drapeau de la phallocratie souveraine, comme si le souvenir d’un lointain matriarcat nécessitait une vengeance inextinguible. Nous avons longuement démontré l’importance de la question de Dieu dans l’édification du monothéisme. Dieu, cet éternel Narcisse, s’ennuyait, il procéda à la Création et se fabriqua un animal de compagnie à son image : Adam, le pauvre ] réclama une compagne pour exercer sa puissance et ne pas être, à son tour, seul face à super-Narcisse. Ève, d’ersatz, devint l’aiguillon de la faune. Effrayé le Créateur se retira dans son cocon narcissique, on dit dans le cloud de nos jours. La Bible privilégie le langage masculin, donnant une image androcentrique de Dieu. L’homme devint l’Homme. La sexuation se réduit à la part congrue. On peut parler d’ « idolâtrie du masculin », cette surdétermination conduit à une idéologie impériale, au paternalisme, à la domination de l’organique, au colonialisme et à l’élitisme.
Par ailleurs, avec le christianisme, Dieu devient trine, trois puissances mâles en une. La féminitude est reléguée aux travaux ménagers et à la location d’utérus. Le christianisme, conscient ou non de sa bévue, mit en avant Marie, la mère porteuse. Cette innovation prit, on le sait, une dimension idolâtrique et cultuelle incontrôlée (l’Immaculée Conception étant la cerise sur le gâteau). Le judaïsme libéral sut secouer le palmier et perturber les kippas. Madame Delphine Horvilleur dans « en tenue d’Ève », petit livre, à lire absolument, démontre que l’obsession textuelle cachent mal l’obsession sexuelle des mâles (La Rabbin parle de «  textostérone »). Le judaïsme comme matriarcat refoulé. Le couillu adamique n’était pas capable de digérer la pomme-fruit et la pomme symbolique. La mâlistique est la théologie rabbinique de la suprématie du mâle suréquipé en génitoires et sous-doté en neurones : bref la couillonnade au lieu de la cognition. Le Livre et les deux Talmuds sont les traces scripturales de cette déroute des biroutes, pendant ce temps mesdames enfantaient dans la douleur et roulaient le couscous et sous la tente à l’abri des regards « con-cul-pissants ». L’islam patouille dans le marigot patriarcal avec délectation. Le prophète explique qu’il faut labou-rer ses épouses comme un champ. La grécitude connaissait le gynécée et le christianisme la relégation dans les couvents avec clôture (la zone interdite aux mâles). On comprend que depuis toujours des femmes et des courants de pensée firent front. Des théologiennes se lancèrent à l’assaut de la forteresse androthéiste.

« Si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu », formule stimulante de Mary Daly (1973). La « genderisation » était lancée. Il fallait mettre fin à la « Trinité du viol, du génocide et de la guerre ». L’irruption des théologiennes dans les débats anglo-saxons (rarement catholiques) montre bien que le sexisme ordinaire n’est pas uniquement une question sociale et économique.

⠀ Suivons quelques pistes tracées par É. Parmentier :

⠀⠀– La divinisation du mâle ne fait aucun doute : textes à l’appui.

⠀⠀ – Le monothéisme promeut l’androthéisme et l’androcentrisme par l’exclusivisme langagier de la suprématie mâlifique. Le langage s’est fait social et politique : le patriarcat, l’idolâtrie comme bouée de secours des naufragés d’Éden.

⠀⠀ – L’irruption du Père sert de schème avec sa dérive hiérarchique qui prend possession du monde connu au fur et à mesure de l’avancée de la contamination virale.

⠀⠀– Dieu est une Covid à ARN-messager : prophète, Messie, Église, État, Parti…

⠀⠀ – Trine est au masculin ( Heureusement car la-trine serait loufoque).

⠀⠀ – Du genésique (de la Genèse) et à la génétique : le sexisme ordinaire d’un monothéisme phallique. Dieu ⇔ Priape.

⠀⠀ – La Théalogie, une vagination de la théologie. Les théalogues ont du pain sur la planche.

⠀⠀ – Religion du Père et religion du Fils, même combat.

⠀⠀– Le monothéisme institue l’apartheid dans le monde (celui du Haut et celui du Bas) et entre les sexes. Égaux, mais séparés ?! Le retrait de Dieu en est la preuve patente. Il est intouchable (etc.) et insensible, il laisse son Fils tâter de la croix et de la lance.

⠀⠀ – Le Père est un fantasme des mâles. La parthogénèse n’existe que chez les femelles (abeilles…) Le centre moteur du monde est bien la Mère et non le père pollinisateur anonyme, mais prétentieux. La vraie puissance est dans la féminité et c’est pour cela qu’il faut la dominer et la considérer comme un mode de (re)-production.

⠀⠀ Le Père est la transcendance, la mère l’immanence de la vie, la Déesse-Mère de nos ancêtres pas encore pervertis.

⠀ Ces dames théalogues sont aussi des théologiennes chevronnées, elles formulent des propositions destinées à sauver les meubles et les immeubles (entendre Églises de toutes chapelles). Elles recentrent la théologie sur des axes émasculés ou débarrassés de ses relents phallocratiques.

⠀⠀ – D’abord, Dieu est touchable, car chacun peut « être touché » par sa grâce. Il ne s’agit plus de touche-pipi, mais d’amour, le gros-mot par excellence. La même rhétorique que dans « Si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu » fonctionne, mais par rétroaction : « Dieu est amour » donc « l’amour est Dieu ». « Agir divinement signifie aimer ». Le salut eschatologique est d’abord un agir pour la justice sociale. La théalogie implante l’immanence dans la vie mondaine (quotidienne pour faire post-moderne). « Il n’y a pas de Dieu si nous ne le touchons pas. Il n’y a pas de Dieu si nous ne sommes pas en relation avec lui  » (cf. Kierkegaard).

⠀⠀ – Pour ces dames (nettement plus intellectuelles que les chaisières d’autrefois ou les fameuses grenouilles de bénitier), il faut « sauver Dieu du monothéisme », surtout des soutanes prétendant tout connaître du Dieu-Un. « La réflexion sur Dieu est fondamentale, car la manière de concevoir le divin a une influence centrale que la conception des croyants et de leur place dans le monde » (p.132). Pensée religieuse et pensée sociale interagissent, le mimétisme cher à certains théologiens et philosophes. Il faut sortir Dieu de son androgynie et de sa solitude pour le faire redescendre dans la fange de sa création. Cela va à contrecourant du principe de la Réforme privilégiant le « salut par Dieu seul » (soli Deo Gloria, solus Christus !). Ne pas reproduire la solitude divine, mais en faire une morale de l’action, une praxis : la vengeance du catholicisme ouvriériste contre la Réforme ?

⠀⠀ – Les féministes tendent à effacer les « frontières » entre l’humain et le divin. Ce fut le sens profond du geste d’Ève en cueillant la pomme. Le monde se sépare de Dieu par une manducation . « Prenez et mangez » dit plus tard le Fils (né sous X par GPA) Comment ne pas réduire le monothéisme à une histoire de « Grande-Bouffe » ou à une survivance de l’anthropophagie ? Après la manducation, la digestion fut, à chaque fois, douloureuse : lourdeur, flatulences et diarrhées souvent hémorragiques.