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Novembre 22 Contre toutes les guerres… sauf les guerres « justes » ?
Des ravages du moindre mal et de l’anti-impérialisme en milieu anarchiste
Article mis en ligne le 23 février 2023
dernière modification le 15 juin 2023

En matière de guerre –et on le voit actuellement à propos de l’Ukraine–, les analyses dominantes portent en général sur les causes et conséquences géopolitiques ainsi que sur les stratégies politiques et militaires, avec selon les cas plus ou moins de profondeur ou de soumission aux récits officiels. Ça dis-cute de paix et de guerre et des relations entre l’une et l’autre, dont même cer-tains commentateurs acquis aux pouvoirs ont su rendre compte avec une cer-taine subtilité, depuis le « si vis pacem, para bellum » (« si tu veux la paix, pré-pare la guerre ») de la Rome antique remis au goût du jour en passant par la conception de la guerre comme « prolongement de la politique par d’autres moyens », selon le général Von Clausewitz.

A destination des masses, y compris à prétention cultivée et intellectuelle, l’on continue à produire industriellement du storytelling binaire mettant en scène le Bien contre le Mal, la guerre juste contre l’ennemi fourbe et cruel, et la grande tragédie des civilisations humaines. L’apocalypse de Jean décrit le cavalier apportant le fléau de la guerre comme ayant reçu « le pouvoir de ban-nir la paix de la terre, et de faire que les hommes se tuassent les uns les autres ; et on lui donna une grande épée », et c’est sous belle reliure que ces pages ont été jointes il y a des siècles à celles des livres rebaptisés « ancien testament » et qui vantent ad nauseam les conquêtes militaires et massacres perpétrés avec l’aide de Yahvé pour accompagner le glorieux destin de son peuple élu et punir pécheurs et impies.

La dimension géopolitique est évidemment digne d’intérêt, à deux conditions : d’abord la replacer dans la dynamique du capital –dynamique de crise sévère en l’occurrence– dont les Etats ne sont que les appendices et les bras armés ; ensuite ne pas perdre de vue que l’histoire demeure avant tout l’histoire de la lutte des classes. Aussi mondialement totalitaire et omnipotent soit-il, le capitalisme ne durera que ce que nous serons mondialement disposés à supporter. De ce point de vue, la guerre est le paroxysme de la défaite des ex-loités, réduits au rôle de chair à canon, voués à s’étriper avec les exploités d’en face, pour le profit de leurs propres exploiteurs. Toute guerre capitaliste nécessite la constitution d’unions sacrées derrière tel Etat ou telle fraction bourgeoise, autrement dit la dissolution de notre classe dans le « peuple », uni (et soumis) derrière le drapeau.

« Guerre et paix ont toujours été deux mots différents recouvrant une continuité de l’exploitation et de la domination. (…) Les anarchistes sont contre la guerre, contre toutes les guerres. Mais nous sommes aussi contre la paix. Nous sommes contre la paix des marchés, contre la paix de l’autorité, contre la paix de l’abrutissement et de la servitude.  »

La paix sociale est donc l’assise permettant à l’Etat de se lancer dans la guerre, et la mobilisation doit même la consolider. Quant au développement de la guerre et de ses massacres, ils mettent toujours potentiellement en jeu cette concorde sociale, qui soit s’oriente vers davantage d’union nationale et de fa-natisme guerrier soit se fissure et se trouve rompue par l’insubordination, la fraternisation, l’internationalisme de classe, le défaitisme révolutionnaire2. Retenons-le pour la suite : que ces élans subversifs se produisent ou pas, selon les époques et les lieux, rien d’autre ne pourra réellement s’opposer à la guerre. Dit autrement, le seul réel obstacle aux massacres guerriers, c’est le refus non pas philosophique mais actif, la reprise de la lutte, la guerre sociale, la guerre des sans-patrie contre leurs propres Etats.

En définitive, en acceptant quelque union nationale que ce soit, c’est toujours l’Etat, la société marchande et leur capacité de nuisance (et de répres-sion) que l’on défend et renforce, fut-ce au nom d’un moindre mal ou d’un idéal d’émancipation contre une menace d’oppression plus grande. Pour ce faire, il faut des régiments prêts à passer du turbin aux tranchées lorsque retentit le clairon, il faut que flottent les couleurs nationales aux fenêtres des exploités comme des exploiteurs. Parmi ces derniers, il suffit enfin que certains, occu-pant des responsabilités stratégiques moins en vue, agissent et s’organisent en sachant pertinemment que ce qui se joue réellement à tout moment et en tout point du globe, c’est la guerre sociale, le risque insurrectionnel, et plus fondamentalement l’affrontement entre la société capitaliste dont ils tirent leurs privilèges, leur puissance, et la perspective de son renversement révolutionnaire.

On le sait, la représentation des événements fait l’objet d’une production idéologique permanente au service de la reproduction des rapports sociaux existants. Tandis que l’on nous convie à la chasse aux « fake news », c’est en réalité tout événement porté à notre attention (au détriment d’autres, minimi-sés voire occultés) qui est sélectionné, hiérarchisé, soumis à un lexique et un récit spécifique. Lorsque l’Etat a besoin d’inventions pures et simples, elles sont produites selon le même processus, sur base d’une matière sociale exis-tante, distordue, falsifiée. Cette production de récits et de contre-récits balisés

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