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Théorie de la violence George Labica (2)
Chapitre VII à la conclusion
Article mis en ligne le 27 février 2023
dernière modification le 29 mai 2023

⠀ ⠀ ⠀ Chapitre VII : De l’a-violence.

⠀ La v. fait l’objet d’une condamnation quasi universelle. C’est bien connu « nul n’est méchant volontairement ». Le très grec St-Paul reprend l’adage platonicien : « …Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fait, c’est le péché qui est en moi » (Épitre aux Romains 7,15-20). G.L refuse de tomber dans le piège tendu par le monothéisme avec le conflit Bien/Mal/Liberté. Il se borne à aborder « les formes de la non-violence ou plutôt de l’a-violence*, le privatif paraissant davantage indéfini et donc plus malléable."

⠀ Il commence par rappeler les tensions internes au monothéisme – le double discours « tu ne tueras point » et « tu dévoreras tous les peuples que l’Éternel, ton Dieu, va te livrer ». Le Deutéronome regorge de déclarations vengeresses, d’appel au meurtre saint, voir à l’extermination.

  • Cool, la Sainte-Écriture.Le message est net et sans bavure : la violence privée incarne le mal, mais l’obéissance à "ton Dieu" sacralise les actes de V. On remarque que la voix de de Dieu ordonne de "dévorer", est-ce dire que le cannibalisme est saint ?

⠀ Toujours Paul : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie » (Corinthiens 2,3,6) ; Jésus « souverain sacrificateur pour toujours » (Hébreux 6, 20 et 8, 1). « Aimez-vous les uns les autres…je vous laisse la paix, je vous donne la paix » (Jean). Bref, la dualité V / NV s’inscrit dans le marbre dès les premiers pas du monothéisme, les successeurs suivront le chemin. Luc a des paroles plus qu’ambiguës : « Si quelqu’un vient à moi, s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14,26). Pour cette tradition, le péché est à l’origine de la violence.

  • Le clou du spectacle : l’Apocalypse de Jean, le scénario idéal pour faire suite à Game of Throne. « Gott mit uns » est le signe de ralliement des adeptes de la monoculture du Livre.

⠀ Pour mémoire : les croisades, l’Inquisition, l’expansion européenne et l’expansion musulmane. Islam s’est dopé des élixirs de ses deux prédécesseurs. « … Prémunissez-vous en vers Dieu. Dieu est terrible en Sa punition  » (Coran, V,2). Le djihad de l’épée prend le pas sur le djihad du cœur. Les trois compères se gaussent d’universalisme, ne faut-il pas conquérir le monde en Son nom et pour Sa gloire, après avoir proclamer l’unité de l’homme donc l’indifférenciation raciale.

  • Bonjour la transgression. Le monothéisme recycle la pulsion de mort et la violence. Le foisonnement des dieux (polythéisme) était plus favorable à la liberté de culte. Le monothéisme avec « un seul Dieu, absolu et terrible, maître de toutes choses » (p.156) promeut la tyrannie.

⠀ Du côté grec, le logos se substitue progressivement aux mythes et la technè fait son apparition. La calculabilité du monde change la donne. La physis (nature) sert de matrice et s’oppose au nomos (loi) artificiel. Face à la violence, la morale exige de prendre sur soi. Pour Épictète il n’y a pas de progrès social, le seul progrès est personnel. La nature ne connaît pas la transcendance. G.L parcourt l’histoire de la pensée grecque. Par exemple, « les sophistes inventent la démocratie » au grand dam de Platon qui se fendra d’une République et de Lois. Au-delà des divergences, les penseurs grecs voulurent jouer un rôle politique y percevant un remède contre la violence (tout en s’appuyant sur l’esclavage). Ils inaugurent aussi la longue liste des philosophes Conseillers de Princes (p. 162) (les derniers en date Bergson ou Kojève et la prolifération des philosophes médiatisés).

⠀ Pour clore ce chapitre, G.L aborde la rude question du rapport de la violence et du droit. Le droit se donne comme exclusif de la violence. Le droit canonique tentera de la réglementer. « Droit et violence sont indissociables » (p.163 ». Dans son petit essai, W. Benjamin part de l’idée que toute « critique de la violence » consiste à mettre en relation droit et violence. Le recours à la violence privée mine l’ordre juridique. Le monopole du droit sur la violence sert à protéger le droit lui-même ». G.L rappelle que la grève est un droit à la violence reconnu de haute lutte (Influence de G. Sorel). « L’État craint la violence comme « fondatrice du droit » (p.164), car la « fondation du droit est une fondation de pouvoir et, dans cette mesure, un acte de manifestation immédiate de la violence ». Quant à la violence conservatrice du droit, elle s’affaiblit elle-même dans la répression des contre violences hostiles.`

Droit / violence forment une antinomie, la résolution de conflits s’effectue au moyen de la violence. Cercle vicieux. Ex. l’insurrection est suspensive du droit, avant que ne soit instauré un droit nouveau. « La critique de la violence est la philosophie de son histoire  ». Le droit dissimule son origine violente, le monopole de son exercice en tolérant certaines violences. « Le Droit se modifie, car la violence continue à l’habiter » (p.165). Ainsi, toute Révolution est illégale.

  • «  On trouve de la violence jusqu’au cœur de ce qui se pose comme son contraire. » Provocation :
    • Et si la violence était le seul universel.

⠀⠀⠀ Chapitre VIII : de la non-violence.

(Chapitre touffu, je suis le texte, avec mes commentaires et quelques pistes d’approfondissement).

Classique, G.L part de l’opposition guerre / paix, il constate que l’homo homini lupus de l’état de nature ne demeure pas moins lupus une fois advenue sa conversion en homo homini deus de l’état social. De la sauvagerie à la domination, vaste chemin vers le progrès ?

⠀ L’Antiquité séparait soigneusement l’Irénarque (en charge de la tranquillité dans les provinces de l’Empire, du Polémarque (général ou ministre de la Guerre selon les époques). Aujourd’hui l’équilibre de la terreur maintient une « paix par la peur », autrement dit l’ordre politique est inséparable des hostilités exprimées, larvées, potentielles ou réelles. De toute façon, la pseudo-paix tient par la violence juridique ; ou bien la « délocalisation des conflits » repousse le spectacle loin des yeux des manipulateurs, même si l’instantanéité de l’information assure « une couverture » pacifiante, réduisant les combats à un spectacle proche des images filmiques. Déréalisation et bonne conscience font bon ménage . La dé-mondialisation multiplie les conflits armés. Sinon que faire des stocks d’armes en perpétuel obsolescence/renouvellement. Bref ces combats propagent « une fiction hypocrite selon laquelle la guerre pourrait protéger ou faire advenir la démocratie » (p.169).

  • Un doigt de droit d’ingérence et les bonnes âmes se pâment.

⠀ G.L se pose la question de savoir si l’antimilitarisme est une option radicale en faveur de la Paix. « Qu’il soit anarchiste ou révolutionnaire, il dénonce avant tout l’armée en tant que qu’institution. Il n’envisage pas l’abandon de toute violence » (p.169-170). Ce qui n’empêche pas un engouement pour l’uniforme. Après une longue liste de cas dans l’histoire de France, notre auteur lâche un bon mot : « un pacifisme troupier, en quelque sorte ».

  • Pour lui l’objection de conscience et la désertion ne sont que des cas individuels avec une « valeur d’exemple ». Question « pourquoi la désobéissance civile est-elle si peu utilisée ? : La culture dominante est la culture de la violence et non pas celle de la paix ». La répétition célèbre « Plus jamais ça », ou de « La der des der » (comme à la belote) le prouvent.
    Pour G.L, les choses sont claires, l’uniforme est le moyen pour les élites révolutionnaires d’apprendre le maniement des armes, il faut être prêt pour le prochain putsch marxo-léniniste. Le grand rêve éveillé des nostalgiques du XIXème siècle. G.L exprime clairement et sans vergogne la doxa de la gente de gauche

⠀ Le pouvoir dispose pour perpétuer son hégémonie de caste d’une autre arme : l’amnistie, « la clémence d’Auguste qui se situe au-dessus des droits de l’homme ». Grandeur d’âme du vainqueur après les procès et les exécutions sommaires.
⠀ Les constructeurs de paix perpétuelle s’appuient sur le Logos, la raison et l’utopie en tant que « force transformatrice », le « « non-encore advenu » du Principe Espérance cher à Ernst Bloch. En Occident, de la Grèce (Platon… puis la Cité de Dieu, l’Utopie, la Cité vertueuse d’Al Farabi, la Cité du Soleil, les Phalanstères) à la chute du mur de Berlin, les grands rêves ont chu dans les vastes poubelles, sans fond, de l’histoire. Du côté de la Chine, Confucius, Maître Kong, presque contemporain de Platon ,promeut une fidélité au passé en s’appuyant sur la « théorie des cinq relations » (prince-sujet, père-fils, mari-femme, frère aîné-cadet, collègues-amis) qui structure les rites indispensables aux rapports sociaux, à la pérennité du pouvoir et de l’état. Pensée qui féconde toute l’Asie avec un système de fonctionnaires hiérarchisés, les mandarins, une écriture lisible dans tous les dialectes de l’Empire. Mencius, Maître Meng (370-290), l’Aristote de l’Empire du Milieu, compléta la doctrine confucéenne en « définissant raisonnable » le gouvernement établis sur la bienveillance. Pour les deux compères « la vertu est la condition de la cité harmonieuse et l’homme la possède, car sa nature est bonne  ». Xun zi (298-268) ajoutera une dose de rationalisme à l’édifice des honorables prédécesseurs. Nos chers Jésuites ramèneront de Chine cette idée de corps bureaucratique spécialisé. « A la spéculation utopique gréco-occidentale, qui aspire au fond à réaliser le paradis sur terre, est substitué, dans le contexte extrême-oriental, l’inlassable souci de l’ordre social, insertion dans le kosmos universel. Immanence et transcendance…expressives de deux cultures, l’une attachée à l’ordre du temps (chronos) et du lieu (topos), l’autre postulant leur dépassement : uchronie et utopie » (p.174).

⠀ G.L rattache la N-V à l’eschatologie qui met au rencart toutes les compromissions dialectiques entre guerre et paix, entre chute et rédemption. Le Discours de la servitude volontaire de La Boétie est considéré par G.L comme le premier texte théorique de la non-violence. Le tyran utilise la passivité, le renoncement, la servitude volontaire aidé par sa troupe de courtisans, de conseillers et de vigoureux spadassins. La vaillance se perd avec la liberté et la pensée. « Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres ». Pas besoin de combattre le tyran pour l’abattre. G.L y voit une « non-violence négative », inrecommandable tant elle ressemble à « la paix des cimetières ».

  • Nous sommes vraiment au cœur de la théorie de la violence nécessaire, mourir les armes à la main fait le héros et le martyr (on est toujours dans les relents nauséeux d’un monothéisme incurable), la non-résistance résistante une ânerie de crétins. Le salut par la Kalachnikov, la violence armée se substitue à la rédemption. Cette "mitologie" ronge le corpus révolutionnaire depuis ses origines. Le dernier en date du brulot de cette tendance : Peter Gelderloos Comment la non-violence protège l’état. Bref, l’insoumission (au sens large du terme) se révèle une lâcheté, une forme de collaborationniste. "J’objecte, donc je suis un crétin inqualifiable indigne de figurer dans le panthéon des révoltionnaires.

⠀ Ensuite, notre théoricien fait un rapide inventaire des doctrines non-violentes. L’ahimsa (non désir de tuer) de Gandhi reprenant la tradition hindou et surtout jaïniste de sa propre mère. Gandhi s’inspire de Ruskin, Thoreau, Tolstoï et il élabore une « série de mesures stratégiques au service de la rébellion non-violente : désobéissance civile, organisation du désordre, un discours de réalité contre les mensonges des dominants, la cessation d’assation d’activité (hartal), la non-coopération, boycott des produits étrangers…G.L ne se prive pas de rappeler les faiblesses de l’indien anglicisé : en 1906, il opte pour obéir à la raison d’état lors de la répression contre les noirs de Natal, en 1918, il se fait recruteur pour l’armée britannique. Ses positions produisirent régulièrement des affrontements intercommunautaires et sa cécité favorise le séparatisme musulman. G.L cite Hervé Chaigne, Évaluation du gandhisme que je reproduis : « En conclusion, on peut dire que le satyagraha en tant que projet social n’échappe pas aux ambiguïtés dans lesquelles tombent les spiritualismes qui se refusent à reconnaître l’autonomie du temporel  » (p.182). Bref, son idéal paysan anti-industriel , son ascétisme assimilant le sexe et la violence font de lui un personnage haut-en couleurs, mais contradictoire. G.L persifle encore « on ne peut nier que les émules de Gandhi lui ressemblent, imprégnées qu’ils sont de religiosité, de foi dans la bonté de l’homme, de méfiance de la modernité et, par cela même, d’un idéalisme dont l’impuissance concrète n’est tempérée que par son exemplarité éthique » (id.).
⠀ GL poursuit son inventaire avec Lanza del Vasto, « fils d’un propriétaire terrien sicilien de haute ascendance » (sic), Martin Luther King, bricoleur unissant évangile et non-violence. Avec Arendt, G.L se demande ce qu’aurait fait Gandhi devant Hitler, Staline ou le Japon en Manchourie. Il va de soi que la n-v est l’héritière de la tradition chrétienne, celle d’avant Constantin.

⠀ G.L conclut son catalogue par :
⠀⠀ - Les nobles attentions ne changent pas le monde.
«  A quelles conditions le non-violent peut-il être autre chose qu’un pur en marge de l’histoire ». Paul Ricœur, Histoire et vérité p.235, 1955.

« Il y a certainement des degrés dans la violence qui accompagne la formulation et la mise en œuvre des idéaux, mais pas de degré zéro. Il n’y a pas de non-violence ». Etienne Balibar in De la Violence I p.87.

  • De ce fatras super documenté, il faudra reprendre plein de points et relire attentivement les textes cités : W. Benjamin, Arendt, Weil, R. Aron, Ricœur, Rawls, Girard, Balibar…
  • Après le concept de violence, celui de n-v . G.L opère idéalise la violence e comme justice des "damnés de la terre" et ridiculise la N.V dont il faudra approfondir les fondements philosophiques.

⠀⠀⠀ Chapitre IX : Du Pouvoir.

⠀ G.L attaque la problématique centrale : comment s’opposer au pouvoir en refusant la violence. Il va de soit dans l’esprit de l’auteur que c’est le pouvoir théologico-politico-capitaliste l’incarnation du pouvoir. Comme premier exemple, il prend la Théologie de la Libération comme sujet de réflexion. Il précise que les caractéristiques de ce mouvement essentiellement sud-américain est très différent de la non-violence. La date de référence 1492 marque le début du « plus grand génocide de l’histoire  » . Le Portugal, l’Espagne, la France et l’Angleterre, les Pays-Bas sont à l’œuvre pour de longs siècles sanglants d’asservissements (plus l’importation d’esclaves africains). La Théologie de la Libération substitue la pauvreté au prolétariat, ce faisant, il se situe sur le terrain du christianisme hétérogène. La Libération prend figure de « volonté révolutionnaire », la révolution de la faim. G.L rappelle judicieusement la révolution des paysans de Thomas Münzer et celle du mouvement chartiste. Position qui met la Th.Lib en opposition à l’Église institutionnelle engluée depuis le début de la Conquête dans la Collaboration avec les royaumes chrétiens. Il faut souligner que « les théologiens de la Libération défendent le pluralisme religieux et considèrent les autres religions comme légitimes » (p.192). Ils ne font que reprendre la vieille tradition ambiguë de la tolérance restreinte aux courants religieux, les autres religiosités (polythéismes, animismes…athéisme(s) restent les ennemis à convertir, à détruire.

  • La tolérance* « intolérante » ( ou phase ultime et auto-satisfaite de l’intolérance) serait un sujet à développer dans le Lexique critique de philosophie. Les maisons de tolérance ont toujours un clocher, un gibet et un ossuaire bien garni. Nous retrouvons ici une "robespierrade" classique et le slogan : "Pas de liberté pour les ennemis de la liberté".

⠀ La Th.Lib se pose dont la question de la non-violence, sans rejeter la violence évangélique qu’il faut organiser. (Retour à la bonne vielle guerre juste de Grotius.). Il est à noter que les courants de la Th.Lib n’ont pas vraiment d’unité doctrinale et des relations plus ou moins proches avec le marxisme ce que ses détracteurs avaient parfaitement compris. G.L fait une liste des autres courants : arabe d’Ibn Badis, ou celui de Marc Ellis dans Vers une théologie juive de la Libération. La Th.Lib cèdera le pas et les courants évangéliques (surtout pentecôtistes) et afro-américains s’engouffreront dans la brèche.
« Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu  » (V. Hugo)

⠀ La question posée est bien celle du pouvoir et de sa relation avec la violence. Une première approche lexicale met en valeur l’ambiguïté du vocable le couple Pouvoir et Violence. Le finnois affine, valta = violence, väkivalta = le pouvoir par la violence. Marcht, Kraft, Gewalt et dérivés soulignent la polysémie comme celle de logos devenu un fourre-tout.
Après ce préliminaire, G.L retombe dans son péché mignon d’accumuler les citations et les références sans véritablement approfondir les assertions. C’est là qu’il faudra reprendre patiemment l’écheveau et en suivre les fils conducteurs. Lénine promeut « une politique de la violence » dans le but d’asseoir la dictature du prolétariat. Les marxistes patouilleront allègrement dans la mélasse faute d’avoir approfondi la question et d’être restés au niveau des textes fondateurs (et simplistes) de Marx/Engels. S’il n’y a pas de différence de nature ou de genre entre le pouvoir et la violence, position classique du credo philosophico-politique, une question naïve vient à l’esprit : Refuser la violence, c’est refuser la politique ??? Pas si simple, le réductionnisme des intellectuels patentés ne fait pas avancer le schmilblick.

⠀ L’introduction de la force et du droit comme substituts neutres dans la gestion des conflits est une dérobade indigne. Pour beaucoup, la cause est entendue : « La violence accouche toute société, « en travail » ou pas, et tout pouvoir lui doit sa naissance » (p.200). Henri Lefebvre : « Tout État naît de la violence et le pouvoir étatique ne persiste que par la violence exercée sur un espace », in la Production de l’espace (p.323).

⠀ Nous l’avons déjà vu, la v. est fondatrice du droit garant pour ces mêmes auteurs de la civilisation. Le droit ambitionne de « déviolentiser » les relations humaines. Faute d’y parvenir, il le confisque à son profit. Il pénalise la violence, surtout privée, sans parvenir à ses fins, pour cause, il est issu lui-même d’une violence fondatrice de sa légitimité et de son autorité. Le droit possède des faces, l’une qui réprime, l’autre qui garantit (ex : le droit du travail, le droit de grève). « La violence ne vient pas soutenir un pouvoir ou un droit, de l’extérieur…Elle épouse le mouvement propre de son affirmation. C’est une v. « mythique » reculée, à l’origine de l’État » (Frédéric Gros, États de violence, essai sur la fin de la guerre .). Violence = acte pur de pouvoir. Un hadith (Dits du Prophète) affirme : « On s’éloigne d’autant plus de Dieu qu’on s’approche du pouvoir ». La violence est l’instrument premier du pouvoir , elle a quatre fonctions : conserver le pouvoir, l’étendre, le défendre et le prendre. (Comment conceptualiser la violence à la fois instrument, agent et morale appliquée ?). Althusser (« Halte tu serres » lui dit sa femme qu’il étrangla) parle avec ses comparses stalino-putchistes d’« Appareils Idéologiques d’État » (AIE dans le jargon de l’époque). Libérer du pouvoir en le prenant, tout un programme qui fascina les belles âmes de 1917 à la chute du mur et ad vitam eternam.

⠀ G.L cite Machiavel, fin connaisseur de notre problématique : « De l’homme armé à l’un qui ne l’est pas, il n’y a nulle comparaison », certes, mais : « pour cesser d’avoir peur, les hommes croient bon de faire peur. Les torts dont ils se garantissent, ils les infligent à leurs adversaires, comme s’il était nécessaire que l’on fût toujours oppresseur ou opprimé ». (Le Prince XX). Telle est bien la question que nous soulevons. Machiavel faisait référence à son temps, sans avoir connu les grands dominateurs et conquérants, ni les ravages de la violence coloniale fonctionnant à plein régime et avec des techniques de plus en plus sophistiquées, « la pire domination », toutefois il fait déjà une description lucide de leurs méthodes « Leur cruauté ne fit grâce de rien ni aux arbres, ni aux plantes. » Face aux exactions structurelles, répétées, voire de plus en plus répressives, une seule solution : le coup d’état, le putch, deux figures que l’idéologie libératrice nomma révolution. Évidemment, G.L appelle son maître à penser qu’il cite avec délectation : Trotsky, le professionnel et apologiste de la terreur – « L’insurrection ne se fait pas avec les masses, mais avec une poignée d’hommes prêts à tout, entraînés à la tactique insurrectionnelle, exercés à frapper rapidement, durement les centres vitaux de l’organisation technique de l’État ».

  • Les émules actuels l’ont parfaitement compris, il suffit de brûler les poubelles (de l’histoire), détruire les arrêts de bus, battre le pavé ou casser du CRS/SS pour obtenir sa licence es-révolution option urbaine. La grève a ses limites, mieux faut le désordre qui paralyse l’État. Qu’importe la finalité pourvu que l’on ait l’ivresse des barricades. Fascisme / communisme même combat, la grande fraternité des révoltés.

⠀ L’URSS forma les élites nazies sur son sol, bel exemple d’internationalisme. En disciple de G. Sorel, Malaparte dressa un portrait réaliste de la gente activiste dans : Technique du coup d’État (1931). Pour lui, Bonaparte offre le modèle du « premier coup d’état moderne », autrement dit parlementaire. « Concilier l’emploi de la violence et la légalité  », afin d’enterrer cette légalité qui lui a servi de tremplin. Mussolini et son clone triste, Hitler, comprirent la leçon. Notre Mitterrand en verve qualifia la Vème république de « coup d’état permanent », il se coula dans le moule avec délectation, sans le casser. Parfaite définition de la révolution, au sens originel et astronomique : « revenir à l’état antérieur après un parcours homogène » (p. 209).

  • Autrement dit, toute révolution est un conservatisme, car son but évident est le maintien du pouvoir. L’alternance tant prisée par nos élites socialo-communistes n’est qu’une continuité dans le changement, un recyclage, une révision de la machine républicaine, une « maintenance » nécessaire). Dans le cas de la Révolution Russe, le couple Lénine/Trotsky allie idéologie et doctrine à la théorie militaire du coup de force et de la terreur. « Une révolution peut être noire aussi bien que rouge et même blanche ou rose » (p.209). Bref, la révolution n’a ni odeur ni couleur, elle fonctionne comme un catalyseur universel au modèle de l’argent (cf. le premier chapitre du Capital).

⠀ Oui mais, G.L précise sa pensée, après un moment de lucidité, d’égarement étonnant : «  Il convient alors pour y voir plus clair, de proposer la distinction révolution/contre-révolution, ou, plus explicitement d’opposer violence libératrice et violence asservissante » … « Avec ou sans violence, la radicalité d’un processus révolutionnaire se mesure à ce qu’il change, ou plutôt à ce qu’il veut changer… » (p.210). Grand Soir après la prise de la Bastille où celle du Palis d’hiver. G.L semble regretter la stalinisation de la révolution, sans se poser la question de la parfaite continuité entre les processus, l’exemple français Bastille + Terreur + Napoléon, à ma connaissance, n’a jamais été contredit. Pour se rassurer, G.L affirme qu’« il n’existe pas de canevas monovalent de la révolution » (id.). Un certain Brissot résuma parfaitement la situation « le peuple est fait pour servir la révolution – mais, quand elle est faite, il doit rentrer chez lui et laisser à ceux qui ont plus d’esprit que lui la peine de le diriger ». Aux grincheux, Robespierre ripostait : « Vouliez-vous une révolution sans révolution ? ».
G.L constate que « toute révolution en contient plusieurs » (p.212). Nouvelle ruse de l’histoire. Le marxisme voit dans la violence un phénomène social. Engels souligne aussi un autre aspect de la question de la violence en prenant l’exemple de Robinson Crusoé qui tient son pouvoir d’un couteau. « Si Vendredi avait un révolver, la situation s’inverserait ».

  • Il est regrettable que les deux compères (Marx/Engels) n’est point approfondi l’aspect technologique de la violence. A partir de ce constat, Arendt développera une pensée originale sur l’instrumentalisation de la violence et son rapport avec le pouvoir. Si l’on pousse le raisonnement, on peut se poser la question suivante : à l’ère du numérique, la révolution est-elle possible ? La prise de la Bastille ou d’une usine n’effraie plus le "capitaliste", il lui suffit de débrancher le programme ou d’activer à distance l’autodestruction du système.

⠀ G.L élude complètement la question à part une vague remarque perdue dans le flot de sa démonstration. En vocalisa sur la propriété privée et l’économique (certes indispensable), le marxisme opère un réductionnisme regrettable d’autant que Lénine imposa une collectivisation fétichiste et mimétisme du capitalisme centré sur l’industrie lourde avec le fordisme comme modèle, déviant et falsifiant ainsi toute réflexion sur le rapport à la méthode et à l’utilisation de la violence. Toute violence asservissante engendre une violence libératrice est la thèse centrale de Labica et de son courant de pensée. « La violence est donc l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une société nouvelle. Elle est même une puissance économique » (Marx Capital I, chap XXXI). La conjoncture impose le recours à la violence. Version moderne, du « œil pour œil, dent pour dent », encore un regrettable recyclage, ou une invariance de la pensée « réactive ». Pour le fun, une citation d’un certain Anatole Lounartcharki (1984, Éd. Du Progrès) : « Toute la différence entre l’État de violence de la bourgeoisie et l’État de de la dictature du prolétariat consiste dans le fait que les efforts du premier visent à consolider et à perpétuer l’État lui-même et, par là même, l’asservissement de l’homme par l’homme, tandis que les efforts du second tendent, pour ainsi dire, à l’autodestruction, c’est à dire à la création de conditions dans lesquelles l’État cesse d’être une nécessité, et tendent aussi à l’émancipation complète de l’individu. Cependant, le moyen pour y parvenir c’est aussi la violence ».
⠀ Tout y est, concentré de pur marxisme-léninisme certifié conforme à son ADN.) G.L poursuit par une authentique analyse de l’anarchisme « comme violence totalement éradicatrice » (p.217) et d’ajouter, preuves à l’appui, les prises de bec avec Stirner, Proudhon et Bakounine. Malatesta, Kropotkine ne mérita pas mieux. G. Sorel sort du lot, citation faisant foi : « La violence prolétarienne est devenue un facteur essentiel du marxisme » ; « le socialisme ne saurait subsister sans une apologie de la violence  » ; «  la grève est un phénomène de guerre  ». Labica commente « on voit combien il est malaisé de tracer des frontières et de séparer le drapeau rouge et le drapeau noir ». G.L classe Franz Fanon comme disciple de Sorel. Fanon en croyant justifier la violence du colonisé contre le colonisateur affirme qu’il y a une « homogénéité réciproque extraordinaire », pas d’ambiguïté, quasi tous les régimes issus de ces luttes de libération ont troqué le casque colonial pour les bottes à clous. (L’Algérie est l’exemple parfait). Pour Fanon, la violence représente la « praxis absolue », elle est cathartique pour l’individu et le groupe. Fanon psychiatre sorélien ? Mao revendique la même priorité aux fusils contre le propriétaire terrien « si tu veux qu’il n’y ait plus de fusils, prends ton fusil » (1938).

  • Long et dense chapitre, mais on reste sur sa faim. Le catalogage de type académique avec précisions bibliographiques impeccables prouve que d’objectivité, faute d’analyses on ingurgite un mélimélo lénifiant (Hihi ! rien à voir avec Lénine !!!). Bref le travail reste à faire. Modeste le claviériste !!

⠀⠀⠀ Chapitre X : Du système.

⠀ La violence fait système, celui du capitalisme en tant que mode de production dominant. « Le système est le lieu, par excellence, la patrie, de la violence qui asservit et de la violence qui émancipe » (p.223). Dans ce dernier chapitre, G.L tente de « systématiser » sa théorie de violence.
⠀⠀ Quelques éléments :

⠀⠀⠀– La visibilité de la violence implique le voyeurisme, le sang qui coule (« faut qu’ça saigne » Boris Vian), de la narration (polars …), des mises en scène de l’horreur avec sons, cris et hémoglobine. « La souffrance est spectacle et le sado-masochisme, un jeu de société  ».
⠀⠀⠀ – Il existe une v. invisible, « elle est pacifique et respectueuse de l’ordre, d’un mot non-violente » (p.225) (Belle définition de la non-violence ?!?!) : celle de l’exploitation « qui ne laisse rien en dehors d’elle ». La généralisation du mode de production implique la diffusion, l’irradiation de la violence dans tout le corps social. Bref, la violence ne se réduit pas à la visibilité.
⠀⠀⠀ – La violence du système est une violence structurelle, maintenant mondialisée, stade ultime de l’impérialisme. Donc une mondialisation de la violence ou violence mondialisée, la violence émancipatrice doit s’adapter. « La valeur d’échange est parvenue à un règne planétaire » (p.228 ».
⠀⠀⠀ – L’expansion de la criminalité reflète l’état de la société (violences urbaines).
⠀⠀⠀ – Le racisme et les discriminations ont explosé.
⠀⠀⠀ – Saccages et destructions prennent une ampleur qui ravagent la planète. Capitalisme de catastrophes.
⠀⠀⠀ – Le chômage devient, lui aussi, structurel (violence invisible), avec une désyndicalisation galopante.
⠀⠀⠀ – Le sport prend les relais des colonisateurs, les négriers du foot recrutent et la financiarisation prédomine.
⠀⠀⠀ – La démocratie s’étiole, l’abstention s’accroît, les majorités sont minoritaires. La démocratie devient un placebo.
⠀⠀⠀ – L’abolition de la peine de mort allonge les peines.
⠀⠀⠀ – Généralisation de la corruption et de la bureaucratie.
⠀⠀⠀ – La guerre perdure, la conscription décline, la privatisation de la violence d’état (mercenaires, les nouveaux Gardes-Suisses).

  • La non-violence comme violence invisible : extraordinaire truisme d’une pensée philosophique totalement pervertie par ses fondements marxo-léninistes avec une copieuse rasade de maoïsme.
  • Encore faudrait-il croire que l’auteur fusse un démocrate, un oxymore au pays de Lénine
  • Tout bouge et rien ne change résume parfaitement la pensée de Labica et de ses compagnons de méprise révolutionnaire. Renverser la violence par la violence insurrectionnelle perpétue le Pouvoir comme Violence d’un groupe, d’une classe, d’une idéologie. Impossible de faire l’économie d’une réflexion sérieuse sur les moyens et les méthodes idoines afin de ne pas entrer dans le jeu de la reproduction pure et simple.

⠀⠀⠀ – A méditer les réflexions profondes de G.L.
⠀ A partir de la citation suivante d’Anna Arendt « Comme n’importe quelle action, la pratique de la violence peut changer le monde, mais il est infiniment probable que ce changement nous conduise vers un monde plus violent » .
⠀ Labica en conclut (sic) :
« N’essayons donc pas de changer quoi que ce soit. Il arrive que l’argument de la non-violence et du recours à ses méthodes, qui ne supportent pas la mise à l’écart de toute action, soit encore invoqué, mais au moment où la théologie de la libération décline sur sa terre d’origine, il semble passablement inadapté en face de l’énorme machinerie de la mondialisation » (p.244).

« La non-violence…une tentative de régler le problème colonial autour d’un tapis vert  » (F. Fanon, les Damnés…). [1]

« Ils ont bonne mine les non-violents : ni victimes, ni bourreaux  » J.P Sartre dans la préface aux Damnés de Fanon.

La chute du mur de Berlin, en liquidant l’affrontement des deux camps, a déblayé le terrain en faveur du système unique du capitalisme mondialisé. La violence émancipatrice s’en trouve disqualifiée au nom des dégâts qu’elle engendra, en fin de compte la violence est le fait des faibles. (p.244).

– Le gros de la violence n’a pas lieu entre les individus, mais contre les individus par des institutions…L’accumulation du capital engendre l’accumulation des violences…

– G.L fustige « les équilibristes » qui mettent dos à dos les fauteurs de violences réciproques. Il raille les « entêtés » de la non-violence. Lénine ou Gandhi, that is the question ?.

- Il termine le chapitre en martelant ses conclusions : « La violence anti-systémique est bien à l’ordre du jour ». La violence est inhérente au système lui-même, elle est le système  : pauvreté, salariat, sida, SDF, drogue. (Bref, prenons le pouvoir et tout ira mieux, air connu : paroles et musique des Marx brothers.)

⠀⠀⠀ Conclusion : Résistances.

Au terme de sa « théorie de la violence », G.L rappelle que « toutes les religions ont prétendu se ranger du côté des pauvres…sans exclure le recours aux armes » (p.253). Évidemment les citations à l’appui proviennent toutes du monothéisme biblique. Jérémie I, 22,13 ; Marc, 10, 25 ; Paul Timothée I,6,10 ; Jacques 2,5-7 ; et Coran, IV,75 : « Notre Seigneur fais-nous sortir de celle ville aux habitants iniques »

  • Appel au retour au désert, ce mythe monothéiste par excellence, retour aux sources de la gente des fils de Sem, appel devenu inaudible que la manne pétrolière et le mimétisme consumériste ont réduit à néant.

⠀⠀⠀ La cocacolaïsation est passée par là (laïcisation par le soda ou sodaïsation, nouvelle Gomorrhe. Ensuite, il rappelle la sécularisation marxiste de ces bonnes paroles extraites d’une ancienne Écriture Sainte, nouvelle évangile des temps capitalistiques. Pour preuve de l’actualité du message prolétarien – « la mondialisation mondialise les luttes au-delà des frontières ». La nécessité de la violence libératrice, largement démontrée par l’auteur, réaffirme sans détour « qu’incontestablement on doit faire une place au terrorisme parmi ces résistances, il est le « produit direct de la mondialisation  » (p.256) (Vieille ritournelle de la secte). Les bellâtres du « conflit des civilisations » justifie leur guerre « à l’islamo-fascisme »

  • (G.L oublie, bien sûr, les troupes palestiniennes alliées des nazis dans les Balkans, envoyées par le Grand Mufti de Jérusalem promu au grade d’Aryen d’Honneur par le Saint-Siège berlinois.)

« C’est le fumier qui fait naître l’ortie. Et plus il y a de fumier, plus il y a d’orties » … « la chasse aux terroristes multiplie les terroristes, comme Jésus les petits pains ». « Traduisons : la politique étatsunienne produit l’anti-américanisme, comme l’israélienne l’antisémitisme » (Id.) (Tout est dit et bien dit !?!). Bien sûr la catégorie « innocents » est artificielle et mensongère : quand une nation est en guerre, chacun des individus qui la composent, qu’il l’approuve ou pas, qu’il soit ou non soldat ».

⠀« La leçon est manifeste : le terrorisme ne peut s’entendre que de l’État, aux mouvements que l’on stigmatise sous ce terme, convient le nom de légitime défense, de résistance  » (p.258). L’anti-mondialisme est le fruit de cette coagulation des résistances.

⠀ G.L reprend des slogans : « Politiser la révolte », « délégitimer le capitalisme », « mondialisation = association de malfaiteurs ».

  • Unifier révolution et démocratie est la ligne d’horizon de notre penseur salarié. [2].
    En avant toute pour de nouvelles aventures, un remake du « Trône de fer » sans uchronie donc dans notre réalité mondialisée.

⠀ Faire une théorie de la violence se résume à un vaste recensement des formes de violence, à cumuler les citations, reprendre les thèmes éculés et encenser les nouvelles luttes sociales et politiques. Dans sa cécité intellectuelle, Labica ne voit pas que le travailleur est devenu consommateur, touriste, avide de loisirs et de spectacles, adepte de la bronzette et grand défenseur des « droits acquis », par les pionniers, transformés en conformisme, zappeur numérique, crétin heureux de l’être, bref praticien radieux de la « nouvelle servitude volontaire ».


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