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Logique Totalitaire Chapitre 5 : La Réappropriation
MARX ET L’ESCHATOLOGIE RÉVOLUTIONNAIRE
Article mis en ligne le 16 février 2023
dernière modification le 24 février 2023

V – LA RÉAPPROPRIATION.
MARX ET L’ESCHATOLOGIE RÉVOLUTIONNAIRE

⠀ ⠀ ⠀ Crise et Révolution.
Husserl amorce la pensée de la crise européenne (Krisis…). Pour lui, il « faut récuser la légitimité de toute logique objective, et par là même la crise s’avère ultimement constituer un jugement porté sur la totalité de la rationalité occidentale » (p.426). Cette crise concerne l’essence de la vérité, donc de la métaphysique, royaume de « la logique et de la pensée pure ». La pensée de la crise est elle-même instruction d’un procès. Pour Husserl, le logos est dès le départ « une dissimulation (voilement), refoulement du monde primordial de la subjectivité vivante par ses propres productions ». La Krisis remet en cause « la fondation originelle grecque » connue comme « commencement téléologique » de l’histoire européenne. Le renversement s’opère, d’abord, par l’élaboration d’un « concept d’Europe en tant que téléologie historique de buts rationnels infinis ». Il faut sortir de ce « brasier nihiliste » qui brûle de l’intérieur le cœur de la pensée européenne et embrase le monde depuis des millénaires. La crise comme essence même de l’Occident impose au(x) philosophe(s) d’opérer une refondation de la rationalité. Les épigones d’Husserl sombrent presque tous dans le délire de la déconstruction* au lieu de poursuivre la thèse fondamentale de l’intersubjectivité, déjà amorcée par Stirner et Kierkegaard, au lieu de chercher la constitution d’« une communauté* générique » comme « supra-concept d’essence ». « Je suis ce que je suis en tant qu’héritage » déclare-t-il, entendant par là que « toute vie se tient dans l’unité d’une historicité…, dans la communautisation de la vie sociale » radicalement différente d’une « communauté de destin » toujours résultats passifs d’échecs historique (la Nation par exemple). Marx avait reconnu dans l’argent ce socle de la communauté subie. (Cf. l’Idéologie Allemande et le Livre I du Capital). « L’autonomisation de l’argent qui définit le capitalisme est donc un évènement fondamental » est ce moment de dépossession de l’homme par l’homme et par le procès d’externalisation qu’il met en place.

L’autre étape de l’aliénation définie par Marx est le travail. La RÉAPPROPRIATION par la communauté des sujets est la Révolution. Marx croit au retournement de la situation, mais, toutefois, il reste dans la sphère de l’universel. L’appropriation par les prolétaires de l’ensemble de ses externalisations (objectivations unersalisantes) devient une refondation d’un logos. La libération des individus particuliers est au bout du chemin. « L’avènement du communisme est en cela l’accomplissement terminal de l’essence même de l’homme, il est la refondation terminale de l’humanité sur sa propre essence originaire – c’est pourquoi elle est révolution c’est-à-dire retour à un point initial après qu’eut été accompli sa rotation complète ». (p.433)

  • Reportons à plus tard les commentaires sur cette conception radicalement catastrophique et totalement métaphysique dans ses arguments, sa logique, ses consé-quences de l’auto-aveuglement de Marx.

⠀ ⠀ ⠀ Les présuppositions réelles de la Révolution.
Aliénation et exploitation.
Marx définit la Révolution comme : une libération de tous les sujets de la subsomption et de leur aliénation au dispositif de l’autovalorisation, c’est-à-dire de leur « asservissement à l’objet ». Il ne s’agit pas d’obtenir une augmentation de salaire qui serait une meilleure rémunération d’esclaves, tout en restant une soumission à l’argent. Au passage, Marx récuse toutes actions syndicales visant des deux objectifs. La consommation « aurifie » (plaque d’or, mais aussi horrifie) les chaînes. La Révolution est abolition de l’assujettissement. C’est un « retournement », mais non une destruction qui abolirait l’universalité, devenue l’« essence-commune des sujets » chèrement acquise. Ce retournement nécessite dans sa logique immanente la présence de sa possibilité. Marx insiste « le capitalisme ne peut être surmonté que s’il se surmonte lui-même ». Marx récuse par avance les machinations des « conspirateurs professionnels » et des putschistes. Lénine dut lire des extraits du Maître ou succomber aux charmes des Prussiens désireux de soulager le front Est de la pression tsariste (p.435-6). Il dénonce aussi le mythe de l’« organisation » qui règne dans les milieux révolutionnaires. Ce n’est pas la bonne organisation (traduire Église) qui sera la Révolution. Marx ne se lasse pas de répéter que la Révolution est précisément ce « processus de développement » immanent de la logique du dispositif capitaliste. Le communisme est ainsi immanent au capitalisme qu’il faut surmonter en lui-même. « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être crée, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons Cm/ le mouvement effectif qui surmonte l’état actuel ». Les conditions de ce mouvement résultent de la présupposition existant actuellement ». (p.436).
tirereront à hue et à dia. La prolifération des sectes, les guerres internes (Nouvelle Inquisition), assassinats… Marx-philosophe patine dans les boues de la métaphysique devenue théologico-politique* (Thp). On retrouve aussi la critique féroce de Marx de l’utopie et le re-mugle hégélien de la logique de la négativité.

Révolution ⇔ Contradiction interne du K.

On retrouve toujours la présence lancinante de la métaphysique sous la forme de la Logique : passage de la logique de l’exploitation à celle objective de la Révolution. Pour ce faire, Marx invoque l’« opposition entre deux classes sociales, la bourgeoisie et le prolétariat. Modeste, Karl affirme : « Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est la preuve de l’existence des classes n’est liée qu’à des phases déterminées du développement historique de la production ». Marx retombe dans le dualisme de la bipolarisation manichéenne, matrice fondamentale de la pulsion religieuse. Ce réductionnisme oblitère sa pensée économique souvent novatrice. La démonstration ne tient que par la rhétorique traditionnelle du prêchi-prêcha : » « ce n’est pas moi, c’est l’autre ». La culture judéo-chrétienne de Marx reste présente. Eve (la bourgeoise) a croqué la pomme du K et Adam laboura en suant sous le joug du harnais. Le couple inséparable sert de métaphore pour éviter de creuser la question douloureuse. La bipolarisation sociale se perpétue par la spirale incessante de la circulation monétaire et du marché son corollaire obligé. Bourgeois et prolétaires ne sont que des fonctionnaires d’un processus qu’à la fois, ils créent et qui leur échappe. La bipolarisation est nécessaire à l’autovalorisation de la valeur. Le capitaliste n’est lui aussi qu’un rouage, un fonctionnaire. La bipolarisation génère la lutte des classes conséquence de l’opposition entre le Travail et le Capital.

  • Certains courants dits libertaires tenteront le trouver une solution à cette bipolarisation. Le mouvement des Coopératives en est un exemple fragile ou Proudhon qui s’efforça de trouver un palliatif à la terrible question du système bancaire et des Bourses de travail.

L’opposition frontale devient Lutte des classes dont les connotations guerrières et incontournables cachent que « la bourgeoisie et le prolétariat sont les fonctions nécessaires à l’autovalorisation de la valeur  ». Marx réduit la vieille dialectique du « maître et de l’esclave » d’Hegel à un dualisme indépassable, chacun étant un rouage de la Machination. De la Lutte naît la dynamique perpétuelle du K, bourgeois et prolétaires sont de simples fonctionnaires du Moloch. Marx met dans le même bain le capitaliste et son alter ego : « le capitaliste lui-même n’est détenteur de la puissance comme personnification du Capital » (p.439), il est « l’agent veule et sans résistance du progrès de l’industrie ».

⠀ ⠀ ⠀ La paupérisation comme réduction.
Quelle issue à cette lutte ? Une seule inverser les rôles, mais, nous le savons, cela ne change que le knout de main. D’un totalitarisme, l’autre : retour tragique au même, mais sous le signe de la technique et de la science. Hélas, les disciples et les groupements syndicaux ou amicaux occultèrent ce moment de lucidité de Marx. La Lutte se fait sous le signe de l’amnésie nécessaire à la reproduction du K, le retournement se fait dévoiement, la praxis génère une nouvelle cléricature (Parti…). L’exploitation devient paupérisation avec un relent de « gueuserie universelle » pressentie par Stirner : le travail comme « pauvreté absolue » et reproductible malgré les soins palliatifs de la consommation (embourgeoisement, ou fétichisme de l’objet comme abstraction devenue valeur marchande et symbolique), cette panacée eucharistique qui ne dit pas son vrai nom. Marx considère la paupérisation comme une étape, un processus qui permettrait au prolétaire de découvrir sa subjectivité (p.442) dans les associations ouvrières, sauf celles qui prônaient la destruction des instruments de production (luddistes, soyeuses et soyeux…) ou l’utopie : les deux vices radicaux honnis par le Grand Karl. Le Révolution doit prendre d’autres chemins. La Commune devient la référence, car elle fut un des premiers soulèvements du prolétariat. Malgré les nombreuses réserves émises dans « La Guerre civile en France » Marx ose la plus perfide tautologie l’intérêt de la Commune « fut sa propre existence ». La Révolution doit transformer la société en Communauté (Cmt), expression d’un mysticisme de l’action pour l’action et du primat holistique sur l’individu agent indispensable du collectif (notons que Cmt est au singulier, expression de l’holisme sous-jacent de la pensée marxienne).. Bref, le Prolétariat est la Révolution, ce qu’il fait est l’expression de ce qu’il est (hait ?!), sans le savoir il est « porteur de l’essence humaine », il transcende la communauté agissante. Nous verrons dans les délires marxiens à l’origine de toutes les dérives postérieures.

  • Le lecteur parvenu jusqu’à ce passage fondamentale peut constater que les remarques du commentateur rejoignent celles de Jean Vioulac dont le sérieux et l’érudition ne font aucun doute.
    – Malgré son engagement militant en compagnie de son mécène Engels, Marx reste un philosophe hors-sol dès qu’il quitte son domaine de prédilection : l’articulation de l’industrialisation, de la philosophie et de la société. Même s’il fonde les bases d’une nouvelle sociologie en opposition au positivisme rampant de Comte la « merde française ».
    – L’idée de prolétariat condense les tares marxiennes. La reprise de la notion de peuple élu ne fait aucun doute. C’est son Créateur qui dicte sa loi. L’obéissance et le respect à la parole du Prophète des temps industrieux s’imposent comme table de la Loi au Sinaï. Toute déviance méritera, au mieux exclusion, au pire le passage à la mouli-nette du matérialisme dialectisé. Dix ans après 1917, combien restent-ils de camarades de la première heures (sans parler des bolchéviques d’origine juive sacrifiés).
    A ce sujet, Vioulac parle de « véritable kénose » ce qui valide l’interprétation du marxisme comme double sécularisation, à la juive et chrétienne. « Le prolétariat est ainsi le lieu véritable kénose en laquelle l’homme se vide de toute substance jusqu’à l’anéantissement pour rétablir l’homme en la plénitude de son essence » (p.444-5). La notion de kénose occupe une place centrale dans le christianisme. Quelques précisions donneront toute sa force à l’analyse de Jean Vioulac. La kénose* résume la quintessence christique qui s’abaisse à prendre corps (humain) donc à dénaturer sa position de Fils de Dieu pour devenir Fils de l’Homme (Marie comme victime d’un viol collectif !?!?) et obéir jusqu’à la Croix. La kénose correspond au mouvement Ciel => Terre => Ciel. Cela souligne l’importance de l’incarnation* (le Prolétariat est bien un nouvel avatar divin). Luther met en place un kénotisme en traduisant la Bible en langue vernaculaire, il amorce une sécularisation fondatrice et revivifie un christianisme en crise. La kénose se développe dans la germanité pour donner naissance à la germanitude en philosophie ou panzer-philosophie. Les kénosiens teutons font leurs choux gras de l’influence de Hegel. Dans les stifts luthériens et calvinistes le kénotisme s’épanouit. L’anglicanisme est connu pour son « torrent kénotique ». L’orthodoxie n’est pas épar-gnée par cette lame de fond mystico-délirante. « Chez Hegel le schématisme kénotique intense est au cœur de son système » (Cf Dico Critique de théologie p.754-7). L’Esprit Absolu prend le relais de Dieu et l’Incarnation rédemptrice est en pleine action. De plus Schelling en rajoute une couche plus subtile. Les Stitfs (sorte de pensionnat-séminaire) sont les hauts-lieux de la propagation de la kénose moderne. Ce n’est pas un hasard si Kierkegaard n’identifie pas l’incarnation à la kénose. Simone Weil n’échappe pas à la tendance kénotique.
    La Révolution comme la Croix devient un mystère. Le prolétariat représente l’humanité comme Dieu l’Homme. La Révolution : la nouvelle Révélation incarnée par le Prolétariat.
    Dans la pensée de Marx le « prolétariat est alors la classe eschatologique, salva-trice de la fin de l’histoire donc de l’avènement de l’homme enfin libéré : retour à un Éden fantasmé. Le Prolétariat est cette « association universelle », on baigne toujours dans les grands thèmes de la métaphysique judéo-chrétienne. La Révolution passe par le sacrifice de la pauvreté et de la mort pour la Cause.
    Inutile de s’appesantir sur les mécanismes de la sécularisation à l’œuvre. Le Capital (le Livre sacré de Saint-Marx) et les Actes des Révolutionnaires (Cf. l’Ordnung des anabaptistes) remplace la Bible.

C’est la paupérisation qui génère le Prolétariat : « dans l’activité révolutionnaire, se changer soi-même, changer ses conditions coïncident », la praxis est réalisation de soi dans la dissolution dans le Nous. Le communisme existant en puissance dans le capitalisme, le proléta-riat par la Révolution libère la potentialité cachée du K. Le « Communisme est la vraie résolution du litige entre l’existence et l’essence » (p.445).

⠀ ⠀ ⠀ Le cauchemar de l’État.
La Grande Faillite de tous les mouvements révolutionnaires fut de perpétuer l’esprit de la révolution après la Révolution. La clique des Anciens devient « les Gardiens de la Révolution » dans l’État conquis. Le culte a ses garants en authenticité bardés de médailles et de prébendes diverses. (L’Algérie et l’Iran maintiennent cette tradition). L’État est conçu en gardien de l’ordre politique et social par la « subordination des masses » (p.446). Marx parle de « la machinerie de l’État » avec ses appareils bien rodés de « centralisation de concentration des pouvoirs, l’égalisation et le nivellement de la société et son indépendance de plus en plus grande par rapport à la réalité sociale ». La monarchie est le schème directeur de l’État postrévolutionnaire. Tocqueville avait déjà démontré que la Révolution Française parachevait l’absolutiste royale. Marx déroule une critique virulente de l’étatisme le comparant à un boa constrictor étouffant dans les mailles universelles de la bureaucratie la pulsion révolutionnaire. L’idée d’un communisme d’état est une aberration (idem pour le communisme dans un seul pays). La révolution doit « brisait cette horrible machinerie de la domination de classe » disait Saint-Marx en prêchant dans le désert et les steppes eurasiennes. D’où sa critique au vitriol de la Commune qui est « une réabsorption du pouvoir d’État » et une reconstruction de l’appareillement dans la nouvelle société (p.449). Vioulac constate que « toute la pensée marxienne de la Révolution tend ainsi à récuser » la thèse de l’État salvateur ». En d’autres termes : attention aux faux Messies qui hante le judaïsme depuis sa lointaine origine. La Révolution n’est pas un programme, mais un acte unique réalisé par ceux « dont l’existence constitue le commu-nisme en puissance ». Cette pensée marxienne est présente dès l’Idéologie allemande (œuvre de jeunesse, quintessence de germanitude). La Révolution est réappropriation, expropriation radicale, elle est un évènement (Ereignis* ), celui terminal de l’Histoire, donc un Commencement* biblique.

  • Nouveau nœud gordien de la pensée marxienne : l’État*, la quadrature du cercle de toute la tradition philosophique et historique européenne. Livrons, ici, quelques pistes de travail qu’il faudra prendre à bras le corps ultérieurement dans une longue rubrique.
    – D’abord, Maximilien Rubel a parfaitement lever le lièvre d’un Marx anarchiste dans sa Biographie intellectuelle de Marx. Dans une lecture « à la lettre », les propos de Saint-Marx peuvent duper les anti-étatistes primaires. La répression prussienne a fortement marqué le jeune philosophe d’où son assimilation rapide d’État = Répression, position parfaitement compréhensible.
    – Toutefois, Marx rate un aspect primordial de l’État devenu Nation depuis la Rév. Fr. Son maître Hegel avait perçu le danger caché sous la conquête impériale napoléonienne. L’État/Nation (Et/Na) est un couple à la vie à la mort dans le pathos européen. De « l’État, c’est Moi » de Loulou XIV à l’analyse d’E. Renan de la Nation et l’émergence de la notion de Peuple coupé du corps du Roi, la situation a radicalement changé et, surtout, elle s’est complexifiée. Le corpus mysticum hérité de la théologie politique de la Monarchie de droit divin a pris un sérieux coup de sécularisation. Ayant manqué cette transformation, Marx en est réduit à élaborer le concept de Prolétariat et de Parti comme substituts. La Révolution et le Dépérissement de l’État serve de bouée de secours qui cache l’autre lacune de Marx.
    – Marx focalise ses analyses sur le développement du K et la Révolution industrielle, il radicalise les positions des économistes de son époque (Ricardo…), mais il ne perçoit pas la transformation radicale parallèle du Politique* avec son cortège de concepts modernistes : droit, universalité du système Et/Na et sa fulgurante implantation comme référent absolu dans la modernité jusqu’à devenir le schème de la décolonisation. L’Et/Na devient en quelques dizaines d’années le corps mysticum du Politique, sa légitimité et son « lettre de noblesse ».
    – L’eschatologie marxienne nuit à la pertinence de ses critiques de l’économisme. La lutte des classes reprend le dualisme du Bien et du mal, la pensée marxienne et surtout celles de ses disciples (toutes sectes confondues) réalisent une sécularisation parfaite de la métaphysique. Maintenant, la vieille machine théologico-politique dispose d’appareillement : l’externalisation du logos (informatique + logiciels) devient Machination autoproductrice d’elle-même, repoussant la possibilité de changement radical et même de critique lucide dans un brouillard épais, l’effondrement ou l’implosion du système semblent pour l’instant les deux seules perspectives réalistes.