III – L’APPAREILLEMENT* : Marx et le totalitarisme capitaliste.
« La totalisation constitue la logique même de la modernité occidentale » (p.227). Vioulac a déjà démontré qu’elle n’était pas monolithique, mais polymorphe : politique ET sociale. L’État n’est pas sa forme archétypale. L’immanence du totalitarisme moderne issu de la massification induit une nouvelle forme encore plus insidieuse : l’économie, extension de l’esprit de négoce. La logique totalisatrice explose littéralement avec la révolution industrielle. Il revient à Marx d’avoir su décrypter les articulations du phénomène se déployant sous ses yeux. Vioulac consacre plus de 230 pages denses à l’auteur du Capital. Impossible de résumer par le détail son travail toujours méticuleux. Suivons son plan et pour les plus courageux se plonger dans la (re)lecture du Maître.
D’abord que le lecteur ne s’effraye pas du terme « Appareillement », malgré son allure heideggérienne, il prend tout son sens, car il complète le concept de Machination. L’économie capitalistique envahit la sphère mondaine sans baguette magique, mais aux moyens de dispositifs concrets dont l’ensemble forme l’Appareillement.
A – Logique de l’argent.
– L’échange.
Depuis Aristote, l’économie est une section de la philosophe pratique. L’échange, la médiation* par excellence, suppose « qu’il y ait un "être-en-commun" entre les échangeurs » (p.229), c’est donc un phénomène universel : l’échangisme, les philosophes sont des partouzeurs de haute tenue ? L’échange n’est possible que par le dialogue (logos), il fonde une communauté, puis un marché. Marx voit dans l’échange non un produit de la pensée pure (idéologie), mais un produit de la vie, un mode de production. Le jeune Marx philosophe (1842) affirme déjà qu’il faut partir du sujet concret et considérer son objectivation (lire sa production, son activité). « Production humaine ainsi l’activité par laquelle les hommes réalisent l’universalité de leur essence ». Le travail devient « une objectivation de la vie générique de l’homme » . Contre Stirner, Marx favorise l’objectivation de l’universalité immanente de l’homme. Les relents hégeliens et Feuerbachiens perdurent. Le sujet réel se traduit par le travail. Un mauvais esprit pourrait rétorquait que le capitaliste ne demande pas mieux, mais ce serait mettre la charrue avant les bœufs. Marx reste dans la métaphysique malgré ses critiques : « Où est donc, qu’est-ce donc cette « nature humaine » ? : « l’histoire de la civilisation matérielle apparaît ainsi comme la manifestation de l’essence humaine » (p.239). Vioulac consacre de longues pages à contextualiser philosophiquement les positions de Marx, travail ingrat, mais indispensable, car il conditionne les développements ultérieurs de la pensée marxienne. Marx essentialise le travail à la limite d’un mysticisme. « Arbeit macht frei » est aussi l’expression d’une germanitude exaspérante. Les objets sont les substances de mon être, le germe consumériste gît entre les lignes. Certes, la marchandise est du travail objectivé et l’échange est le lieu de l’essence universelle de l’homme ». Vioulac souligne le lien de parenté entre Aristote et Marx (p.244), ce qui prouve que l’économie n’est pas une science autonome, malgré une mathématisation de plus en poussée qui la réduit à une économétrie (Sraffa 1898-1983 est l’exemple emblématique de cette déviance), la modélisation devient l’alpha et l’oméga des économistes, les politiques suivent le pas en s’abritant derrière la scientificité indiscutable. Malgré tout, l’apport essentiel de Marx s’appuie sur des fondamentaux : travail, valeur travail, valeur d’échange. Marx démontre que la profondeur du capital*(K) est de se reproduire en permanence, en cela il est métastasique. « La valeur d’échange est la forme phénoménale de l’essence commune au sujet producteur, c’est-à-dire la pure puissance de travail comprise comme source radicale de toute objectivité » (p. 246). Le temps de travail devient une abstraction manipulable en tant que tel dans la valeur d’échange.
– Argent et Puissance.
L’argent (monnaie) devient la valeur absolue de l’échange, et par conséquent, elle-même une valeur d’usage, « un objet concret particulier et utilisable. Le livre I du K l’analyse dans le moindre détail. Là encore, pointe Aristote qui avait déjà compris que l’argent était la médiation mesure de tout. (p.250-251). Comme l’État, l’argent ne naît par pure convention, « il est un produit naturel ». L’argent n’a pas de pouvoir, il est le pouvoir, donc le lieu du pouvoir médié dans une pur forme totalement disponible et toujours en mouvement. Aristote explique la rondeur des pièces de monnaie par sa symbolisation du mouvement, principe fondamental de sa pensée de la matière. L’argent est donc du pouvoir médié, sa forme monétaire se transforme actuellement en démonétisation, forme numérique de la prise de pouvoir total sur la matière abstraite et la circulation. L’argent, pouvoir immédiat, explique pourquoi l’État est indissolublement lié à l’impôt et aux taxes. Sans monnaie, pas d’État et pas de confis-cation du Pouvoir interne à la médiation réifiée de l’argent. Le monnayage, le fait de frapper la monnaie, est l’acte premier de tout pouvoir étatique (de la cité grecque à nos jours). L’invention de la monnaie est reconnaissance de l’essence de sa valeur sociale. L’argent est du temps de travail devenu valeur universelle. C’est une objectivation de la sueur et du savoir du sujet. La richesse monétaire est un Trésor (public comme nous le savons). Travail⇔Temps⇔Valeur, la nouvelle Trinité du K. La valeur joue le rôle du Saint-Esprit qui permet la circulation entre les deux pôles de la production. La détention privée de la Monnaie signifie temps dispo-nible à l’oisiveté non productive, donc exploitation. Le K est d’abord production de temps, source première de l’économie politique.
– Fétichisme et mysticisme.
« L’échange est la méthode immanente par laquelle les hommes mènent au paraitre leur essence commune » (p.257). Le passage du troc à la monnaie opère un « renversement du rapport de l’homme à sa propre puissance de travail ». La valeur d’échange = prix sont les deux figures de l’inversion. Maintenant, l’échange est médiatisé par la monnaie. La monétarisation devient une activité médiatrice quasi magique. Le saucisson devient caleçon : miracle que même pas Jésus, dans sa folie, n’osa. L’objet aliéné est alors marchandise pour d’un prix. La médiation * provoque un changement de nature démiurgique. Elle est l’aliénation pure même. Marx parle de fétichisme*, pour comprendre, il suffit de penser au célèbre Veau d’or, en adorant le fétiche on croit adorer Dieu. « Le fétichisme induit ce que Marx appelle mysticisme, c’est-à-dire l’inversion qui conduit les sujets à localiser dans une objectité substantielle que ne relève que d’une activité subjective pure » (p.260). L’argent est le fétiche par excellence, le Veau d’or mondénaïsé et mondialisé : un Universel. Le fétichisme est une su-perstition pratique. On voit ici, sans difficulté, que le K est l’aboutissement du monothéisme et de la métaphysique grecque. « L’argent est le dieu parmi ls marchandises » (Marx), elle est l’objectivation, l’autonomisation et la réification de la valeur d’échange. L’argent est de l’objectivation et la réification de l’essence humaine. C’est de la puissance expropriée, une hypostase* chère à la métaphysique. En résumé : Argent⇔Médiateur universel⇔figuration de Dieu⇔immanence du K par la Marchandise. La monnaie constitue l’Appareillement de base du K.
[Une fois dépoussiérée de son aspect religieux, le fétichisme prend une dimen-sion riche en significations, Marx l’a parfaitement compris avant que Herr Freud lui donne une nouvelle orientation. Le fétiche-monnaie fait la transition entre la chose ma-térielle et son abstraction : la valeur. La zoolâtrie primaire (Veau d’or ou autres babioles) établit déjà une relation étroite entre le producteur et le l’objet, lui-même médiation, s’il n’est pas purement et simplement le centre de l’adoration dépouillé d’une transcendance hypothétique. Le fétichisme fonctionne comme une inversion, la pseudo-transcendance devient une simple immanence. Le fétiche restitue au producteur son produit fini, mais doté d’une puissance nouvelle. La symbolisation agit comme une réification, Marx parle d’idéologie. Le fétiche devient marchandise, il acquiert une nouvelle dimension à la fois matérielle et spirituelle. En tant que produit, il est une projection, une objectivation. Baudrillard dans « Pour une critique de l’économie politique du signe » (Gallimard, 1972, 270 pages) analyse les conséquences de ce passage à une « économie politique du signe », l’ambivalence du fétiche produit une équivalence. La magie induit le K, cette nouvelle forme de l’aliénation l’objet et son producteur devient robot, simulacre spécifique du monde industriel. A la métaphysique recyclée s’ajoute une métaphysique du code, prémisse de l’encodage du monde numérisé.
Par ailleurs, l’argent n’est pas le seul fétiche. La modernité produit d’autres Veau d’or : état, pouvoir…La pensée révolutionnaire se condamne à la stérilité, si elle ne per-çoit les pièges tendus par les nouveaux avatars de la métaphysique. ( Cf. Alfonso Lacomo Le fétichisme : histoire d’un concept, Puf, 1992, 126 pages.)]
– La métaphysique, travail et argent.
Husserl : la Krisis*.
Husserl s’attache à démontrer que « la crise européenne s’enracine dans l’erreur d’un certain rationalisme », cette erreur s’appelle « objectivisme ». Ce qui fait que la modernité est crise, il n’y a donc pas de crise de la modernité, mais consubstantialité. La mathématisation et la logique prennent le relais en devenant les fétiches de la nouvelle métaphysique. Vioulac parvient à rendre limpide la pensée husserlienne : la généalogie de la logique de notre civilisation du logos grec à la révolution de l’historicité de l’Europe.
Husserl développe une pensée de « l’intersubjectivité universelle », pour lui « la question fondamentale est celle de la production primordiale de l’objectivité par l’intersubjectivité » (p.267) qui devient « l’instance primordialement constituante ». Husserl partant d’une égologie (Stirner ) phénoménologique classique aboutit à la position fondamentale de Kierkegaard « C’est le Nous qui justifie Dieu, sans Nous pas de Dieu » Cette intersubjectivité transcendantale est le sol de l’être absolu, le seul qui soit autonome à partir duquel tout peut devenir objectif et dont tout le réel tire son sens et sa validité. La communauté dérive donc de l’être de l’étant, elle est même sa quintessence. La perception communautaire du nous met en évidence la validité de l’objet fruit de l’intersubjectif. « C’est la communauté qui est le véritable sujet transcendantal constituant le monde comme vie » (p.268). Cette démarche met l’immanence au cœur de la communauté humaine qui est « la communauté générique ». La fusion du Nous et des objets (concepts y compris) forme la communisation comme être du monde. Il y a donc une « unité totale » à travers cette « médiation de l’activité totale ». Husserl formule une théorie générale sociologique de la communauté humaine dans son effectuation permanente. C’est aussi une « ontologie sociale des données sociales » (p.270). Bien évidemment, pour Husserl l’activité pratico-technique sera le lieu déterminant de la communisation, en conséquence, il centre son attention sur les dangers inerrants de la technoscience dont la Krisis* est l’expression la plus achevée et le point d’appui de beaucoup des penseurs de la technique*. Vioulac résume : « la caractéristique de la pratique est la technique » (p.272) Le vieux Logos est toujours à l’œuvre et l’ombre noir de sa tyrannie l’accompagne. Impossible de clore ce trop bref passage sur Husserl, maître de presque tous les penseurs éminents du XX et XXIèmes siècles. Heidegger, son disciple, le plus prometteur, sera le premier Judas du lot, il ne lèvera pas le petit doigt (hormis un bouquet de fleurs) doit lors de la répudiation de son mentor par les nazis.
– L’essence de l’être comme production : Heidegger
Le travail* comme comportement fondamental de l’existant.
Jean Vioulac nous offre ici une lecture au microscope de Heidegger*, qu’il dut téter tout le long de son parcours universitaire comme tous les étudiants de nos générations( [5]) mérite que l’on dépasse son verbiage et sa faconde ésotérique pour tenter de brosser un tableau clinique d’une pensée qui égara de nombreuses générations de philosophes. Un lecteur non-germaniste, comme moi, ne peut que balbutier quelques remarques désobligeantes, parfois désopilantes, sur ses thèses amphigouriques qui font jouir encore trop de candidats aux ors académiques
qu’il a ut téter tout le long de son parcours universtaire comme tous les étudiants de nos générations. Le sujet du livre, rappelons-le, est la logique totalitaire. Et là, nous entrons dans le vif de la tumeur aux métastases multiples. Suivons Jean Vioulac, nous résumerons nos remarques à la fin entre. Heidegger « reconduit tout concept aux expériences primordiales dont il jaillit », « c’est-à-dire au moment grec où s’élabore toute la conceptualité occidentale » (p.274). Il s’agit tout bêtement du concept de la métaphysique fondamental pour dire la réalité*. Grand seigneur, Heidegger admet que « le connaître n’est qu’une appropriation et une façon de ratifier ce qui a déjà été mis à découvert dans d’autres attitudes primaires ». Ce travail généalogique du concept met en évidence que l’attitude primaire en jeu est l’ergon : le travail*. Le sujet révèle l’objet par l’ergon ce qui renvoie au sujet comme source à travers une activité. Le logos ne descend pas des nues grecques, il est une production. La métaphore suivante simplifie la compréhension : « Le potier qui fait un vase donne à l’argile une certaine configuration. Donner une configuration implique de prendre comme fil conducteur et pour mesure une figure, un modèle. La chose qui est produite l’est le regard fixé sur l’aspect anticipé de ce qui est à configurer ». L’aspect donne à voir ce que la chose est avant même qu’elle soit produite, il est la chose avait à être. (p.275)
[On voit déjà que l’empirisme naturel est répudié sans complexe. Le potier comme tout produc-teur procède par tâtonnements, toute production est d’abord une improvisation. Plus tard la « ré-pétition » transforme l’objet en série. Méfions-nous des penseurs qui utilisent la métaphore comme démonstration et comme aveu de méconnaissance. N’est pas potier qui veut, l’âne Mar-tin Heidegger porte avec orgueil son bonnet professionnel. En moins abscons, la Bible a trouvé une réponse imparable : Dieu nomme et la chose est, pourquoi s’emmerder à complexifier le cosmos. La transcendance absolue a le mérite de la clarté et du renvoi de la pensée dans le com-mentaire : Talmud et divers textes incontournables.S [6].]
Ce flou savant implique la présupposition de l’eidos, d’une forme propre à l’objet puisé dans une imagination ou l’objet est déjà-là. Le travail devient une effectuation, il y aurait comme prédestination de la forme dans le mystère de l’imagination, l’eidos est également « ce qu’un étant était déjà » (p.276). L’aspect (eidos), l’empreinte renferme tout ce qui appartient à l’objet. La production est possible grâce à la matière ce qui donne naissance à l’ontologie* quand l’étant (objet) est « interprété dans l’horizon de la compréhension de l’être telle qu’elle est elle-même impliquée dans le comportement producteur comme tel » (dixit Heidegger dans Les problèmes fondamentaux de la métaphysique) (p.276). La matière est illimitée d’où une panique typiquement grecque face à cette illimitation considérée comme un Chaos. Ce Commencement correspondant « à une lutte vitale propre à la mise en œuvre de la forme dans l’informe » [2].
[Donner forme à l’informe : vertige abyssale. Nous sommes ici dans le grand fantasme à l’origine de la phénoménologie*. La méthode régressive d’Heidegger et des Déconstructeurs* retourne au foyer incandescent d’une Origine* supposée, a pour projet délirant de repartir de la position primale grecque et de reconstruire (re-Commencement) l’édifice en l’épurant de ses miasmes im-mondes.]
Il fallut trouver une bouée de secours, une méthode qui permette de sortir du vertige. La production est à la fois « sens et fondement cachés » ; la production d’objets finis (ontologie) « est une prestation déterminée de l’« existant comme producteur ». L’angoisse cède devant l’acte d’effectuation. Heidegger et consorts pensent que l’oubli de ce moment premier est refoulé au profit du Logos*. Produire devient raison par excellence donc amnésie. Le travail, la produc-tion deviennent l’origine de la pensée. Ajoutez un zeste d’heideggeriade* (comprendre une profusion verbale ésotérique) et vous avez la source de la modernité post-moderne. [3]
[ On comprend l’horreur que cette approche post-hégelienne aurait pu provoquer chez Stirner. Le Monde⇔Travail, le producteur est production, être-au-monde, c’est produire un être-ensemble. Husserl découvrait une intersubjectivité créatrice, Heidegger et consorts produisent un être-ensemble comme aliénation de soi dans la production. « Communauté de travail »⇔« monde du travail ]
Jean Vioulac décortique à la perfection les arcanes de la pensée d’Heidegger. Je cite (p.278) : « La généalogie heideggérienne découvre donc l’essence primordiale de l’être comme production, comprise comme ouverture et aménagement d’un monde. « La production est une prise de position fondamentale avec le monde, c’est-à-dire avec une manifestation serrée de l’étant. La où il y a monde, il y a œuvre, et inversement » autre citation du Maître : « la mondanéité du monde se fonde sur le monde spécifique de l’ouvrage ». Vioulac multiplie les citations d’Heidegger sur cette idée fondamentale : « l’être-au-monde est un être-ensemble » via la production comme communauté de travail.
[Sous un air de truisme, nous entrons dans l’ère de la massification libératoire et obligatoire. L’ouvrage est un Commencement comme « monde du travail ». ]
La communauté dite historiale est primordialement celle du travail. Page 280, Jean Vioulac consacre une analyse au concept de travail chez Heidegger, les citations laissent pantois un lecteur anarchoïde, exemple : « Le travail en tant que tel, même lorsqu’il est fait par un seul individu, transporte l’homme dans l’être ensemble avec l’autre et pour l’autre ». Vioulac commente : « le travail se voit reconnu dans sa puissance ontologique primordiale, puis il enchaîne : « le travail est la présentification primordiale de tout ce qui est, le travail fait entrer en présence de l’étant. Le travail est le présent dans le sens original où nous attendons l’étant en allant à sa rencontre et le faisons tenir en nous ». « La puissance primordiale de l’histoire est par suite celle du travail ». Le Travail⇔Puissance⇔Histoire. Nous atteignons le sublime : « l’étant est toujours appréhendé comme productible ou comme produit » (in Problèmes fondamentaux de la phénoménologie p.159). Voilà une nouvelle Trinité que les petits maîtres, quelque soit leur confession d’origine, adoreront avec enthousiasme.
Après le travail, la production : c’est dans l’acte même de produire que se dissimule la productivité primordiale. Le producteur devient produit et consommateur. La production est saisie comme mise à disposition et indépendamment de son usage comme pure ustensilité. Dans De l’essence de la liberté humaine, Heidegger pulvérise l’audimat (Vioulac p.283). Bref, la production est une délivrance, le producteur se délivre de son produit qu’il livre, elle est aussi un affranchissement, je doute fort qu’il s’agisse de l’affranchissement de l’esclave. Le producteur autonomise son produit qui devient un ustensile mis sur le marché. L’économie devient donc possible à partir de ces produits libérés, détachés, affranchis… Le produit fini, autonomisé, est mis en disponibilité, il devient stock. « La production est une mise à disponibilité ». [7]
Donc « Être veut dire : être-produit » (p.284) [6]. Heidegger de pontifier abondamment sur l’ousia (essence* ou substance), histoire de masquer la trivialité interne de sa pensée. Vioulac choisit une citation exemplaire : « le concept fondamental d’ousia souligne davantage, quant à lui, l’être-produit du produit au sens de ce qui est subsistant » (p.284-5) (Lipide, non !?)… le bien disponible, l’avoir, c’est l’étant au sens absolu, l’ousia. Le Maître, dans un instant de lucidité, admet que la « richesse », le « bien-fonds » est de l’être produit disponible sans travail. On le sait, Marx avait déjà compris que la richesse est du temps disponible, du temps chosifié.
Vioulac intitule l’étape suivante de son analyse : « la théorie comme inspection des travaux finis », la philosophie, depuis nos « pairs grecs » [8] concentre son attention sur la vue, la perception comme organe primordiale de la production de l’être. La chose, la marchandise issue de la main, organe de production, devient logos. L’honnête travailleur, souvent esclave, se voit déposséder de son savoir opérationnel au profit d’une classe de penseurs logiciens et membres-électeurs de la Cité. L’anonymat du produit-fini se voit valorisé par les maîtres-penseurs de l’oisiveté brevetée. Faire, produire, changent de nature, maintenant « faire des phrases » acquiert toute sa noblesse. Logos devient l’art de phraser : le langage. Déjà, le conflit entre la main et la parole entre en scène, même, si bien sûr, les « filousophes » enrobent la chose avec « doigté ». Dans son ouvrage sur Parménide, le Maître déploie son talent de bonimenteur : « la parole comme domaine d’essence de la main est le fondement de l’essence de l’homme ». Le philosophe est de fait un inspecteur des travaux finis, il met en mots le travail des autres, en cela il devient un prêtre, un éclairé. (Bien évidemment, je simplifie, donc lire Vioulac).
L’Appareillement de notre civilisation remonte à ses origines grecques dont la fusion avec la pensée juive sera déterminante dans la constitution de l’arrière-fonds de commerce et de Domination hautaine pendant des siècles.
L’argent comme objet de la synthèse communautaire : Sohn-Rethel .
La genèse de la théorie dans le cadre d’une ontologie sociale.
Vioulac aborde, ici, un auteur peu connu [9], d’abord par un bref retour à Husserl qui reconnaît que « l’attitude théorétique est de part en part non-pratique », hors-sol pour faire simple. Husserl mathématicien et logicien de formation mit en évidence que l’invention grecque de la géométrie avait une importance fondamentale dans l’appareillement de notre mode de production intellectuel. « L’art empirique de la mesure et son fonction empiro-pratique » opère un renversement du pratique vers la théorie (p. 293) « qui fut idéalisé et se transforma en un processus purement géométrique ». On assiste au début de la mathématisation du réel via la géométrie (Euclide, Thalès…). Cette nouvelle conception du logos impose une « purification » (dont l’ethnicité ne fait aucun doute). L’idéalisation mathématique présuppose une visée d’égalité : (on est certain que 0 =0) et expulse toute tentation de subjectivation. L’idéalité implique la priorité de l’écriture comme com-pagnon de route du logos langagier. Seul le citoyen, salarié de la Cité, peut accéder à ce stade d’intellectualisation. « L’avènement de la philosophie est contemporain de la monétarisation des échanges dans toutes les cités grecques » résume Vioulac (toute la p. 296 et les notes afférentes développent cette thèse centrale). L’impôt est réservé aux esclaves, aux prostituées) [7]. D’où la formule : Démocratie ⇔ Fonctionnariat ⇔ Monnaie ⇔Économie.
[ Impossible de laisser passer cet aspect. La démocratie implique, dès ses premiers pas, la fonctionnarisation des penseurs en tous genres y compris les sophistes tant décriés]
Alfred Sohn-Rethel a le mérite de mettre en rapport la technique de la mesure avec la monétarisation comme abstraction concrète. Pour lui « le concept de connaissance (philosophie théorique) est un concept fétiche qui pose une figure idéale de la « connaissance en général » privée de tout lien avec le contexte historique et économique. Nous revenons à notre tautologie fondamentale : Métaphysique ⇔ ⇔ Abstraction ⇔ Transcendance. Sohn-Rethel souligne que « la possibilité de la connaissance de la nature n’est pas une capacité originaire de l’esprit hu-main, mais bel et bien le produit de développements sociaux déterminés » (p.298).
[Cela signifie-t-il que l’homme avant le logos est un sombre crétin baveux ? Ce n’est pas le sujet de notre auteur, mais il est impossible de faire l’économie d’une réflexion approfondie sur cette question trop souvent réduite à la copule « Nature / Culture ». La pensée sauvage fait l’économie de la calculabilité géométrique et algébrique et pourtant le bon et le mauvais sauvage bâtissent, chassent, trépanent, cultivent, voyagent sans éphémérides, domestiquent plantes et animaux… La séparation de la main et de la tête est le drame primordial du civilisé arrogant et dominateur. (Cf. Aristote Politique, I, 2, 1253a et 5, 1255 a).]
La connaissance (savoir) est le résultat d’une relégation-répudiation de la pratique par les vrais ci-toyens. La sueur nuit à la cogitation. Pour passer d’un savoir immanent au travail, un savoir-faire, une technê, il faut instaurer une coupure « entre la main et la tête », la célèbre « coupure épistémologique » n’est qu’un surgeon d’une vieille tradition occidentale élitiste : les puent-la-sueur restent dans leur jus. La propriété commune et le partage des produits finis ne résistent pas aux premiers assauts de la démocratie* versus grecque. « L’esclavage devient un mode de pro-duction », la pensée pompe la valeur ajoutée du travail esclavagiste. Le Penseur comme inspecteur des travaux finis et percepteur : la vraie définition du « filousophe ». Nos premiers philosophes se consacrent à la pure abstraction, seule digne d’un noble citoyen de la cité. Fonctionnaire, disions-nous, mais aussi « ponctionnaires », la véritable nature des premières élites. Sohn-Rethel insiste sur la forme-valeur* dont Marx fit une analyse minutieuse que ses disciples considéreront comme encombrante avant la mise dans la poubelle du marxisme-léninisme, grand admirateur de Taylor et du fordisme. Sohn-Rethel pointe l’importance du processus social qui accompagne l’abstraction-marchandise origine du concept de valeur comme processus. Les producteurs, comme Monsieur Jourdain, ne savent pas qu’ils font de la valeur. La monnaie s’idéalise dans la pratique, l’échange monétarisé, comme « idéalisation », et révolutionne la société dès nos chers Grecs. Monnaie ⇔ Universel ⇔ Idéalisation ⇔ Substance (ousia). On comprend l’importance de l’argent dans la rédaction du Capital de Marx. Avec un talent excep-tionnel, Jean Vioulac parvient à synthétiser la complexité de la l’appareillement du totalitarisme dans sa logique interne : « La monétisation de l’échange conduit alors à abstraire et à formaliser la synergie entre les hommes, et l’objectivité mûre que manifeste l’argent est alors le corrélat de la synthèse sociale a priori opérée par l’échange …L’argent est par suite l’objet transcendantal fondé sur cette synthèse sociale primordiale, et il est possible de « définir l’objet transcendantal comme le fétichisme de la fonction capital de l’argent » (p.302). Nous découvrons ainsi « la troublante analogie entre l’institution de la métaphysique et le monnayage ». Résumons : Métaphysique ⇔ Monnayage. On peut même affirmer que cette dualité première est une alchimie* dont le feu réside dans l’incandescence abstraite de la circulation et de l’échange chosifiant. Pla-ton et Aristote n’inventent rien, ils développent Héraclite :
« Du feu, en échange de toute chose, et de toutes choses le feu,
Comme de l’or, en échange les marchandises et des marchandises, l’or. »
Héraclite énonce fondamentalement le Logos comme feu, parce qu’il est le foyer qui éclaire toute chose et les donne à voir dans l’éclat de leur forme (p.303). L’argent réduit toute chose à une même valeur, le premier universel dont la mobilité permanente fait la force, le feu qui le dévore de l’intérieur. L’argent institue de facto une communauté.
Le statut transcendantal de la communauté : le communisme.
La monétarisation constitue un monde commun à la fois aux producteurs et aux penseurs. Monnaie ⇔ Communauté, la circulation fabrique un fétichisme de la valeur, à la fois, comme un mouvement d’objectivité transcendantale via le monnayage et comme une communisation, elle aussi transcendantale et substantielle. Vioulac résume ce mécanisme à la perfection : « l’Un que vise la philosophie n’est alors autre que l’essence-commune originaire immanente à la communauté intersubjective, mais tout à la fois abstraite par la dialectique de l’échange et substantialisée par le fétichisme », il cite alors Sohn-Rethel : « les concepts purs des objets sont liés à l’élimination consciente de la société dans l’acte de pensée, ils sont en quelque sorte ce qui subsiste une fois que l’on a fait complètement abstraction du social » (p.305).
On doit à Husserl la reconnaissance « de la découverte de l’intersubjectivité absolue, objectivée dans le monde comme le tout de l’humanité », c’est-à-dire la « communauté générique » comme source de la réalité en dernière instance. La communauté de travail et ses structures d’échanges immanentes sont le fondement transcendantal historique de toute objectivité. L’argent objective la métaphysique, on ne le répètera jamais assez. On comprend les cris d’horreur de Stirner devant ces signes pathologiques de travaillisme. Marx théorise cet ensemble sous le terme de communisme qui à ses yeux, n’est pas une utopie, un idéal ni un programme, mais comme un projet politique économique et social. « C’est une position philosophique fondamentale qui reconnaît la communauté historiale comme sol primordial et fondement ontologique absolu » (p.306).[9]
[ La lecture de Vioulac met en évidence la logique instrumentale (appareillement) du totalitarisme à la source de l’occidentalité. La nasse se referme, la camisole idéologique englobe lentement notre mode de production matériel et de pensée. La métaphysique* sera l’arme privilégié de la Domination* à travers le long parcours de la modernité. On le sait Marx perçu à la perfection les impulsions décisives de la Révolution industrielle et monétaire, toutefois, il reste le théoricien quasi officiel du Capitalisme (K), stade recyclé, sécularisé de la métaphysique, d’autant que ses disciples sombrèrent dans les pires dérives du système qu’ils souhaitaient renverser.]
B – Logique du Capital.
La Production de l’équivalence universelle.
Depuis Aristote l’argent possède un statut fondamental ; Marx est le disciple actualisé du Grec : « L’argent selon sa détermination, est Capital en soi : l’avènement du capitalisme est le passage à l’acte de cette puissance, c’est-à-dire le déploiement total de ses potentialités, et c’est pourquoi » la détermination de l’argent en tant que Capital est sa suprême réalisation » (p.307). La révolution industrielle (terme introduit par Engels) concentre la logique capitalistique. On le sait, le capitalisme met la totalité de la production (producteurs et financiers compris) sur le terrain de l’échange de valeur(s). Capitalisme ⇔ Marchandises ⇔ Marché* Ce dernier reprend la fonction de l’Esprit [10] dans la première Trinité* de l’appareillement du christianisme. Le marché, abstraction universelle de tous les produits/producteurs/financiers, apporte la dimension nécessaire à la Machination globale du monde. K ⇔ Production de valeur ⇔ Équivalence universelle, et si ajoute maintenant l’autonomisation* couplé à l’automation* : la recherche du profit dépistée par Aristote devient le but infini du système de la valeur : la richesse monétaire n’étant que la partie visible (palpable, sonnante et trébuchante) de la chrématistique* [11], ancêtre de l’économie financière et capitalistique. L’argent est cette abstraction/concrétisation qui permet la contagion dans le biotope de la civilisation mercantile. La providence a un nouveau visage : la marchandise qui est « équivalorisation ». Tout devient achetable, donc l’absolu se dissout dans la fausse immanence de l’argent.
L’équivalence universelle des producteurs.
Le principe d’équivalence de toute chose, introduit par l’échange devenu valeur*, agit pareillement sur les producteurs. En terme ubuesque, la Mêmeté* est une ipséité* [12] collective. Tout travail devient travail humain parfaitement échangeable, « cette égalité est alors l’essence ou la substance de la forme-valeur » (p.321). On assiste à une « transsubstantiation* », nous restons bien toujours dans la bonne vieille métaphysique version judéo-christianisée. L’alchimie quand tu nous tiens ! L’industrialisation projette le travail individuel échangeable dans la sphère de l’universalité. Le travailleur s’efface dans le destin funeste de la sainte-production. « Je ne travaille plus pour moi, mais pour une instance dévoreuse », une machine-outil appelée « la Grande-faucheuse ». Cette instance nouvelle est le salariat*, le travailleur devient ainsi un simple fonctionnaire du capitalisme. Le producteur ne dispose plus de sa production qui entre dans un « pot commun », une « boîte de Pandore » dont il ne disposera plus à jamais de la clé. En plagiant Proudhon : « le salariat est le vol à l’état pur », une aliénation d’une partie fondamentale de mon moi qu’était le produit fini. Le travail/salariat devient un processus d’aliénation. « Le propre du salariat est de vendre de la puissance de travail, et non pas son effectivité, et le statut de travailleur consiste ainsi à tenir sa puissance de travail à disposition du dispositif ». L’analyse marxienne du salariat et de la valeur marque fondamentalement le virement radical opéré par le K qui permet la quantification du travail comme universalité numérisante. Au marché* s’ajoute le marché du travail, reprise abstraite « du marché aux bestiaux ». Cela implique une restructuration profonde des relations humaines, de la société. L’abolition de l’esclavage libère le travailleur atomisé (la guerre de Sécession américaine est l’archétype de ce processus : le travail salarié (chinois, japonais irlandais…) coûte moins cher que l’esclave dont le maître doit assurer le logement, la nourriture et souvent la progéniture). Marx et Tocqueville constate le même processus. L’égalité nivelle sous le drapeau de la démocratie capitalisme. On oublie trop souvent les observations et conclusions subtiles de Marx pour n’en retenir que l’écume sous forme de slogans que la bourgeoise manipule avec doigté. La Révolution économique abolit l’esclavage, les relations féodales, patriarcales ou cléricales, elle établit ce que Stirner définit comme « une gueuserie universelle », les vieilles libertés religieuses ou traditionnelles disparaissent devant la liberté de commerce, droit fondamental chèrement acquis par la nouvelle cléricature bourgeoise. Valeur d’échange ⇔ Égalité ⇔ Liberté : le nouveau piège à c… dont Tocqueville et Marx surent dépister la tectonique, mouvement de fond du monde industriel. Le concept d’idéologie* établit le lien entre ces trois composantes et l’unifie sous le signe de la Domination*, nouvelle version de la « servitude volontaire » dans laquelle la liberté et l’égalité des individus sont médiées par l’État et le droit. Le salariat assure la lubrification et la variable d’ajustement. Le capitalisme éradique l’attachement à la terre, ampute la main du cerveau et détruit du « savoir-faire » (tradition) en instituant la polarisation monétaire de la valeur. L’idéologie de la concurrence fonctionne une fois la mise aux normes du marché effectuée. L’universalité tant louée est une poly-valence de l’instrument travailleur / production. Elle est aussi une uniformisation : Universalité ⇔ Uniformisation ⇔ Équivalence et Salariat ⇔ production capitaliste. [10]
[Le nivellement par le bas comme dispositif de l’appareillement. Le couple idéologique Égalité ⇔ Liberté devient la nouvelle monarchie absolue sous la défroque de la Démocratie. L’assujettissement (lire a-sujetttissement) est une véritable transmutation génétique de l’homme en pièce détachée de la machination. Dans la machine, toutes les pièces concourent au bon fonctionnement de l’organe. Ne pas confondre Salaire et Salariat lequel est un constituant immatériel du K.]
La production de masse(s)
Comme l’énonce clairement Marx : « Ce n’est pas une personne qui travaille », « le travail est une totalité » (p.321). La production devient système de production, par un morcellement des tâches. Le taylorisme et le fordisme deviendront, hélas, le modèle de la soviétisation de l’ex-empire russe. La massification de l’économie caractérise le K, mais sous peine de désarticulation, centralisation politique : il y a bien un lien endogène entre les deux termes : Capital ⇔ Politique, les deux entités fusionnent comme deux cellules-souches. Nous assistons à une mutation organique, (Cf. Tocqueville) machinique ; la Machination engendre la massification de la production et des atomes (pièces détachées humaines). La marchandise devient un « produit de masse » inséparable de l’ensemble produit. L’économique modèle le social et réciproquement sous le signe de la croissance, le mythe parfait de l’Appareillement.
Ipséité de la valeur : le capital comme « sujet dominant ».
Le tour de force du nouveau mode de production consiste à faire de la production de soi, (fini le Moi stirnérien, l’emprise du Soi prend le relai. Soi = Moi exproprié) une ipséité de la valeur. Soi ⇔ Travailleur, l’aliénation totale rejoint celle promue par Rousseau dans sa tristement célèbre « volonté générale » du Contrat Social. Le Salariat est un transfert de puissance, une perte de Moi au profit du Soi, Appareillement du On*, aliénation du Nous. « La production de la valeur n’est possible que sur la base du travail salarié » (p.325). Dans un autre vocabulaire (B. Stiegler), on peut dire que la machine est une externalisation, une projection hors de moi de ma force vitale. La machine devient prothèse universelle. En même temps, il y a transfert du savoir, du tour-de-main, du savoir-faire. On comprend les révoltes des luddistes et des soyeux devant le monstre qui pompe leur force vive. On connaît la suite : machinisme, automation, numérisation, Big-data… La baisse du QI (Cf. Malabou) parachève le déclin. Vioulac commente : « Il faut reconnaître que la souveraineté* n’est aujourd’hui que celle du Capital, seul détenteur de la puissance absolue en tant que qu’instance même de totalisation » (p.326). « Si, donc, l’argent par le salariat mobilise toutes les énergies et consomme toutes les puissances, c’est dans un seul but : se produire lui-même » (Id). Aristote : « La monnaie est principe et fin de l’échange » (Politique, I, 9 157 b 25). Le capitalisme est bien le dispositif d’auto-production de l’argent, d’auto-production de la valeur, donc le capitalisme est la machinerie de l’ipséité de soi de la valeur-monnaie. Le système se produit et se reproduit : le train fou de l’histoire. Quand l’argent devient sujet*, il est Capital. K ⇔ Être-pour-soi autonome de la valeur.[11]. Nous retrouvons en permanence l’hypostase de la métaphysique A ⇔ C. La valeur mérite une étude approfondie qui dépasse le simple compte-rendu de la Logique totalitaire de J. Vioulac.
[ La focalisation de Marx sur l’argent est aussi à mettre dans le contexte germanique de la question juif (Cf. Misrahi) et de la Réforme, mais la question de la Valeur reste le pilier de l’apport marxien malgré des relents de métaphysique que peu de commentateurs reniflèrent.]
L’autonomisation de l’objectivité
Marx a longuement analysé dans le Livre I du Capital la monnaie comme objectivation et matérialisation de la valeur d’échange, le travail d’abord subjectivation par l’intermédiaire du monnayage, devient objectivation de la communauté de travail. « L’argent est l’objectivité pure » note Vioulac (p.331). Frapper la monnaie, c’est aussi frapper l’échange du sceau de l’universalité dans laquelle le producteur individuel a perdu son identité (et au passage son âme, s’il en possédait une). Il tombe dans l’indifférenciation machinique. Par contre, « l’argent s’autonomise par rapport à toute forme réification* » Il est devenu processus circulatoire, auto-centré, autonomisé et automatisé. Les accords de Kingston (1976) officialisent la logique du capitalisme. Aujourd’hui, nous assistons à l’étape suivante, la dématérialisation via la monnaie numérique dont on sait que les tenants du système attendent avec impatience la généralisation, les derniers réfractaires auront bien du mal à résister, ils (nous) finiront dans le musée des espèces disparues en compagnie des dinosaures. Marx l’avait pressenti, la domination des abstractions dissout tous les anciens liens. L’intersubjectivité est, elle aussi, une marchandise. Les maux de l’esprit ont leur tarif thérapeutique chez les « psys » toutes officines confondues.
Le Capital est donc Pouvoir : K ⇔ P, la potion magique de notre destin. Les capitalistes et les politiques ne sont que les fonctionnaires zélés de cette nouvelle dualité, déité abstraite impro-nonçable, YHWH a donc une descendance.
Résumons les grands développements de Marx :
– K = Domination de la chose sur l’homme. Ce n’est plus une uniquement la domination de l’homme sur l’homme (esclavage, servage).
– L’atomisation sociale = Modernité.
– L’argent est la communauté universelle.
– K = autonomisation du système des objets qui fait une civilisation spécifique géocentrée au départ, puis totalisante avec une pulsion totalitaire.
– Le K est dissociatif du sujet et de l’objet et opère une inversion. Soit une véritable ontologie*, « chosification du sujet et de l’objet », une « inversion de « la cause et de l’effet »
– Le K est une transcendance sécularisée, religion de l’universalité de l’échange et machination à vocation globalisante. Le Dieu UN de la métaphysique relookée.
– Le K = Machinerie puis autonomisation (robotique et Big-data).
– Le K fait système à la fois massification de la société et autonomisation du pouvoir social dédié. Comme tout système il est clos et perpétuellement mis à jour par les diacres salariés. Il possède sa propre logique autocorrective dont l’I.A (intelligence artificielle) n’est que le balbutiement.
[Les analyses marxiennes posent la redoutable question de la sortie du système mis en place. L’échec de la nationalisation, de la bureaucratisation, du libéralisme pur et dur ne laisse pas de marge de manœuvre. Les utopies deviennent vite des tyrannies ou des sectes isolationnistes. L’« argent / la valeur » est au cœur du monde et de l’homme. Comment sortir du règne de la quantification, de la chosification. Faire échouer la transsubstantiation ne se fera pas par des théories hors-sol, sans un nouvel enracinement (à condition que l’anthropocène ne soit pas notre tombeau). Le P pur avec son binôme K transforme la vieille transcendance en immanence pure, inodore, invisible, universelle. On s’attaque ici à une religion dont le clergé : cléricature et paroissiens confondus sont des fonctionnaires.]
Appareillement de la communauté
Rien n’échappe au rouleau-compresseur du procès (processus) mis en œuvre par le K auto-productif, le social n’y échappe pas. L’antinomie dualistique A ⇔ C développe ce que Hegel avait énoncé : le mysticisme* abstrait de la substance, le « devenir-sujet » comme universalisme de l’objet, l’externalisation du soi comme machination. Le K est ce mysticisme en acte, le fétichisme automatique de la transsubstantiation, l’essence commune immanente des producteurs (p.339). Le déracinement de l’homme transforme l’activité naturelle en une nouvelle culture qui devient sa « nature dénaturée ». La nature change, elle devient ce que la Genèse annonçait : un monde de sueur et de douleurs. L’individu, pièce attachée à la machination, est aussi une pièce de monnaie d’un sou, la plus petite unité du monnayage. Le mode de production engendre un mode de con-sommation : Travail aliéné⇔ Consommation*. La société égalitaire perçue par Tocqueville prend forme sous la dictature de la consommation. Sans consommation le mode de production s’effondre de lui-même. Une société totalement automatisée, numérisée, logicielisée nécessitera toujours des consommateurs qui deviennent la véritable essence de la production. Le totalitarisme boucle sur lui-même, c’est sa logique interne, le tyran solitaire sur une île déserte perdrait son identité. Le génocide serait une contre-production suicidaire. Le K reconstitue de fond en comble les sociétés qu’il contacte, il les mécanise pour les incorporer à sa Machination : l’Appareillement est sa panacée. L’« autovalorisation de la valeur est la logique interne à l’automassification de la masse » (p.342).
[L’importance de la consommation n’a pas échappé aux esprits sagaces de Baudrillard, Arendt…et mérite une analyse actualisée d’autant que nous vivons une époque où le consommateur lui-même devient un « consommable » (chair à canon) et auto-producteur de son désir aliéné.]
Approche du totalitarisme capitaliste.
La manipulation invisible : l’idéologie néolibérale
En tant qu’Appareillement, « le capitalisme est la base réelle de la démocratisation, comme pouvoir de masse issue de l’autonomisation du pouvoir social », (Tocqueville + Marx) finis le clergé et le bas-clergé ensoutanés, place à la défroque libérale très vite suivie d’un néolibéralisme* (contrarié par la guerre de 14-18). Le terme de Totalitarisme fut par la suite une arme de combat idéologique du libéralisme retournant d’avance les arguments que l’on put lui faire. G. Gentile, le compagnon de Mussolini met les points sur les i : « Le libéralisme met l’État au service de l’individu ; le fascisme réaffirme l’État comme la véritable réalité de l’individu… Dans ce sens, le fascisme est totalitaire » (p.343). On peut croire que Libéralisme (Lb/) ≠ (est différent de) Totalitarisme (To/). Le libéralisme fonde une certaine « phobie » de l’État largement partagée par divers courants y compris libertaires et libertariens. Liberté (Li) = opposition à l’État, telle est la sainte-devise (croyance + monnaie = Devise ?). L’arrière-fond lockien (John Lock 1632-1704) ne fait aucun doute : Nature ⇔ Liberté. « La Li est donnée, et non conquise », les hommes ont donc la liberté d’ordonner leur action : le pire ou le meilleur au gré des humeurs et du vent. Nous sommes ici dans l’antépolitique, rien à voir avec antipolitique : une sorte d’a-historicité édénique. Toutefois, le simplisme réducteur n’explique pas « le mode de déploiement de cette Li » (p.344).
Pour sa part, Hobbes dans le Léviathan y voit « une guerre de chacun contre tous » (homo lupus), il faut donc un Léviathan pour pallier la guerre permanente et transformer la terre en mer de sang (la Planète rouge !).
La faction libérale monte au créneau, Locke, le Père du Libéralisme (Li/) anglo-saxon, affirme sans bavure : « L’état de nature possède une loi de nature qui le régit, et cette loi oblige tout le monde »… « Là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de Li…qui n’est pas ce que l’on nous dit, à savoir une liberté, pour tout homme, de faire ce qu’il lui plait…mais une Li de disposer et d’ordonner comme on l’entend de sa personne, ses actions, ses biens et l’ensemble de sa propriété, dans les limites de ce qui est permis par les lois auxquelles on est soumis ». L’anarchoïde peut souscrire à cette vision purement individualiste du politique et de la société. Moi, c’est moi, point barre : du Stirner avant l’heure, de quoi rêver de jouvence dans le smog londonien. Attention, Locke réserve des surprises : si la « loi de nature » est antérieur à toute institution politique, c’est que cette raison est un don de Dieu, créée par Dieu et donc réglée par le divin créateur devenu divin législateur. Du coup, la légitimité de l’action humaine consiste en la conformité de la « loi de nature », donc « la volonté de Dieu, dont elle est une déclaration ». La chute est aussi terrible que celle d’Eve et d’Adam, nos ancêtres merdiques. Bref, la Li est un leurre, une ruse de la métaphysique*, une simple actualisation de la rengaine bien connue. "La Liberté ce n’est la que longueur de la chaîne" (Un journaliste russe du Blog Écho de Moscou)
Conclusion :
Le libéralisme est l’expression de la logique de « la loi de nature », elle-même application de la volonté de Dieu.
Cette conception donne le « la » à une longue tradition aux multiples méandres. Il y a bien une antinomie entre Nature et politique (Loi). Tout anarchisme est impossible, car la provenance de la loi est douteuse, malodorante et étrangère au principe (mal défini) d’anarchie. Le libéralisme affronte une difficulté redoutable, il récuse que les hommes soient en mesure de formuler eux-mêmes leurs propres lois (oripeaux terrestres de Dieu législateur), donc les lois ne sont pas autonomes, ni librement définies, donc le « Libéralisme récuse la politique comme telle » (p.346) d’où dès le départ une « phobie de d’État », l’antépolitique se situe pour lui dans l’économie. Il y a un changement brutal de paradigme que les fondateurs du néolibéralisme, Colloque en 1938 à Paris avec Ludwig von Mises, Friedrich von Hayek, Jacques Rueff, exploiteront dès la reprise des affaires sérieuses en 1945 : l’État est contre le Marché (Ma). Thèse centrale des modernistes du K. Le néolibéralisme remet sur le marché des idées le mercantilisme, forme antérieure de l’économisme : « il y a un ordre spontané du marché qui suffit à réguler les sociétés sans qu’aucune intervention proprement politique ne soit nécessaire » (p.347). L’économie est en elle-même un « système de liberté ». Le marché résorberait le politique. L’universalisme toujours présent, le système de prix devient un mécanisme permettant de communiquer l’information. La métaphore de la fable des abeilles fonctionne à plein [13] ; déjà, Tocqueville craignait une « société d’abeilles » (division du travail, communication intégrée dans l’espace et à l’intérieur de la ruche : le miel est la survie de l’essaim. La Reine n’est qu’une pondeuse, la hiérarchie n’est pas royale, mais génétique. L’argent occupe une place centrale dans le dispositif néolibéral, il est le langage liant et vassalisant le politique à l’économique. Il opère l’adéquation entre la production et la consommation. L’argent est donc la vérité, le sang de l’organisme. La soumission au marché remplace celle à la loi de Dieu. La techné, l’artificiellement produit, remplace la phusis, la nature comme donné. Le néolibéralisme met en valeur « un ordre autogénéré ou endogène » sans pour autant en faire une nouvelle naturalité. Hayek affirme que le marché rejette dans les poubelles de l’histoire le cartésianisme « selon lequel le sujet est capable d’élaborer de lui-même, par des idées claires et distinctes, un quelconque ordre de raison », il prône un rationalisme évolutionniste qui fait de la rationalité non pas un produit du sujet conscient, mais un processus inconscient, immanent aux pratiques, qui mûrit dans l’histoire » (p.353). Conséquence : « l’évolutionnisme n’est plus naturel, mais culturel ». Retour inattendu à Platon pour qui la « nature est culture ». « La concurrence est ce processus de sélection qui force les gens à agir rationnellement pour pouvoir subsister » (id.). Le marché est donc une rationalité du plus fort et le K un système auto-organisé. On retrouve aussi l’idée hégelienne de la raison et de la théologie de l’histoire. Ici, c’est le marché qui devient le chef d’orchestre à la place de l’État. Le Ma est le lieu darwinien de la Concurrence (Cc). On peut parler du Nomos [14] (loi ) du Ma, « « la nouvelle société devient une nomocratie* autonome ce qui permet au néolibéralisme de » récuser la politique comme telle et de préconiser l’absence total de pouvoir d’État (p.355). Ici, le gouvernement représente l’État, deux termes interchangeables : État ⇔ Gouvernement. Les néolibéraux transfèrent les attributs hégeliens de l’ET au Ma. Le Ma devient une « seconde nature » (Rousseau Discours sur l’inégalité). L’Et joue le rôle du promoteur du Ma. La société civile devient la Totalité, le lieu de la médiation* immanente et permanente de la Liberté. Le Ma est le système miraculeux tant attendu, presque le Messie (Cf. le Divin Marché), il réalise l’harmonie naturelle perdue. « La société est un ordre régi par des lois où le particulier est soumis à une détermination particulière » (p.357). La concurrence réalise l’union sacrée de la formule A ⇔ C. La connexion entre les individus forme un universel médiatisant. Finalement, la pulsion de la mondanéité devient mondialisation. L’individu en se réalisant (richesse) contribue à l’universalité comme essence immédiatement appropriable par tous. L’égoïsme subjectif se transforme en satisfaction de tous via le travail. Hegel rit dans sa tombe des mésaventures de ses lecteurs de « Gauche et des marxophiles barbus ». La « main invisible » chère aux économistes du XIXème (Smith, Ricardo, Say…) devient une poigne de fer dans un gant de velours urticant. Bien sûr, le conformisme règne, pas une tête ne doit dépasser ; il est même un signe patent de l’universalité réalisée. La Domination heureuse des utopies comme pensée unique. Jean Vioulac décortique à merveille les articulations de la Machinerie à travers une lectures scrupuleuses des auteurs qui forment le socle de notre modernité totalitaire (P.351-65). La soumission (servitude volontaire) et l’ignorance favorise l’Universel. [15]
Nous arrivons, ici, dans « les entrailles bénites » de la modernité : la main invisible et le monstre froid inaugurent la Manipulation, le terrible Moloch de notre mythologie.
[L’universalisme rejoue sa partition dans une symphonie mondialisée. La sécularisation* fonc-tionne parfaitement ; la fonction divine du marché rappelle le Saint-Esprit de la Trinité. Les néo-libéraux ouvrent la voie à une vague à la sécularisation, la métaphysique « civilisée », comme société civile parfaite hors du champ trouble et tentateur de l’État. Encore une fois la relecture de Stirner s’impose. Jamais, Vioulac ne fait allusion à Max, l’anti-Ma®x.]
Moloch : le marché mondial
L’avant-garde des réformateurs professionnels.
On le sait le néo-libéralisme (Nli/) ne vise pas à détruire l’individu, mais à entraver jusqu’à détruire le mécanisme de la Machinerie incarnée par le pouvoir gouvernemental. Grâce aux terrifiants progrès du Numérique mondialisé (Saint-Empire Numérique = SEN) le Nli/ s’attaque au Léviathan pour transférer tout son pouvoir et sa puissance au K, le nouveau Moloch. « Le K s’impose comme un totalitarisme imma-nent qui fait du marché la puissance souveraine de la totalisation » (p.367). Nous retrouvons encore une fois la formule A ⇔ C, l’individualisation des sujets (atomistique de Hegel) est en même temps un assujettissement à la puissance universelle du marché pour autogénérer une totalisation d’où la formule A ⇔ C ⇔ To/ (totalitarisme), que l’on peut considérer comme une Trinité sécularisée qui atteint la perfection fonctionnelle par son immanence induite. On rendre dans le monde du totalitarisme parfait et volontaire : universalité = auto-génération = auto-développement. Terrible pulsion vers un auto-totalitarisme, parfaitement identifié par le regretté Philippe Murray.
Le Nli/ ne veut pas détruire l’État qu’il veut comme « policier du marché ». D’ailleurs, la situation actuelle le démontre parfaitement, le mouvement des Gilets Jaunes fut un exemple de répression étatique sous la houlette d’un ministre issu de la Gauche et un préfet de police du même profil. La doctrine libérale du « laissez-faire » a montré ses limites. Le Nli/ joue au billard par la bande, dominer le centre à distance. Le monde néolibéral n’est pas un collectivisme, mais « la philosophie même de la révolution industrielle » devenue SEN. Le Nli/ manipule les institutions (appareils d’État), les individus par la consommation, le changement de mode de production (automation, I.A, télétravail…). Les libertariens (libertarisme) incarnent parfaitement ce mouvement profond de notre temps. Les pseudos libertés mobilisent sans difficulté les masses atomisées. L’idéologie sécuritaire ajoute une couche de réassurance et de confiance dans la nouvelle servitude volontaire. Le discours réformisme dont on nous rabâche les oreilles devient le narratif obligé de tous les hommes politiques : Réforme = adaptation permanente des sujets et des organes de la Machination. La métaphore de la Machine (le triomphe de Descartes) résume parfaitement le Nli/. La toute-puissance du SEN permet les modélisations les plus poussées qui anoblissent l’économie au statut suprême de Science. Nous l’avons vu (Husserl Krisis) la Mathématisation et la Logique envahissent la totalité de l’existence humaine (p.369). Le Nli/ initié dans les années 1930 disposent maintenant de tout son Appareillement technologique et conceptuel. Les industries de la santé n’échappent pas aux transformations en cours. La géolocalisation, la reconnaissance faciale et le « mérite à la chinoise » ouvrent des portes dont les perspectives réelles restent encore floues. « Les masses ne pensent pas » von Mises rejoint le léninisme dans la nécessité de former une « élite » capable de faire fonctionner la Machination tour en jouant un rôle de « direction spirituelle ». En gros : fabriquer des crétins pour garantir la consommation et promouvoir une élite. Le Nli/ hait le populisme, son pire ennemi d’où le déchaînement des médias contre les mouvements populistes de tous les pays. L’État est un outil, la Nation l’ennemi à abattre. Les élites sont nécessairement européanistes, antipopulistes et fonctionnarisées. L’U.E et l’Euro, la suprématie du droit européen et bien d’autres facteurs sont le chef-d’œuvre du Nli/. La dénationalisation de l’État et de la monnaie sont des « acquis sociaux » autant que politiques. Nli/ rime avec privatisation universelle comme revers du To/ contemporain.
La planification de la consommation et sa propagande.
Le démantèlement a pour but de transformer l’État en Marché. Il implique une planification hors de tout gouvernement. « La concurrence signifie une planification décentralisée » (p.373). Cette décentralisation rejette, bien évidemment, le régionalisme au profit d’une mondialisation foudroyante. La consommation (Cm=) sert de flux interne, elle est l’immanence (Im∖) incarnée dans le consommateur. La publicité remplace la vieille réclame usée jusqu’à la corde. La Science économique s’équipe de nouveaux appareils : markéting, merchandising, logistique, teasing… Cette planification se veut le contre-pied du « plan » à la bolchévique. La communication de masse sert de « propaganda », les mass média s’équipent de la TV, la folle du logis, qui équipera la quasi-totalité des foyers dans le monde. Les non-câblés seront l’exception, l’exonération de la redevance-télé mobilisant quelques fonctionnaires chargés du contrôle . Dès les années 1950, Günther Anders avait compris, lors de son séjour aux Amériques, que la petite lucarne serait l’icône de la puissance montante, une sorte d’œil de Caïn dans la tombe de l’aliénation généralisée. Goebbels en avait rêvé, le tube cathodique l’a fait, et en plus il fallait acheter son objet d’assujettissement : le comble de la servitude volontaire. Télévision = Robinet de culture standardisée. La Totalité entre dans chaque pièce de la maison domotisée. Publicité = propagande de masse à domicile. La publicité est, à la fois, une régulation des surplus et un outil performatif des produits nouveaux. Elle comble des besoins et formate les désirs. Pavlov avait ouvert une voie à la manipulation mentale. Il surpassait Gustave Le Bon et sa psychologie des foules et promouvait une psychologie de masse atomisée, plus efficace et moins onéreuse. En collant à l’histoire de l’immanence industrialisée, Vioulac souligne l’importance des précurseurs dans la genèse de la nouvelle métaphysique de masse. La publicité est l’école sociale de consommation indispensable à l’équilibre du système en mutation permanente (p.378).
Production et gestion de l’homme nouveau.
Production et consommation sont les deux mamelles du K s’auto-valorisant, autrement-dit : Production ⇔ Consommation (Pd= ⇔ Cm=), la quadrature du cercle vicieux orchestré et mis en scène par la métaphysique en perpétuel renouvellement. « L’homme est ce qu’il mange » écrivait G. Anders dans l’Obsolescence de l’homme t.1, p.121, reprenant le jeu de mot « der Mensch ist, was er isst » de Feuerbach. La massification longuement démontrée opère sans vergogne sur un terrain conquis d’avance : « Quand le ventre va, tout va » disait-on dans les fermes bocagères. D’ailleurs, on le sait maintenant, l’intestin est le premier cerveau. Progressivement, la consommation prend la première place dans l’Appareillement. Le consommateur devient un travailleur à domicile, anticipation vertigineuse du monde du travail en cours de réalisation. L’automation assistée du SEN promeut une nouvelle civilisation en devenir : la Do mination douce, indolore et œuvrant dans la sphère interne de l’organisme, la cerise sur le gâteau du productivisme. L’homme nouveau nait dans ces saveurs opiacées que Marx n’avait pas inclus dans son célèbre « Opium du Peuple ». L’Homo œconomicus est arrivé, ce que Marcel Mauss perçut déjà en 1923 « L’homme a été très longtemps autre chose ; et il n’y a pas longtemps qu’il est une machine, compliquée d’une machine à calculer ». Le staccato des mitrailleuses était encore dans ses oreilles. [16] La révolution industrielle inaugure l’Anthropocène* dont la longévité devient douteuse. Elle baigne aussi dans un eugénisme* très débattu, en cette période enfumée. L’homme nouveau est l’enfant naturel de cette révolution qui naît en tétant de la publicité diffusée par l’Appareillement médiatique mondial (p.381) qui met en place un infantilisme narcissique redoutable, massificateur, castrateur et le transforme en hédoniste fétichiste. Les idéologies du désir (largement popularisées dans le landerneau contestataire par les machines désirantes de l’Anti-Œdipe) déploient l’énergie fulgurante de la mutation métaphysique des temps glorieux. La Machination a enfin découvert sa boîte de vitesse automatique. Le désir est le carburant immatériel d’une soif sans fin de consommation. Bref, la révolution culturelle et cultuelle (mode, loisir…) génère une sorte de « biopouvoir* » qui, derrière des slogans attractifs : révolution sexuelle, promotion, tourisme, ne fait que prendre le pouvoir par l’intérieur. Nous vivons une « nouvelle vague » de libérations : genre, transgenrisme, culte de la différence dans le détail (tatouages, piercing, marquages), la poussée va jusqu’à promouvoir une nouvelle orthographe dégenrée (honte de soi ?) et une syntaxe proche de l’illettrisme savant : une novlangue politiquement correcte. Le consumérisme a pris le pouvoir sur les corps, la symbolique : Tout est marchandise, triomphe du Nli/.
La normalisation nécessaire à toute machine devient Norme sous le règne de la Machination. La Loi perçue comme transcendance devient Norme plus puissante que la vieille Loi usée jusqu’à la corde. La Loi permet la transgression, la ruse, l’hypocrisie (sorte de marranisme contemporain : chrétien à l’extérieur, juif, toujours, à l’intérieur). La norme conditionne et structure de l’intérieur : l’immanence dépasse en puissance son alter ego. Le Normativisme est à la fois juridique (Kelsen), économique, social… « La normalisation est le pouvoir propre à la masse atomisée de la société de marché, il est à la fois le pouvoir d’homogénéisation et d’individualisation, puisqu’il soumet tous les individus à la massivité de la norme en même temps qu’il les individualise en mesurant constamment leur écart par rapport à cette norme » (p.385). L’égalité formelle facilite le processus. De plus, le SEN permet la géolocalisation permanente, la reconnaissance faciale, le carnet de santé numérique et le casier judiciaire numérique comme cerise sur la Do, le tout dans votre Smartphone ou dans une « puce » sous-cutanée : la cyberpunk-culture n’est plus de la S.F. La Fiction devenue réalité met des milliers de livres dans la grande poubelle de l’Histoire. Attention : la réalité cache une nouvelle fiction ; à vos plumes Camarades ! La « normalisation est une intériorisation du pouvoir », voilà la « seconde nature » tant attendue, le retour du naturalisme utilise, on le sait, la métaphore de la ruche dans laquelle chacun insecte connaît sa place par un eugénisme originaire [17] L’individualisation est programmée, nos penseurs et Dominateurs de tous genres en rêvent. Elle permet que « tout baigne dans l’huile de jouvence ». Dans le zoo humain, l’autonomie, tant prisée par les pédagogues et démagogues post-modernes ressemble, à s’y méprendre, à une autodiscipline, reprise de la servitude volontaire. Ceux qui durent subir les fourches honteuses de l’évaluation annuelle que nos managers vermoulus des Grandes Écoles connaissent cet exercice digne des Jésuites. Le management* est la technique de gouvernance* idéale, car il s’appuie sur l’« auto-contrôle de de l’individu désirant qui gère ses projets et objectifs ! ; comme si l’individu devenait « entrepreneur de soi » dans le cadre restreint de la ruche entrepreneuriale. « Le capitalisme parvient ainsi à soumettre la totalité de ce qui est à sa logique marchande, et à imposer partout le modèle du marché au moyen de son appareillage : les Ressources Humaines (RH : le sigle permet de gommer le sous-entendu d’exploitation des ressources naturelles !)). L’éducation nationale ou privée suivirent le mouvement en devenant des usines à crétins (les exceptions sont rares et dues à des enseignants téméraires que la visite de l’Inspecteur d’Académie amuse). Hélas, le cercle familial est aussi contaminé.
Le normatif permet d’éviter l’affrontement en circonscrivant le champ et l’application des normes. Tocqueville parle de « despotisme démocratique ». L’U.E. est le parfait exemple de mise en œuvre du néo-libéralisme décomplexé : paradis des Normes, subsidiarité, Cours de justice supranationale, gouvernance sans légitimité électorale, réduction progressive et drastique du rôle réel des institutions nationales et de leurs représentants.
Tentons une extension de la formule A ⇔ C
A ⇔⠀⠀C
⇩⠀⠀⠀⇩
Loi⠀⠀ Norme
⇩⠀⠀⠀ ⠀⠀ ⠀⠀⠀➷
Transcendance ⇔ Immanence
L’homme nouveau est arrivé dans les valises du néolibéralisme, du bolchévisme et du fas-cisme : leur quasi concomitance caractérise notre modernité. « Le capitalisme est un totalitarisme, et le néolibéralisme son idéologie » (p. 388-9). L’un exécute ses refuzniks, l’autre les exclut tout en mettant en place des « garde-fous » nécessaires à son fonctionnement. Les révoltes, jacqueries (gilets jaunes par ex) provoquent répression et/ou subvention, c’est-à-dire le traitement économique d’un risque potentiellement grave. L’homme nouveau a sa « devise » : « In god, we trust » [18] imprimée sur sa monnaie. L’argent comme Dieu guide et libère. Vous avez dit métaphy-sique et mort de Dieu ? La dogmatique économique remplace la dogmatique théologique.
Notes
[1] Egaux mais différents, la diversité fonde la hiérachie issue de la Création.
[2] David Stannart : American Holocaust, Oxford University Press (OUP) 1992, p. 74-5 et 151. Cité par Vioulac p.207
[3] On peut consulter la célèbre Fables des Abeilles de Mandeville (1714), première expression de cette tendance latente de la modernité industrieuse : « vice privé, vertu publique »
[4] Y compris en Algérie, dans un rapport parlementaire, il dénonce les spoliations des biens religieux par les premiers colons
[5] Nous aborderons cet auteur obligé dans une notice : « Heideggeriade », car le maître aux O.C. comportant 100 volumes dont les célèbres Carnets noirs (Aurons-nous peut-être un jour ses Carnets Roses, car le Maestro fut aussi un chaud lapin, avec un goût exquis pour une jeune étudiante juive : Hannah Arendt
[6] écularisation spectaculaire et lecture partielle des Écritures dont la longueur peut égarer les lecteurs aux yeux fatigués. Relire Luc, 16,13 ; Saint-Paul 1 Timothée 6, 10 et 2 Timothée 3, 2
[7] Les lecteurs ayant eu à œuvrer dans la logistique connaissent parfaitement le terme "dispo".
[8] Ne pas confondre avec les Pères grecs
[9] Auteur d’une réflexion originale sur la monnaie
[10] Dany-Robert Dufour développe cette idée dans son livre Le Divin Marché, Folio essais N°562
[11] Art d’acquérir des richesses chez Aristote
[12] L’individu en lui-même
[13] Cf Mandeville, la fable des Abeilles
[14] Référence au Nomos de la Terre de Carl Schmitt
[15] La fabrique des crétins (J.P Brighelli) a déjà commencé. Hélas, les Gauches historiques sous couvert de libération et d’éducation deviendront les acteurs de l’abêtissement nécessaire à la fa-brication des indispensables consommateurs.
[16] Voir aussi Ernst Jünger, Orages d’acier, 1920. Personnage étrange d’un individualisme anarchisant, stirnérien farouchement hostile à l’État-Léviathan, au parcours sinueux de la Légion étrangère française à l’Anarque* qui se replie dans une émigration intérieure
[17] L’apiculteur amateur que je fus (avant une allergie aux piqures des mouches à miel), précise que le sexe des abeilles est déterminé par l’alimentation des larves en gelée royale. La butineuse n’est qu’un castrat naturel. Par ailleurs, certaines abeilles connaissent une programmation multiple : cirière, dame de chambre de la reine, gar-dienne, exploratrice, ventileuse, mielleuse (par régurgitations successives), butineuse. Les études actuelles cherchent à comprendre cette polyvalence.
[18] Sécularisation spectaculaire et lecture partielle des Écritures dont la longueur peut égarer les lecteurs aux yeux fatigués. Relire Luc, 16,13 ; Saint-Paul 1 Timothée 6, 10 et 2 Timothée 3, 2.