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Introduction. – PENSER AUJOURD’HUI. La philosophie ou comment s’en sortir
Article mis en ligne le 16 février 2023
dernière modification le 25 mars 2023

En guise d’introduction, Jean Vioulac pose la redoutable question : « Penser aujourd’hui. La philosophie, ou comment s’en sortir. » Après avoir dans l’« Époque de la tech-nique »longuement démontré le processus de machination* mis en place par un « Dispositif planétaire autorégulé » ne laissant aucun espace de différenciation, de contradiction ou de simple pensée, poursuit son investigation intransigeante. « Le capitalisme est la logique interne de ce Dispositif qui réduit toute chose à sa valeur d’échange, c’est-à-dire à son plus petit dénomina-teur commun qu’est le prix » (p.12). Ce Dispositif-machination constitua l’humanité en masse uniformisée « ou n’importe quoi vaut n’importe qui ». D’où le terrible constat de Vioulac « l’avènement du capitalisme est indissociable de l’avènement de la démocratie  » (id.). La massification passe par l’individuation, l’atomisation des choses et des êtres projetés sur le nou-veau mur de la caverne de nos écrans multidimensionnels (il ne s’agit pas unique d’une question de taille). Vioulac reprend et développe la Krisis* de Husserl : « la science moderne mathémati-sée est cette configuration du savoir qui opère la réduction universelle à la quantité et à la relation, et opère ainsi une numérisation intégrale du réel par la détermination de tout donné sous l’espèce du calcul  » (id). Si le réel fut rationnel (Hegel), « l’efficacité est dès lors le seul et unique critère de vérité » : Efficacité ⇔ Vérité.

Notre époque est celle de la mutation permanente, héritière du mouvement aristotélicien et de la fantasmagorique révolution permanente. Vioulac reprend la notion d’Appareillement, soit la réduction universelle dans le dispositif planétaire devenant le grand enfermement. La trans-cendance issue de la métaphysique devient une « implacable immanentisation », sous le signe de la mort de Dieu : l’athéisme comme stade suprême et perpétuel de la métaphysique. La première guerre mondiale permet le « déploiement incoercible du Dispositif » (p.14) Enfin l’impensable a lieu ouvrant l’autoroute de l’hécatombe avec, en parallèle, la croissance démogra-phique qui renouvelle le cheptel de la chair à canon et à consommer. Exercice : une mitrailleuse tire x coups à la minute, il suffit d’envoyer X+n fantassins à l’assaut, exemple à peine caricatural de la puissance calculatrice du logos numérisé.

Le vieux principe de raison trouve enfin les moyens de s’exprimer sans vergogne. Termi-née la vieille idéocratie (le Bien…), place au droit, à l’État, au Capital. Le réel rationalisé est en même temps la raison réalisée. Le basculement de l’ancien (Idée) vers le « début de la domination totale du principe de raison » transforma la philosophie en « Dispositif technologique archétypal ». Vioulac commente ici Heidegger (Principe de raison p.95-96). La philosophie débar-rassée de ses scories gréco-métaphysiques. La crise est le temps d’incubation de la rationalité triomphante  : l’espace-temps devint Un. La logique du Même et l’opérationnalité ouvrent l’ère nouvelle, celle de l’Occident triomphant. Le principe de raison opère un réductionnisme universel : ils (les métaphysiciens) en avaient rêvé, les nihilistes l’ont fait : Heidegger (l’Être comme nouvel Absolu d’une Métaphysique enfin déconstruite), Marx (valeur d’échange), Rousseau (volonté générale) …

Penser la crise se fait en pensant la philosophie*, car, en vérité la philosophie est la crise ». Le Dispositif planétaire (mondialisation reste trop connoté économie) est, par conséquent, celui de l’humanité : pas d’échappatoire dans la tentation esthétique ou le repli monacal (p.21). Impossible de rejeter la pensée ancienne, mais bien au contraire replonger dans ses racines multiples pour « s’expliquer avec elle » en découdre pas à pas. Le Dispositif a, sous l’illusion d’une philosphia perennis, relégué la philosophie sous les ors et le béton de l’Université en la réduisant à une simple historiographie (muséification) ou à une pensée salariée (les chiens de garde de la vivification du Dispositif). Philosopher à nouveau implique de sortir de ces deux replis frileux, mais confortables. « Tout a déjà existé » réduit la pensée à un « état de paresse historiale ». Vioulac appelle l’imposture du philosopher, dans le contexte du Dispositif, comme la fabrication du Même au Même (la reproduction). Dans le domaine de la pensée, la machination est un Appareillement*. Le logos transformé en logiciel a changé la nature de « la métaphysique qui devient la structure portante du destin de l’Occident, et c’est cette structure qui constitue désormais l’armature du Dispositif planétaire » (p.24). La tâche qui s’impose consiste à élaborer la généalogie et l’archéologie de la sphère technologique contemporaine. Elle passe par la relecture des penseurs de la crise : Marx, Nietzsche, Tocqueville, Husserl, Heidegger, Anders. Ils ont tous compris, en leur temps, qu’ils vivaient une mutation radicale. Fini l’adéquation du Vrai et du Bien, il faut récuser « l’hypothèse d’une identité de l’être et de la raison » (p.25). C’est bien sûr sortir du cercle grec et du hors-sol pour mettre les pieds dans la vie aux odeurs merdiques. La crise de la rationalité fruit de la réalisation de son Dispositif positionne la métaphysique comme idéologie. Un nouveau spectre surgit : la Révolution. Mais la tautologie première veille, le procès prend la forme d’une Totalisation comme dispositif de déchaînement du principe de raison logiciel du Totalitarisme, mode de domination, une forme spécifique du pouvoir*. Le Concept* (Dispositif) est le pouvoir de la Totalité en acte. Les filousophes (voyous publics) ont trouvé leur nouvel os à ronger. (Espèce cérébrale salariée qui fit dans certains quartiers à l’abri des turpitudes du temps dont ils glosent avec science. La filousophie se cache derrière le dos large de la sociologie, de la psychologie de masse et de la psychanalyse).
« Le XXème siècle fut cette traversée de l’enfer » (p.30) longuement préparée. Jean Viou-lac nous invite à cette errance macabre dans ces cinq cents pages exceptionnelles.