Un peu d’histoire de la dette après ces chiffres monstrueux qui montrent clairement que les pays riches pompent l’argent des PTM, ceux-ci, en termes de flux, renvoyant beaucoup plus (intérêts et amortissement des emprunts) que ce qu’ils reçoivent.
Avant la décolonisation, dans les années 60-70, les occupants endettèrent leurs colonies pour créer des infrastructures (transport, énergie, lignes électriques) ou des installations pour exploiter les ressources minières ou fossiles de celles-ci ou pour développer des cultures intensives exportables chez eux et sur le marché mondial. Le tout sans servir la population. On a vu une très longue ligne électrique desservir les installations, sans alimenter ses voisins ou une voie ferrée de 1900 km vers le Katanga (ex Congo belge) réservée au transport de minerais. Et scandaleusement quand les colonisateurs se retirèrent, ils laissèrent la dette au pays décolonisé. C’est un premier aspect de la dette odieuse.
Dans ces années 60-70, on encouragea les PTM (IFI en tête) à emprunter pour se développer. Soit dans la création d’usines de substitution d’une production manufacturée locale aux importations, soit dans l’exploitation de leurs ressources minérales, soit dans une agriculture d’exportation (cacao, café, huile de palme, bananes, ananas, coton, etc.) en lieu et place, souvent, des cultures vivrières. Le discours était : vous avez des ressources naturelles et de la main-d’œuvre, acquérez la technologie nécessaire pour les exploiter en vous spécialisant vers le marché mondial. Cette remarquable stratégie eut pour conséquence la surproduction de denrées et de matières (les PTM entrant en concurrence les uns avec les autres dans les mêmes produits), donc la baisse des prix, laquelle encouragea à produire encore plus pour compenser et entraîna ainsi la mise en place d’un cercle vicieux. Etait-ce par incompétence des IFI ? Sans doute pas : ce fut machiavéliquement encouragé par elles et le Nord pour se procurer matières et denrées à bas prix, pour ne pas dépendre d’un seul fournisseur, ce qui causa une rapide dégradation des termes de l’échange, rendit la balance commerciale structurellement déficitaire et amenuisa les capacités de remboursement de la dette. Sur ce dernier point, il y eut une prise en tenaille expliquant le déséquilibre de la balance commerciale : réduction de la valeur des exportations en volume et en prix, d’un côté, augmentation des importations en biens d’équipement et en produits agricoles ou alimentaires faute de cultures vivrières locales, augmentation des achats de produits manufacturés par les classes dirigeantes et la bourgeoisie aisées des PTM, de l’autre. La chose, si bien lancée continua évidemment sur son erre.
Pour les installations manufacturières censées substituer la production locale aux importations, les experts n’avaient pas pensé à ce qu’il fallait des infrastructures pour les faire fonctionner correctement : travailleurs, qualifiés, banques locales, éducation, ingénieurs maîtrisant la technologie, à ce qu’il fallait aussi des machines adaptées au climat. N’a-t-on pas vu l’URSS exporter des bidets là où il n’y avait pas d’eau courante ?
Ensuite, avec les deux chocs pétroliers de 1973-74 et de 1979, le Nord et les pays riches se mirent à regorger de pétro-dollars à placer coûte que coûte avec le quadruplement puis le doublement des prix du pétrole. Cette inflation par les coûts amena les USA à augmenter les taux d’intérêts. De plus, les pays du Nord entrèrent en récession à cause de ces mirifiques augmentations. Pour développer leur croissance, ils encouragèrent les PTM à emprunter moyennant l’achat de leurs produits et de contrats d’investissement pour leurs propres entreprises, genre Bouygues. Les PTM pour s’en sortir, car la plupart sont importateurs de pétrole, durent aussi emprunter. Parallèlement, les riches avaient de l’argent d’euro-dollars ou de pétro-dollars à placer. On les a vu alors encourager de plus belle l’investissement dans les PTM. Même des « éléphants blancs », c’est-à-dire de gigantesques installations (barrages voies ferrées, usines) inutiles, inexploitables, vite dégradées, furent construits par le Nord aux frais desdits PTM. Par exemple, Pourquoi ? Parce que les pays riches pouvaient ainsi fourguer leurs machines et autres biens d’équipement, leurs ingénieurs notamment en BTP, toucher des intérêts sur les prêts, engranger des bénéfices le cas échéant quand l’installation était utile et propriété des investisseurs extérieurs, placer leurs avocats,leurs experts, etc. moyennant finances juteuses. Ainsi, la domination des pays riches pouvait continuer, comme la guerre à la place de la politique, par d’autres moyens.
Dans les années 80-90, le Nord ne s’embarrassa pas de scrupules pour conserver un accès peu coûteux aux richesses des PTM. Il suffisait de faciliter les exactions de dirigeants faciles à corrompre. Des concessions, des marchés, des productions étaient fournis aux pays riches, souvent ex-coloniaux, contre des liasses de beaux dollars données à des Mobutu, des Suharto, des Pinochet, ou autres Amine Dada. Des pourcentages des bénéfices leur étaient rétrocédés. Ces sommes partaient directement en Suisse ou autre paradis fiscal. En retour complémentaire, ces régimes pourris faisaient des petits cadeaux aux dirigeants occidentaux (les diamants de Giscard offerts par Bokassa) et finançaient leurs partis politiques avec des « rétro-commissions » occultes sur les passations de marchés. L’affaire ELF en est une parfaite illustration.
Parallèlement, les dictateurs maintenus en place par les occidentaux ou tolérés au nom des affaires, devaient assurer leur sécurité contre la révolte des peuples saignés à blanc par le double détournement de leurs richesses (par leurs dirigeants et par les pays riches). A cette fin, ils achetèrent des armes (la France est un éminent vendeur d’armes...), ce qui augmenta la dette et donc la domination occidentale. C’est pour ces raisons que le plus clair de la dette est odieux, quoique cette politique fut lancée sous la bonne vieille françafrique de Foccart, puis du fils de Tonton, dit « papamadit ». Avec cette emprise, les « éléphants blancs » continuèrent. Ainsi en est-il de la construction du barrage Inga II au Zaïre à la fin des années 80, dont 6 turbines sur 14 fonctionnent car le site s’est ensablé, ce qui fait que la capitale, Kinshasa, est toujours victime de coupures de courant. La centrale nucléaire de Bataan aux Philippines, construite par le rosbif Westinghouse moyennant 17 millions de dollars US versés au dictateur Marcos, n’a jamais fonctionné : elle est construite sur une ligne de faille sismique !
Depuis les années 90, se joue une autre musique, complémentaire et non-exclusive des prédations précédentes. La libre circulation des capitaux, le libre-échange propulsé par l’OMC, la mondialisation de la finance, le triomphe de l’idéologie libérale et de ses pratiques, ont changé les règles de l’harmonie. Déjà très endettés, les PTM rencontrèrent des difficultés de remboursement et de déficit budgétaire accrues. Les IFI, comme condition de leur renflouement, les soumirent à des « ajustements structurels » fondés sur le « consensus de Washington ». Il s’agissait de supprimer les prix subventionnés (eau, électricité, pain), de privatiser les services et les entreprises publics, de diminuer les dépenses sociales, de s’ouvrir au commerce international en baissant les droits de douane et les subventions à l’exportation, de faciliter l’entrée et surtout la sortie des capitaux (investissements des multinationales et rapatriement de leurs bénéfices, droit des capitaux à quitter le pays immédiatement en cas de crise) afin de rétablir les équilibres budgétaires et commerciaux et de retrouver une capacité de remboursement des prêts. Grâce à la libre circulation de l’argent, les nationaux des PTM purent placer leurs capitaux à l’étranger ou les sortir du pays sans problèmes, ce qui accroît très vite la pénurie de liquidités dans le pays (cas de l’Argentine en 2001 et de l’Asie lors de la crise de 1997).
Ce chantage est évidemment une autre forme de domination. Pendant ce temps, grâce à ce chantage, mais surtout grâce au libre échange généralisé et à la liberté totale des capitaux, qu’il a permis d’installer, les multinationales purent investir dans les PTM : sweat shops, usines de montage, rachat des entreprises publiques ou des mines privatisées, achat de forêts qu’elles dévastèrent, achats de considérables plantations de denrées exportables, etc