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Philippe Coutant
Une femme à l’Elysée, l’amour toujours !
Chronique d’une élection annoncée
Article mis en ligne le 28 février 2007

Les élections présidentielles sont déjà dans toutes les têtes.
Le refus de Sarko le fascho nourrit les inquiétudes et va certainement favoriser
l’élection de la première femme présidente de la république. Parmi les raisons,
qui vont mener Ségolène Royal au trône présidentiel, une mérite d’être
développée, elle n’est évoquée presque nulle part. Cette argumentation s’appuie
sur les analyses de Pierre Legendre [1]reprises et développées par Christian
Geffray [2]

L’hypothèse principale de cette approche est la suivante :

Dès leur enfance, les humains échangent leur soumission contre une place et un
discours, qui donne sens à leur existence.

Ce processus est inconscient et recouvert par les croyances élaborées par les
humains pour parler de l’origine des sociétés. La soumission sans contrainte est
la règle générale et non l’exception. C’est un postulat indémontrable à priori,
mais a posteriori l’étude de ses conséquences prouve la justesse et la
pertinence de cette hypothèse.

Ce constat, c’est un invariant anthropologique, le juger mauvais sur le plan
moral ou politique ne mène à rien. Il est scandaleux, si on pense que les
humains sont libres par nature. Il signifie simplement que la liberté est une
conquête, très souvent partielle et éphémère. La liberté est un résultat, pas un
attribut de l’être, seule la possibilité de liberté existe. Ce n’est pas une
propriété hors le temps et l’espace, elle existe toujours dans une situation
précise.

La soumission sans contraintes est un dispositif que l’on peut analyser
après-coup. Il fonctionne avec le regard, les images, l’émotion et les affects,
le désir comme le note Dominique Quessada dans son livre sur la politique de la
publicité [3]

On peut comprendre, de ce point de vue, l’importance du discours et des
pratiques discursives relevées par Michel Foucault. Les discours sont liés à des
agencements relationnels entre les humains. Le pouvoir asymétrique n’est pas
spécialement lié aux qualités des personnes en situation de pouvoir. Il
fonctionne avec des dispositifs précis. Le pouvoir se dissémine partout dans la
société. Même parmi les personnes victimes de l’apartheid social, les situations
de pouvoir se développent et se reproduisent. C’est notamment la base du
féminisme et de l’anticolonialisme depuis assez longtemps.

La soumission sans contrainte fonctionne donc avec des maîtres, petits ou
grands. Le maître se trouve au sommet du dispositif, il distribue les places et
énonce un discours sur la vie. Ce maître peut être le père de famille, le
président d’un pays, le chef religieux, le roi, le leader politique, le
capitaine ou le coach de l’équipe sportive, etc.
Les maîtres changent, les discours sociaux, qui les accompagnent aussi. Dany
Robert Dufour appelle cela les "Grands sujets" [4]

Dans ce fonctionnement, les dominés/ées et les maîtres sont liés les uns aux
autres par un attachement en rapport avec le désir. Les maîtres sont obligés à
l’amour des dominés/es. Cet amour, les dominés/ées en ont besoin pour être
reconnus/es et supporter la domination. Au travers des évolutions des sociétés,
la structure perdure.

Avec le capitalisme, un changement se produit. Les dominants ne s’intéressent
qu’au pouvoir pour l’argent (le capital). L’amour des dominés/ées n’est plus à
l’ordre du jour. Nous sommes passés/ées de la valeur des humains à la valeur des
biens. Jacques Lacan constate que le capitalisme évacue le sexe comme production
du désir. Dans cette nouvelle situation, nous avons des dominants et plus de
maîtres. L’amour des dominés/ées est en panne et c’est devenu une source de
problèmes. La reconnaissance ne fonctionne plus selon le mode ancien.

La production de discours (Michel Foucault) n’a plus de consistance, la post
modernité développe une pensée molle, ce que relève Jean-Pierre Le Goff à propos
de la pensée "chewing gum" des managers
 [5]

Le ciel est vide, toutes les théories qui légitimaient les maîtres ont fait
faillite. La position en extériorité de Dieu, des rois, des pères morts ne peut
plus justifier l’ordre social fondé sur l’inégalité.

La quête d’amour des dominés/ées est une errance douloureuse, dont se foutent
complètement les dominants actuels. Pourtant, il est maintenant clair que le
bonheur humain est lié au désir et pas seulement à la distribution des biens
(l’exploitation de la plus value du marxisme, des syndicalistes révolutionnaires
et autres radicaux anti-capitalistes), ni uniquement à l’émancipation (la
domination de l’individu par l’institution collective des anarchistes, des
libertaires et autres anarcho-syndicalistes). Le bonheur humain a une exigence
désirante. Comme les capitalistes ne sont plus des maîtres au sens ancien du
terme, on ne sait plus ce qu’être humain veut dire.

Le rapport à l’autre devient un problème récurent, l’être ensemble on ne sait
plus trop ce que c’est, l’existentiel est très souvent lié au désarroi et à la
détresse, le désir est en panne pour beaucoup de gens.

C’est ce contexte, qui explique pourquoi Ségolène Royal a de fortes chances
d’être élue présidente de la république, elle sera élue parce qu’elle promet de
l’amour. Elle écoute et elle prône l’empathie ...

Sarko, lui, promet la schlague, la punition. Cela peut convenir à des
personnalités autoritaires en demande de surmoi social, en quête de pureté. A ce
jeu là, Le Pen reste toujours le plus fort.
Nous, nous ne voulons plus de la domination, nous refusons d’être dominés/ées ou
d’être des dominants. Ce souhait est à nuancer, puisque l’idée libertaire
continue d’abriter des dominants et des dominés/es. Notre désir est incertain,
peu sécurisé, obligé de se recomposer régulièrement, le doute est souvent
présent.

L’avenir semble plus ouvert aux femmes. Elles représentent la modernité et une
solution à des démocraties en voie d’épuisement. Les femmes accèdent aux hautes
fonctions en Allemagne, au Chili, au Libéria, au Medef ...
François Hollande a redonné vie au PS moribond en soutenant Ségolène. C’est une
énarque, elle a été ministre et pourtant on ne la voit pas comme telle, alors
qu’elle est bien intégrée à la classe dominante. Elle reçoit l’espoir des
dominés/es, elle l’accepte et ça marche. Elle désamorce les critiques avec calme
et son sourire est là pour nous et visiblement beaucoup de gens aiment cela.
C’est une femme moderne, une mère qui assure, suffisamment bon chic bon genre
pour faire rêver.

De plus, une femme élue à l’Elysée, c’est symboliquement fort.
Voilà pourquoi, il est fortement probable que Ségolène Royal soit élue
présidente en France. En ce qui concerne l’écart avec ses prédécesseurs, il n’y
a pas photo.

Pour ma part, je tiens à préciser que je ne suis pas ségoléniste, ni royaliste.
Mon but n’est pas de faire voter ou pas pour Ségolène Royal, mais d’essayer de
comprendre ce qui nous arrive, aussi bien localement qu’au niveau hexagonal,
pour ensuite construire collectivement des réponses adaptées.

Philippe Coutant, Nantes le 3 Janvier 2007


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