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L’Algérie au milieu du gué : et maintenant ?
Georges Riviere
Article mis en ligne le 19 mars 2019

Alger, le 18 mars 2019

Derrière la façade d’une cité redevenue étonnamment calme, l’Algérie est en pleine effervescence. La question qui est sur toutes les lèvres, sans doute à la veille de nouvelles grandes mobilisations populaires, « et maintenant ? ».

Le pouvoir est silencieux et immobile, n’ayant pour l’instant que changé de premier ministre, et se montrant prêt à toutes les tergiversations pour se maintenir en donnant l’illusion de l’ouverture. Il gagne du temps, faisant monter la pression et laissant libre court à toutes les supputations : Bouteflika serait mort depuis longtemps, son clan achèverait de vider les caisses et de faire disparaître les preuves avant de partir (ce que dit aussi Mustapha Bouchachi, un avocat réputé ancien de la Ligue des droits de l’homme). Les ministres sont toujours en place. L’anti-constitutionalité de « l’étirement ubuesque » d’un mandat 4+ n’a pas reçu de réponse. Le vice-premier ministre va à l’étranger (en Russie) chercher les soutiens qu’il a, semble-t-il, déjà obtenu du gouvernement français. Le premier ministre et ancien ministre de l’intérieur (sic) essaie en vain d’impliquer – et de compromettre - des acteurs du mouvement dans une « grande concertation » attrape gogo (cela ne vous rappelle-t-il rien ?). Le « président » ne parle pas mais fait des lettres. Bref, c’est une guerre des tranchées qui ne peut durer qu’un court moment.

Les partis d’opposition (sociaux-démocrates du FFS, libéraux du RCD, trotskystes du PT ou du PST, fractions ex-communistes MDS, PLD), les syndicats autonomes, après avoir manifesté leur extrême réserve vis-à-vis du mouvement à sa naissance lui ont emboité le pas. Leur rejet par la jeunesse leur fait adopter profil bas par crainte d’être accusés de récupération. Il faut reconnaître que leur incapacité structurelle de s’entendre sur un « smig démocratique », y compris pendant la sinistre période de la « décennie noire », tout autant que leurs postures idéologiques et langagières très vieillissantes, ne leur donne pas beaucoup de crédibilité. Des dirigeant.e.s critiques comme Louisa Hanoune ou Saïd Saadi n’ont pas été bienvenu.e.s dans les manifestations.

Du coté « politique informelle » les réunions pullulent, des plateformes émergent çà et là venant d’on ne sait vraiment qui, des coordinations, des regroupements auto-décrétés de salut national surgissent - sans que l’on puisse vraiment démêler la part du recyclage, de la diversion ou de la véritable réflexion - expriment sur internet ou dans la presse la volonté de créer une transition (y compris pour certains avec les islamistes). Le gouvernement a même recruté des informaticiens pour intoxiquer les réseaux sociaux avec des rumeurs qui décrédibilisent les personnes susceptibles d’émerger, en créant des pages de faux opposants. Sur internet ce qui va dans un sens peut immédiatement se tourner en son contraire. Il y a beaucoup de suspicion héritée de l’expérience historique et le temps qui passe, en créant une ambiance délétère, n’est pas forcement en faveur du mouvement social.

Mais, réellement, du coté social les groupes sociaux, syndicats, médecins, juges, journalistes, universitaires, étudiants et lycéens – qui ont refusé « la main tendue » du pouvoir – manifestent et se coordonnent.

Car chacun ressent que l’Algérie doit sortir de l’impasse. Le tout est de savoir comment et par qui. En tout cas pas par le pouvoir. «  C’est pourquoi la classe politique actuelle doit être dissoute (…) C’est au peuple en marche et à lui seul que revient de définir les modalités de représentation de ses délégués et de choisir ses représentants, en dehors de toute pression » (Mustapha Hadni dans le quotidien El Watan)

Un consensus se dessine, de façon encore désordonnée : il n’y aura pas de mandat 4+ ni d’élection présidentielle avant qu’il n’y ait une désignation consensuelle de personnes incontestées, une sorte de Comité des Sages (des noms circulent). Celui-ci devra choisir des experts « qui questionnent plus qu’ils ne guident, qui analysent plus qu’ils n’encadrent » (idem) et qui feront des propositions en vue d’une Constituante.

Je joins ici l’appel important d’un collectif d’associations et de syndicats engagé.e.s depuis des décennies dans le combat démocratique. Il éclaire le débat en cours.

La question aujourd’hui est : comment y arrivera-t-on ? Avec qui ? Et y arrivera t-on ?
D’aucuns, en sourdine, expriment la tentation, par désespoir, de faire appel à la seule force organisée : l’armée.

Dans l’espoir d’une révolution à la Portugaise ?

Georges Riviere
Alger, le 18 mars 2019