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Der Untergang ou La Chute… d’une Nation
Article mis en ligne le 17 novembre 2016
dernière modification le 29 octobre 2023

Toute idéologie nationale se construit sur un double postulat : l’existence du peuple comme entité et de son unité ontologique autour d’un principe fondateur qui varie selon les formations historiques du subjectif ("le vouloir vivre ensemble" cher à la France) à l’objectif (la langue pour l’Allemagne depuis le fameux Discours à la Nation Allemande de Johann Gottlieb Fichte en 1808). Bien sûr ces principes sont soumis, dans leur application, à bien des distorsions pour répondre aux exigences politiques du moment, pour tenir compte des difficiles équilibres [1] Mais malgré ces arbitraires, une fois constitué, le peuple uni doit pour exister nier toutes les divisions, transcender toutes les contradictions : les antagonismes ne peuvent être portés que par des éléments allogènes, par l’étranger dont le pire se cache au sein du peuple et qu’il convient de démasquer. Ce sont les nobles et le haut clergé, tous des immigrés de Coblence en puissance, qui n’ont pas compris que la République avait définitivement aboli les privilèges. Ce sont les spéculateurs financiers qui ruinent le travail des entrepreneurs nationaux dans la version pétainiste. Spéculateurs non nationaux car apatrides bien évidemment.

En Allemagne, le nationalisme porté à son paroxysme a précipité la Nation allemande dans le gouffre de l’histoire. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne détruite doit se reconstruire dans la division car il existe désormais deux Etats allemands. A l’Ouest, une république fédérale, à l’Est, une république démocratique et socialiste… Les deux nouveaux Etats ont en commun d’avoir à élaborer une nouvelle identité collective qui tienne compte d’un passé commun mais monstrueux. La partition étant incompatible avec le concept même de Nation, chacun des deux Etats déniera à l’autre toute légitimité.

Deux mythes antagonistes, fédérateurs et forcément simplificateurs vont être forgés pour cimenter ces nouvelles entités nationales tout en les distinguant radicalement. A l’Ouest, un travail de mémoire considérable sur la culpabilité est entrepris. Après la catharsis procurée par le procès de Nuremberg, l’unité se construit dans une culpabilité décrétée collective : tous coupables mais uniquement d’avoir donné ensemble le pouvoir au monstre. Dans sa naïveté ou son immaturité démocratique (la République de Weimar n’avait pas quinze ans) et dans les souffrances réelles d’une reconstruction chaotique (le désordre insurrectionnel de l’immédiat après-guerre, "le diktat" de Versailles et la crise de 29), le peuple a été abusé par des démons, il en a été la victime [2]. L’idée devenue commune qui fait de l’accession d’Hitler au pouvoir le résultat navrant d’un processus démocratique est consubstantielle au mythe de la culpabilité collective : c’est le peuple [3] – conformément à la fiction fondatrice de la démocratie - représenté par la majorité qui dit l’intérêt général, qui a élu Adolf Hitler. Le Joseph Goebbels de Der Untergang rappelle à plusieurs reprises, comme un idéologue de la RFA, que le peuple a choisi son sort et donc qu’il est responsable de son destin tragique. Le docteur Goebbels tient le même discours que son maître : Hitler, toujours dans Der Untergang, inflexible rejette la demande d’évacuation des femmes, enfants, vieillards et blessés car le peuple "habe sein Schicksal selbst gewählt und hätte nichts anderes verdient" [4]. Construction idéologique qui, non seulement, confère une légitimité démocratique indue aux nazis mais occulte bien évidemment la complexité du processus qui a conduit Hitler à la Chancellerie : une guerre civile ouverte ou larvée depuis l’armistice avec la terreur dans la rue exercée par des groupes paramilitaires, une crise économique sans précédent (il reste encore plus de 6 millions de chômeurs en 1933), une instabilité parlementaire endémique liée à la représentation proportionnelle qui n’arrive pas à dégager de majorité stable (8 élections entre 1919 et novembre 1932 pour élire les députés au Reichstag, une quarantaine de partis ont présenté des candidats aux élections du 6 novembre 1932 et 19 ont obtenu des sièges), le rôle funeste d’un Président monarchiste et hostile à la République, son choix, après trois mois de tractations et d’atermoiements [5] , comme chancelier du chef du parti majoritaire au Reichstag certes mais avec seulement 1/3 des suffrages exprimés et face à lui une gauche divisée qui n’a pas su s’unir devant le danger [6] … Accession légale au pouvoir certes mais nullement démocratique et, a fortiori, encore moins, un "régime fanatique porté triomphalement au pouvoir" . [7]

Cette qualification de l’accession d’Hitler au pouvoir est utilisée à des fins discursives multiples et contradictoires. Les théoriciens libéraux qui se méfient de la démocratie ne manquent jamais d’exploiter "l’élection" d’Hitler :
"La démocratie peut même constituer une lourde menace pour les droits individuels, comme en atteste, à titre d’exemple emblématique, l’élection au suffrage universel du chancelier Hitler, en 1933." [8]
De même, toujours sceptiques par rapport au processus électoral, les anarchistes l’utilisent aussi comme effet repoussoir :
"En janvier 1933, Hitler, après avoir remporté les élections, devient chancelier."
"Les camps de concentration furent créés par les dirigeants du IIIe Reich, dès leur arrivée au pouvoir en 1933 (par le biais des élections, ne l’oublions pas)…" [9]
Enfin, ceux qui tiennent à la culpabilité du peuple allemand ne manquent pas également de le rappeler à la manière de Jacques Mandelbaum. Ainsi, répondant aux déclarations du Pape à Auschwitz (Cf. la note 2), on peut lire sous la plume de Jacques Attali :
"Cette thèse, qui exonère ce peuple de sa responsabilité pour en faire une victime du nazisme, n’est plus défendue par aucun historien. Tous reconnaissent que l’antisémitisme est profondément inscrit dans l’histoire allemande ; que les électeurs connaissaient les projets d’extermination de Hitler lorsqu’ils l’ont porté démocratiquement au pouvoir ; qu’ils ont ensuite très massivement approuvé les mesures antisémites appliquées de 1933 à 1938 ; et que l’immense majorité des juifs assassinés l’ont été par les armes individuelles des soldats et des gendarmes allemands, entre 1940 et 1942, et non par les usines de mort nazies, mises en place ensuite."

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