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Christiane Passevant
Jacques Ellul. L’homme qui avait (presque) tout prévu
Jean-Luc Porquet (Cherche Midi)

Article mis en ligne le 8 juillet 2012

Juriste, historien et sociologue, Jacques Ellul porte de toute évidence un discours à contre-courant de la pensée unique. Moins connu en France qu’aux Etats-Unis — pour mémoire, Aldous Huxley a fait traduire et publier son livre, La Technique ou l’enjeu du siècle —, Jacques Ellul a eu le tort de dire « Non à cette société occidentale qui se laisse hypnotiser par le mythe du progrès alors qu’il voit en elle la victime d’une régression, et d’une négation de [l’être humain]. » Le tort aussi « de dire haut et fort son anticommunisme à une époque où ça ne se faisait pas. D’afficher sa foi. […] De se revendiquer de l’anarchisme. Et surtout de passer la technique à la moulinette de sa pensée critique. » Du coup, le voilà catalogué « comme antitechnicien primaire, ennemi du progrès, affreux rétrograde. »

Chercheur et penseur atypique, Jacques Ellul l’est certainement avec la volonté d’assumer ses contradictions et, toute sa vie, d’essayer « autre chose ». Il a analysé les implications des découvertes technologiques, en a prévu et anticipé les conséquences graves, les crises alimentaires, le réchauffement climatique, la pollution et les dangers de l’enfouissement des déchets nucléaires. Son influence est notoire sur le mouvement écologique, dont il est l’un des précurseurs, de même qu’il est à l’origine de l’idée de décroissance. « Persuadé que la technique mène le monde (bien plus que le politique et l’économique), [Ellul] a passé sa vie à analyser les mutations qu’elle provoque dans nos sociétés, et la tyrannie qu’elle exerce sur nos vies. »

Dans son ouvrage, Jacques Ellul. L’homme qui avait (presque) tout prévu, Jean-Luc Porquet retient vingt idées fortes basées sur la « thèse
de l’autonomie » qui « constitue une base à partir de laquelle [il est
possible de] saisir le monde. » Le pessimisme actif et la lucidité sont nécessaires pour prendre conscience de l’aliénation subie et, dans un contexte d’actualité particulièrement inquiétant, de passer à la révolte.
« Mes livres appellent à une prise de conscience individuelle [et] n’auront
de portée que si cela débouche sur des actions de type collectif. »

Jacques Ellul n’a pas de grand projet révolutionnaire, il s’en méfie.
« On a un beau plan, qui est utopique, et on en reste là, parce qu’il n’y a jamais aucune action concrète, aucune tactique qui engage sur le chemin de la réalisation. L’utopie, c’est l’achèvement de la mort de l’homme. » Sévère jugement, en revanche, il s’agit de sans cesse se questionner
sur le système technicien qui tente de nous asservir. Pour cela, il faut
« changer notre regard. Opérer un renversement de valeur ».
Quant à se demander si « le progrès est bon ? Non, le progrès nous a échappé. Et nous menace. Non seulement il est en train de ravager notre biosphère (et pour la première fois dans l’histoire humaine, il importe plus de préserver le monde que de le transformer), mais il inscrit l’injustice au cœur du monde : chacun sait [et chacune] que jamais le reste de l’humanité ne pourra bénéficier de l’abondance qu’il nous procure, à nous autres Occidentaux [et Occidentales]. »