Sous la pression des activités humaines, l’état de santé de la planète se dégrade à un rythme effréné et contribue ainsi à renforcer les inégalités.
Les ressources naturelles se raréfient, la biodiversité s’érode, les sols s’artificialisent, les pollutions chimiques et toxiques s’accentuent, la qualité de l’eau se dégrade et les déchets s’accumulent. Certains sujets majeurs ont émergé (changement climatique, risque nucléaire, OGM) et l’urgence écologique est une réalité que les indicateurs scientifiques nous rappellent chaque jour. Et si les gouvernements successifs lâchent gracieusement quelques « mesurettes », à l’évidence, un changement radical de système politique s’impose.
1. La démocratie représentative incompatible avec l’impératif écologique
En tant que socle organisationnel de nos sociétés, le système politique porte une immense part de responsabilité. Il est pourtant rarement remis en question. La plupart des pays qui dirigent le monde (G8 et G20) se revendiquent des démocraties. Dites « représentatives », elles basent leur fonctionnement sur la désignation par les citoyens d’élus censés appliquer un programme et les représenter dans l’exercice de leur pouvoir. Pourtant, elles contribuent lourdement à favoriser un modèle écocide dans lequel règnent le culte de la croissance et de la consommation illimitée.
La recherche des solutions aux problèmes écologiques se situe dans le cadre du marché. Les frontières artificielles (États, accords commerciaux, etc.) de même que la vision court termiste (élections) sont en décalage avec les enjeux écologiques qui sont transfrontaliers et requièrent une approche de long terme. Les logiques corporatistes et partisanes l’emportent sur l’intérêt général et la préservation des biens communs. Pour décrire cette situation, Hervé Kempf préfère utiliser le terme oligarchie [1] qui définit un système politique dirigé par une classe dominante en l’occurrence les responsables politiques et économiques, le monde de la finance et les médias.
2. L’illusoire démocratie participative
Afin de pallier aux lacunes de la démocratie représentative, des voix s’élèvent afin d’instaurer une démocratie plus participative. Des dispositifs et procédures sont imaginés de manière à impliquer plus fortement les citoyens dans la vie politique et les prises de décision, comme par exemple la mise en place de processus délibératifs (ex : conférences de citoyens), l’accentuation du rôle des associations environnementales dans les institutions, la création de nouvelles instances (ex : nouveau Sénat, académie du futur) [2], etc.
Mais il ne s’agit bien souvent que d’aménagements à la marge qui ne résolvent en rien les ravages du système en place. Le Grenelle de l’environnement est un exemple concret et récent d’un processus participatif dont on connait les résultats désastreux [3]. Même une démarche améliorée perdrait rapidement de sa pertinence puisqu’au final les décisions importantes reviennent aux oligarques.
Pire encore, la « légitimité » des décisions prises rend difficile toute contestation puisque des représentants de la « société civile » y sont associés et que la « démocratie » de ce fait en sortirait grandit.
Il est particulièrement intéressant de noter que les promoteurs de la démocratie participative sont rarement anticapitalistes. Sur ce point,
citons André Gorz pour lequel si l’on introduit l’écologie dans le capitalisme, « fondamentalement, rien ne change » [4].
3. Une issue possible : l’écologie libertaire et la démocratie directe
Si la démocratie représentative et son corollaire la démocratie représentative ne répondent pas aux périls écologiques et aux
inégalités sociales, il est toujours utile de se (re)tourner vers l’Histoire,
pour examiner d’autres voies, notamment celle de la démocratie directe. Certes, elle ne date pas d’aujourd’hui et fut pratiquée dans l’Antiquité,
à Athènes au VIe siècle avant JC, mais de manière imparfaite car elle excluait entre autres les femmes et les étrangers. Elle resurgit ensuite
grâce au mouvement anarchiste de la fin du XIXe siècle (la Commune
de Paris). Sur le sujet de l’écologie, deux précurseurs qui sont aussi des géographes : Elisée Reclus et Pierre Kropotkine.
Il s’agit d’envisager la démocratie directe non pas comme un simple processus décisionnel mais comme un véritable système politique, un
projet de société global initié par les populations et visant à leur
autonomie [5]. Il serait inopportun ici d’en plaquer un modèle prédéfini et catégorique puisqu’il devra s’autodéterminer par les concernés.
Néanmoins, une esquisse avec quelques principes fondamentaux
peuvent être mis en avant.
A. Small is beautiful
L’échelle géographique à laquelle s’instaure la démocratie directe est essentielle pour fonctionner. Elle ne peut objectivement s’appliquer
sur un vaste territoire mais plutôt sur un espace réduit avec un
nombre d’habitants restreint : quartiers, communes, bassins de vie,
« pays », etc. Ainsi, Kropotkine place les « communes
autosuffisantes » au cœur de sa réflexion politique tout comme Lewis Mumford et ses « communautés locales » puis Murray Bookchin et
son « municipalisme libertaire ». L’essentiel est que cet espace soit communément admis comme une entité cohérente dans laquelle
chacun se retrouve. La notion de proximité entre les individus est
un gage de décision concertée et de résolution des conflits.
Les frontières administratives sont supprimées pour laisser place
à une organisation basée selon les réalités naturelles (insularité, forêts, vallées, lignes de crêtes, etc.) ou culturelles (langue).
B. Les assemblées populaires décident
En démocratie directe, les décisions collectives se prennent lors de débats publics lorsque la communauté se réunit en assemblée. Il ne s’y exerce aucun rapport hiérarchique entre les individus ou les groupes et les choix s’opèrent en toute transparence. Dans le meilleur des cas, les décisions
sont prises à l’unanimité ou, s’il s’exprime des réticences, au consensus.
Le vote peut constituer un ultime recours lorsque le consensus devient impossible.
Pour des questions d’organisation et de répartition des tâches, il peut s’avérer nécessaire de désigner des mandatés par consensus ou tirage au sort. Ceux-ci sont porteurs de mandats impératifs, régulièrement contrôlés et révocables par l’assemblée.
Certaines luttes récentes, telles que le camp climat à Notre Dame des Landes ou les collectifs anti huile et gaz de schiste, ont souhaité
fonctionner selon ces principes autogestionnaires.
C. Des organes de production autogérés
Pour subvenir aux besoins de la communauté locale (alimentation, habitat, transport, etc.), les grandes structures productivistes centralisées sont remplacées par des petites unités de production qui basent leur activité
sur la valeur de l’usage et non pas sur celle de l’échange. Un grand principe tel que « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins »
peut être adopté par l’assemblée populaire. Ces unités de production sont autogérées et régies par les valeurs d’entraide et de coopération telles qu’elles ont pu être décrites par Kropotkine [6].
D. Le fédéralisme comme mode d’organisation
Vivre en communautés locales ne signifie pas autarcie et isolement total. Les échanges culturels ou encore les voyages sont au contraire facilités puisque la notion de frontière n’existe plus. La démocratie directe suppose, rappelons le, la suppression de l’État. Mais, pour les questions qui nécessitent un traitement à une échelle plus globale comme le changement climatique ou la perte de biodiversité, les communautés locales autonomes ont la possibilité de s’organiser en fédérations ou coopérations renforcées dès lors qu’elles respectent les grands principes de la démocratie directe. Bookchin parle alors de « confédération de municipalités démocratisés ».