Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
Christiane Passevant
Les Vieux chats. Film de Sébastiàn Silva et Pedro Peirano
Article mis en ligne le 10 avril 2012

Sortie du film sur les écrans nationaux, le 25 avril 2012

Les Vieux chats [1]ou une journée très particulière dans la vie d’Isadora, vieille dame vivant dans un quartier chic de Santiago du Chili. Les vieux chats… Mais parce que ce sont eux qui règnent sur la maison et rythment la vie du couple que forme Isadora et son compagnon. Ils décident du début de la journée, ouvrent les portes, interrompent la lecture de l’un et le rêve de l’autre. Une domination tranquille, tacite et acceptée. Isadora est troublée par des "absences", elle est soudain entre rêve et réalité comme si le temps et la mémoire lui échappaient. Ces moments, elle les redoute et voilà que sa fille, Rosario, la prévient qu’elle arrive pour lui raconter son voyage au Pérou avec son amie, Hugo. L’annonce de cette visite achève de perturber Isadora, car les visites de sa fille laissent présager des drames et des scènes.

Et… l’ascenseur est en panne, comme d’habitude, ce qui rend Isadora prisonnière de son appartement.

Le pire est cependant à venir avec une Rosario décidée à faire déménager sa mère et la contraindre à vendre l’appartement qu’elle occupe depuis toujours. Rosario est égoïste, immature et s’estime avoir été mal aimée depuis l’enfance, donc profiter de la situation lui paraît tout à fait justifié. De plus, elle ne supporte pas les chats. S’ensuit une agitation et un enchaînement de scènes tout à la fois grinçantes, drôles et cruelles, ponctuées par les allées et venues de Rosario dans la salle bains pour sniffer de la coke, les règlements de compte virulents avec son beau-père, la résistance d’Isadora au chantage de sa fille et Hugo qui tente maladroitement de calmer les éclats de son amie… Avec des comédiens et comédiennes époustoufflant-es de naturel et de justesse.

Une comédie ? Un drame ? On ne sait plus, les deux sans doute. Une cruauté à fleur de jeu et des dialogues qui rebondissent d’affrontements en tentatives de concessions, dans l’attente d’un dénouement aigre. L’arrivée du fils et de la petite fille d’Isadora est aussi un grand moment. Le fils aîné, sûr de lui, veut calmer le jeu, mais il est en fait aussi indifférent aux problèmes de sa mère que l’est Rosario. Chacun et chacune dans son petit monde irréconciliable.

Sebastián Silva et Pedro Peirano ont conçu Les Vieux chats pour la très célèbre comédienne Bélgica Castro (Isadora), ils ont tourné dans son appartement, avec son compagnon et ses chats. Le film est construit comme un huis clos ou chaque scène est réglée de manière à évoluer vers une enfermement qui change de nature, mais va crescendo : la perte de mémoire, la panne d’ascenseur, l’inondation, l’incommunicabilité…

« Nous connaissions parfaitement les lieux et nous avons dessiné des croquis. Les déplacements des personnages étaient établis ; nous avons disposé des spots un peu partout dans l’appartement et installé un mini plateau de cinéma. Seuls les acteurs et nous-mêmes pouvions être présents, compte tenu de l’espace. Sauf pour les scènes avec les chats. Nous devions mobiliser pas mal de monde pour les pousser devant la caméra car ils se cachaient derrière le canapé. » Les chats sont pourtant les seuls qui paraissent être à l’aise dans cette histoire que les réalisateurs qualifient de « drame qui comporte des éléments de comédie ». Car ajoutent-ils, « il nous est impossible de ne pas intégrer de l’humour à nos histoires. D’autant qu’on s’attache ici au point de vue d’une femme âgée, ce qui n’est pas un sujet évident à traiter au cinéma. […] La situation est très triste mais drôle. »

Une mise en scène au cordeau pour un jeu exceptionnel des quatre protagonistes (et des deux chats magnifiquement filmés au ras du sol !) à la fois touchants, vulnérables et insupportables. Mais il ne s’agit pas pour autant de théâtre filmé, comme le soulignent les deux réalisateurs : « Nous avons multiplié les angles et les longues prises où l’on suit les personnages dans leurs déplacements. On a aussi eu recours aux gros plans sur les visages : ce sont des espaces infinis où se dessinent des émotions et les émotions n’ont pas de murs. Être dans les yeux de nos personnages aère le film. »

Les Vieux chats ou Famille, je vous hais ! est un film cruel et tendre à la fois, sans aucune illusion sur les liens familiaux conventionnels et faux, basés sur la frustration, la domination, le ressentiment et la culpabilisation… Un film qui, à part la parenthèse surréaliste et presque "enchantée" du jardin et de la fontaine qui apaisent Isadora, fait le récit de l’enfermement de la vieillesse et de la perte des repères.