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Nestor Potkine
Les Gladiateurs du dosimètre
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 11 janvier 2012

Vous avez déjà lu l’expression « les gitans du nucléaire ». Elle désigne ces travailleurs itinérants, chair à radioactivité, que les entreprises du nucléaires paient pour entretenir leurs centrales. « Entretenir », un joli mot. Réparer, nettoyer une centrale nucléaire signifie aller là où ça clique. Là où les dosimètres, ces appareils qui détectent et mesurent la radioactivité, s’affolent. Là où salaire signifie cancer.

Des milliers de personnes, en 2011, vivent ainsi. Trois semaines ici, deux mois là, un mois plus loin. Dortoir payé, transport payé, plateau-repas payé, un salaire parfois double de ce que ces travailleurs sans presque aucune qualification, ou sans qualification encore utile, peuvent espérer ailleurs.
« Salaire double » signifie, dans ce contexte, deux fois le SMIC. Je ne parle pas des gitans nucléaires français. Je parle de ceux qui, aujourd’hui, devraient s’exclamer, à chaque fois que le car vient les chercher,
« Ave Caesar, morituri te salutant » « Ave César, ceux qui vont mourir te saluent ».

Je parle des Fukushima 50. Ces gens qui partent par groupe de 50 nettoyer les centrales japonaises. Ne croyez pas que, pour les recruter, on passe de solennelles proclamations du premier ministre suppliant que l’esprit des samurais veuille bien revivre chez les prolétaires. Non, on passe de discrètes annonces dans l’équivalent japonais de Paris boum-boum pour un poste de technicien de surface (oui, vous savez, balayeur) itinérant. Drôlement bien, le travail : deux fois le salaire habituel, le gîte et le couvert payés. Quand on est dans la dèche, c’est Capoue, Capri et Byzance ! De fait, il s’agit bien de balayer. L’une des tâches les plus fréquentes consiste à absorber l’eau répandue sur le sol. L’éponger avec des serviettes. Le seul problème c’est que l’eau est hautement radioactive. Hautement. Les épongeurs de Fukushima ont déjà un mort. Les autres sont sur liste d’attente. Pas d’inquiétude, les sièges vont rapidement se libérer, sur Fukushima Airlines jamais de surbooking !

Le cynisme des autorités nucléaires est d’autant plus clair qu’ils savent très bien à quoi ils exposent leurs dupes ; en effet, le temps de travail dans les zones irradiées est strictement limité, chaque travailleur reçoit un dosimètre, chaque travailleur est contrôlé à la fin du job, et chaque travailleur reçoit un costume « approprié ». Ils savent. Ils savent qu’ils envoient des gens à la mort, une mort lente et atrocement douloureuse.
Ils prennent juste assez de précautions pour que les pigeons ne leur claquent pas dans les doigts, là sur les lieux, dans les dortoirs, mais chez eux, parce qu’ils reviennent chez eux quand ils commencent à être malades.

Chez eux ils ne seront plus qu’une statistique de cancérologie. Et, avant que nous ne passions aux choses sérieuses (oui, ce n’est pas fini…) notons que le costume approprié est une combinaison entièrement fermée. On a si vite chaud, et chacun sait que dans les zones irradiées des centrales nucléaires, il fait rarement froid, qu’on baigne dans sa sueur. Je n’utilise pas « baigne » métaphoriquement. L’un des témoignages dit expressément « j’avais atrocement peur de me noyer dans ma sueur ».

Mais ce n’est pas fini, ai-je prévenu. On peut donc faire pire ? Certes, et c’est la raison pour laquelle un physicien de mes amis m’a donné l’information, car il se souvient de ce que c’est qu’un burakumin. Bravo, vous avez deviné. La chair à canon est souvent recrutée parmi les burakumin. Rappelons que les burakumin (buraku= hameau, min= hommes, gens) sont la caste des intouchables japonais. Le Japon les utilise depuis des siècles pour les sales boulots. Sales selon le shintô, comme l’abattage des animaux de boucherie ou le travail du cuir. Prostituée ou yakuza sont deux autres carrières fréquentes chez les burakumin. Or, les yakuzas fournissent les travailleurs aux autorités nucléaires ! Par voie d’annonce comme nous avons vu, ou parce que lesdits travailleurs ont des dettes, les yakuzas travaillant aussi comme usuriers. Une belle chose que la liberté d’entreprise, la liberté d’entreprendre, la liberté de proférer des mensonges qui sont des assassinats, la liberté d’embaucher pour un travail mortel, la liberté de construire des geysers de mort qui dureront des siècles.