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Christiane Passevant
33e Festival international du cinéma méditerranéen à Montpellier
Un festival dans les révolutions
Article mis en ligne le 21 novembre 2011
dernière modification le 25 novembre 2011

Fidèle à sa tradition, le 33e Festival international du cinéma méditerranéen, CINEMED, a joué le rôle de découvreur de talents cinématographiques et s’est aussi fait l’écho des mouvements, des révoltes, des révolutions autour d’une Méditerranée élargie.

La grande surprise de cette année 2011 a été de mesurer combien le cinéma égyptien a anticipé les mouvements de la rue, cette rébellion spontanée qui a jailli à la suite du soulèvement de la Tunisie. Il se passe quelque chose du côté du Machrek, l’originalité des films en atteste,
comme le montre la volonté de filmer hors des codes habituels, comme « à l’arrache », à partir de scénarii structurés ou — pourquoi pas ? — en roue libre, en participation. Microphone de Ahmad Abdalla en est une belle illustration. Le cinéma se fait l’annonceur en quelque sorte, le révélateur d’un frémissement qui existait à l’état latent dans cette société, bien avant l’occupation de Midan Tahrir.

De jeunes réalisateurs et réalisatrices refusent d’être tributaires de subventions hypothétiques, se lancent dans des projets à petits budgets avec force imagination et réactivité pour contourner les difficultés techniques, bref le cinéma égyptien éclate dans un renouveau qui renoue avec un cinéma social, inventif, populaire, libre.

On peut, si on le désire, y voir une filiation avec les grands cinéastes égyptiens, comme Youssef Chahine dont on a restauré les copies de quelques-uns de ses plus beaux films [1], mais l’important n’est pas cette filiation supposée, c’est la fougue créatrice qui anime la jeune production égyptienne.

Les Femmes du bus 678 de Mohamed Diab — Prix des publics à Montpellier — a été ovationné par un public debout. Ce jeune réalisateur, concerné par la lutte pour les droits des femmes, pose un regard sur la société égyptienne, à la fois universel et imprégné de sa culture. On avait déjà pu voir dans ce même festival CINEMED, en 2009, deux films novateurs, un documentaire passionnant de Saad Hendawy, Sujet Tabou, enquête sur les violences faites aux femmes [2], et une fiction, Un-zéro, de Kamla Abu Zekri. Ces deux films traitaient de la même problématique, la conscience des droits des femmes dans une société patriarcale. Sujet Tabou l’abordait de front, comme Les Femmes du bus 678 de Mohamed Diab qui dresse en même temps un état des lieux sans concessions et une esquisse saisissante de la société égyptienne. Trois femmes refusent le diktat du silence face au harcèlement quotidien dont elles sont la cible, elles se rebellent et décident de répliquer. Comment ? Par tous les moyens possibles, physiques, juridiques, médiatiques. Ce film fait également le constat des différences de classes et des difficultés économiques de la population, anticipant ainsi les revendications du soulèvement dans lequel les femmes ont joué un rôle actif et majeur.

Cet aperçu du nouveau cinéma d’auteur égyptien s’est accompagné de beaucoup d’autres découvertes qui se faisaient aussi l’écho des mouvements, des revendications, des révoltes autour de la Méditerranée. Le documentaire de Bruno Bigoni, La Couleur du vent, au prétexte du périple d’un cargo, part de Barcelone et de la Révolution espagnole de 1936 pour créer un fil rouge entre les différents bouleversements autour de la Méditerranée, les conflits, les migrations, les ponts artistiques, si intensément présents dans la musique et les mythes.

Michel Ciment [3], critique à Positif et président du jury de l’Antigone d’or, a défini le CINEMED comme un festival rare faisant autant « redécouvrir le passé » que « mettre en lumière de nouveaux talents », un festival certes rare et atypique qui ne privilégie pas les grosses productions, sans pour autant les ignorer si elles sont de qualité. Cette année, l’Antigone d’or a été attribuée à un réalisateur palestinien israélien, Sameh Zoabi, pour Man without a Cell phone. Comédie à l’humour décapant qui, même si Zoabi se défend d’avoir réalisé un film politique, montre une situation de tension tout en la traitant par la dérision.

Les douze longs métrages, proposés en compétition, étaient d’ailleurs pour la plupart engagés dans une démarche sociale à des degrés divers, Terraferma d’Emanuele Crialese filmé sur l’île de Lampedusa et témoignant de la réalité de l’immigration clandestine ; La Sombra del sol de David Blanco, film libertaire et poétique sur les sans abris de Barcelone, les ombres dans le Barrio Chino ; The Enemy de Dejan Zecevic [4], pamphlet violent contre l’absurdité de la guerre ;

Monster’s dinner de Ramin Martin [5], film critique et outré sur les rapports humains, les convenances sociales et ses dérives totalitaires. Monster’s dinner est d’une originalité désarçonnante et fait songer au Fantôme de la liberté de Luis Bunuel, une très belle réussite de l’humour noir. Il est vrai que le Festival, chaque année, fait découvrir la richesse du cinéma turc, Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan, chef d’œuvre absolu, y était d’ailleurs projeté en avant-première.

Autre opus social, Senza arte né parte de Giovanni Albanese, qui décrit le licenciement d’ouvriers d’une usine de pâtes. Libéralisme, profit et faux artistiques, une comédie italienne dans la plus pure tradition. La superbe rétrospective du grand Pietro Germi permettait de goûter à nouveau des films comme Mes chers amis (en copie restaurée), le Chemin de l’espérance, Divorce à l’italienne ou encore Séduite et abandonnée avec Stefania Sandrelli qui accompagnait le parcours cinématographique de Germi. La présence de cette grande comédienne a été aussi l’occasion de voir un film inédit, Christine, Critina, qu’elle vient de réaliser sur une période de la vie de Christine de Pisan et de sa lutte pour les droits, inexistants à cette époque, des femmes. Jolie réussite pour un passage de l’autre côte de la caméra où elle dirige sa fille dans le rôle-titre.
Deux films israéliens, Le Jardin d’Hanna de Hadar Friedlich [6] qui est un constat d’échec de l’idée du kibboutz passé au crible du libéralisme et Melting Away de Doron Eran, critique de la famille et des interdits liés aux conventions sociales, en l’occurrence la transsexualité.

En figure tutélaire du cinéma espagnol, la présence de Ventura Pons — dont le nouveau film, Mille crétins, était dans la sélection panorama — et un hommage rendu à Catalan Film. Un autre hommage rendu à une artiste féconde, Andréa Ferréol, a donné la possibilité de voir ou de revoir plusieurs de ses films, dont le magnifique Zoo de Peter Greenaway.

La nuit en enfer et ses vampires méditerranéens ou la nuit des films cultes a été, comme d’habitude, une suite internationale de perles incroyables ou le doublage de certains films ajoutait encore au divertissement.

Les nombreux courts métrages sont peut-être le reflet le plus diversifié du festival, qu’il s’agisse du Troupeau de Asier Altuna, de Yasmine et la révolution de Karin Albou, de Rouge pâle de Ahmar Bahet, de Je pourrais être votre grand-mère de Bernard Tanguy [7], de Freedom de Khaled Hafi, de Mokhtar de Halima Ouardiri [8], de Brûleurs de Farid Bentoumi [9], ou encore de RF de Stavros Liokalos [10] et de Tiraillement de Najwa Limam Slama… Ils sont tous un écho des préoccupations autour de la Méditerranée.

Quant aux documentaires présentés, ils prouvent que sur grand écran, cette production cinématographique nourrit la réflexion. My Land de Nabil Ayouch porte un regard différent sur l’exil des Palestiniens ; Quand tout le monde dort de Erdem Murat Çelikler est l’histoire d’un chauffeur de taxi qui photographie les sans abri, la nuit, dans les rues d’Istanbul ; Cinema Komunisto de Mila Turajlic mêle cinéma et politique ; Will There be a theatre up there ? de Nana Janelidze [11] retrace le destin d’un comédien géorgien et de sa famille pris dans les tourments du nazisme, puis du stalinisme ; Les Tortues ne meurent pas de vieillesse de Hind Benchekroun et Sami Mermer donne la parole à trois « anciens », un pêcheur, un musicien, un aubergiste ; La Fin de la
fugue
de Albert Solé suit Miguel Nunez dans sa lutte pour une mort dans la dignité ;

Femmes du Hamas de Suha Arraf, entre lutte et militantisme, le portrait de quatre Palestiniennes à Gaza ; le magnifique et très original Angst de Graça Castanheira qui a reçu le Prix Ulysse.

Ce qui a caractérisé le 33e festival, c’est encore une fois le choix ouvert tant sur les nouvelles productions que sur les rétrospectives, les hommages et les diverses thématiques. Une belle démonstration que la forme et le fond peuvent être au rendez-vous pour le plaisir du public qui répond à cette démarche. Il est en effet présent, attentif, critique et passionné. La Méditerranée n’a pas fini de générer des rêves, des opportunités de rencontres et d’échange.


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