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Boris Leonardo Caro
Cuba. Sexe à la Havane
Article mis en ligne le 16 novembre 2011
dernière modification le 29 octobre 2023

Ils se sont rencontrés au Vedado. Ils ont effectué le rituel d’initiation des fiancés citadins : Coppelia-Yara-Malecón. La brise de mer, la miraculeuse lumière de 18h, quand La Havane se transfigure et nous contemplons la plus belle ville du monde. Et puis…

C’est une vérité simple, ronde comme une pyramide égyptienne, dans la capitale cubaine les endroits pour faire l’amour sont rares. L’imagination fertile des amoureux improvisés leur permet d’inventer des temples de la passion : les parcs, les escaliers, les monticules de conifères, les obscurités polyédriques. La littérature non écrite de ces rencontres amoureuses furtives pourrait recueillir des histoires dignes d’un roman d’horreur.

Mais l’imagination n’a pas encore pris le pouvoir, et pouvoir dormir dans un lit avec des draps blancs est le nec le plus ultra des amoureux les plus communs. Mais, où ? Croyez-moi, ce n’est qu’une question d’échange de fluides.

Tristesses économiques

Il y deux jours jours, une amie m’a demandé : As-tu vu les visages des gens dans le bus quand ils rentrent du travail ? Oui, j’ai remarqué leur fatigue, le masque presque unanime de la tristesse, les rides qui révèlent les frustrations… la vie est dure, non ?

Il est difficile de montrer l’expression joyeuse d’une fille qui vient de fêter son anniversaire quand on a travaillé huit heures par jour ou plus. Après le retour à la maison, il faut préparer les repas, s’occuper de la famille, des corvées, la routine quotidienne. Bien sûr, il y a aussi du bonheur à éprouver dans le foyer.

Et je me demande aussi comment ce peuple obstiné – « fondu », comme on le dit en argot de la jeunesse – peut être efficace, productif, enthousiaste, dévoué et tous les autres qualificatifs qui abondent dans ce que l’on appelle les syndicats et les autres organisations politiques et de masse de notre société socialiste ?

Les économistes, qu’ils soient de carrière ou autodidactes, ont souvent évoqué la question des salaires. D’autres pointent la propriété des moyens de production, la relation directe entre les gains du travailleur et les profits de l’entreprise. Enfin.

Je pense qu’ils se trompent de cible. Le problème, n’est pas de gagner plus ou moins, ou d’avoir plus ou moins le sentiment d’appartenir à un marteau, à un ordinateur, à un climatiseur ou à une voiture. La question est simple, elle est face à nos yeux, mais nous ne la voyons pas.

Imaginez ce qui arriverait si tous ces gens qui reviennent du travail, ces personnes qui s’assoient le vendredi après-midi sur le mur du Malecon pour vivre une romance avec un collègue de bureau, pour flirter avec une cubaine gracieuse, avaient un petit endroit pour exprimer librement leurs désirs sexuels. Et je ne pense pas à un hôtel cinq étoiles, avec des chaînes étrangères, un jacuzzi ou d’autres inventions impérialistes. Prenons un exemple simple :

Une installation avec dix chambres climatisées avec des matériaux bon marché, une salle de bain, un matelas et un miroir (au cas où les fantasmes). En outre, avec un snack-bar avec des boissons nationales et à côté un mini-cabaret. Ca c’est la meilleure partie. Le spectacle serait présenté par des stars locales, des artistes de nos maisons de la culture, préparé par nos instructeurs d’art. Qu’en pensez-vous ?

Combien de visiteurs pourraient être réunis de cette manière ? Quelle belle promotion de la santé pourrait-on faire dans ces auberges d’un nouveau type ? Combien contribueraient ces activités au développement de la culture locale et, en général, de la tant désirée culture de masse ?

Mais ce qui importe vraiment c’est l’impact que cela aurait sur l’esprit de nos ouvriers, de nos techniciens et de nos professionnels. Après une journée de huit heures, de temps en temps, se permettre une escapade avec une compagne ou avec un compagnon (ou plus) à qui nous avons consacré des regards et des petites phrases compromettantes… Quelle joie !

Je peux imaginer les visages des gens dans le bus… Les sourires espiègles, les yeux brillants de désir et de satisfaction. Ensuite, il sera inutile de les haranguer pour qu’ils deviennent efficaces, ponctuels, pour l’effort collectif. Je prédis que la productivité va augmenter de 300%, et ça seulement dans les premiers jours.

Le plaisir de vivre.

Démographies impossibles

La population cubaine a diminué au cours des deux dernières années. Bien que le nombre de naissances a légèrement augmenté dans les deux derniers semestres, les experts n’ont toujours pas osé prédire une forte reprise de la natalité. En une vingtaine d’années nous sommes des dizaines de milliers de Cubains en moins sur cette île.

Quelle est la solution ? C’est une des questions qui se posent le plus ces derniers mois dans les salles et dans les bureaux du gouvernement.

Songeons à certaines des solutions possibles :

 Construire plus de maisons : Le pays a un déficit de 500 000 logements. À un rythme de moins de 50 000 logements par an, et sous la menace constante des cyclones, il est peu probable que ce problème soit résolu dans un proche avenir.

 Encourager les mères lorsqu’elles ont un enfant : avec la crise financière, l’État est à court d’argent comptant et trébuchant. Mettre en circulation plus de pesos serait contreproductif. Par ailleurs, avec les prix actuels, les premiers mois d’un bébé reviennent presque aussi chers que les pièces d’un avion de chasse F-16.

 Révolutionner les relations de genre : alors que les hommes cessent de ne pas aider les femmes à la maison, mais qu’ils prennent en charge toutes les tâches ménagères sur un pied d’égalité avec leurs compagnes. Mais c’est improbable, parce que le machisme sur ces terres est aussi vieux que le cri de Rodrigo de Triana.

Alors, que faire ?

Là encore, la solution est sous nos yeux, atteints de myopie en raison de tant de difficultés. Comment les gens vont avoir le désir des reproduire, je me pose la question alors qu’ils n’ont pas de lieux pour le faire ?

Si au lieu de marcher pendant des heures sur le Malecon ou de chauffer les moteurs dans un parc, sans pouvoir décoller vers les cieux du désir, les jeunes avaient un lieu calme, à prix abordables, où ils pourraient réaliser leurs fantasmes sexuels…

Si en plus, si au lieu de ces revues ennuyeuses sur papier gazette, il y avait une distribution de revues érotiques, avec des vidéos et d’autres gadgets capitalistes – dans la promotion du plaisir, nous l’admettons, le capitalisme est supérieur au socialisme -, que se passerait-il ?

C’est une question de statistiques. Les mathématiciens ne me démentirons pas. Si, par exemple, pour 1000 relations sexuelles, 20 finissaient par une grossesse désirée, de fait si 2000 relations avaient lieu, il y aurait 40 grossesses supplémentaires.

Quoi qu’il en soit… ce dont a besoin notre peuple c’est d’avoir plus de lieux pour exprimer son amour, des moyens plus efficaces pour encourager son imagination, afin de montrer à ses partenaires sa tendresse, pour partagerses passions fluides. Comme le dirait un ami très cher, qui n’a pas lu Freud mais qui l’a compris de A à Z, c’est cela que tout le monde veut. Cela ? Oui c’est cela même.