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Nestor Potkine
L’Or nègre (1)
Article mis en ligne le 16 novembre 2011
dernière modification le 16 octobre 2011

Imaginez tout l’or extrait depuis l’aube de l’humanité jusqu’à nos jours. Imaginez-le fondu en un seul cube. De quelle hauteur serait l’un des côtés du cube ?

20 mètres.

Seulement 20 mètres. L’or est un matériau extrêmement dense. Extrêmement beau. Suggérant l’éclat du soleil. Son étymologie se retrouve dans « aurore » et dans « auréole ». « Aur » comme dans « aurifère ».

Le monde capitaliste, officiellement, ne considère plus l’or comme une substance monétaire. Mais les habitants des pays capitalistes continuent à considérer l’aurore en barres comme l’épargne la plus sûre. D’autant qu’avec les crises boursières et financières successives dont les dernières années nous ont abreuvé, les crétins les plus crédules ont fini par comprendre que les vautours et les banquiers ont ceci en commun : ils volent. L’or n’a donc jamais été aussi demandé que depuis quelques années.

À ce point, que le marché de « l’or-papier » est devenu considérable. L’or-papier, c’est, officiellement, de l’or que vous achetez à une banque respectable. Vous ne le voyez pas, elle le garde pour vous. Pas de frais de coffre-fort. Pardon ? Il n’y a pas de banque respectable ? Ah, peut-être avez-vous raison : en 2010 Andrew Maguire, un trader spécialisé dans l’or, a affirmé au GATA, un comité anti-trust, que le marché de l’or-papier serait 100 fois plus gros que celui de l’or physique. En d’autres termes, que 99% des certificats d’or-papier sont du papier.

***

Bon, les banquiers sont des voleurs, rien de neuf là-dedans ; quid du titre de cet article « l’or nègre » ? Il s’agit du titre d’un petit livre de Camille de Vitry paru aux excellentes éditions tahin party (5 euros). Camille de Vitry a d’abord rencontré des sans-papiers, puis elle a entendu les coups de hache des gardes mobiles dans la porte de l’église Saint-Bernard. Très en colère, elle découvre que beaucoup des sans-papiers de Saint-Bernard venait du même coin, et répétait le mot « Sadiola. » Or Sadiola est le site d’une mine d’or.

Au Mali. Pays riche, comme chacun sait, dont les habitants disposent clairement de ressources suffisantes pour s’opposer aux multinationales minières. A Sadiola, 1500 personnes travaillent à ciel ouvert. A extraire quinze millions de tonnes de minerai par an. Quinze millions de tonnes. Attention. Le minerai, ce n’est pas l’or.

Il faut une, deux, trois tonnes de minerai pour obtenir quelques grammes d’or : la teneur va de 2 à 27 grammes d’or par tonne.
Comment tire-t-on deux grammes d’or d’une tonne de minerai ?

Par cyanuration.

Pour faire simple : l’or n’est dissous que par l’eau régale, un mélange d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique. Et par le cyanure. (Que les chimistes me pardonnent de parler en langage profane, mais je suis un ignorant complet en chimie et je n’ose pas me lancer dans le jargon). Le cyanure, dans l’eau.
On prend le minerai (bis : que les ingénieurs me pardonnent), on l’expose à beaucoup d’eau cyanurée. L’eau cyanurée dissout l’or, on la récupère, et, par un embrouillaminis de charbon ou d’électrodes, on en tire l’or.

L’eau cyanurée débarrassée de son or, qu’en fait-on ? Les boues de minerai par lesquelles l’eau est passée, des boues devenues hautement toxiques, qu’en fait-on ? Car le phénomène appelé « drainage acide minier » joue à plein. Les mines mettent en contact brusque l’oxygène de l’air ou de l’eau avec les minerais de nombre de matières oxydables. Les réactions chimiques provoquées créent des produits toxiques, emmenés par les écoulements là où il faudrait qu’ils n’aillent pas : les fleuves, les nappes phréatiques, l’air…
A Sadiola, les boues sont laissées sur place. Par millions de tonnes. Elles entourent un lac. Un lac d’eau hautement toxique.
On a vu des oiseaux qui le survolent mourir en plein vol et tomber à pic. Le lac est grand. Pas aussi grand que le lac d’eaux toxiques de la mine de cuivre chilienne de Chuquicamata, qui s’étend sur 48km². Mais grand quand même.

Autour de Sadiola, autour d’autres mines d’or du Mali, les femmes n’accouchent plus, elles font des fausses couches. Quant à la santé des mineurs, il suffit d’en dire qu’on se portait mieux dans les mines de charbon de 1860.

Quel étrange cauchemar !

Les riches du monde blanc qui empoisonnent les pauvres du monde noir. Pour des lingots de soleil censés protéger des orages de papier. Et qui sont, à l’origine, du soleil en poudre infiniment diffus dans la terre brune. Que seule une eau létale concentre.

D’un côté, dans les banques du Nord, du concentré de richesse. De l’autre, dans les boues du Sud, des lacs de mort.