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Leauthier l’anarchiste. De la propagande par le fait à la révolte des bagnards (1893-1894)
Yves Frémion (l’Échappée)
Article mis en ligne le 2 septembre 2011

« Je meurs par amour de l’humanité et pour raconter publiquement toutes les horreurs qu’au nom de la loi on commet dans cet enfer social qu’est le bagne... »

Cette brève histoire du bagne et de sa révolte, occupant la troisième partie de l’ouvrage, est à l’image du livre dans son intégralité, documenté, révolté, révoltant. On découvre en effet à la lecture de ce document tout un pan de l’histoire occulté par les manuels traditionnels d’Histoire, à savoir l’histoire des mouvements contestataires français du XIXe siècle. Loin des approches habituelles que l’on a de cette époque à travers les romans de Zola ou les discours de Jaurès, ce livre retrace avec passion la vie (et la quasi-mort) du mouvement anarchiste de la "Belle Époque".

L’histoire du "compagnon Léauthier" semble ici comme un prétexte pour narrer, tantôt avec humour, tantôt avec gravité, les actes de "propagande par le fait" des anarchistes, et les exactions de l’État pour contrer cette révolte populaire, si terrifiante pour les dominants sociaux de l’époque. Ce livre donc, semble être un devoir de mémoire, à l’honneur des anarchistes français et dénonçant les persécutions subies.

Dans cet ouvrage, Yves Frémion y évoque à la fois l’histoire d’un jeune anarchiste, révolté et ulcéré par les injustices sociales, et fait le portrait de la société française de la fin du XIXe siècle. Une époque où le contexte social est particulièrement tendu. L’essor des partis ouvriers et du syndicalisme alimente l’espoir d’une amélioration du quotidien, voire d’un renversement du capitalisme. L’industrialisation fait les fortunes et augmentent les revenus des plus riches tandis que les salaires ouvriers restent très bas et que la misère s’accroît.

La colonisation bat son plein dans une course à la spoliation des terres sous prétexte de « civiliser » les indigènes, entendez faire main basse sur les matières premières et liquider toute velléité de résistance de la part des populations autochtones. Quant au bagne, dirigé par des assassins en uniformes, il représente la phase extrême de la barbarie institutionnalisée.

La propagande par le fait est alors utilisée pour provoquer la prise de conscience dans la population et prône, au-delà des écrits et des discours, les attentats, le sabotage, la reprise individuelle, le boycott, l’insurrection… Autant de moyens qui sortent de la légalité pour dénoncer une société inégalitaire et brutale. À la violence sociale, il s’agit de répondre par la violence révolutionnaire. « La cause des crimes […] est dans les injustices sociales. » C’est toujours aussi vrai.

Au cours de son interrogatoire, Léon Léauthier répond aux policiers :

« Les lois sont faites pour les riches, et pas pour ceux qui n’ont rien. Il n’en faut plus de lois, ni de riches. Les lois ! Il y en a qui défendent aux ouvriers de mendier quand ils n’ont pas de travail et, par suite, pas de quoi manger. Il devrait y en avoir qui obligeraient les bourgeois à donner du travail aux ouvriers. Ce serait logique. Mais il vaut beaucoup mieux que nous restions sans lois ni riches, en anarchistes.

— Un beau désordre enfin… commente l’un de ceux qui l’interrogent.

— Un beau désordre ! réplique-t-il, il vaudra bien mieux qu’un ordre fondé sur l’injustice. »

Cédric pour les éditions de l’Échappée : Yves Frémion est connu comme un auteur de science-fiction, de polars et de nombreux ouvrages et il est certain qu’il a le sens du récit. Pour ce livre, il a réussi à mettre le personnage en scène, à lui donner vie. Il refuse d’ailleurs l’appellation de roman historique, bien que le livre soit basé sur des faits réels et des archives, et lui préfère le terme de récit avec, aussi par exemple, des réflexions à propos de la propagande par le fait et du rôle joué par le bagne.
Il y a donc de temps en temps des éclairages historiques, sinon le livre se lie effectivement comme un récit haletant, comme une aventure.

Christiane Passevant : Trois grands tableaux : l’attentat, le procès et le bagne.

Cédric pour les éditions de l’Échappée : L’attentat qui est une tentative de meurtre dans un contexte politique particulier, le procès et l’arrivée au bagne avec la révolte qui est la part importante du récit. Tout cela s’est déroulé en une année et montre le côté expéditif de la justice. Léon Léauthier passe très vite du statut d’ouvrier ayant des idées anarchisantes et fréquentant certains cercles, mais relativement à distance, au devant de la scène durant son procès nourri des tensions sociales de l’époque, pour finir dans une aventure dramatique et incroyable qu’est l’enfer du bagne. Et il faut souligner que c’est l’une des rares révoltes qui a eu lieu au bagne de Guyane.

Christiane Passevant : Les illustrations du livre sont très fortes.

Cédric pour les éditions de l’Échappée : Nous avons eu envie, avec Yves Frémion, d’illustrer le livre avec des gravures de presse de l’époque, notamment de la presse anarchiste. Certaines sont rares, comme celle de l’attentat par exemple, et nous avons donné les noms des illustrateurs car les illustrations étaient des œuvres artistiques de grand talent, souvent mises en scène.