Irak : n’oublions pas à quoi ressemble une « intervention humanitaire »
Libye : sachons pourquoi la Libye a été désignée pour une « intervention humanitaire »
Le 9 avril, Condoleezza Rice a prononcé un discours à San Francisco. Du moins elle a essayé. L’ancienne Secrétaire d’Etat fut continuellement interrompue par des cris du public, « criminelle de guerre » et « tortionnaire » (grâce aux camarades de Code Pink et World Can’t Wait). Tandis qu’un des protestataires se faisait emmener par des membres de la sécurité, Rice a fait une déclaration qui est devenue un grand classique chez les officiels Américains dans une telle situation. « N’êtes vous pas contents de savoir que cette femme vit dans une démocratie où elle peut exprimer son opinion ? » Elle a aussi balancé une autre phrase qui est désormais de rigueur depuis le renversement de Saddam Hussein par les États-Unis, un argument qui est brandi lorsque tout le reste a échoué :
« Les enfants en Irak ne vivent plus sous Saddam Hussein, Dieu merci »
À quoi on peut lui répondre : Si vous deviez subir une opération chirurgicale pour réparer un genou et que le chirurgien ampute par erreur la jambe, quelle serait votre réaction si quelqu’un vous faisait remarquer que, Dieu merci, vous n’avez plus de problème de genou ? Le peuple irakien n’a plus de problème de Saddam.
Malheureusement, ils ont perdu à peu près tout le reste. Vingt ans de bombardements étatsuniens, d’invasion, d’occupation et de torture ont abouti à la perte de leurs maisons, leurs écoles, leur électricité, leur eau potable, leur environnement, leurs quartiers, leur archéologie, leurs emplois, leurs techniciens, leurs entreprises d’État, leur santé physique, leur santé mentale, leur système de santé, leur système de protection, leurs droits des femmes, leur tolérance religieuse, leur sécurité, leurs enfants, leurs parents, leur passé, leur présent, leur avenir, leurs vies... plus de la moitié de la population est soit morte, mutilée, en prison ou en exil à l’étranger... leur air, leur sol, leur eau, leur sang et leurs gênes sont imprégnés d’uranium appauvri... les enfants naissent avec d’abominables déformations... des bombes à fragmentation n’attendent qu’un enfant pour exploser... une rivière de sang coule aux côtés de l’Eurphrate et du Tigre... dans un pays qui ne sera peut-être jamais reconstruit.
En 2006, l’enquêteur spécial de l’ONU sur la torture a déclaré que les rapports en provenance de l’Irak indiquent que la torture « avait complètement échappé à tout contrôle. La situation est si mauvaise que nombreux sont ceux qui disent que les choses sont pires qu’à l’époque de Saddam Hussein ». Un autre rapport de l’ONU de la même époque a révélé une augmentation des « crimes d’honneur » contre les femmes.
« Il est courant d’entendre chez les Irakiens épuisés par la guerre que la situation était meilleure avant l’invasion US en 2003 » a rapporté le Washington Post, le 5 mai 2007.
« Je ne fais pas de politique, mais je sais que sous Saddam Hussein, nous avions l’électricité, l’eau potable, un système de santé qui faisait l’envi du reste du monde arabe, et une éducation gratuite. » a déclaré la pharmacienne irakienne Dr. Entisar Al-Arabi à la militante pacifiste Medea Benjamin en 2010. « J’ai cinq enfants et à chaque naissance j’avais droit à une année rémunérée de congé maternité. J’avais ma propre pharmacie et je pouvais fermer à n’importe quelle heure sans me soucier des problèmes de sécurité. Aujourd’hui, il n’y a plus de sécurité et les Irakiens subissent de terribles pénuries pour tout — électricité, nourriture, médicaments, et même l’essence. La plupart des gens éduqués ont fui le pays, et ceux qui restent regrettent l’époque de Saddam Hussein »
Et ceci aussi, qui date de deux mois :
« Les manifestants, les militants des droits humains et des officiels de la sécurité disent que le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki a répondu aux manifestations en Irak avec la même brutalité que les pays voisins plus autoritaires. Des témoins à Bagdad et jusqu’au nord du pays à Kirkouk ont raconté avoir assisté la semaine dernière à des forces de sécurité en uniformes noires, survêtements et t-shirts arrivant sur des chapeaux de roues à bord de camions et de Humvees, et attaquant des manifestants, en raflant d’autres aux terrasses de cafés et chez eux et les entraînant les yeux bandés vers des centres militaires de détention. Des quartiers entiers... ont été bloqués pour empêcher les habitants de rejoindre les manifestants. Des journalistes ont été tabassés. »
Donc... peut-on attendre des États-Unis et de leurs comparses voyous de l’OTAN qu’ils interviennent militairement en Irak comme ils le font en
Libye ? Pour protéger les manifestants comme ils prétendent le faire en Libye ? Pour provoquer un changement de régime en Irak comme ils tentent de le faire, mais sans l’avouer, en Libye ?
De manière similaire, au cours des derniers mois, la Tunisie, l’Égypte, le Bahrein, le Yémen, la Syrie... les manifestants ont subi une répression gouvernementale brutale, et même dans une certaine mesure en Arabie Saoudite, une des sociétés les plus répressives au monde. Aucun de ces gouvernements n’a été attaqué à l’instar de la Libye par les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France. Aucune opposition d’un de ces pays ne reçoit un soutien militaire, financier, juridique ou moral de la part des puissances occidentales contrairement aux rebelles Libyens — malgré le comportement brutal des rebelles libyens, de leurs meurtres racistes et les relations claires de certains d’entre eux avec les djihadistes.
Les rebelles libyens font penser aux rebelles kosovars — des mafieux connus pour leur trafic d’organes et de femmes, eux aussi soutenus inconditionnellement par les puissances occidentales contre l’ennemi officiellement déclaré, la Serbie.
Pourquoi la Libye est-elle seule a être visée par les missiles US/OTAN ? Selon quel principe ou au nom de quelle morale ? Les Libyens sont-ils les pires en matière de violation des droits humains dans la région ?
En 2010, un indicateur du développement humain de l’ONU a pris en compte la santé, l’éducation et les revenus et a classé la Libye en tête des pays africains. Aucun gouvernement n’est plus laïc que le gouvernement libyen. Par contraste, certains rebelles libyens crient la phrase que nous connaissons trop bien : « Allah Akbar ». En Égypte, une commission d’enquête officielle a déclaré qu’au cours du récent soulèvement 846 manifestants avaient été tués par la police par balles réelles tirées dans la tête et la poitrine. Des horreurs similaires ont été signalées en Syrie, au Yémen et dans d’autres pays de la région au cours de la même période.
Il faut souligner que la chaine de télévision ultra-conservatrice, Fox News, a rapporté le 28 février : « Tandis que les Nations Unies travaillent sans relâche à faire condamner le dirigeant Muammar al-Kadhafi pour la répression contre les manifestants, le Conseil des Droits humains de l’organisation s’apprête à publier un rapport bourré de louanges à l’égard du bilan de la Libye en matière des droits de l’homme. Le rapport félicite la Lybie pour l’amélioration des conditions d’accès à l’enseignement, pour avoir accordé une “priorité” aux droits de l’homme et pour avoir renforcé le “constitutionnel”. Plusieurs pays, dont l’Iran, le Venezuela, la Corée du Nord, l’Arabie Saoudite mais aussi le Canada ont distribué des bons points à la Libye pour les protections juridiques offertes aux citoyens — qui se révoltent à présent contre le régime et subissent des représailles sanglantes. »
De toutes les accusations portées contre Kadhafi, la plus aberrante est celle assénée sans cesse et selon laquelle il « tue son propre peuple ». C’est vrai, mais c’est ça qui arrive dans une guerre civile. Abraham Lincoln lui aussi a tué son propre peuple.
Kadhafi est le plus vieux dirigeant ennemi officiellement désigné au monde, à l’exception de Fidel Castro. L’animosité a commencé en 1970, un an après la prise de pouvoir par Kadhafi lors d’un coup d’état, lorsqu’il a fermé une base aérienne US. Puis il s’est lancé dans une carrière de soutien à ceux qu’il considérait comme des groupes révolutionnaires. Au cours des années 1970 et 1980, Kadhafi a été accusé de consacrer ses hauts revenus pétroliers au soutien — en argent, armes, formation et diplomatie — a un large éventail d’organisations radicales/d’insurrection/terroristes, particulièrement certaines factions palestiniennes et mouvements musulmans dissidents et minoritaires au Moyen Orient, en Afrique et en Asie ; l’IRA et des séparatistes basques et corses en Europe ; plusieurs groupes engagés dans la lutte contre le régime d’Apartheid en Afrique du Sud ; différents groupes d’opposition et de politiciens en Amérique latine ; l’Armée Rouge japonaise, les Brigades Rouges italiennes, la Bande à Baader-Meinhof en Allemagne.
On disait aussi que la Libye était derrière, ou était impliquée d’une manière ou d’une autre, dans l’attentat de l’ambassade US au Caire, dans différents détournements d’avions, dans l’explosion d’un avion de ligne étatsunien au-dessus de la Grèce, dans l’explosion d’un avion de ligne français au-dessus de l’Afrique, dans l’attentat contre une synagogue d’Istanbul, et dans l’attentat contre une boite de nuit à Berlin qui a coûté la vie à plusieurs soldats étatsuniens.
En 1990, les États-Unis ont désigné la Libye comme responsable de l’attentat contre le vol 103 de la Pan Am au dessus de Lockerbie, en Ecosse.
Le principal crime de Kadhafi aux yeux du président Ronald Reagan (1981-1989), n’était pas de soutenir des groupes terroristes, mais plutôt de ne pas soutenir les bons groupes terroristes. En clair, Kadhafi ne soutenait pas les mêmes groupes terroristes que Washington, comme par exemple les Contras au Nicaragua, l’UNITA en Angola, les exilés cubains à Miami, les gouvernements du Salvador et du Guatemala, et les militaires US à Grenade. Le seul groupe de terroristes que tous deux soutenaient ensemble était les Moudjahidin en Afghanistan.
Et si tout cela ne suffisait pas à faire de Kadhafi l’Ennemi public N° 1 de Washington — Reagan l’avait surnommé le « chien enragé du Moyen orient ») —, Kadhafi a souvent critiqué la politique étrangère des États-Unis, il était antisioniste, pan-africaniste, pan-arabiste jusqu’à ce que l’hypocrisie et le conservatisme des gouvernements arabes soient des obstacles. Il qualifiait aussi son gouvernement de socialiste. Quelle tolérance peut-on attendre de la part de l’Empire ? Lorsque de grandes manifestations ont éclaté en Tunisie et en Égypte, la CIA était très occupée à fournir aux rebelles libyens des aides, des armes et un soutien aérien.
Il se pourrait que les alliés occidentaux réussissent à chasser Kadhafi du pouvoir. Le monde observera ensuite en toute innocence le nouveau gouvernement libyen accorder à Washington ce que ce dernier cherche depuis longtemps : une base pour Africom, le commandement africain très important pour le Pentagone. De nombreux pays africains, qui avaient été sollicités, ont décliné l’offre, parfois en des termes relativement durs. Actuellement, Africom est basé à Stuttgart, en Allemagne. Un représentant du département d’État a confié : « Nous avons un sérieux problème d’image de marque là-bas... l’opinion publique est vraiment opposée à toute collaboration avec les États-Unis. Ils ne font tout simplement pas confiance aux États-Unis. » Tous les pays africains sont réticents à l’idée d’accueillir une base militaire étatsunienne sur leur sol. Il n’existe qu’une seule base US en Afrique, à Djibouti. Alors observez lorsque la poussière retombera en Libye. La base sera située près des puits de pétrole étatsuniens. Ou peut-être le peuple Libyen aura-t-il le choix entre une base militaire étasunienne ou une base militaire de l’OTAN.
Et sachez, vu l’histoire récente en Irak,en Corée du Nord et en Iran, que si la Libye avait eu des armes nucléaires, les États-Unis n’auraient pas certainement pas fomenté une attaque.[…]
Au cours des années, le gouvernement étatsunien et les médias nous ont gavé de scandales concernant Kadhafi : qu’il prenait des drogues, qu’il était obsédé par les femmes, qu’il était bisexuel, qu’il s’habillait en femme, qu’il se maquillait, qu’il se promenait avec un ours en peluche, qu’il avait des crises d’épilepsie, et bien d’autres choses encore ; peut-être est-ce vrai en partie. Voici à présent l’ambassadrice étatsunienne auprès des Nations Unies nous apprenant que les forces de Kadhafi se livrent à des violences sexuelles et qu’on leur a administré du Viagra pour augmenter leurs capacités sexuelles. Étonnant. Qui aurait cru que l’armée Libyenne était composée par autant de soldats âgés de 60 et 70 ans ?
Au moment de rédiger ces lignes, des missiles US/OTAN viennent de frapper une maison libyenne, tuant un fils et trois petites filles de Kadhafi, peu après que les offres de négociation de Kadhafi aient été rejetées. Encore un haut fait d’armes dans la glorieuse histoire des interventions humanitaires, et un rappel : en 1986, les bombes étatsuniennes ont tué en Libye une fillette de Kadhafi.