Christiane Passevant
Les communautés tamoules et le conflit sri lankais
Sous la direction de Delon Madavan, Gaëlle Dequirez et Éric Meyer (L’Harmattan)
Article mis en ligne le 2 juin 2011

Depuis deux ans, il n’est guère question des conséquences de la guerre civile qui a opposé, dans le Nord de Sri Lanka, les forces gouvernementales sri lankaises aux séparatistes tamouls du LTTE, les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul. La situation tragique de la population civile dans la région du Nord de l’île, prise littéralement entre deux feux durant le conflit a pourtant fait la Une des journaux en 2009 : « La catastrophe humanitaire qui a eu lieu à Sri Lanka en 2009 a contribué à attirer l’attention du public sur la situation des Tamouls dans ce pays. » Cependant lors des derniers affrontements, aucun témoin extérieur — journalistes indépendants ou ONG — n’avait été autorisé à pénétrer à l’intérieur de la zone des combats. Ce qui était d’autant plus inquiétant pour la situation et le traitement de la population civile.

Dans un article intitulé « Massacres au Sri Lanka, triomphe de Colombo », Éric Meyer écrivait le 6 mai 2009 :

« Une centaine de milliers d’habitants ont pu s’échapper depuis la mi-avril, et au total 172 000 depuis février, de la nasse où ils étaient enfermés ; ils ont rejoint, dans des conditions sanitaires dramatiques, les zones tenues par les troupes gouvernementales. Beaucoup ont traversé la lagune qui séparait la bande côtière, où ils étaient entassés, de la terre ferme, après avoir franchi les tranchées et les levées de terre édifiées à la hâte par les LTTE pour arrêter l’avance des troupes gouvernementales et empêcher les civils de s’enfuir. Beaucoup (plus de 2 000, voire davantage selon certaines sources) ont été victimes des bombardements de l’armée, des tirs des Tigres et de la situation sanitaire et alimentaire désastreuse. »

Ce refus de la présence de témoins extérieurs a laissé planer le doute quant aux informations reçues et posait le problème de la manipulation médiatique à but de propagande, qu’il s’agisse de celle du gouvernement de Colombo ou bien de celle des Tigres. Et après trois décennies de privation de droits, de discriminations et d’exil forcé, les populations civiles, sans cesse déplacées et prises en otage lors des combats, ont été parquées dans des camps de détention après la victoire militaire des autorités cinghalaises sur les Tigres en 2009.

Les auteur-es des Communautés tamoules et le conflit sri lankais donnent des clés pour mieux comprendre les conséquences du conflit intercommunautaire à Sri Lanka, mais aussi l’attitude des communautés tamoules dans le monde. Deux ans après cette victoire demeurent des questions auxquelles l’ouvrage collectif, sous la direction de Delon Madavan, Gaëlle Dequirez et Eric Meyer, tente d’apporter des réponses. Les camps de détention existent-ils encore ? Les populations déplacées du Nord ont-elles eu un droit au retour dans leur région ? Une politique de réconciliation nationale entre les différentes communautés a-t-elle été initiée ?
À l’espoir d’un compromis ou à l’évocation de reconnaissance des droits des populations tamoules, le constat est pessimiste et lapidaire : « La victoire militaire donnant raison aux vainqueurs, les doléances tamoules ne sont plus prises en compte à Sri Lanka. » La crainte d’un triomphalisme et d’un nationalisme exacerbé est devenu une réalité et c’est aussi une grave erreur politique.

Le secrétaire général des Nations unies avait demandé un rapport à un groupe de trois experts, ce rapport a été publié et, selon Éric Meyer, il « met en évidence des actes qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre de la part de l’armée srilankaise, mais aussi du LTTE, et montre que nous avions totalement sous estimé le nombre de victimes. On ne saura jamais combien il y a eu de victimes dans ce drame épouvantable, dans ce massacre sur les plages du Nord-est de Sri Lanka, mais elles se comptent par dizaines de milliers. Jusqu’à présent, nous n’avions que quelques éléments provenant d’officiels dépendant des Nations unies. ce sont eux qui ont témoigné pour ce rapport. Néanmoins, il faut souligner que les trois rapporteurs n’ont pas pu se rendre à Sri Lanka pour enquêter sur place. Le gouvernement les a invité à condition qu’ils ne fassent pas une enquête indépendante et autonome par rapport aux services gouvernementaux. » http://www.un.org/News/dh/infocus/Sri_Lanka/POE_Report_Full.pdf

Les communautés tamoules et le conflit sri lankais, sous la direction de Delon Madavan, Gaëlle Dequirez et Éric Meyer, est un ouvrage collectif issu d’une conférence internationale qui s’est tenue à la Sorbonne et a été initiée par Delon Madavan et Gaëlle Dequirez, un an seulement après la fin du conflit. L’ouvrage tente d’aborder plusieurs aspects du conflit et des conséquences dont on parle rarement et revient aussi sur les raisons profondes des conflits armés de même que sur les enjeux et les traces laissées dans la société sri lankaise en général.

Delon Madavan : Nous avons constitué un groupe de travail informel autour d’Éric Meyer avec d’autres étudiant-es travaillant principalement en France. Ensuite, nous avons eu cette envie de changer les points de vue parce que la plupart des travaux sur Sri Lanka ou la diaspora étaient surtout centrées sur l’opposition des deux belligérants et il nous a semblé important de considérer le point de vue d’un autre acteur, la population civile, autant à Sri Lanka qu’en diaspora. Le projet de cette conférence a été initié bien avant les événements de 2009. L’organisation n’a pas été simple, mais nous avons réussi.

Gaëlle Dequirez : la conférence s’est trouvée replacée en pleine actualité et a soulevé une curiosité médiatique. Mais l’important pour nous était de faire émerger une génération de jeunes chercheurs sur cette question qui développent des thématiques nouvelles, notamment sur la question des femmes.

Le Premier mai dernier, les Tigres de la diaspora étaient très présent-es dans la manifestation parisienne. La revendication séparatiste est-elle toujours aussi forte ? « Quelle est la marge de manœuvre de la diaspora tamoule sri lankaise vis-à-vis du LTTE, sachant que les Tigres ont décidé d’instrumentaliser la diaspora pour continuer d’exister […] et de militer pour la création d’un État souverain pour les Tamouls de Sri Lanka : le Tamoul Eelam. » Quelle est aujourd’hui l’influence réelle des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul ? Celle-ci n’est-elle pas renforcée par l’attitude des autorités cinghalaises vis-à-vis des communautés tamoules à Sri Lanka ?

En mai 2009, la reddition des Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) et la mort de leur chef, Vellupillai Prabhakaran, ont mis fin à plus de 25 ans de guerre civile à Sri Lanka. Malgré l’écrasante victoire militaire du gouvernement sri lankais, contrôlé par la majorité cingalaise, la question tamoule n’est toujours pas réglée. Le conflit armé laisse des traces : la population civile a été très durement touchée. 80 à 100 000 personnes sont mortes d’après l’ONU, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, les codes et valeurs traditionnels des sociétés tamoules ont été bouleversés. Par ailleurs, des centaines de milliers de Tamouls se sont réfugiés à l’étranger. Une partie de cette diaspora tamoule sri lankaise se mobilise depuis plus de 20 ans pour défendre les droits du peuple tamoul contre le gouvernement sri lankais qualifié de génocidaire et pour tenter d’attirer l’attention de l’opinion publique mondiale, des Etats et des organisations internationales sur la situation des Tamouls à Sri Lanka.

SOMMAIRE

Introduction, Eric Meyer.

Chapitre 1. Géographie des "espaces refuges" des Tamouls jaffnais depuis le début du conflit à Sri Lanka, Delon Madavan.

L’un des effets sociaux les plus dramatiques de trente années de conflit est le déplacement de la majorité de la population tamoule résidant dans l’île, à la recherche d’espaces de refuge. Delon Madavan, qui consacre sa thèse de géographie aux communautés d’origine tamoule établies dans les cités de Colombo, de Kuala Lumpur et de Singapour, était bien placé pour explorer l’histoire et la géographie récente de ces déplacements et les stratégies de survie mises en œuvre par les Tamouls originaires de Jaffna, depuis les années 1980 et jusqu’au regroupement forcé en 2009, à l’issue de la défaite militaire des Tigres. Les Jaffnais appartenant à la classe moyenne bilingue (tamoul-anglais) avaient une longue tradition de mobilité, remontant à la fin du XIXe siècle, à la recherche d’emplois, d’abord dans la région de Colombo, puis en Malaisie, et s’étaient établis dans des espaces communautaires, au sud de Colombo (Wellawatte, Dehiwela). D’autres locuteurs tamouls, tout particulièrement les pêcheurs, migraient d’une côte à l’autre et étaient très nombreux au nord de la capitale, de Kotahena à Negombo et au-delà.

Mais le conflit a introduit des éléments nouveaux dans les schémas
anciens : la mobilité a cessé d’être une stratégie de réussite pour devenir une stratégie de refuge et elle a pris une ampleur énorme. Fondée sur des données démographiques vérifiées et corrigées (les recensements ont été impactés par le conflit), la contribution de Delon Madavan propose une analyse innovante et une cartographie précise de cette mobilité de guerre. Il montre comment les mouvements spontanés à courte distance à l’intérieur de la péninsule de Jaffna font place à des déplacements plus organisés entre la péninsule et la région de Wanni, et entre la péninsule et la métropole de Colombo, porte de sortie pour l’émigration outre-mer, qui est en fin de compte la seule qui offre un refuge sûr, une fois traversés les obstacles matériels et financiers et les épreuves humaines du voyage.

Chapitre 2. Negotiating History and Attending to the Future : Perceptions among and of Malaiyaha Tamils in Sri Lanka, Mythri Jegathesan.

Mythri Jegathesan aborde dans une perspective d’anthropologie culturelle la question de la construction des perceptions identitaires à travers l’exemple de la non-inclusion dans le mouvement tamoul de la communauté des Tamouls du haut-pays (Malaiyaha), engagés sur les plantations coloniales à partir des années 1830. Selon elle, contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas tant les liens maintenus avec la patrie sud-indienne, ou une différence dans les structures de caste (la haute caste des Vellala, qui dominait la société de Jaffna, est presque absente sur les plantations, et les intouchables y sont beaucoup plus nombreux), qui seraient à l’origine de ce phénomène.

En fin de compte, la logique de l’exclusion, à l’œuvre dès l’Indépendance (1948) à l’encontre des Tamouls Malaiyaha, et qui allait se généraliser dix ans plus tard à l’encontre des Jaffnais et des Tamouls de l’Est, préparant les conditions du conflit séparatiste, était l’effet d’un imaginaire social construit sous la domination coloniale et contre cette domination. Comme l’exprime en termes généraux le chercheur indien Partha Chatterjee (The Nation ant its Fragments, 1993) cité par l’auteur, la construction de l’identité nationale en termes culturels mettait en œuvre des processus d’exclusion et non d’inclusion. L’auto-représentation des Tamouls Malaiyaha favorisait jadis une forme de repli sur l’univers supposé clos et autosuffisant de la plantation, mais valorise aujourd’hui l’aptitude à réussir en émigration, à Colombo ou dans les pays du Golfe – une forme d’émigration totalement différente de celle des réfugiés jaffnais. L’aliénation économique et le déni identitaire dont souffrait cette communauté ne pouvaient trouver d’issue dans le mouvement séparatiste.

(article rédigé en anglais)

Chapitre 3. The Impact of the Sri Lankan Conflict on the Social Status of Tamil Women, Zuzana Hrdlickova.

Zuzana Hrdlickova étudie, à partir d’enquêtes de terrain menées à Sri Lanka dans une perspective sociologique, les transformations provoquées par la guerre dans la société tamoule. Dans le système de valeurs dominant dans la société du nord et de l’est de l’île, la chasteté au sens large du terme est primordiale. Elle conditionne l’honneur familial et les stratégies matrimoniales : la présence de la femme dans l’espace public doit rester limitée, alors qu’elle est dominante dans l’espace privé. Cette dichotomie espace public / espace privé a été mise à mal par la guerre, qui a contraint les femmes, veuves ou séparées de leurs conjoints, à assumer les fonctions sociales jadis réservées aux hommes. Elle a causé le déplacement de la majorité de la population, la contraignant souvent à vivre dans des camps dépourvus d’intimité, et a causé la multiplication des viols commis le plus souvent par des militaires et des policiers.

En outre, la diminution du nombre des jeunes hommes a entraîné une inflation du montant des dots réclamées aux familles des jeunes filles, que leurs parents cherchaient à marier le plus tôt possible. En effet, nombre de très jeunes Tamoules ont été recrutées par l’organisation séparatiste des Tigres et formées dans un système militaire collectif fondé sur l’abnégation, l’exercice de la violence au service de la cause, le culte du chef et le renoncement aux valeurs familiales. Zuzana Hrdlickova soulève la question du devenir de ces femmes à l’issue de la défaite militaire des Tigres en mai 2009.

(article rédigé en anglais)

Chapitre 4. Mothers, Militants, Martyrs : Tamil Women in Film, Erangee Kumarage.

Erangee Kumarage analyse dans une perspective plus littéraire l’image de la femme tamoule à travers la production de trois auteurs masculins de films de fiction, d’origine sud-asiatique, qui mettent en scène des militantes prises entre leur dévouement à la cause présenté comme synonyme de renoncement, et leur aspiration à la féminité, identifiée à la maternité dans le système de valeurs indien. Le schématisme propre à la production cinématographique indienne présente d’emblée les deux objectifs comme incompatibles et porteurs d’une issue dramatique. Plus complexe, le discours des nationalistes tamouls proclame la cohérence du combat des femmes, dont l’émancipation et la pleine réalisation d’elles-mêmes passeraient par la lutte nationale. Opposant ces représentations à l’image de la militante tamoule donnée par des films documentaires tournés par des femmes occidentales en étroit contact avec la diaspora tamoule (dont No More Tears Sister, présenté à l’issue de la conférence), l’auteur soulève la question de l’authenticité de la libération de la femme remise en cause par des féministes sri lankaises, qui affirment que les militantes sont manipulées par un leadership purement masculin qui n’a pas hésité à éliminer les dissidentes.

(article rédigé en anglais)

Chapitre 5. Visibilité et mobilisation politique : quand diaspora rime avec reconnaissance, Anthony Goreau-Ponceaud.

Anthony Goreau met en évidence la visibilité de la diaspora tamoule sri lankaise dans l’espace public parisien. Il s’interroge sur le rapport entre les Tamouls originaires de Pondichéry, généralement installés dans la région parisienne avant les années 1980, et la diaspora tamoule sri lankaise arrivée depuis les années 1980, plus visible, affirmant plus fortement son identité à travers ses positions politiques et ses manifestations culturelles, et réactivant de ce fait le sentiment identitaire des Tamouls plus anciennement installés. Après avoir rappelé les parcours très différents des Pondichériens et des migrants sri lankais, il montre comment se construit un concept de "tamoulité" qui les rapproche, autour de pratiques culturelles généralement liées à l’hindouisme : le festival de Ganesh, qu’il analyse en détail, en est l’expression la plus visible. Il analyse enfin comment se construit un espace communautaire, à travers la formation d’un espace commercial "ethnique" dans le quartier de La Chapelle à Paris et à La Courneuve en banlieue nord.

Chapitre 6. Les mobilisations politiques transnationales de la diaspora tamoule, Gaëlle Dequirez.

L’étude de Gaelle Dequirez permet de mesurer la profondeur historique de la mobilisation politique de la diaspora tamoule, médiatisée lors des manifestations d’avril – mai 2009 lors de l’écrasement de la rébellion des Tigres par l’armée sri lankaise, mais ancrée depuis deux décennies à l’échelle transnationale. Ce phénomène de "nationalisme à distance"
est un objet d’études nouveau et riche d’enseignements pour la sociologie politique. Gaelle Dequirez étudie de façon précise les acteurs de cette mobilisation à l’échelle transnationale : organisations de jeunesse et organisations caritatives, médias en langue tamoule, associations locales fédérées au niveau national et comités nationaux coiffés par un secrétariat politique international, émanation des LTTE. Ces organisations s’adressent d’abord à la communauté tamoule, mais se sont efforcées de mobiliser l’opinion publique des pays occidentaux pour qu’elle fasse pression sur les Etats et les organisations internationales, avec peu de succès jusqu’à présent. Reste à savoir ce qu’il adviendra de ces réseaux transnationaux après la défaite militaire des Tigres, mais l’auteur conclut que la mobilisation de la communauté à l’échelle mondiale n’est pas près de s’estomper.

Chapitre 7. Coping with further absences : Maaveerar Naal ceremonies in the post-war age, Cristiana Natali.

Cristiana Natali, qui a déjà publié une étude passionnante sur les célébrations des héros par les Tigres à Sri Lanka, analyse avec beaucoup de pénétration dans une perspective anthropologique les cérémonies organisées par la diaspora tamoule en Italie à l’occasion de la fête des héros martyrs (Maaveerar Naal), et ce qu’il en est advenu dans le contexte de la défaite militaire des Tigres, et du durcissement du contrôle de la communauté tamoule par les autorités italiennes et plus généralement européennes. Le cérémonial visant à honorer les martyrs en l’absence de corps était organisé sur le modèle de ceux des cimetières du nord de Sri Lanka. Il était marqué par la retransmission du discours rituel du leader Prabhakaran. Mais dans la diaspora, outre cela, il donnait une place considérable aux spectacles de danse de bharata natyam, la danse classique de l’Inde du Sud, réhabilitée par la bourgeoisie tamoule à la fin de la période coloniale comme le symbole même de l’héritage culturel tamoul, et réinterprétée par les nationalistes tamouls sri lankais pour servir de véhicule à la représentation des combats et des souffrances de la guerre.

Depuis mai 2009, le vide créé par la disparition de Prabhakaran, longtemps niée par ses partisans, et l’absence de cérémonies simultanées à Sri Lanka, a accentué le caractère funèbre de la célébration. Mais d’autres projets ont vu le jour, comme celui d’entreprendre un travail de mémoire et d’imagination aboutissant à la publication d’un livre rassemblant poèmes, dessins et compositions en prose, à l’usage des jeunes générations.

(article rédigé en anglais)

Chapitre 8. De la difficulté de parler à la construction des récits de vie, Giacomo Mantovan.

Giacomo Mantovan étudie la production des récits de vie, ou plutôt des textes de demande d’asile politique par les migrants tamouls établis en France. Sa recherche est fondée sur l’observation des pratiques des intermédiaires (interprètes, avocats, médecins) entre les demandeurs d’asile et les autorités françaises (Office français de protection des réfugiés et apatrides et Commission de recours). Il montre le décalage entre les conceptions culturelles des Tamouls, pour qui le sujet est nécessairement collectif et les procédures de l’OFPRA qui réclame des récits individuels. Il met en exergue les difficultés rencontrées par son informateur principal pour "faire parler" ses clients, leur faire relater les violences dont ils ont été victimes, et les persuader qu’ils ont une histoire à eux qui mérite d’être contée, des choix politiques qui peuvent être mis en avant, au lieu de se contenter de recettes préfabriquées censées assurer le succès de la demande.

Selon l’auteur – cette idée a fait l’objet de vifs débats durant la conférence – les officiers de l’OFPRA par leurs demandes stéréotypées conditionnent les récits des demandeurs tout en se méfiant de leur parole, produisant d’eux une image défavorable. Ce processus, notons-le, est analogue à celui par lequel la bureaucratie coloniale construisait le discours et l’image des populations qu’elle dominait.