
Le Premier Rasta, film documentaire d’Hélène Lee, fait le récit de l’itinéraire de cet homme hors du commun, mais aussi du mouvement rasta auquel il est lié… Une histoire enfouie et non officielle de la lutte contre les systèmes.
Le film est à présent sur les écrans.
Premier plan. Jamaïque, mai 2010. La caméra suit un homme dans les rues, de dos. Sur un marché, il questionne quelques femmes : « Vous connaissez Leonard Percival Howell ? », « Ce nom vous dit quelque chose ? » En réponse, des regards interrogatifs, perplexes, des dénégations… Aucune d’elles ne connaît ce nom.

Souvenirs effacés, occultation délibérée d’une tentative d’autonomie, mémoire populaire éradiquée… Certainement, car Leonard Percival Howell fait partie de ces personnes qui dérangent, qui secouent les idées préconçues et s’élèvent contre le système, tous les systèmes. Autodidacte de génie, il est à l’origine du mode de pensée rasta dont on retrouve à présent l’influence dans les mouvements altermondialistes. En 1939, Leonard « Gong » Howell fonde en Jamaïque la première Commune rasta, le Pinnacle dont la réalisatrice retrouve les traces dans les collines, face à al mer.

Grâce à un montage très rythmé d’images d’archives, Hélène Lee replace l’histoire de Leonard Percival Howell, le Gong, dans le contexte d’une époque où règne la production à outrance. Il doit quitter la Jamaïque très jeune et parcourt le monde, en travaillant où il peut et finalement s’engage comme marin. Le canal de Panama, New York, plusieurs fois le tour du monde, le périple est fascinant et les images d’archives, en toile de fond, le montrent bien. L’itinéraire de cet homme est comme symbolique de la dimension des mutations qui s’opèrent durant les premières décennies du XXe siècle : l’ère de la vapeur, du moteur à explosion, l’industrialisation forcenée, les expropriations de paysans et les bouleversements sociaux, les prémisses de la mondialisation… Alors que, parallèlement, des mouvements pour l’autonomie des peuples émergent aussi dans le monde. Et c’est dans ce mélange de développement, de contrôle extrême du capital au détriment des populations et de l’émergence des mouvements de libération que Leonard Percival Howell va forger sa conscience sociale et politique.

Le mouvement rasta, fondé dans les années 1930, est basé sur les idées d’autonomie, d’autosuffisance, de respect de la nature, et sur la liberté : la paix, la terre et le pain. Mais voilà, comme l’expliquent plusieurs des membres de la communauté du Pinnacle, ces belles idées ne sont pas du goût de tout le monde, et certes de celui des autorités coloniales que Leonard Percival Howell ne cesse de braver. Bien avant de fonder le Pinnacle dans les collines de la Jamaïque, il enseigne la fierté noire et la rébellion à l’égard du colonisateur blanc. Leonard Percival Howell fait l’expérience de la prison et sera même enfermé dans un asile. Le système colonial n’est pas prêt d’accepter les revendications d’autonomie, d’indépendance et d’autosuffisance… Babylone réagit par la répression.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces luttes, de cette utopie du Pinnacle, de la mémoire de ce précurseur ?
Dans le film, les témoins parlent de cette expérience, avec regret, parfois même avec une certaine amertume, mais aussi malgré tout avec fierté et lucidité. Et comme le dit Max Romeo, chanteur et cultivateur, « Babylone est un système tordu, terrible, [qui] contrôle le monde occidental. Et les gens semblent aimer ça, alors on n’est pas près de se débarrasser de
Babylone ! »
