Olivier Le Cour Grandmaison
Immigration et Islam : retour sur quelques ignominies
Article mis en ligne le 2 juin 2011
dernière modification le 20 avril 2011

« Le mensonge moderne [...] est fabriqué en masse et s’adresse à la masse. [...] Aussi, si rien n’est plus raffiné que la technique de la propagande moderne, rien n’est plus grossier que le contenu de ses assertions qui révèlent un mépris absolu et total de la vérité. »

A. Koyré. Réflexions sur le mensonge.

Pendant que son maître s’active sur la scène internationale pour porter "haut les couleurs de la France", le vibrionnant ministre de l’Intérieur, cette éminence très grise passée de l’ombre à la lumière selon l’expression consacrée, veille sur le pays, ses frontières et sa sécurité intérieure. Au premier, la conduite de « nos vaillantes armées combattant pour la liberté des peuples », comme le répète la propagande officielle, au second, la protection de nos « concitoyens » et de leur « mode de vie. » Multipliant déclarations et déplacements sur le terrain, qui feraient presque passer Eric Besson et Brice Hortefeux pour des amateurs velléitaires, Claude Guéant croit découvrir chaque semaine un nouveau péril national qu’il entend combattre avec la mâle fermeté qui sied à ses fonctions régaliennes. Que ne ferait-il pas pour que la France, qu’il prétend incarner et défendre, « reste la France ? »

Peu après son entrée en fonction, il s’alarmait des « vagues migratoires » en provenance du Maghreb puis de la générosité suspecte de celles et ceux qui sont en charge de la procédure d’asile. Plus récemment encore, il confiait ses inquiétudes face à l’augmentation considérable, selon lui, du nombre de musulmans présents sur le territoire national. Entre « cinq et six millions » soutenait-il avec l’air grave et entendu de celui qui révèle un secret important ignoré jusque-là sans que nul ne s’étonne de ces chiffres et de leur imprécision qui ne laisse pas de surprendre dans la bouche d’un homme réputé tout connaître de la place Beauvau. Mais que font les nombreux fonctionnaires des services ?

Trois assertions, trois mensonges ! Des centaines de milliers d’immigrés étaient annoncés par les gouvernements italien et français toujours prompts à exploiter le moindre fait divers pour satisfaire, par un prurit xénophobe et sécuritaire, leur électorat respectif ; 22 000 environ sont effectivement arrivés sur l’île de Lampedusa. Quant aux demandeurs d’asile, le rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), rendu public il y a quelques jours, révèle que le taux global d’admission, ayant débouché sur l’octroi du statut de réfugié, a baissé de presque 2 points entre 2009 et 2010 pour s’établir à 27, 5% ce qui représente 10340 personnes pour cette dernière année.

Invasion ? Charges insupportables pour les finances publiques ? Menaces pour l’emploi des Français ? Laxisme des fonctionnaires et des juges de la Cour national du droit d’asile comme le laisse entendre le ministre de l’Intérieur qui a commandé une étude sur le sujet ? Tromperies de bonimenteur, bien plutôt, destinées à alimenter sans fin le phantasme de « flux migratoires incontrôlés et massifs » ce qui permettra de justifier l’adoption de nouvelles mesures restrictives et, par la grâce de quelques opérations policières médiatisées avec soin, de mettre en scène l’efficacité prétendue du gouvernement.

Quant aux musulmans, enfin, une enquête conjointe menée par l’Insee et l’Ined démontre qu’ils ne sont que 2, 1 millions — Cf. Les Echos, 16 mars 2011 — ce qui n’empêche pas une certaine presse, qui se croit encore courageuse et indépendante, de relayer avec une servilité remarquable le discours officiel. C’est ainsi que dans Le Figaro du 8 avril 2011, Ivan Rioufol, qui croit informer ses lecteurs lors même qu’il se comporte comme un vulgaire propagandiste, reproduit les contre-vérités de Claude Guéant en ignorant superbement l’étude précitée. N’oublions pas le vaillant directeur de L’Express, Christophe Barbier, qui, affublé de son inévitable écharpe rouge, a cautionné par sa présence à la tribune et ses propos ineptes le pseudo-débat organisé par l’UMP sur la laïcité en déclarant qu’il était « bon en début de campagne de poser des problèmes philosophiques. »

Si penser, c’est distinguer, ce journaliste en vue est à l’évidence victime d’un lourd sommeil dogmatique qui lui fait prendre des vessies pour des lanternes, et des discours idéologiques convenus pour l’expression de la vérité et de la sagesse. Chapeau bas devant une telle confusion qui anéantirait les espoirs de tout candidat au baccalauréat mais dans le petit monde de monsieur Barbier, où les connivences politico-médiatiques tiennent lieu de principe, cela est sans conséquence. Admirable ! Sur ce sujet, il persévère dans la grossièreté intellectuelle et l’amalgame racoleur puisqu’au mois d’octobre 2010 on pouvait lire en Une de L’Express le titre suivant : L’Occident face à l’Islam. Le retour de la menace terroriste. La poussée des fondamentalistes. L’échec de l’intégration. Les forces politiques qui en profitent. Subtil, n’est-il pas ?

À ceux qui se comportent ainsi et violent les règles déontologiques élémentaires de leur profession en s’épargnant la peine de vérifier la véracité des propos tenus par certains dirigeants politiques, rappelons ces lignes écrites il y a cinquante ans : « Journaliste, j’avais besoin de croire [...] que la publicité n’est pas partout la reine, que le fin du fin de la profession ne consiste pas à coller le masque de la moralité sur des reportages immondes, que le dernier mot de notre métier n’est pas de flatter la paresse du public et sa lubricité, ni de lui fournir des images et des gros titres pour le dispenser de lire le reste... » Qui est l’auteur de cette mise en garde salutaire et toujours d’actualité, hélas ? Jean-Paul Sartre ? Non, Claude Mauriac. Quel journal a publié l’article d’où cette citation est extraite ? Un organe de la gauche « angélique » et
« irresponsable » comme l’écrivent quelques éditorialistes aujourd’hui ? Erreur. Il s’agit du Figaro littéraire le 30 septembre 1961.

Sur l’immigration, les réfugiés et l’Islam, Claude Guéant, adepte de la tolérance zéro, est un menteur multirécidiviste qui traite la réalité et les rapports officiels d’institutions reconnues en vulgaires chiens crevés cependant que se dévoile une méthode éprouvée de gouvernement : mentir donc en faisant passer des propos hyperboliques pour des déclarations informées et sérieuses. Pareil comportement témoigne d’un mépris remarquable de la vérité et de données statistiques pourtant établies par des spécialistes et, plus fondamentalement, d’une corruption du débat public soutenue par le désir de manipuler l’opinion en faisant croire que les immigrés et les musulmans menacent l’identité et la stabilité nationales. De là ce "diagnostic" : « la panne de l’intégration » désormais répété comme une vérité première par une cohorte hétéroclite de Diafoirus bavards qui croient ausculter la société française.

Piètres médecins mais vrais idéologues qui masquent ainsi l’échec des politiques conduites en direction des quartiers populaires en faisant porter la responsabilité des maux sociaux qui les ravagent à celles et ceux qui sont victimes de discriminations multiples, réitérées et graves. L’ethnicisation des réalités observées et le recours quasi pavlovien à l’Islam comme facteur d’explication prétendu sont au fondement de cette opération au terme de laquelle les habitants de ces quartiers sont désignés comme les nouvelles classes pauvres et dangereuses. L’objectif est clair : nourrir sans cesse le sentiment d’insécurité et la peur suscitée par ces
« Autres » réputés incarner une étrangeté absolue, et pour cela irréductible et menaçante.

Spéculer sur ces deux affects afin de s’appuyer ensuite sur une réalité subjective et collective qui, pour être sans rapport avec les phénomènes constatés, permettra au ministre de l’Intérieur, au gouvernement et aux dirigeants de l’UMP d’affirmer qu’ils sont à l’écoute des Français ; tel est donc la stratégie arrêtée. C’est ainsi que le plus idéologique passe alors pour le plus objectif car les dirigeants politiques qui agissent de la sorte entretiennent constamment la confusion entre la perception de certaines réalités, en partie forgée par eux et quelques journalistes, et les réalités elles-mêmes. En ces matières, Claude Guéant est un orfèvre habile et sans scrupule qui use de procédés rhétoriques et démagogiques identiques à ceux employés depuis fort longtemps par les Le Pen père et fille. Pour conserver le pouvoir, le parti majoritaire est prêt à tout ; chaque jour les fidèles de Nicolas Sarkozy en apportent les preuves tangibles et multipliées. Le printemps semble léger et doux, mais le fond de l’air est sinistrement lourd.