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Nestor Potkine
L’amour, le Gospel, les patrons
Article mis en ligne le 2 juin 2011
dernière modification le 19 avril 2011

Chapeau bas. Genou en terre. Main sur le cœur. C’est la seule position digne du chef-d’œuvre poétique que vous allez lire. Honte à vous, vers de Baudelaire, fuyez rougissants, sonnets de Rimbaud, disparaissez derrière la colline, strophes de Racine !

Si tu aimes ton entreprise

Il est grand temps que tu le dises.

Si ton patron est ton ami

Tu dois faire la fête avec lui

Alors laisse tomber la cravate

Aujourd’hui tout le monde s’éclate

Refrain : J’aime ma boîte, j’aime ma boîte (ad lib.)

C’est le troisième jeudi d’octobre

Et bientôt partout en Europe,

ça ne dure qu’une seule journée

On s’en souvient toute l’année

Il est grand-temps de répéter à tue-tête :

Refrain : J’aime ma boîte, j’aime ma boîte (ad lib.)

Qu’admirer le plus : l’impeccable régularité des rimes, malgré l’audacieux à-peu-près octobre-Europe et la solitude du « à tue-tête » ? La transcendance visionnaire de l’image du Jeune laissant tomber sa cravate pour entraîner son Patron dans un mambo torride ? La générosité, audacieuse, du message « Si ton patron est ton ami » ? L’universalité du concept « Et bientôt partout en Europe » (pauvres Asiatiques !) ? D’autant que cette ode au travail est chantée. En style de gospel ! Par un jeune homme qui sait prononcer la liaison entre « répéter » et « à » ! Répétérrratuetête !

Oui, il est grand temps de remercier à tue-tête le site jaimemaboite.com qui diffuse infatigablement cet hymne à l’amour (social). J’en conviens, mon humble gratitude, pour fervente qu’elle soit, ne saurait être comparée au tsunami d’amour qui s’élève vers ce site, classé 19. 874. 274ème par « bizinformation.fr » et débordé par près de 180 visiteurs par mois.

Le génie est modeste. C’est, à n’en pas douter, la raison pour laquelle jaimemaboîte ne révèle rien quant à l’identité de ses créateurs et de ses financiers. Par chance, la chambre de commerce et d’industrie de Paris nous apprend, à l’occasion de la huitième édition de cette fête, que la personne dont l’immense talent nous a donné la merveille que vous avez lue s’appelle Sophie de Menthon.

Madame Sophie de Menthon, selon l’article de Wikipédia qui lui est consacré, naquit le 2 avril 1948. Née Sophie Turpin, elle a divorcé de René de Menthon, qui doit, depuis, se couvrir de cendres et gémir chaque matin sur son infortune. L’article de Wikipédia mentionne que Mme de Menthon a obtenu une licence d’anglais. À vrai dire, devant sa puissance poétique, on se doutait bien que les sommets de l’Université lui étaient familiers. Mme de Menthon sait que l’amour n’est pas une excuse pour la licence (celle des corps, pas celle des langues), puisqu’elle est lieutenant-colonel de réserve. Dans la Gendarmerie Nationale. Nous attendons donc avec impatience la sortie mondiale de :

Si tu aimes ton colonel, il est grand temps que tu l’épelles.

Si ton adjudant est ton ami, tu dois faire la fête avec lui.

Alors laisse tomber les galons,

aujourd’hui tout le monde fait le con.

L’article de Wikipédia, dont personne n’imagine qu’il ait été rédigé par Mme de Menthon elle-même, comporte la phrase suivante :

« Désireuse d’insuffler une nouvelle éthique du capitalisme (ô visions paradisiaques d’éthiques, allongées par terre, attendant qu’on les
insuffle !), elle s’investit au sein du mouvement Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance, Ethic (on reconnaît à cet acronyme fulgurant la patte du lion : le génie littéraire de
Mme de Menthon est appelé à éclipser celui de Mme de Sévigné) qu’elle préside depuis 1995 ».

De tels titres à l’estime générale et à la reconnaissance nationale lui ont valu des honneurs éclatants : Madame Sophie de Menthon, présidente d’Ethic et candidate en 2010 à la présidence du MEDEF, appartient au Conseil économique et social, cet auguste aréopage dont la sagesse a si souvent sauvé la France du désastre. Faite Chevalier de l’Ordre National du Mérite dès 1988, elle en est à présent Commandeur. Mais surtout, surtout, le 2 avril 2010, elle a été promue Officier de la Légion d’Honneur.

Cependant, nous sommes en France. Et nous Français, nous savons que la vraie gloire est celle de la pensée. Or, Sophie de Menthon, née Turpin, a donné au monde et à la littérature une série d’immortels chefs-d’œuvre : « Mieux utiliser le téléphone », « Un média sur votre bureau », « l’Entretien téléphonique », « Femmes d’affaires et affaires de femmes », « l’Image New-Look de votre entreprise », « La Secrétaire New-Look », « le Sondage Téléphonique efficace », « la BD du Téléphone », « Business oblige »,
« Modèles et scénarios de vente téléphonique prêts à l’emploi », « le Téléphone dans le recouvrement des créances », « la Vente directe à
la TV », « le Marketing de la réception d’appels », « Téléphonez efficacement », « Du télémarketing au téléservice », « l’Entreprise racontée aux enfants », « l’Armée racontée aux enfants », « Le Guide du savoir-vivre, bonnes manières pour bonnes affaires », « Vraie vérité sur l’entreprise », « le Savoir-vivre en entreprise », « 15 idées simples pour ruiner la France ».

Terminons notre éloge ébloui par un trait admirable, tiré de Wikiquote (« le recueil de citations libre »). Sophie de Menthon, au cours d’un débat sur Arte le 19 novembre 2009, déclare :

« Il y avait un homme qui était très favorable à la décroissance puisqu’il était en train de mendier à la gare de Lyon l’autre jour, et j’avais un euro, je le lui donne et je dis « Tiens, soyez gentil, montez-moi ma valise ». Il m’a rendu mon euro et il m’a dit « je suis mendiant, pas larbin ! » et j’ai trouvé ça extraordinaire, ça ne pouvait arriver qu’en France ! »