On comprend que les otaries veuillent prendre leur revanche. Parce que, tout de même, Noé y va fort. Oui, Noé, le président du projet Arche d’Espoir. Celui que le Patron a chargé de préserver la biodiversité, ce coup de cœur incontournable de la modernité. Car il faut bien l’admettre, Noé, qui applique le nec plus ultra de la gestion de crise (SSS= sévérité, sérénité, saupoudrage), pratique aussi une gestion des ressources humaines, pardon animales, assez… Comment dire ?
Une gestion de proximité. De proximité très proche. Avec les otaries femelles en particulier. Mais les girafes (femelles), les belettes (femelles), les chamelles, etc. elles aussi ont connu sa gestion de proximité.
Mais, que suis-je en train de faire ? De dévoiler les mille et un mystères de l’extraordinaire, du brillant, de l’hilarant, de l’impayable, du fin, de l’astucieux chef-d’œuvre de Vincent Wackenheim, La Revanche des otaries, paru aux éditions le dilettante.

Le plus simple est de citer. Sachez quand même que Noé vient de découvrir, stupéfait, la présence de deux dinoZores dans son arche. Pas prévu, ça.
« Il fallait piloter la communication et contrôler les rumeurs. Cela dit, le Patron aurait quand même pu le prévenir, ou lui envoyer un signe, c’était dans ses habitudes, un petit buisson, un grand rideau tout déchiré, un coup de tonnerre, la routine. Impossible qu’il n’ait pas été au courant, le champion de l’omniscience, le roi de l’ubiquité. Cette Arche allait se transformer en Bounty en moins de deux si on ne prenait pas les mesures qui s’imposaient. Jouer serré. Faire un exemple, ne pas hésiter à sacrifier un animal s’il avait le verbe trop haut, la Création pouvait bien se permettre de voir disparaître une espèce, ça ne serait ni la première ni la dernière fois.
Noé voyait déjà qui allait faire les frais du maintien de l’ordre. Je pardonne à ceux qui m’ont fait du mal, mais j’ai la liste, le tapir, plus faux-cul tu meurs, l’oie cendrée, qui avait refusé de passer à la casserole, et le loulou de Poméranie de Mme Noé, toujours à vouloir aller pisser à des heures pas possibles, ils ne perdaient rien pour attendre, tous autant qu’ils étaient. (…) Noé dut reconnaître avec un brin de mélancolie qu’il n’avait pas cru le Patron capable d’expérimenter le Chaos Management à ce moment de l’histoire de l’humanité. Sauf que, justement, l’Arche, c’était la théorie du Chaos Management en live, poussée à son point culminant, rien de plus bouleversifiant qu’un déluge. Les mains dans le cambouis, la tête dans le guidon, pris dans son quotidien avec autour de lui toutes ces bêtes, Noé se fit à l’idée qu’il avait dû louper un épisode qui allait peut-être causer sa perte. En ces temps-là déjà, la roche Tarpéienne n’était pas loin du Capitole. (…) Ca sentait le coup monté, l’arnaque, le plan foireux. Dieu, pour résumer, lui avait joué un sale tour, c’est ce qu’on n’allait pas manquer de dauber dans les coursives, et qui fut confirmé par les RG. Il lui avait fait le coup de l’épreuve, à lui, le fidèle parmi les fidèles, l’élu, le choisi.
La question fut publiquement posée à Noé, tant au comité de direction qu’au conseil paritaire, lors d’une houleuse séance de nuit, à savoir si Dieu était au courant de la présence des dinoZores, pire s’Il l’avait voulue, voire organisée. Il est de notoriété publique que rien ne lui échappe, rappela le tatou, qui ne manquait de passer pour le premier de la classe, y a qu’à lui demander son avis, c’est pas plus que ça. Sauf que non,.. Impossible de Le joindre, les ordres étaient formels, il fallait respecter le silence radio, il était même interdit de sacrifier la moindre bestiole.
(…) Délégation, solitude du pouvoir, Noé se sentit très fatigué,
comme si le poids des ans se faisait sentir au moment même où il lui aurait fallu savoir rebondir et péter la forme. Les observateurs les plus attentifs de la vie politique à bord de l’Arche ne manquèrent pas de noter cette sensible baisse de régime, information qui alors largement relayée dans les gazettes, avec à la clé une interview de Mme Noé, qui fit preuve d’un indéfectible soutien à son homme, et un pernicieux témoignage de Miss Monde, qui réussit de son côté la prouesse de ne parler que d’elle-même. »