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Jacques Wajnsztejn
Sur les luttes d’octobre-novembre 2010
Du mouvement ouvrier aux mouvements sociaux
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 29 octobre 2023

Si les années 1960-1970 ont constitué le point d’inflexion entre l’apogée et le déclin des mouvements prolétariens, peut-on dire qu’octobre 2010 clôt la période initiée en 1986 avec les grèves à la SNCF, dans les hôpitaux et dans la jeunesse scolarisée et sonne le glas des « mouvements sociaux » qui leur avaient succédé ? À première vue oui : il n’y a même plus de coordinations, les nouveaux syndicats comme SUD ou la CNT, vingt ans après leurs déclarations d’intention, ne songent plus qu’à faire entendre leur différence au sein des intersyndicales ou des « interpro ».
De 1995 à 2010 en passant par 2003, ce qui prédomine c’est le sentiment de répétition, la lassitude devant les grands appels à des grèves nationales sans lendemain, devant le verrouillage syndical et sa traduction en termes uniquement revendicatifs et quantitatifs, devant des grèves par procuration qui comptent de plus en plus de supporters pour de moins en moins de protagonistes .

Mais ces mouvements sociaux se situaient encore en référence au fil rouge de l’histoire des luttes de classes et du mouvement ouvrier. Et cela malgré le fait qu’ils aient abandonné une base de classe. À cet égard, on peut dire que le mouvement de 1995 avec son « Tous ensemble » est un moment de basculement où la nouvelle unité se cherche non plus dans l’objectivité d’une position de classe, mais dans la défense des acquis de la lutte des classes et la défense des institutions de solidarité de l’époque de l’État-providence, ce dernier lui-même fruit d’un compromis entre ces classes.

Ce qui relie encore tout cela, c’est l’extension continue du salariat, au moins jusqu’au début des années 2000 et le maintien de l’idée de centralité du travail vivant dans le procès de production et de valorisation. On retrouve cette idée de centralité du travail aussi bien dans le mouvement de 1995 autour d’une Sécurité Sociale légitimée et financée justement sur cette base de l’extension continue du salariat dans la population active, bien que les premiers signes de crise se manifestent déjà (fiscalisation partielle avec la mise en place de la CSG et extension des allocations-santé aux individus trop précaires avec la CMU), que dans le mouvement pour les retraites de 2003.

Le mouvement de 2010 ne dépasse pas cette limite qui est de se référer à l’époque bénie de l’État-providence et du mode de régulation fordiste avec ses institutions abstraites de solidarité (le système de sécurité sociale). Mais ce mode de régulation n’a pas été émancipateur ou alors il ne l’a été que par rapport à une situation antérieure dans laquelle la force de travail était tendanciellement réduite à l’état de pure marchandise , mais il n’est en rien émancipateur vis-à-vis du travail lui-même qui est fondamentalement le fruit de la séparation entre les activités humaines et le produit de la domination et de l’exploitation des hommes sur d’autres hommes.

Le mouvement de 2010 est encore en plein là-dedans puisqu’il n’a, pas plus qu’en 2003, fait le lien entre les attaques sur les acquis (âge des retraites et niveau de vie), la perte de substance du travail (pour une majorité il n’est plus qu’un « emploi » et dans certains pays un « job ») et l’inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation. En revendiquant le maintien de la forme socialisée du salaire que représente le système de Sécurité Sociale, il continue à se placer sous la férule du capital. C’est là-dessus qu’a pu reposer la toute puissance de l’intersyndicale dans la lutte. Une fois de plus et contrairement à ce que croient tous les gauchistes encore en activité, il n’y a eu aucune « trahison syndicale ». L’intersyndicale a pu premièrement, jouer un rôle d’amplificateur du mouvement par son extension jusqu’aux petites communes ; deuxièmement, imposer son rythme avec le découpage en « temps forts » et temps faibles ; troisièmement, indiquer les règles de la partie à jouer et donc les limites à ne pas dépasser (la grève reconductible dangereuse car donnant la parole à la base), la grève générale utopique car elle ne se décrète pas, l’atteinte aux biens et aux personnes car quand même on n’est pas en Inde ou en Corée du Sud !