Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
Richard Greeman
USA "Les nouvelles rebellions américaines s’inspirent du monde arabe"
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 15 mars 2011

Inspirés par le soulèvement massif du peuple égyptien, plus de 100 000
travailleurs et travailleuses se sont rassemblés à Madison, capitale de l’État de Wisconsin (EU) pour contester les "réformes" radicales proposées par le nouveau gouverneur républicain Scott Walker. Véritable attaque en
règle contre la Middle Class, ll s’agit de licencier 21 000 employés, d’amputer le budget de l’éducation, de brader les eaux et forêts au premier venu, d’annuler les acquis sociaux portant notamment sur la santé et la retraite, et d’abroger de fait le droit syndical du secteur public. Tout cela bien sur pour combler une "dette" publique plutôt fictive. Attaque surprise, d’ailleurs : Walker s’était fait élire comme républicain modéré, ayant évincé le candidat du Tea-Party (réseau d’extrème droite) dans les primaires.

Dans le Capitole occupé

La riposte populaire a été aussi immédiate qu’imprévue. Le Capitole, siège du gouvernement, a été investi pendant 14 jours par des centaines et parfois des milliers de contestataires — enseignant-es, employé-es des services sociaux syndiqué-es — et leurs allié-es : jeunes,
étudiant-es, retraité-es — avec l’appui officiel et volontaire des
syndicats solidaires des policiers, pompiers, ambulanciers dont le
statut n’est pas remis en question. D’ailleurs le chef de la police
de la Capitale a refusé d’exécuter l’ordre du gouverneur d’évacuer les
occupants, arguant qu’une intervention contre une manifestation
pacifique prêterait à des violences qui pourraient inutilement mettre
en danger ses agents (!). Une solidarité qui rappelle le passage au peuple des éléments des forces de l’ordre en Tunisie et en Égypte.

Comme pour la Place Tahrir au Caire, cette occupation entièrement
pacifique s’est transformée en foyer de démocratie populaire, bouillonnant
d’idées et d’initiatives. Pour se ravitailler, elle a fait la fortune
des pizzerias de la capitale, mais des sympathisant-es ont
préparé et envoyé des vivres de partout. Des liens se sont noués spontanément entre militant-es de différents mouvements, entre jeunes et vieux, syndiqué-es et simples citoyen-nes ; des militant-es ont organisé des conférences de presse, ont publié des bulletins, etc. Des réseaux de résistance se sont tissés qui perdureront pour continuer la lutte, quelle que soit l’issue de cette crise. Comme disent les Égyptiens, après Tahrir, les choses ne pourront jamais être le mêmes.

Le mouvement se généralise

En attendant, dans le cas où Walker arriverait à imposer ses lois, on
prévoit la possibilité d’une grève générale. Une motion a été votée à
l’unanimité (moins une voix) par le conseil intersyndical. Un militant
raconte : “Le gouvernement dit qu’on n’a pas le droit de faire grève,
mais on n’avait pas le droit de faire grève en Égypte et ils ont fait
grève ! D’ailleurs, nous avons reçu un coup de fil du syndicat des
enseignants d’Égypte indiquant leur soutien.” C’est inouï !

De plus, à l’instar des soulèvements des pays arabes dont il
s’inspire, le mouvement de Madison fait tache d’huile : on manifeste
dans 50 autres villes du Wisconsin et la révolte se répercute dans les
États voisins de l’Ohio (20 000 manifestants avant hier), de l’Illinois et
jusqu’en Iowa. Dans ces États aussi, le nouveau régime instauré par les
Républicains d’extrême droite depuis janvier 2011, se traduit par les
mêmes attaques contre le maintien des services sociaux et les droits
syndicaux des travailleurs du secteur public : ceux dont nous dépendons
pour éduquer nos enfants, soigner nos maladies, faire fonctionner les
transports et les autres services publics qui rendent la vie supportable. D’où l’énorme mouvement de solidarité des parents d’élèves et des visiteurs d’hôpitaux, services de logement etc, qui donne à ce mouvement un authentique caractère populaire.

Ce populisme (dans le sens positif) rappelle les traditions radicales encore vivantes du Parti Ouvrier-Paysan du Wisconsin et de son leader populaire Bob “le Batailleur” La Follette, gouverneur et sénateur
(1906-1925) du Wisconsin, ennemi des trusts et des banques,
républicain puis progressiste, dont la statue domine le foyer du
Capitole occupé. De plus, la ville de Madison héberge le campus de
l’université du Wisconsin, grand foyer de contestation étudiante
pendant la guerre du Vietnam, et c’est le syndicat, très radical, des
Teaching Assistants (étudiant-es du second cycle universitaire
chargé-es de cours) qui le premier a lancé l’occupation.

Attaques coordonnés de la Droite

Cette mobilisation prometteuse fait face à une véritable offensive de
classe capitaliste, organisée et financée au niveau national par des
fondations et des milliardaires républicains d’extrême droite, dont
les frères Koch quasi-fascistes et le baron des médias de droite
Rupert Murdoch (Fox News). Les réseaux super-patriotes du Tea Party
leur servent de troupes de choc. Comme en Europe, la prétendue crise
de la dette leur fournit un prétexte pour s’attaquer aux salaires et
aux avantages sociaux. Cette dette est souvent factice. Au Wisconsin,
les Républicains ont commencé la session législative en donnant aux
riches et aux grands groupes un cadeau de 100 000 000 $ (environ 700 millions d’euros) en exemptions d’impôt, avec pour résultat de vider les caisses du gouvernement. On peut ensuite crier à la crise financière et à la dette, des mensonges relayés par les médias.

Selon la pensée unique américaine, les énormes subventions données
aux grosses firmes (dont la plupart paient zéro impôts grâce à de
multiples exemptions servent à “créer de l’emploi.” En fait, les
profits des banques et des grands groupes qui s’accumulent de façon
mirobolante ne sont pas réinvestis dans l’économie réelle. Au
contraire, là on licencie. Hélas, même les syndicalistes du Wisconsin
semblent accepter cette fausse logique conventionnelle. Pour montrer
leur bonne volonté et "partager les sacrifices" imposés à tous (sauf
aux riches) par une dette fictive, les syndicats ont renoncé à toute
revendication économique et ont accepté, par avance, les réductions de
salaires proposées par le gouverneur Walker ! Alors pourquoi
s’acharnent-ils — lui et les autres gouverneurs qui suivent le même
scénario élaboré dans les Think-tanks de la droite états-unienne —
contre ces syndicats ?

Les syndicats du public ciblés

Les syndicats des services publics sont particulièrement ciblés parce
qu’ils représentent le dernier rempart de la classe ouvrière
organisée, le syndicalisme dans le secteur privé étant depuis
longtemps impuissant, victime des délocalisations et des années de
concessions inutiles de la part de la bureaucratie syndicale. Les
syndicats des instituteurs et profs sont les premiers en ligne de mire
partout, car on veut démanteler l’école publique et dé-professionnaliser
les enseignant-es et ils font obstacle.

Les syndicats du public sont aussi le dernier rempart du Parti
démocrate, qui dépend de leur soutien dans les élections. Alors qu’au
niveau national, les démocrates, Obama en tête, ont déçu les attentes
de leurs électeurs syndiqués pour suivre la ligne de Wall Street, au
Wisconsin les 14 sénateurs démocrates soutiennent le mouvement à fond.
Ainsi, pour empêcher que les réformes soient imposées par le sénat, où
les républicains ont la forte majorité, les 14 ont quitté le Wisconsin
afin de bloquer le vote par défaut de quorum. Le gouverneur parle
d’envoyer la police les arrêter pour les ramener de force. Un haut responsable de l’Ohio a même proposé d’envoyer la police avec l’ordre de tirer à balles mortelles.

Un début de réveil

Ce mouvement prometteur annonce un début de réveil des mouvements
sociaux états-uniens, endormis depuis l’élection d’Obama en 2008.
L’électorat qui l’a plébiscité est composé pour beaucoup
d’employé-es, de syndiqué-es, de jeunes, de femmes, de retraité-es
démuni-es, de Noirs, de minorités éthniques,
d’activistes anti-guerre, d’éléments libéraux et progressistes. On a dansé
dans la rue au moment de sa victoire (à Chicago, en hiver !). On
s’attendait à des "changements" (le slogan d’Obama) positifs et on s’est trouvé complètement désemparé quand l’idole s’est
soumise à Wall Street, tout en continuant les sales guerres et
répressions liberticides de Bush. Mais alors que Wall Street s’est
relevé de la crise de 2008 et que les grandes fortunes augmentent
vertigineusement, la dépression s’approfondit de plus en plus dans le
pays profond avec 20 % de chômage effectif, une misère croissante, les
expulsions, les fermetures d’écoles, les licenciements massifs.

Il fallait bien se mobiliser, et les soulèvements du monde arabe
ont donné du courage à ce peuple désarçonné. Belle
ironie que les foules arabes “donnent des leçons de démocratie” aux
travailleurs états-uniens dont les dirigeants prêchent d’en haut la
démocratie au monde arabe (tout en lui imposant d’odieuses
dictatures). Mais c’est normal. Face aux attaques d’un seul et même
ennemi, seules la solidarité internationale et l’extension des luttes
peut donner une réponse adéquate aux attaques coordonnées lancées
contre les travailleurs et les travailleuses dans tous les pays.

5 mars 2011