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Nestor Potkine
Le Niais d’élite
Article mis en ligne le 31 mars 2011
dernière modification le 5 février 2011

Journal de guerre : de Sciences Po aux unités d’élite de Tsahal de Noam Ohana (Denoël)

Au cœur du Jihad : Mémoires d’un espion infiltré dans les filières d’Al-Qaeda, autobiographie d’Omar Nasiri (Flammarion)

Par Nestor Potkine qui se souvient des vers de Brassens : « les seuls généraux qu’on doit suivre aux talons, ce sont les généraux des petits soldats de plomb ».

Il faut bien que les livres se vendent. J’aurais donc la bonté de supposer que Noam Ohana, auteur de Journal de guerre : de Sciences Po aux unités d’élite de Tsahal (Denoël) n’est pas responsable de son sous-titre, aussi efficace que vaniteux.

Ce livre, attendrissant par l’honnête étalage des dilemmes, indignations, espérances et moments de compassion de son auteur, tient les promesses de son sous-titre : il raconte comment un gamin d’une famille originellement juive marocaine entre à Sciences-Po et en sort pour aller à Stanford. Stanford, là où, comme le raconte Ohana, les gens aimeraient travailler 35 heures… par jour.

Après quoi, Noam décrit ce qui l’a poussé à rejoindre une unité d’élite de Tsahal, l’armée israélienne ; attaques sur des synagogues en France ; connaître, parfois personnellement, les atroces résultats des bombes, attentats, attaques-suicides etc. du côté juif et israélien ; mentalité de
« gagneur », de « je veux être le meilleur, où que je sois ». Il réussit ,
de fait, à entrer dans une Sayeret, une unité d’élite de Tsahal.
Les gars qui rentrent dans le lard des terroristes du Hamas, du Hezbollah etc. Et qui, le cas échéant, dégomment quelques civils au passage.

Noam détaille certes longuement, on n’a d’ailleurs pas de raisons de ne pas le croire, le difficile entraînement auxquels ces soldats sont soumis afin d’apprendre à distinguer, autant que faire se peut, entre le terroriste à la ceinture d’explosif autour des reins, et la ménagère à la ceinture herniaire autour des reins. Il décrit aussi, bien entendu, d’autres entraînements. On comprend pourquoi Tsahal est une armée plutôt efficace ; connaissance des lieux ahurissante (Israël, grâce aux satellites et aux drones, a modélisé L’INTÉGRALITÉ des territoires occupés et de Gaza) qui permet de savoir exactement, grâce à des photos satellites ultra-fraîches, où se dresse le moindre buisson, où coule la moindre tranchée d’égout ; haute technologie qui permet à ces unités de mener des missions de surveillance qui font froid dans le dos quand on se souvient que les Israéliens enseignent aux polices du monde entier l’usage de leurs technologies ; méthodes de combat ultrasophistiquées ; résistance physique et nerveuse optimales.

Et Noham de nous raconter ses opérations. Non sans nous confier son embarras devant un métier qui consiste tout de même à ravager des maisons d’innocents, à tirer de leurs lits des couples âgés à quatre heures du matin, à ne jamais savoir quel carnage on va découvrir, quel carnage on va empêcher, quel carnage on risque de commettre.

Il ne manque qu’une petite chose à cette anthologie des vertus du pécheur-mais-héros-quand-même : une ligne, un mot qui prouvent que Noham se pose la question de l’origine de l’infâme merdier dans lequel il s’est plongé. Israël ; le droit d’Israël à occuper une terre qui l’était déjà (occupée) avant lui ; le traitement réservé par Israël aux Palestiniens ; la militarisation d’Israël ; la politique démentielle d’élargissement systématique des implantations : rien de cela n’est abordé, ou abordé de front, par notre niais d’élite, que Sciences Po aurait dû pourtant équiper d’une merveilleuse machine à langue de bois. Que prouve cette absence ? Un sentiment de culpabilité, ou à l’inverse la certitude de la justesse de la Cause ?

Une capacité d’aveuglement assez similaire se remarque dans le livre inverse Au cœur du Jihad : Mémoires d’un espion infiltré dans les filières d’Al-Qaeda, autobiographie d’Omar Nasiri, pseudonyme d’un Marocain élevé en Belgique, dont le frère peu à peu s’égare dans la Jihad islamiste. Après quelques péripéties, le petit « Omar » se retrouve embringué dans un jeu dangereux où il infiltre le GIA, non sans rapporter ce qu’il voit et entend à la DGSE. Après quoi (et moult péripéties supplémentaires, qui poussent parfois le lecteur à soupçonner la véracité de la chose), il infiltre un camp d’entraînement d’Al-Qaeda en Afghanistan. Les similitudes entre l’entraînement israélien et l’entraînement barbu seraient drôles, s’il ne s’agissait d’apprendre à tuer.

Nasiri nous livre quelques portraits inoubliables ; par exemple ces gamins Tchetchènes figés dans une haine féroce des Russes qui ont massacré, sous leurs yeux, leur famille entière. Ces rappels permettent de nettement mieux comprendre (sans l’excuser ni l’approuver une seconde), la rage intense des militants islamistes. Non moins inoubliable est la scène de réjouissances lorsque le camp entier célèbre, à coups de rafales de Kalachnikov, la tuerie du RER St-Michel (8 morts et 117 blessés le 25 juillet 1995).

Cependant, là aussi un point aveugle : Nasiri (s’il existe) se revendique bon musulman, et affirme que l’islam n’est pas responsable de l’islamisme. Il maintient que, s’il combat l’islamisme assassin, c’est au nom de l’islam, religion de paix et de justice. Pauvre Nasiri, qui n’a pas assez lu son Coran, ni ses recueils de dits du Prophète ; pauvre Nasiri qui n’a pas lu ce que ces textes censés respirer la bonté, la paix et la justice, ordonnent aux bons musulmans d’infliger à un apostat. Quant aux mots
« capitalisme », « argent », « État », « mafias », et à leur vigoureuse contribution à la naissance de la furie islamiste, il faudra les enseigner à Nasiri, héros-mais-pécheur-quand-même.