Chokri Baccouche
Une transition fragile...

Dimanche 23 Janvier 2011

Éditorial de l’édition électronique du journal tunisien, Le Quotidien.

Il ne s’agit pas d’approuver tout ce qui est dit mais de répercuter les souffles fragiles de liberté .

Divergences

Rien à faire, la rue est toujours en ébullition. Elle maintient la pression et continue à manifester sans répit. Il n’y a pas une seule région du pays qui ne soit épargnée par ces mouvements de foules devenues, par la grâce d’une liberté fraîchement acquise, un véritable phénomène de société. Les manifestants, de la petite bourgade à la grande métropole, scandent les mêmes slogans. Ils sont déterminés à biffer toute trace de l’ex-régime et de son appareil idéologique, le RCD, devenu la cible privilégiée de la rue et la formation politique à abattre coûte que coûte. La présence au sein du gouvernement d’Union nationale de ministres du Rassemblement, ayant servi de surcroît sous l’ancien régime est perçue comme un acte de trahison et une mascarade.

Les foules qui ne décolèrent pas depuis près d’une semaine déjà sont persuadées que rien n’a changé dans le fond. Car si la tête du régime déchu a disparu, l’arrière-garde est toujours solide au poste. D’où cette impression, assez justifiée du reste, qu’on essaie quelque part de noyer le poisson dans l’eau pour vider la révolution populaire de son essence et de sa substance.
Cette situation d’impasse renvoie bien évidemment un mauvais signal et alimente des suspicions légitimes, car il est clair qu’on aurait pu sortir de l’impasse, moyennant un minimum de sagesse et de lucidité.
La question qui s’impose d’emblée est de savoir, bien évidemment, pourquoi un changement des ministres faisant l’objet de sérieuses réserves populaires, n’a pas été opéré jusqu’à maintenant.

À quoi rime cette obstination à vouloir maintenir les mêmes profils, alors que les solutions de rechange existent ? Les hauts cadres de l’Etat, capables d’assurer une bonne relève dans les départements dits stratégiques ou de souveraineté ne manquent pas, en effet, en Tunisie.

Ils attendent seulement qu’on leur donne la chance et l’occasion de servir dignement le pays. Ce dialogue de sourds prouve, en tout cas, quelque part que les mauvais réflexes ont la peau bien dure. Certains vont même jusqu’à penser que dans les arrières cuisines de l’ancien pouvoir, on tente toujours d’accommoder les restes pour garder les couverts.

La décision prise par le Front Démocratique pour le Travail et les Libertés et l’UGTT, la centrale syndicale, de retirer leurs ouailles du gouvernement d’Union nationale pour ces mêmes motifs, risque en tout cas de donner du mordant à la crise. En l’absence d’un consensus durant les prochains jours, tout laisse à croire que l’on s’oriente vers la constitution d’un gouvernement de salut national, comme le réclament, d’ailleurs, certains partis de l’opposition.

Il est clair que la transition vers un régime réellement démocratique ne se fera pas sans accroc. L’accouchement s’annonce difficile et au regard des enjeux, l’élite doit faire preuve de bon sens et de sagesse pour sortir le pays de l’ornière. Elle doit éviter de s’égarer dans les méandres des calculs étriqués et des intérêts strictement personnels.

À sa charge d’épargner au pays les aléas et les vicissitudes de l’instabilité et de l’incertitude.

L’idéal démocratique n’a jamais été si proche et à portée de main. L’espoir est permis, pourvu que le bon sens et la raison l’emportent.