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compte-rendu du procès des militants antinucléaires qui s’est tenu à Caen le 8 décembre 2010
Article mis en ligne le 30 janvier 2011
dernière modification le 12 décembre 2010

Pour le blocage du train de « l’enfer », sept personnes comparaissent devant le tribunal de grande instance de Caen : un Allemand et six Français.

Beaucoup de soutiens sont présents à ce procès mais tous ne pourront pas
assister à l’audience car la contenance de la salle est limitée à quatre-vingt
personnes. La section d’intervention de la direction départementale de la
sécurité publique (D.D.S.P.) est présente en tenue de maintien de l’ordre
dans l’enceinte même du tribunal et empêche toute intrusion intempestive.
Quelques personnes, après avoir été soumises au détecteur de métaux,
tentent d’accéder à la salle d’audience, les policiers les en empêchent.
Puis l’ordre est donné de « dégager » la salle des pas perdus, les
militants se retrouvent finalement dehors.

À l’intérieur de la salle, les trois juges appellent tour à tour les sept prévenus, leur demandant de décliner leur identité et d’expliquer leur geste. Un traducteur est présent pour le prévenu allemand. Le président du tribunal, qu’on entend à peine, faute de sonorisation, lit ensuite l’ordonnance les ayant convoqué devant lui et rappelle les faits dans les détails : le vendredi 5 novembre 2010, au point-kilométrique (PK) 247,1, cinq personnes se sont enchaînées au rail et deux autres étaient sur les voies afin de signaler la présence des militants sur les voies. À 16h15, les forces de l’ordre interpellent les deux premières militantes dont l’une était porteuse d’une fusée éclairante. À 16h40, deux militants qui étaient liés sont désentravés et conduits au commissariat. À 17h45, une troisième personne est désentravée non sans difficulté. À 18h40, une autre
personne est désentravée et enfin à 18h50, la dernière personne est désentravée et amenée dans une ambulance des pompiers au vu de ses blessures (section de deux tendons fléchisseurs de l’index). À 19h,
le convoi repart.

Après le descriptif des faits, le juge note que les
prévenus ont refusé de s’exprimer devant les officiers de police
judiciaire lors de la garde à vue, mais pas devant le juge des libertés et
s’étonne de ce comportement. Chaque prévenu est ensuite appelé
individuellement et sommé d’en dire plus sur l’action.

Au vu des réponses, le président se permet d’affirmer que
« le train n’était pas dangereux car le taux d’exposition était
très faible », il ajoute qu’il a lui même fait des recherches sur
les taux d’exposition, de contamination. Ce qui lui permet de dire que les militants sont « peu arrimés côté scientifique ». Les militants
se défendent comme ils peuvent mais le président du tribunal
reste sur la même ligne : le transport de déchets nucléaires n’est pas
plus dangereux que le transport de matières chimiques donc pourquoi se
focaliser sur le nucléaire.

Le président auditionne ensuite le militant qui a refusé de donner son ADN selon la procureure. Il rétorque qu’il a juste refusé de donner ses empreintes digitales et de se faire photographier. Le président le questionne donc sur les motivations de son refus : le militant explique que même si son acte est illégitime aux yeux de la loi, il estime qu’il est légitime par rapport à ses convictions et qu’en conséquence, il n’a pas à être fiché comme un vulgaire délinquant. Le président indique que le fichage est réglementé et consacré par des lois et donc personne ne peut s’y soustraire. Le militant répond qu’il s’inscrit dans une démarche non-violente et de désobéissance civile. Le président estime qu’à partir du moment où on érige la désobéissance à la loi comme doctrine, c’est le début du fascisme ! L’auditoire marque sa désapprobation des propos du président.

C’est au tour d’une militante d’être entendu, elle venait auparavant de prendre à partie le président sur la question du fichage, considérant que les militants n’avaient pas à être fiché comme du bétail. Elle explique son action par le fait que la question du nucléaire n’est pas discutée en France et qu’il n’y a pas d’autres moyens de se faire entendre. La procureure intervient et lui lance « vous n’êtes pas là pour refaire le monde ! ». Ce à quoi la militante répond : « eh bien si ! ».

Après avoir entendu les prévenus, le président donne le droit à la défense
de présenter ses témoins. Le premier d’entre eux est un militant de longue
date de la non-violence, c’est même l’un des initiateurs en France. Il a
cofondé les Faucheurs volontaires d’OGM. Il explique au tribunal la
philosophie même de la non-violence et de la désobéissance civile. Et il
note très fortement que les moyens qui ont été utilisés pour désincarcérer
les militants ressemblent à de l’intimidation. Visiblement, le témoin ne
plaît pas à la procureure qui prend la parole en rappelant que le sujet de
l’audience n’est pas le nucléaire mais l’entrave à la circulation d’un
train. Les avocats de la défense indiquent au contraire que le témoin est
parfaitement dans le sujet. Il indique qu’il a lui même participé à une
action non-violente en 1958 en s’introduisant sur le site nucléaire de
Marcoule (le premier site français). Il termine son intervention en
félicitant les sept militants car ils continuent le combat auquel il a lui
même participé. La salle applaudit l’intervention, ce qui n’est pas du
goût de la procureure qui se lève en disant « on n’est pas dans une salle
de spectacle ! ».

Le deuxième témoin est Yannick Rousselet, chargé de
mission chez Greenpeace. Il témoigne sur le fait qu’il a participé lui
même à une action similaire il y a quelques années de cela. L’action
s’était bien déroulée et la désincarcération s’était bien passée, sans
heurts. Il s’étonne donc que l’opération se soit déroulée autrement pour
les sept militants et de la violence des forces de l’ordre. Le président le
questionne alors sur l’efficacité de ce type d’action. Yannick Rousselet
répond que dans les années 1980, Greenpeace tournait en zodiac autour des bateaux qui jetaient des fûts de déchets nucléaires en pleine mer. L’image d’un fût tombant sur un zodiac avait fait le tour du monde. Du coup, la France avait décidé d’arrêter ce type de stockage. Une autre campagne plus récente d’actions non-violentes a permis l’arrêt de l’exportation des déchets nucléaires en Sibérie. Il faut donc du temps avant que les actions aient un impact.

Le troisième témoin de la défense est un cheminot (aiguilleur) du
triage de Villeneuve Saint Georges (le plus grand de
France). Il est délégué syndical et secrétaire du CHSCT (Commission
Hygiène et Sécurité et des Conditions de Travail) du triage. Sur son lieu
de travail, beaucoup de convois de déchets passent. Mais c’est en tant
qu’ancien élu au CA de la SNCF et secrétaire d’un CHSCT qu’il intervient.
Il estime, d’après son expérience, qu’il y a un risque de contamination
sur ce genre de transport avec les poussières. Mais la SNCF nie cela et
estime qu’en tant que transporteur, elle reçoit des « colis » sains et
donc qu’elle n’a pas à se soucier de la sécurité des cheminots.
Les CHSCT ont plusieurs fois demandé à avoir des informations fiables pour les cheminots qui travaillent sur les convois mais la SNCF s’y refuse. De même, des informations ont été demandées à AREVA qui n’a pas
donné suite.

Il informe aussi le tribunal que l’A.S.N (Autorité de Sûreté Nucléaire)
préconise la mesure des doses d’irradiation pour les forces de l’ordre qui
accompagnent les convois mais pas pour les cheminots qui travaillent
dessus ! Ceux de Valognes demandent que soit mesurée la radioactivé depuis 1998 mais la SNCF n’est guère pressée de leur répondre. Sur l’action même, en tant que cheminot, il estime que les militants ont parfaitement respecté les consignes internes de la SNCF pour faire arrêter d’urgence un train et donc que l’action n’a causé aucun problème de sécurité ferroviaire. L’avocat de la SNCF prend la parole pour demander pourquoi les syndicats et CHSCT ne déposent pas de référé péril imminent comme ils le pourraient. Les avocats de la défense répondent qu’il est
matériellement impossible de déposer un tel recours devant la juridiction
compétente (tribunal administratif). Pour ce convoi, l’arrêt d’exécution a
été délivré le 22 octobre soit 2 semaines avant le départ du train. Quand
bien même un recours aurait été déposé, l’affaire aurait été jugée après
le passage du train...

Le 4ème témoin est membre d’un centre indépendant
d’expertise à Paris. Il intervient sur des données très techniques sur le
convoi en question. Il estime que les onze wagons présents représentent
l’équivalent de produits nucléaires d’une centrale. Donc le 5 novembre
dernier, c’était une centrale nucléaire qui se baladait sur rail ! Dans un
autre ordre d’idée, c’est l’équivalent d’un quart de la radioactivité
relâchée lors de Tchernobyl. Le président du tribunal le reprend là dessus
car il estime que la comparaison avec des incidents de ce type n’est pas
possible car les déchets nucléaires sont vitrifiés et confinés et ne
peuvent donc pas être relâchés. Les débats durent depuis 3 heures, les
avocats de la défense demandent une suspension de séance que le président
accorde.

Après 20 minutes de pause, les avocats de la défense plaident sur la
forme. Ils demandent en premier lieu la nullité de la garde-à-vue car ils
l’estiment disproportionnée notamment dans sa durée à cause de l’état de
santé des militants. Il y a aussi disproportion entre le délit (l’entrave
à la circulation ferroviaire) et la garde-à-vue que la Convention
Européenne des Droits de l’Homme, dans son article 3, considère comme un traitement inhumain. L’avocate d’AREVA, sur la forme, rejette la nullité
de la garde-à-vue considérant que celle-ci n’est pas encore déclarée
illégale (suite aux récentes décisions européennes) et qu’elle s’en remet
à un arrêt récent de la cour de cassation : il faut attendre une nouvelle
loi qui encadre la garde-à-vue. La procureure dit la même chose et rejette
la nullité de la garde-à-vue car les récentes décisions de la Cour
Européenne des Droits de l’Homme (C.E.D.H.) n’ont pas de portée générale
et donc qu’elles ne sont pas applicables à la France (c’est la Turquie qui
a été condamnée par la C.E.D.H.). Elle poursuit que tous les militants
étaient parfaitement au courant de leur droit et que les conditions de la
garde-à-vue ont été respectées car ils ont pu voir un médecin, qui a
estimé que leurs états étaient compatibles avec une garde-à-vue.
Il y a eu donc, selon elle, « un strict respect de la procédure ».

Les avocats des parties civiles plaident maintenant sur le fond. Pour
celle d’AREVA, les militants ont reconnu avoir participé à l’action donc
il n’y a aucun doute à avoir. Elle attaque donc sur la justification de
l’acte. Selon elle, le convoi ne représentait pas un danger car AREVA
confine et transporte proprement les déchets et que l’entreprise respecte
les normes internationales en la matière. Selon elle, « la question du
transport [de déchets nucléaires] est définitivement réglé » (sic). Et
donc, si le convoi n’est pas dangereux, les militants ne peuvent implorer
l’état de nécessité comme le prévoit la loi. Concernant le préjudice
qu’AREVA a subi, elle estime qu’il est important car l’entreprise a été
limite diabolisée dans la presse ; elle parle d’une « campagne anxiogène »
de la part de la presse en citant les articles du Monde, JDD, le Figaro. Elle demande donc 1€ par militant. C’est au tour de l’avocat de la SNCF de plaider. Il commence sa plaidoirie par des questions auxquelles il répond : est-ce légitime de s’attacher aux rails ? Non, c’est un délit. Est ce
que le train répondait aux normes de transport de déchets nucléaires ? Les
militants n’ont pas réussi à prouver le contraire. Est-ce un état de
nécessité de s’enchaîner pour arrêter un train ? Non car il n’y a pas de
danger et que les militants n’ont pas utilisé tous les recours légaux à
leur disposition pour prouver la dangerosité. Sur le préjudice subi par la
SNCF, l’avocat insiste sur le fait que les militants ont des soutiens et
donc qu’ils pourront payer ! L’avocat fait un décompte minutieux des frais
de ralentissements (trains en retard), de ceux de suppressions (partielles
et totales) ainsi que les heures supplémentaires des agents SNCF. Il
aboutit à une somme d’environ 40 000 € !

C’est ensuite au tour de la procureure de faire ses réquisitions sur le
fond. Elle rappelle que les débats judiciaires avaient pour objet
l’entrave et non le nucléaire. Elle n’a pas entendu de la part des
militants de réelles explications sur l’action mais qu’à contrario
celle-ci avait nécessité beaucoup de préparation (étude des normes pour
arrêter un train, achats de matériels). Elle fait ensuite une digression
sur la plainte déposée par les militants pour violence policière. Elle a
demandé un rapport au directeur départemental de la sécurité publique sur l’intervention des CRS. Suite aux conclusions de celui-ci, elle a classé
la plainte sans suite. En effet, le DDSP estimait que la désincarcération
a été faite dans le respect des normes et de la protection des personnes
(sic). Les CRS ont été surpris par le dispositif mis en place par les
militants, les manchons utilisés étaient inconnus des CRS. Ils ont alors
utilisé un endoscope pour voir où ils devaient couper, mais les militants
avaient eu la « fantaisie d’ajouter de la mousse à raser » dans le manchon
rendant l’endoscope inutilisable. La procureure note que les CRS ont
utilisé toute l’eau à leur disposition afin de refroidir les scies
lapidaires et que les bâches bleues mises en place ont servi à protéger
les militants des étincelles (et non pas à empêcher la presse de voir ce
qui se passé). Selon la procureure, le discours des militants sur leur
motivation est « basique, simpliste » et qu’ils n’ont pas pu avancer de
données sur la dangerosité du train donc l’état de nécessité ne peut être
invoqué. C’était aussi une action concertée et donc elle requiert 2 mois
de prison avec suris et 2 000 € d’amende pour les deux militantes qui
étaient sur les voies mais non enchaînées, 2 mois de prison avec sursis et
3 000€ d’amende pour ceux qui étaient enchaînés et 3 mois avec sursis et 3 000€ d’amende pour le militant qui a refusé de donner ses empreintes. Elle indique que le cautionnement servira à dédommager les parties civiles et à payer les amendes. Elle refuse par avance l’exclusion de l’inscription de la condamnation au casier judiciaire bulletin n°2 pour la militante qui
travaille dans l’Education nationale.

Il est 18h20 quand les avocats de la défense commencent à plaider. Maître
Lehoux débute la sienne par une longue citation de Stéphane Hessel tirée
du livre « indignez vous ». En paraphrasant Stéphane Hessel, il indique
que l’indignation des prévenus, c’est le transport de nucléaire. Il parle
ensuite des militants, de leur passé et des liens qu’ils ont avec le
nucléaire (lieu de naissance près de la Hague, études, etc...) pour
expliquer les motivations de l’action. Il parle ensuite de l’intimidation
qu’on subit les militants antinucléaires avec un cautionnement
disproportionné alors qu’ils sont tous là, le fait qu’AREVA dépêche deux
avocats du barreau de Paris pour la défendre. Il interroge ensuite
l’avocat de la SNCF qui n’a pas réussi à produire assez de justificatifs
concernant les retards ni à démontrer que ces derniers étaient forcément
liés à l’action. Il termine sa plaidoirie en demandant l’aide
juridictionnelle pour l’ensemble des prévenus.

La deuxième avocate, de Rennes, débute son allocution en reprenant le président et la procureure qui ont parlé de débats depuis 30 ans sur le nucléaire. Mais en 1974, le plan Messmer qui décide de miser sur l’énergie nucléaire n’a pas fait l’objet de réels débats au parlement. Et depuis, il n’y a eu aucune consultation de la population. Elle parle même d’opacité dans les prises de décision concernant le nucléaire. Elle parle de la relance du programme en 2003 qui avait été précédé d’un débat national avec une commission de sages présidée par Edgar Morin. La commission avait rendu un avis défavorable à la poursuite du programme mais le gouvernement a passé outre cet avis. De même, en 2004, lors du vote sur l’EPR, les députés et sénateurs ont voté avant qu’un rapport d’experts indépendants sur la sûreté de l’EPR ne soit rendu ! Plus récemment, le nucléaire a été exclu du Grenelle de l’environnement. C’est dans cette absence de débats par les voies démocratiques que les militants ont agi.

Le troisième avocat demande aux juges d’utiliser leur pouvoir d’interprétation de l’état de nécessité. Il estime que les nuisances et les pollutions irréversibles du nucléaire en font un danger imminent et donc pour faire face à ce danger imminent, l’action est la seule possible.
Car, il se demande comment peut on faire un recours alors que les informations sur le convoi sont classés secret défense (comme beaucoup de ce qui concerne le nucléaire). Selon lui, l’état de nécessite découle de l’absence de possibilité de recours et de débats démocratiques ; il demande donc la relaxe.

Les plaidoiries se terminent à 20h10, le président du tribunal fixe au 26
janvier la date du délibéré. Les militants restent encore de longue
minutes dans la salle d’audience entourés de leurs soutiens et avocats.
Quelques uns répondent aux questions des journalistes. Puis, tout le monde sort de la salle et se retrouvent nez à nez avec la section d’intervention qui « garde » la salle des pas perdus. Dehors, il reste encore une cinquantaine de personnes, les stands ont été démontés mais des braséros continuent de se consumer au centre de la place Fontette. Une militante prend la parole et remercie les personnes qui sont venus les soutenir durant toute la journée. Les avocats prennent ensuite la parole et
expliquent que, selon eux, l’audience s’est bien passée. Enfin, un des
témoins prend la parole et se félicite de la mobilisation autour de ce
procès. Il est bientôt 20h30 et une bonne partie des présents prend la
direction de la presqu’île afin d’assister au concert de soutien aux
ateliers intermédiaires.