On veut nous persuader de rester tranquilles, de désavouer les actes de rébellion qui, depuis quelques jours, éclatent partout dans le pays – et de souffrir patiemment, au nom de la logique de l’argent, toutes les humiliations. On menace, si nous ne rentrons pas dans le rang, de nous interdire la rue, de nous tabasser, de faire couler notre sang. Les dirigeants de toute obédience, qui ne songent qu’à nous voir croupir à jamais dans la servitude et la misère, prétendent encore et toujours nous priver des richesses immenses que notre classe, et elle seule, a produites. Comme un bétail trop prolifique, nous sommes voués par des technocrates et des rentiers à la précarité et au dénuement, aux maladies et à la décimation.
Si nous avions à trancher maintenant s’il faut ou non se soulever, la prudence nous imposerait d’y réfléchir à deux fois, tant les moyens que consacrent les hautes castes au maintien de l’ordre sont immenses, tant les liens communautaires qui faisaient autrefois notre force se sont distendus – et tant la confusion des idées est savamment entretenue par les médias. Mais dès lors que le combat s’est déjà engagé, et qu’il s’est engagé à l’initiative d’un adversaire qui rêve de nous clouer le bec pour des générations, nous n’avons d’autre choix que de nous résoudre à la plus piteuse, à la plus douloureuse des défaites ou de nous apprêter à redoubler d’audaces et d’exigences.
Nous pouvons être certains qu’on fait déjà contre nous de nouveaux préparatifs d’enfermement et d’exclusion. Mais ce n’est que par le péril que l’on échappe au péril. Il faut donc employer la force quand l’occasion s’en présente, comme ne manquent jamais de le faire les puissants qui nous traitent comme du purin – car, face aux dangers qui nous menacent, il est plus dangereux de rester courbés et muets que d’essayer d’en venir à bout. Cette occasion, amenée par les vents capricieux de l’histoire, ne la laissons pas s’envoler, si nous voulons enfin nous assurer une existence plus libre et plus heureuse. Les êtres qui désirent mais n’agissent pas engendrent la peste.
Nous savons tous, au fond, que si le bien-être et les plaisirs nous sont à jamais interdits, que si l’ennui et la précarité façonnent notre destin, nous le devons à notre acceptation trop docile de l’ordre des choses. Seuls d’entre nous s’en « sortiront » les serviteurs les plus zélés : tant qu’il y aura du salariat, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde, et la vie continuera d’être ce périple angoissé à travers un espace dûment surveillé, clos et bétonné, où s’entre-déchirent les pauvres sous l’œil amusé des maîtres. Les employés fidèles ont le droit de subir la tyrannie des horaires et la tristesse des tâches morcelées, en échange de revenus toujours plus maigres. Les autres, chômeurs et précaires, sont plongés dans un dénuement plus grand encore, accablés d’injures, vivant d’aumônes et d’expédients, guettés par l’enfermement et le désespoir absolu. Nous le sentons tous, une telle société ne mérite pas d’exister, et ceux que l’appât du gain ou le goût de la servitude incitent à la défendre doivent être balayés.
Ceux qui fondent leur pouvoir sur la peur vivent eux-mêmes dans la crainte des populations qu’ils dominent et exploitent. Les forces de répression dont ils se sont dotés peuvent se disloquer aussi vite que, naguère, celles des dictatures bureaucratiques, – pourvu que la rue fasse pleinement sentir sa propre force. Nous devons donc éviter de les affronter là où l’ennemi nous attend avec toute la puissance de ses armes : ces cortèges-pièges, organisés par les syndicats cogestionnaires et les récupérateurs politiques, dont la connivence avec les prédateurs de l’économie n’est plus à démontrer. Occupons plutôt nos quartiers, nos entreprises, nos écoles. Assiégeons les gens de pouvoir et d’argent en leurs bastions. Refusons de dialoguer avec ces experts en fourberies et entamons sans tarder, entre nous, les vrais débats, ceux qui naissent des passions impatientes. La route des excès mène au palais de la sagesse.
19 octobre 2010