Filmographie non exhaustive...
– La dialectique peut-elle casser les briques ?1972
– Encore un effort pour être révolutionnaires, 1973
– Mao par lui-même, 1977
– Du sang chez les Taoïstes, 1977
– Dialogues entre un maton CFDT et un gardien de prison affilié au syndicat CGT du personnel pénitentiaire
– Une soutane n’a pas de braguette (toujours interdit en France à ce jour)
– L’aubergine est farcie, 1975
– Une petite culotte pour l’été
– Les filles de Kamare, 1974
Imaginez le film Mission Impossible (1,2,3, et +) commençant par : Afin de combattre la pénétration de l’idéologie chauvine dans les couches de la petite bourgeoisie, nous avons dit ouvertement, non pas comme l’Humanité l’a écrit ce matin par erreur, " nous aimons notre patrie", mais " nous aimons notre pays . [1] Alors Comrad ! Votre mission est de combattre la pénétration, car si vous combattez la pénétration, vous combattrez les pénétrateurs ! Cette cassette se détruira par elle-même dans cinq secondes... Boum ! La cabine en ligne directe avec Marx Karl explose, René Viénet va boire un coup ou se fait interviewer par Radio France. [2]
Tout cela pour dire que : conter est la construction de situation qui « sera la réalisation continue d’un grand jeu délibérément choisi ». [3] Mais ça peut être aussi, l’histoire d’une conversation d’un cuisinier structuraliste [4] à un charcutier saussurien [5] : l’ambiguïté du rôti étant intrinsèque, celle du fumé et du bouilli est extrinsèque, puisqu’elle ne tient pas aux choses mêmes, mais à la façon dont on se conduit envers elles... Rapportée à l’image, la vision vraie s’entrechoque avec la reconstruction subliminale ; nous pouvons réinventer l’attraction, je dis bien l’attraction souveraine ; comme une utopie florissante, milieu du XIXème siècle, Fourier désignant, dans le titre des passions... Si tant est que les passions aient un titre... Titre d’un film de René Viénet, Les filles de Kamare, [6] un navet porno soft Hongkongais, détouraconté par un dialecticien communiste, appuyé par des sous-titres ad hoc. Recette : Détourner les « dialogues » en Chinois, par un contenu subversif en Français Anglais hors de propos et inattendu. Le détournement a un effet cautérisateur : ludicité rythmée en causticité « bienveillante » et stimulatrice, en un but de dérision « totale » des valeurs esthétiques établies, tout cela achalandé savoureusement par Viénet René : Dans une salle de classe des jeunes femmes, nues, argumentent à propos des « « erreurs dialecticiennes Bakouniniennes »... Et ce n’est que le début du film Les filles de Kamare...
Les filles de Kamare et bien d’autres pochades Hongkongaises de la même teneur étaient achetés à bas prix et distribués par la Société de l’Oiseau de Minerve, ils passaient dans un cinéma d’Art et d’Essai situé rue de l’Ecole de Médecine. Tout commença par une pénurie de traducteurs chinois. René Viénet entra en scène si j’ose dire : doubler les dialogues tout en les détournant totalement en utilisant une dialectique totalement décalée ; Les Maîtres Taoïstes citaient donc allègrement du Mao, du Engels ou du Kierkegaard tandis que les prêtres Shaolin déclamaient du Liu Chao Shi, du Paine et du Louise Michel, tout en se massacrant à tour de bras. On nommait ces films, films de « Kung-fu » ou « Western Soja ». Les situationnistes les appelaient films « Wou Sa Pien », il est vrai que cela sonnait plus chic-tuationniste.
Dresser un biographie dans cet article n’est pas mon propos, je ne peux qu’extraire un passage d’un interview donné par René Viénet dans le Figaro du 8 septembre 2006 : [...] En 1971, Simon Leys pour avoir écrit « Les habits neufs du Président Mao » fut condamné par les sinologues français à ne jamais enseigner en France. Pour avoir été son éditeur, et avoir récidivé en publiant quelques autres titres, depuis devenus des classiques, et surtout pour avoir réalisé le film Chinois, « encore un effort pour être révolutionnaires », je fus à deux reprises exclu du c.n.r.s., à l’unanimité, par sa section 38 [...] [7]
Ce que l’on peut avancer concernant René Viénet est que sa pensée à contre courant et dès la fin des années 60, ce sinologue dénonçait Mao et le Maoïsme, alors que bien des intellectuels français dans un parfait ensemble encensaient « l’œuvre réformatrice du Grand Timonier » : En 1974, Roland Barthes, grand maître des lettres françaises, se rend en Chine accompagné de Philippe Sollers et Julia Kristeva. Ils en reviennent époustouflés. Sollers, déclare avoir vu la « vraie révolution antibourgeoise ». [8] Julia Kristeva écrit : « Mao a libéré les femmes » et « résolu la question éternelle des sexes ». Quant à Christian Jambet et Guy Lardreau, ils déclarent en 1972 : « Mao est la résurrection du Christ, le petit livre rouge, la réédition des Évangiles ». [9] Les « frasques » de Mao feront tout de même entre 40 et 60 millions de morts et dix fois plus de victimes internées dans des camps de travail. Encore une « nouvelle évangile » payée au prix fort... Quant à Viénet, il fut expulsé de Chine en 1966.
Ceci étant posé, ce qui m’amène est René Viénet, le cinéaste et non ses vicissitudes rencontrées. Quatre films politiques plaçant le « modèle » chinois devant ses contradictions : « Mao par lui-même », « Chinois encore un effort pour être révolutionnaire », « La Dialectique peut-elle casser des briques ? » et « Une petite culotte pour l’été ». Tout un art de se payer la tête de « l’ultime » pékin... La technique situationniste du détournement d’éléments culturels existants pour de nouveaux objectifs subversifs. [...] À la fois dans son contenu socio-critique et dans sa forme autocritique, il présente un contraste frappant aux pleurnicheries réformistes [...] En détournant contre lui-même le pouvoir persuasif du cinéma [...] Bref, « le détournement est le seul usage révolutionnaire des valeurs spirituelles et matérielles par la société de consommation ». [10] Le situationnisme fut entre les années 1950 et 1970 considéré comme une idéologie anarchiste intellectuelle, qui critiquait les dérives de nos sociétés de consommation capitalistes et qui prônait une révolution permanente de la vie quotidienne, en remettant en cause chaque ambiance et situations momentanées de la vie. Selon Guy Debord : « Après l’échec de toutes les révolutions prolétariennes et la tendance du capitalisme moderne à devenir avant tout une industrie du spectacle, seul le détournement du spectateur peut vaincre le capitalisme ». [11] La praxix situationniste a donc été en son temps une tentative de révolution de l’art, vers l’art de la révolution ; dégager l’individu qui n’a quasiment aucun contrôle sur sa propre destinée où l’art ne représente plus aucun intérêt, sauf marchand vers une prise de conscience tel que Stirner la définissait : « Il n’y a pas d’autorité en dehors de ma propre expérience vécue ; c’est ce que chacun doit prouver à tous ». [12]
Insister sur le fait qu’aujourd’hui où le spectacle est en passe d’avoir accompli la destruction systématique de tout vécu, le sexe ne peut qu’être qu’une cible incontournable : la pornographie est une des toutes premières marchandises en volume, en présence, en accessibilité, réduisant déjà ce qu’il peut y avoir de singulier dans le corps humain à néant. Le film de Viénet Les filles de Kamare reste une antidote libidique organisée autour des « deux actrices principales » Teruo Ishii et Norifumi Suzuki, placé sous les hospices de l’humour, qui ne vient pas tant d’une satire d’un genre cinématographique absurde que de la sape du rapport spectacle/spectateur au coeur d’une société absurde, car après tout s’auto regarder, (entre moi et moi) n’a jamais coupé les ailes à une souris... Les personnages critiquent l’intrigue, leurs rôles et la fonction des spectacles en général, ils neutralisent constamment la tendance des spectateurs à s’identifier avec l’intrigue, le héros, en leur rappelant que la véritable aventure, ou son absence, se trouve dans leur propre vie...
Mais « L’industrie » veille au grain, le spectacle ingère dans le spectacle lui-même son propre détournement, les théoriciens actuels se posent toujours la question si le situationnisme était (est) une théorie Nihiliste, ou plutôt d’essence nihiliste passive ou active ? Et nous comptons les points...Passivement ou activement, tout dépend où l’on se situe, à... Le désordre c’est l’ordre moins le pouvoir ! chantait Léo Ferré, alors, je me dis que des situationnistes tels Debord [13] m’ont apporté un peu « le sens de l’appropriation de mon temps » ; d’ailleurs, je suis dans la cabine téléphonique, j’écoute le message sur la cassette de Mission Impossible, j’arrête l’enregistrement (mettant ainsi fin à ma mission, la cabine n’explosera pas), et je m’en irai pas à pas (ou peer to peer) enregistrer gratuitement sur le site www.ubu.com, [14] des films situationnistes sous-titrés... Vous avez vécu la vie, maintenant vous pouvez en voir le film !