Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
Sylvie Knoerr-Saulière
La mort de l’asile
Jacques Lesage de La Haye (Éditions du monde libertaire)
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 5 octobre 2010

Jacques Lesage de La Haye, co-auteur de Psychanalyse et Anarchie avec Roger Dadoun et Philippe Garnier [1] nous propose, avec La mort de l’asile de Jacques Lesage de La Haye, [2] un récit vivant et documenté de l’histoire de la folie en France, de l’enfermement et de la ségrégation imposée aux malades, et du mouvement multiforme de l’anti-psychiatrie comme de la psychiatrie de secteur. Pour qui a travaillé auprès de populations en grande détresse, toutes ces pages permettent de revivre un peu de ce qui fut à la fois un moment de lutte et d’espoir. Pour tout autre lecteur, ce sera une découverte, d’autant plus nécessaire que la peur du « fou » est loin d’avoir disparu !

On verra que finalement, dans la pratique, dans l’action concrète, anti-psychiatrie et psychiatrie de secteur se rejoignent. Au fil des pages apparaissent les noms de courageux novateurs, médecins, philosophes, militants libertaires : Roger Gentis, Franco Basaglia, David Cooper, Mary Barnes, Félix Guattari, Wilhelm Reich, Claude Sigala, Lucien Bonnafé…

L’auteur nous fait part de ses expériences, des freins apportés à l’ouverture de l’hôpital psychiatrique vers la vie et la cité par l’administration, les diverses institutions, un certain nombre de médecins et d’infirmiers. Dans la lutte contre toutes formes de coercition, il évoque aussi d’autres groupes où bouillonnaient idées et actions, dans une contestation de la société capitaliste toute entière.

Au lieu de l’enfermement, vont se créer des espaces d’écoute et d’expression pour les patients, que l’on cherche à comprendre, aider, soigner, et dont l’humanité est reconnue à part entière.
Jacques Lesage de La Haye, en libertaire réfléchi, soulève la question de l’évolution de l’individu et de la société, et propose, dans la traditionnelle opposition entre réformisme et révolution, une référence à l’ici et maintenant, où s’inventent au fur et à mesure de nouvelles pratiques. Il souligne aussi comment de petites structures alternatives peuvent devenir à leur tour de véritables institutions sclérosées.

Cependant, peut-être pour avoir été impliquée dans ce mouvement général des années 1970, je me permettrai quelques remarques.

En premier lieu, l’enfermement et le rejet des « fous » n’est pas le seul fait de « la société », capitaliste ou non. La famille — réputée il est vrai pilier de toute société — est un lieu remarquable de coercition et de violence. Combien de patients cachés des années durant par leurs parents ont trouvé dans un service psychiatrique proposant des soins un véritable renouveau, presque une nouvelle naissance…

D’autre part, l’impression donnée, sans doute involontairement, est que seule ou presque la région parisienne et plus particulièrement le Centre Hospitalier Spécialisé de Ville-Evrard, ont été le siège d’expériences novatrices. L’effervescence fut généralisée à l’hexagone et à l’Europe. Dans le même esprit, un peu plus de données sur les mouvements anglais, italiens, espagnols entre autres, qui furent importants, auraient pu venir éclairer des lecteurs pour qui les noms cités restent des références abstraites.

Reste qu’aujourd’hui, la disparition de l’asile est plus le fait du poids des contraintes gestionnaires que de l’adhésion aux projets de l’anti-psychiatrie et de la psychiatrie de secteur par l’État, les institutions et une grande partie de la population. Autre problème, et de taille, le délire sécuritaire qui compromet tout le dispositif de soins mis en place au prix de tant d’efforts et de luttes.